Déclaration de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, sur les mesures en faveur de la valorisation de la recherche, Paris le 24 juin 2004.

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Circonstance : Ouverture du Congrès annuel du Réseau C.U.R.I.E., à Paris le 24 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le président, Monsieur l'administrateur, Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi en tant que ministre de la Recherche d'être présent à ce congrès annuel du réseau C.U.R.I.E sur la valorisation de la recherche.
La valorisation, c'est votre mission, votre travail quotidien. Il est difficile mais indispensable. C'est non seulement une mission mais aussi une sorte de devoir, celui de valoriser les résultats de la recherche. La recherche est multiforme, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Ses grandes ambitions sont également multiples : ce sont la progression du savoir qui est la raison d'être de la recherche, des objectifs répondant à des politiques de souveraineté (nucléaire), à la contribution à la création de richesses, à la valeur ajoutée comme les créations d'entreprises et d'emplois.
Cette création de valeur ajoutée signifie aussi pouvoir rester dans une compétition mondiale toujours plus dure : les résultats économiques et sociaux des nations sont mis en comparaison et, à l'intérieur, les systèmes de recherche et d'innovation. Il est de plus en plus rare, en effet, que l'on ne compare que les systèmes de recherche. On s'aperçoit que l'Europe, voire la France, est sur une " plaque tectonique " en voie d'affaissement, par rapport à la plaque américaine ou à la plaque d'Extrême-Orient. On ne peut pas l'accepter car cela signifierait que, dans dix ans, la Chine et quelques autres, seraient le laboratoire du monde, et la valeur ajoutée s'éloignerait de l'Europe et de ses partenaires. Il faut avoir une réactivité de plus en plus forte dans ce domaine. Un des éléments les plus importants, compte tenu de la qualité de la recherche française, quel que soit le domaine, est de travailler sur la valorisation. Il ne s'agit pas seulement de valorisation économique ou financière mais d'une valorisation qui vaut en plus car elle participe au rayonnement de notre culture et de notre pays.
Les pays qui comptent dans le domaine de la recherche, sont ceux qui réalisent de grandes découvertes et déposent des brevets, mais aussi ceux qui, à partir de grandes découvertes, ont su maîtriser des pans entiers de la technologie et des domaines dans lesquels se crée la richesse de demain. Un grand objectif a été fixé par l'Europe à Barcelone en 2002 : la Commission a indiqué que l'Europe devrait consacrer 3 % de son PIB à la recherche-développement en 2010. Il est important qu'il y ait une perspective qui montre que croissance et recherche et développement sont liés et que l'effort en faveur de la recherche et la façon dont cet effort est pratiqué au quotidien, sont un des grands facteurs de la croissance économique.
Le sujet de la valorisation transcende les politiques gouvernementales, quelle que soit la couleur politique. Depuis plusieurs années, tous les gouvernements disent qu'il vaut mieux valoriser les résultats de la recherche. Beaucoup de mesures ont été prises. La loi sur l'innovation comporte des dispositifs qui ont, je crois, accéléré l'acceptation culturelle de l'idée de la valorisation. Je pense qu'une étape législative comme celle de cette loi a permis de débloquer culturellement les choses. Elle a donné aux grands établissements de recherche, les moyens et les capacités politiques d'initiative pour se lancer dans la valorisation et amplifié les efforts déjà faits, par exemple, par le CNRS, le CEA ou l'INSERM.
La valorisation commence par un partenariat entre les laboratoires publics et le secteur privé. Ces partenariats peuvent prendre différentes formes qui se déclinent en termes de séquences et de contenus :
- Les dépôts de brevets : leur nombre est en augmentation, ce que je constate avec satisfaction. Il serait bien que l'exploitation de ces brevets augmente au même rythme. L'idée forte de pouvoir déposer un brevet, devrait être à l'esprit de chacun. Chaque université, chaque organisme de recherche devraient se sentir impliqué dans ce devoir national qu'est la valorisation de la recherche.
- Les contrats entre laboratoires publics et entreprises : ils sont de plus en plus nombreux et apportent des financements de plus en plus importants au secteur public de la recherche. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Plus de financement privé dans certains laboratoires, ne signifie pas moins de financement public. Au contraire, ce doit être une incitation pour les organismes de recherche à donner davantage dans les laboratoires qui valorisent le plus.
