Interview de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, dans "Le Figaro" du 17 janvier 2005, sur l'UMP, la préparation de la campagne du référendum sur la Constitution européenne, la politique de l'immigration et la réforme sur la durée hebdomadaire du travail.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Q - En vous démarquant à ce point de Jacques Chirac lors de vos vux à la presse, avez-vous cherché à créer une "crise de régime", comme vous le reproche Jean-Louis Debré ?
R - Si Jean-Louis Debré veut expliquer aux adhérents de l'UMP que leur demander leur avis, c'est ouvrir une crise de régime, qu'il le fasse... Cela voudra dire qu'il a peu de considération pour eux, et encore moins de confiance dans la solidité de nos institutions. Ces outrances ne méritent pas davantage de commentaires.
Q - Envisager des primaires pour désigner le candidat à l'Elysée, n'est-ce pas malgré tout un moyen de contraindre Jacques Chirac ?
R - Je n'ai pas employé le mot "primaires", même si, je le rappelle, elles furent longtemps le credo du RPR de Jacques Chirac et d'Alain Juppé, qui souhaitaient leur organisation pour apaiser les conséquences des divisions d'alors entre le mouvement gaulliste et l'UDF. Aujourd'hui, un tel système n'aurait pas beaucoup de sens car François Bayrou ne s'y prêterait vraisemblablement pas. Mais s'il est vrai qu'un candidat à la présidentielle peut se présenter libre de toute appartenance politique, une formation politique doit soutenir un candidat. Cela sera le cas pour l'UMP, dont on n'imagine pas qu'elle ne soutiendra personne. Or s'il y a plusieurs candidats, il faudra bien choisir. J'ai répondu alors que, dans ce cas, la meilleure façon de bien choisir serait la démocratie par la consultation des adhérents. Il faut vraiment être de mauvaise foi pour y trouver matière à polémique.
Q - Quand mettrez-vous en place cette procédure ?
R - L'année 2006 sera celle de la préparation des échéances présidentielles et législatives. Il est inutile et prématuré de trop anticiper.
Q - Vous revendiquez le "parler vrai". Pourquoi ne pas dire dès maintenant que vous serez candidat à l'Elysée, quoi qu'il arrive ?
R - Parce que je ne le pense pas. On ne peut être candidat que si cela représente une possibilité crédible de faire gagner ses idées. Il faut être en situation, c'est-à-dire que les Français aient le désir de vous écouter et même de vous entendre. Deux années avant l'échéance, on ne peut donc pas employer l'expression "quoi qu'il arrive".
Q - Le conseil national de l'UMP votera le 6 mars sur la Turquie. Ce débat ne va-t-il pas occulter celui sur la Constitution européenne et donc favoriser le non au référendum ?
R - Cet argument est bien surprenant. Si l'on avait peur que la question turque occulte le débat sur la Constitution européenne, mieux aurait valu ne pas l'ouvrir en déclenchant la procédure de négociation et donc d'adhésion éventuelle. A partir du moment où les Français se posent la question, il me semble encore plus difficile de leur dire : "Ne vous occupez pas de cela." C'est le non-dit et l'absence d'explication qui créent les peurs et les amalgames. Je dis donc que je souhaite que la position de l'UMP soit d'associer la Turquie à l'Europe plutôt que de l'intégrer.
Q - Mais pourquoi un second vote, alors que l'UMP avait déjà voté sur la question en mai ?
R - Parce que je pense qu'il faut qu'une formation politique exprime des choix clairs et non ambigus et qu'une fois encore je me suis engagé à faire vivre la démocratie interne. Il s'est passé beaucoup de choses depuis le mois de mai dernier. D'ailleurs, je vous retourne l'argument : pourquoi cela ne posait-il pas problème de faire voter en mai dernier et cela en poserait-il en mars prochain ?
Q - Vous ne misez donc pas sur une victoire du non lors du référendum sur la Constitution européenne, comme certains observateurs le prétendent ?
R - Votre question illustre bien le décalage qui existe entre les "observateurs" et les Français. Les premiers imaginent derrière chaque propos les scenarii les plus invraisemblables et en général les plus éloignés de la réalité. Les seconds attendent des responsables politiques qu'ils leur proposent des choix clairs. Alors, comprenez-le une fois pour toutes : je ferai campagne pour que le oui gagne sans la moindre réserve ni la plus petite hésitation. Je mesure le poids de mes responsabilités. Je n'ai pas l'intention de m'y dérober. Jacques Chirac avait fait ce même choix au moment de Maastricht.
