Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la création d'un musée dédié à l'histoire de l'immigration intitulé "Cité nationale de l'histoire de l'immigration", à Paris le 8 juillet 2004.

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Circonstance : Inauguration de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, à la Porte Dorée à Paris le 8 juillet 2004

Texte intégral

Madame et monsieur les ministres,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Chers amis,
Le gouvernement que je dirige s'est fixé un devoir de vérité : vérité sur les atouts et les difficultés de la France, vérité sur l'histoire de notre pays, vérité sur notre avenir.
Aujourd'hui, ici, avec vous, la France regarde son histoire. En face.
Non, nous n'avons pas le droit de réduire l'immigration à un apport de force de travail ou, pire encore, à une source de problèmes sociaux.
Non, nous ne devons plus fermer les yeux sur cette dimension essentielle de l'histoire de notre peuple.
Oui, nous devons reconnaître l'apport de l'immigration à la construction de la France, son peuple et sa nation.
Oui, nous devons changer les représentations de ce phénomène. Il y va de la cohésion de notre nation.
Le projet de " musée de l'immigration " est ancien mais il n'avait jamais rencontré d'appui politique solide, pour une raison simple : la voie choisie n'était pas claire et personne n'était prêt à assumer la question.
Aujourd'hui, la décision est prise parce que la pensée est claire.
Notre exigence de vérité repose sur des convictions fortes : nous avons fait le choix de l'intégration à la nation plutôt que la différenciation des populations.
Entre d'une part la proclamation permanente du droit à la différence et d'autre part, le discours de haine qui fait de l'immigré la cause de tous les problèmes et stigmatise les individus en niant leur appartenance à la nation, nous avons fait un choix, un choix humaniste : l'immigration fait partie de l'histoire de notre peuple, de notre pays et de notre nation, " leur histoire est notre histoire ".
Oui, j'ai, nous avons une " certaine idée de la France ", une France dynamique, en mouvement, ouverte. Une France fidèle à son histoire et à ses valeurs de tolérance et d'universalisme que le Président de la République a rappelé avec force ce matin au Chambon sur Lignon.
C'est dans cette perspective, dans cette vision de la France que j'ai décidé de créer une Cité nationale de l'histoire de l'immigration.
I - Une certaine vision de l'histoire de France
Les Français aiment l'histoire. Avec ce lieu, nous lisons des pages importantes de notre histoire et nous complétons
A. Nationalité et citoyenneté : la vocation universelle
A la veille de la Révolution, MIRABEAU déclarait encore que la France était "un agrégat inconstitué de peuples désunis".
La Révolution a consacré la nation en rompant avec les particularismes locaux.
Elle a inventé la citoyenneté. En 1789, elle abolit les privilèges et le servage, réintègre les protestants et donne aux Juifs l'égalité des droits. Plus tard, l'esclavage est aboli. La route vers l'égalité est ouverte qui franchira une nouvelle étape fondamentale en 1945 avec le vote des femmes.
Elle a inventé la nationalité. En 1790 et 1791, la Révolution a répondu à la question " qu'est-ce qu'un Français " ? et définit un principe de nationalité valable sur tout le territoire.
Le droit a varié ensuite mais le principe de la nationalité et de son acquisition par un étranger était posé. C'est jusqu'à cette période que remonte le travail du musée parce qu'il devait étendre son champ aux sources de la France d'aujourd'hui.
B. Qu'est-ce qu'un Français ?
Aujourd'hui, nous devons à notre tour nous poser la question : qu'est-ce qu'un Français ? Qu'est-ce que l'identité nationale ? Qu'est-ce qu'une nation ? Et, pour y répondre, dans un souci de vérité, nous devons regarder notre histoire.
Le territoire de ce qu'est aujourd'hui la France a été peuplée d'hommes et de femmes venus de partout.
" Nos ancêtres les Gaulois " ont été définis comme tels au XIXe siècle, pas avant.
Aux XIXe et au XXe siècles, la France a été le seul grand pays d'immigration en Europe, à rebours de tous les autres qui envoyaient par millions leurs citoyens à travers le monde.