Il ne faut pas non plus que la valorisation devienne une obsession. Toute activité de laboratoire n'est pas valorisable en termes économiques. La recherche fondamentale, par exemple, n'a pas pour but d'aboutir à une valorisation immédiate. Elle est la réponse à un défi scientifique qui se traduit par les progrès de la connaissance. Lorsqu'on regarde la structure de recherche en France, on s'aperçoit qu'il existe beaucoup de possibilités encore non exploitées.
L'un des sujets que le gouvernement souhaite aborder pour améliorer la valorisation est celui de la propriété intellectuelle. Il faut améliorer le traitement et la prise en compte de la propriété intellectuelle dans nos établissements. Beaucoup a été fait, des mesures restent encore à prendre. Nous manquons d'indicateurs et je compte sur vous, sur le réseau C.U.R.I.E, Monsieur le Président, Monsieur l'Administrateur, et sur ses partenaires comme la conférence des présidents d'université, pour mettre ces indicateurs en place, suivre leurs évolutions et ainsi mettre en évidence nos forces et nos faiblesses que nous nous devons de traiter.
Renforcer la gestion de la propriété intellectuelle implique d'abord de mieux travailler ensemble. Une partie importante de nos équipes est située dans des unités mixtes de recherche. En matière de transfert et de valorisation, l'unité des responsabilités doit l'emporter sur la pluralité des politiques. La notion de mandataire unique doit être généralisée, dans le respect de l'autonomie et de l'identité des établissements. Les entreprises auront ainsi, sur un projet de transfert, un interlocuteur unique présentant un point de vue unique. Les contrats quadriennaux des universités et des écoles présentent le plus souvent des clauses de répartition de responsabilité intéressantes entre établissements publics. C'est bien mais je pense qu'il faut aller plus loin.
Pour bien négocier avec les entreprises, il faut en avoir les moyens. Aujourd'hui, malheureusement, à quelques exceptions notoires près, les équipes chargées de la valorisation de la recherche sont trop petites et trop dispersées. Une mutualisation des compétences, des savoir-faire, de vos talents, est indispensable. Elle peut être imaginée à l'échelle d'un site, d'une région ou, pour une thématique spécifique, d'un pays. Elle peut prendre différentes formes, associer un nombre variable de personnes mais cette mise en commun est véritablement indispensable.
Le gouvernement réfléchit au renforcement de pôles de compétitivité visibles sur la scène internationale et à même d'attirer capitaux, entreprises, compétences. Au ministère de la Recherche, nous nous intéressons aux pôles de compétitivité technologiques associant les centres de recherche publique à un tissu économique de grandes entreprises et de PME - PMI. Une mutualisation au niveau des sites et un suivi de proximité en matière de valorisation à l'échelle d'un pôle constituera, pour ces pôles, un atout essentiel.
Je voudrais ajouter un point concernant la visibilité de notre recherche. Dans la valorisation, il est essentiel que les compétences des laboratoires publics soient plus visibles de l'extérieur. On arriverait plus facilement à valoriser les résultats de la recherche des grands établissements si les activités et les programmes dans lesquels ils s'insèrent, étaient plus visibles et mieux connus, y compris à l'échelle internationale. Quand on interroge des chefs d'entreprise, des patrons de grands groupes multinationaux qui ont à sélectionner un site pour la recherche et développement, ils ont à choisir entre plusieurs pays qui ont chacun leurs caractéristiques. Nous n'avons pas de présentation lisible de ce que fait chaque laboratoire, de sa spécialité, du programme dans lequel il s'insère, de son projet, du niveau qu'il a atteint ; ce qui renvoie aux questions d'évaluation.
Mandataire unique, mutualisation, ces concepts exigent pour leur mise en oeuvre des échanges permanents entre les établissements et les personnes. Je tiens à dire notre satisfaction devant l'ouverture de ce congrès aux participants de tous types d'établissements : universités, écoles et organismes de recherche. Cette ouverture est la garantie d'échange de bonnes pratiques mais aussi de sessions de formations efficaces.
Le métier que vous exercez est difficile. Il exige de nombreuses connaissances, des savoir-faire multiples et souvent très spécialisés. Partagez vos expériences, rendez-vous service, c'est essentiel. Cela se fait déjà et doit se faire davantage. Comprendre les contraintes des entreprises et les mécanismes des marchés, fluidifier la négociation, sont un art dans lequel ne peuvent exceller que des professionnels accomplis qui échangent les uns avec les autres.