Q - Avec le débat sur les quotas en matière d'immigration, vous lancez une autre pierre dans le jardin du président. Vous savez bien qu'il y est hostile, comme à toute forme de discrimination positive...
R - Vous ne cessez d'écrire que le débat politique se languit, qu'on n'évoque jamais les vrais sujets, que les Français ne se sentent pas concernés par la politique. Qui peut contester que l'immigration soit un vrai sujet ? Que notre système d'intégration éprouve les plus grandes difficultés ? Qu'il faut réfléchir à de nouvelles pistes ? Ne ramenez pas tout à des seules questions de personnes. Quant à la discrimination positive, cessons de jouer sur les mots. La France la pratique tous les jours avec les zones franches, les emplois réservés pour les personnes souffrant d'un handicap, les zones d'éducation prioritaire ou même la parité hommes-femmes. Et nous avons raison de le faire, parce que c'est le seul moyen de faire de l'égalité des chances une réalité.
Q - Dominique de Villepin estime que les quotas d'immigration ne sont pas dans notre tradition républicaine...
R - C'est son droit de penser cela. Mais la politique n'est pas qu'une affaire de tradition, c'est aussi une question de résultats. A l'immigration subie, je préfère l'immigration choisie. De grands pays comme les Etats-Unis, le Canada ou la Grande-Bretagne ou même l'Allemagne ont mis en place un système de quotas. Ce ne sont tout de même pas des dictatures ! Continuer dans la voie de l'immigration subie, ce n'est pas rendre service à la France et à sa cohésion sociale ; ce n'est pas rendre service aux étrangers à qui l'on n'est pas capable d'offrir un travail ou un toit ; ce n'est pas non plus rendre service aux pays d'origine. Qui, par exemple, peut trouver normal qu'il y ait davantage de médecins béninois en France qu'au Bénin ?
Q - Comment arbitrer entre les différentes zones ou les différents pays d'origine ?
R - Je n'ai jamais parlé de quotas par zone ou par nationalité. Je crois à la nécessité de quotas par métiers ou par type de formation. Nous avons les moyens de savoir de quels types d'emplois la France, ses entreprises et ses administrations auront besoin dans les années qui viennent. C'est en fonction de ces besoins que nous devons fixer, avec les pays d'origine, le volume et la nature de l'immigration que nous sommes prêts à accueillir. Il faut accompagner cette politique d'une ouverture beaucoup plus grande des universités françaises aux étudiants étrangers, et vérifier qu'ils retournent bien dans leur pays à l'issue de leur formation. Il faut aussi lutter avec une énergie renouvelée contre l'immigration clandestine. Il faut enfin réformer les procédures d'asile - aujourd'hui, la principale faille du système - en excluant de la liste des pays d'origine un certain nombre d'Etats où, de toute évidence, les droits de l'homme ne sont pas ou ne sont plus en danger.
Q - Vous demandez la création d'un ministère de l'Immigration. Pourquoi ?
R - Je ne demande pas la création d'un ministère supplémentaire. Je dis seulement qu'il faut qu'un seul ministère pilote le dossier de l'immigration, dont la gestion est aujourd'hui éclatée entre plusieurs administrations. Dans la plupart des pays européens, je constate que l'immigration est du seul ressort du ministre de l'Intérieur. A mon sens, c'est lui qui devrait présenter chaque année au Parlement ses objectifs chiffrés et les grandes orientations de la politique d'immigration.
Q - Pourquoi relancer ce débat aujourd'hui ?
R - Mais parce que c'est un sujet qui n'a jamais cessé de préoccuper les Français ! Je pense, contrairement à d'autres, qu'il faut profiter de l'accalmie de l'extrémisme de droite pour en parler sereinement et le traiter enfin. Je souhaite que l'UMP soit en initiative. C'est une offre nouvelle qu'il nous faut maintenant construire.
Q - Justement, la réforme des 35 heures engagée par Jean-Pierre Raffarin est-elle suffisante à vos yeux ?
R - Elle est très positive et fournit un exemple parfait d'une collaboration utile entre le gouvernement et l'UMP, qui exprimait cette demande depuis longtemps et qui présentera la proposition de loi. Là aussi mon soutien à la réforme des 35 heures sera complet et dénué de toute ambiguïté.