C'est de ce brassage qu'est née la civilisation française, avec des hommes et des femmes qui ont choisi la France pour vivre leur destin, rassemblés autour des valeurs que sont la liberté, l'égalité et la fraternité.
Un Français aujourd'hui, c'est un citoyen qui a en partage ces valeurs, qui croit en l'universel et qui pense et raisonne dans notre langue, notre langue qui est le vecteur même de notre civilisation et c'est pour cela que nous y tenons tant.
C. Histoire d'immigrations
Avec ces valeurs, la France a su intégrer ses immigrés qui sont devenus des Français, sauf quand le régime de Vichy, cette blessure terrible dans notre histoire, a stigmatisé le Juif et l'étranger et transformé en étranger des Français reconnus comme tels depuis longtemps.
Aujourd'hui, je veux citer les Polonais, les Belges, qui ont tant fait, dans le Nord et en Lorraine au moment de l'essor industriel de la France. Je veux citer les Italiens, les Espagnols qui, en Lorraine là-aussi mais encore à Marseille, en Aquitaine ont donné leur vie pour travailler en France, dans des conditions souvent difficiles, avec parfois des drames affreux comme à Aigues-Mortes en 1893 où plusieurs dizaines d'Italiens trouvèrent la mort dans des émeutes racistes.
Je veux citer les Portugais qui, dès les années 20, ont rejoint en masse notre pays et ont été, comme les autres, souvent méprisés.
Qui se souvient aujourd'hui de ces difficultés ? Prenons exemple sur le passé : l'intégration, ça marche !
Je veux citer aussi les combattants des deux guerres mondiales. Beaucoup étaient originaires des colonies, beaucoup étaient aussi immigrés en métropole. Beaucoup sont morts pour la France. Je m'incline devant leur mémoire.
Je veux aussi citer les Maghrébins, Algériens, Marocains, Tunisiens, les Africains, Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, que la France a fait venir en masse et à qui elle doit tant pour sa reconstruction et sa prospérité, après 1945. Ils étaient là, dans les usines, sur les chantiers, vivaient souvent dans des taudis, seuls, économisant sur leur confort pour nourrir leur famille.
Je veux dire solennellement " merci " à ces hommes et ces femmes venus de partout, à leurs descendants. Je pense aussi à ceux qui vivent encore dans des foyers, dans la précarité ou dans la solitude.
Ce lieu doit permettre aux immigrés et à leurs enfants de connaître cette histoire pour que les " mémoires d'immigrés " soient des mémoires partagées.
C'est ainsi que l'on consolidera l'identité d'enfants parfois sans repères qui s'interrogent sur leurs liens avec la France.
Avec ce projet, nous leur disons : regardez le travail de vos pères, l'énergie de vos mères et soyez en fiers. Leur engagement a fait de vous des Français à part entière.
La France leur rend hommage.
D. L'immigration aujourd'hui
Aujourd'hui, l'immigration continue.
Parce que, terre de tolérance, la France est fidèle à sa tradition de l'asile et elle a accueilli ces trente dernières années des boat-people qui fuyaient la terreur, des Kurdes, des Irakiens, des Rwandais, je ne les citerai pas tous.
Parce que, terre de prospérité, notre pays attire des hommes et des femmes à la recherche d'une vie meilleure.
Si cette immigration doit bien sûr être contrôlée, encadrée, elle ne doit pas être stigmatisée.
C'est vrai qu'il y a des problèmes, ne les exagérons pas, mais ne les occultons pas non plus : une pression migratoire très importante, des difficultés d'intégration, un antisémitisme insupportable que développent certains, la délinquance perçue parfois comme une solution, un communautarisme agressif.
C'est vrai aussi que les discriminations peuvent donner à penser aux enfants de l'immigration que les chances ne sont pas égales pour tous et que le repli communautaire protège d'un monde extérieur qui ne les accepte pas.
Mais, la difficulté ne peut jamais être une justification.
E. Notre politique d'intégration depuis deux ans
Le Président de la République l'a dit aujourd'hui, l'ensemble de la société doit se mobiliser pour que vive les valeurs de la République, contre le racisme, contre l'intolérance et contre le communautarisme.