Organisation, mutualisation, formation sont nécessaires. Je réfléchis aux mesures pour renforcer vos activités : clarifier les situations fiscales, mobiliser des moyens nouveaux qui ne sont pas nécessairement budgétaires. Renforcer la gestion de la propriété intellectuelle passe par un changement dans la façon dont elle est appréhendée par nos scientifiques. A cet égard, les initiatives prises par vos réseaux en matière de cahier de laboratoire paraissent exemplaires.
La création d'entreprises de technologies innovantes a fait l'objet de nombreuses initiatives. Elle constitue, en effet, l'une des formes de valorisation de la recherche. Dans ce processus, vous avez un rôle essentiel à jouer : celui de détecter les projets, de déterminer si la meilleure solution est de transférer vers une entreprise existante ou s'il est plus pertinent de créer une nouvelle entreprise, et surtout de décider quand le faire. Ni trop tôt pour qu'un dépôt de brevet n'entrave pas une recherche fondamentale, ni trop tard pour ne pas être dépassé par un concurrent d'un autre pays. Trop de projets sortent trop tôt des laboratoires et arrivent sur le marché sans être assez mûrs : le prototype n'existe pas ou n'est pas au point, les essais techniques sont incomplets Je travaille à des dispositifs d'accompagnement pour cette phase essentielle à un transfert de technologie réussi.
Pour que l'accompagnement soit réussi, il est indispensable que l'accès du porteur de projet aux capitaux soit facilité. Trop d'indicateurs témoignent de la difficulté des jeunes entreprises à lever des fonds suffisants pour franchir le cap des premières années avec succès. La semaine prochaine, je remettrai leurs prix aux lauréats de l'édition 2004 du concours d'aide à la création d'entreprises innovantes, organisé par le ministère de la Recherche depuis 1999.
Le bilan des cinq premières éditions est très satisfaisant quant à la qualité et à la pérennité des projets aidés puisque 94 % des entreprises sont encore en activité. Mais seulement 5 % de ces créations ont bénéficié d'un apport en capital de la part d'un fond d'amorçage. Le capital investissement ne consacre d'ailleurs aujourd'hui que 6 % de ses fonds à l'amorçage, et c'est très insuffisant. Cela montre la nécessité d'un dispositif de discrimination positive en faveur de l'amorçage, dans la perspective du venture capital, de l'investissement financier dans les nouvelles entreprises. Ce sont des entreprises à risque et s'il n'y a pas de discrimination positive, sous forme d'un plus fiscal ou sous forme d'un soutien public, les capitaux-risqueurs, les business angels iront plus facilement vers des entreprises déjà développées que vers de la start-up pure. Il faut dynamiser le financement de l'entreprise dès les premiers stades de son existence, réfléchir à la possibilité de mettre en place un fond de garantie dont le critère serait plus favorable pour les fonds prenant des participations dans les entreprises de moins de deux ans.
Dans cette phase critique nécessitant conseils et argent, les business angels pourraient jouer un rôle plus important. Mais ils sont encore trop peu nombreux en France, qui accuse un sérieux retard par rapport aux pays anglo-saxons. Afin d'inciter les investisseurs particuliers à se lancer dans l'aventure du soutien au démarrage de jeunes pousses high-tech, le gouvernement a créé un statut de société unipersonnelle d'investissement à risque* qui ouvre le droit à des avantages fiscaux très intéressants. Ce statut sera opérationnel en septembre (avec les décrets d'application). Je souhaite que nous puissions poursuivre dans cette voie en prenant exemple sur d'autres pays comme le Canada.
Nous sommes aujourd'hui dans une période de réflexion profonde sur la réforme de notre système de recherche et d'innovation. Les propositions sont nombreuses. Et je souhaite que vous puissiez faire des suggestions quant à votre insertion dans notre dispositif français et européen de recherche, de développement, d'innovation.
Votre expérience est précieuse. Je suppose que vous avez beaucoup de propositions à exposer pour améliorer le système de valorisation. Dans tous les pays du monde, ce système est en perpétuel devenir et nécessite des adaptations permanentes de la législation et des esprits ; le climat n'est pas le même aujourd'hui qu'il y a 4 ou 5 ans. L'ambiance est à la compétition mondiale. Il faut avoir en tête que posséder un système de valorisation efficace, est un élément important pour que la France reste à la pointe dans ses domaines d'excellence, par rapport à la compétition mondiale. Je vous remercie.
* La SUIR, Société unipersonnelle d'investissement à risque, a été créée par la loi de finances pour 2004

(source http://www.recherche.gouv.fr, le 12 juillet 2004)