Q - N'auriez-vous pas préféré que l'on revienne carrément sur la durée hebdomadaire du travail ?
R - Non, car la France n'est pas une page blanche. Les 35 heures comme durée hebdomadaire sont un acquis social. L'important, c'est la liberté nouvelle qui sera donnée aux salariés. Que ceux qui veulent gagner plus puissent travailler plus. Le débat n'est pas achevé pour autant. Il faudra bien poser un jour la question des 35 heures dans la fonction publique. Pourquoi les fonctionnaires ne disposeraient-ils pas eux aussi de la liberté de choix ? Il faudra aussi réfléchir aux heures supplémentaires. Travailler plus longtemps ne rend pas plus malade. Pourquoi dès lors augmenter les charges sociales de ceux qui feront des heures supplémentaires ? Je souhaite que pour l'avenir on puisse réfléchir à un forfait de charges minimum sur ces heures supplémentaires.
Q - Comprenez-vous la fronde contre l'obligation de choisir un médecin traitant ?
R - Non, car cette réforme est nécessaire. Il faut en finir avec le dérapage des dépenses lié au nomadisme médical. Cela sera-t-il suffisant pour rétablir l'équilibre de la sécurité sociale ? Je n'ai pas changé d'avis : la meilleure solution reste à mes yeux l'instauration d'une franchise sur l'ensemble des actes médicaux. Modulable du reste selon les revenus afin que les plus fragiles ne soient pas pénalisés. Existe-t-il une seule assurance sans franchise ? Ce serait un bon moyen pour responsabiliser les assurés. Et les intéresser aux efforts. Car l'on pourrait réduire la franchise dès lors que l'objectif de dépenses, fixé par l'Ondam, serait respecté.
Q - Vous voulez définir un nouveau "discours social pour la droite". En quoi se distingue-t-il de l'action du gouvernement ?
R - Nous ne cherchons pas à nous distinguer mais à approfondir la réflexion politique de la droite et du centre. La politique sociale ne se limite pas à empiler des droits virtuels pour les seuls exclus qui n'ont en général pour effet que de les ancrer dans cette situation. Le premier souci doit être de tout faire pour sortir les exclus de l'exclusion. Dans les Hauts-de-Seine, nous soutiendrons financièrement les allocataires du RMI qui recherchent une activité. Il est impératif de réhabiliter le travail. Pour rester dans les Hauts-de-Seine, je proposerai que soient mis en vente auprès de leurs locataires 4 000 logements sociaux. Il n'y a aucune raison pour qu'il y ait en France moins de 50 % de foyers propriétaires de leur logement, alors qu'il y en a plus de 80 % en Grande-Bretagne. Avec le produit de la vente, nous mettrons en chantier de nouveaux logements sociaux, créant ainsi de la mobilité. Voilà des exemples de ce que j'entends par une politique sociale dynamique.
Q - Quand votre "offre nouvelle" sera-t-elle prête ?
R - Nous organiserons, toutes les six semaines environ, une convention thématique de l'UMP. Avant l'été, nous traiterons ainsi de la politique sociale, de l'immigration, de la famille, de la nature et du rythme des réformes. A la mi-2005, je mettrai en place une commission de synthèse et l'UMP adoptera, à la mi-2006, son projet législatif.
Q - Vous êtes-vous senti visé par les avertissements de Jean-Pierre Raffarin contre les "ego hypertrophiés" ou ceux qui "inoculent le virus de la division" ?
R - Non puisqu'il parlait de son gouvernement et que je n'y suis plus !
Q - Allez-vous couper les crédits de la Fondation pour l'innovation politique, créée par Jérôme Monod ?
R - C'est un débat que nous aurons cette année en fonction de l'utilité des travaux de la fondation et de l'immensité des besoins de nos candidats et de nos responsables sur le terrain. Il faudra sans doute procéder à de nouveaux équilibres.
Q - N'aviez-vous pas pensé confier la présidence de la fondation à Alain Juppé ?
R - C'était effectivement mon intention. Ses responsables actuels m'ont rétorqué qu'ils ne voulaient pas politiser la fondation...
Q - Si Jacques Chirac décidait de vous nommer à Matignon avant 2007, accepteriez-vous ?
R - Croyez-vous vraiment à cette hypothèse ?
(Source http://www.u-m-p.org, le 19 janvier 2005)