Le gouvernement a pris sa part dans cette action. L'antisémitisme a été vigoureusement combattu comme la délinquance, qu'elle qu'en soient ses auteurs. Il fallait également réaffirmer la valeur laïcité. Dans ces domaines fondamentaux pour la cohésion de notre nation, nous avons agi avec fermeté et détermination.
Enfin, il fallait que l'égalité des chances soit mieux assurée : il n'y a pas deux catégories de Français. La volonté d'intégration et d'appropriation nationale ne peut être forte si les idéaux de la République ne sont que des mots inscrits au fronton de nos palais nationaux.
Nous avons assuré au culte musulman une représentation digne de cette religion.
Avec le Haut Conseil à l'intégration et sa présidente Blandine KRIEGEL, nous avons bâti une réflexion et nous avons agi.
Nous mobilisons les entreprises avec une mission confiée à Claude BEBEAR et j'annoncerai avant la fin de l'année un plan d'action destiné à ouvrir les portes des entreprises à tous, quelle que soient leurs origines.
Nous avons mobilisé la Fonction publique dont le ministre, Renaud DUTREIL s'est engagé pour une charte de la diversité. D'ici la fin de l'année, sera créée une Haute autorité de lutte contre les discriminations. Enfin, le plan de cohésion sociale accorde une place fondamentale à la question de l'égalité des chances avec des instruments nouveaux et originaux, grâce à l'action déterminée de Jean-Louis BORLOO.
Nous voulons aussi changer les représentations : c'est pourquoi je demande aux chaînes de télévision de continuer l'effort engagé pour une meilleure visibilité de la diversité de notre population et des réussites de l'intégration.
C'est pourquoi aussi je lance ce projet aujourd'hui centré sur une seule idée : l'intégration dans la nation qui inclut plutôt que la différenciation identitaire qui exclut ; ce qui rassemble plutôt que ce qui divise. Et aujourd'hui, l'histoire de l'immigration nous rassemble.
II - Une grande Cité nationale de l'histoire de l'immigration
C'est fort de cette conviction que j'ai pris les décisions que je veux vous annoncer aujourd'hui.
Ce projet, je souhaitais le réaliser et je rends devant vous hommage à Jacques TOUBON qui a mis sa finesse, sa puissance de travail et ses convictions personnelles au service de ce projet.
Aujourd'hui, je crois pouvoir dire qu'il a réussi : le projet est clair et ambitieux, le dialogue avec les chercheurs, les responsables associatifs a été parfaitement engagé à la grande satisfaction de tous les acteurs que je salue aussi ce soir pour leur mobilisation. Enfin, la dynamique est là, vous en êtes tous la preuve.
A. Le nom du musée et le lieu
J'ai souhaité que ce musée soit hébergé dans un lieu emblématique et prestigieux.
Après un long travail de réflexion et de dialogue, il est apparu que le Palais de la Porte Dorée répondait à l'ensemble des critères et je remercie le maire de Paris de son concours.
Ce lieu, magnifique au demeurant, n'est pas neutre : il a été - quelques années - le Musée des colonies après l'exposition de 1931 et sa décoration rappelle ce souvenir. Il a été ensuite pendant 40 ans le musée des Arts africains et océaniens voulu par Malraux.
Certains contesteront ce choix. Mais, la colonisation et la décolonisation font partie de notre histoire, avec les ombres et les lumières, les réalisations et les drames atroces, le bonheur et les guerres. Elles sont un élément de notre passé qu'il faut regarder sans crainte aujourd'hui, alors que les façons de penser ont changé.
La colonisation et l'immigration ont des liens évidents, même si l'immigration avait commencé bien avant la colonisation et qu'elle s'est accélérée après la décolonisation. Le lieu symbolisera donc cette part de l'histoire de l'immigration et, en 2007, l'exposition inaugurale sera consacrée à " colonisation et immigration ".
Le lieu est prestigieux, l'appellation devait l'être aussi. C'est pourquoi j'ai choisi l'appellation de Cité nationale de l'histoire de l'immigration.
Cette cité nationale est un musée mais c'est aussi un lieu de découvertes, d'exposition, de musiques, d'arts vivants. C'est aussi un lieu pour l'ensemble de la nation. C'est enfin un projet où l'histoire est inscrite au cur.
Elle sera destinée à tous les publics évidemment et pas seulement aux Français d'origine étrangère.
B. Un projet culturel
Comme vous l'avez compris, le projet qui nous réunit ce soir est un vrai projet culturel, destiné à rassembler notre nation autour de son histoire.
C'est pourquoi le ministère de la culture devait avoir un rôle majeur. Je veux également féliciter Renaud DONNEDIEU de VABRES qui n'a pu être là ce soir. Grâce à lui et à son engagement personnel et immédiat, le projet a pu être concrétisé.
Cette cité nationale, créé non pas autour d'une collection mais autour d'une histoire, doit collecter des témoignages écrits, oraux, des objets, des photos, des films, une certaine mémoire, une certaine histoire, très humaine.
C. Les principes du musée
Comme je l'ai indiqué, le champ chronologique du musée débutera avec la Révolution française qui a défini le citoyen et la nationalité.
En plus des expositions permanentes et temporaires, ce lieu sera également un Centre de ressources pour les professeurs et les élèves, les chercheurs et le grand public. Avec les nouvelles technologies, il permettra à terme à ceux qui le souhaitent de retrouver les origines de leurs familles par le biais de fiches numérisées.
Tels la Cité des sciences et de l'industrie ou la Cité de la musique, ce sera également un centre de culture avec des spectacles vivants, des projections de films, des rencontres et des colloques.
Enfin, la cité nationale constituera une tête de réseau avec des liens importants avec les institutions de province comme avec les institutions européennes et internationales qui travaillent sur ces sujets d'histoire et de populations.
D. Le programme de travail
J'ai tenu à ce que la Cité existe dès 2005 et qu'elle commence ses activités à cette date, avant même de s'installer définitivement dans ce lieu qui l'hébergera progressivement mais qui mérite des travaux importants.
La structure administrative sera créée au 1er janvier 2005 et les dispositions ont d'ores et déjà été prises pour qu'elle dispose d'un budget nécessaire pour la rénovation du lieu ainsi que la mise en place des locaux et de l'installation permanente.
Avant la fin de l'année, une mise en compétition d'architectes sera organisée par le ministère de la culture et de la communication.
Ce dernier aura la responsabilité principale mais je tiens à souligner l'implication financière des ministères de la cohésion sociale et de l'éducation nationale.
La programmation pourrait être la suivante :
o Dès 2004, la mise en place d'une visite virtuelle de l'installation permanente ;
o Des expositions comme celle, en 2005, consacrée à l'architecte de ce bâtiment, Albert Laprade et en 2006, une exposition " regards croisés France Allemagne ", en partenariat avec le musée d'histoire allemande de Berlin et l'association Génériques.
Enfin, je souhaiterais qu'aient lieu ici, dans la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, de grandes expositions consacrées à des artistes majeurs qui sont venus en France, tels Picasso, Brancusi ou Giacometti.
Ils étaient eux aussi des immigrés
Conclusion
Tirer les leçons de l'histoire et sortir des clichés, reconnaître l'apport des immigrés à la construction de la France, renforcer le lien entre les générations et la cohésion nationale, les ambitions de ce projet sont multiples.
Elles sont aussi fondamentales car faire l'histoire de l'immigration, la présenter et la faire connaître, c'est le plus sûr moyen de connaître l'histoire de la France et mieux faire partager l'identité nationale.
Cette cité nationale doit aussi nous encourager à inventer pour demain aussi une meilleure politique d'immigration et de nouvelles solidarités notamment entre l'Europe et la Méditerranée.
En conciliant histoire et avenir, par ce regard tourné sans préjugé vers notre passé, nous atteindrons la vérité qui a créée la France d'aujourd'hui qui nous permet de regarder l'horizon de notre avenir en toute vérité. Sereinement.
Je vous remercie.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 août 2004)