Interview de M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, à "LCI" le 19 janvier 2005, sur le conflit relatif au service minimun dans les transports ferroviaires.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Merci d'assurer le service minimum ministériel... Cette grève que le ministre des Transports, hier, G. de Robien disait "carré", parce qu'elle doit durer 24 heures, êtes-vous certain qu'elle ne va durer que 24 heures ? Parce que le syndicat SUD, par exemple, dit que c'est une grève reconductible.
R- C'est vrai, mais tous les autres syndicats ont appelé à une journée de grève. Donc, nous, nous pensons que cette grève sera largement terminé ce soir, ou au plus tard demain matin. C'est vrai qu'il faut observer la situation : c'est n'est pas absolument certain.
Q- Cela ne risque-t-il pas de faire boule de neige avec la grève des fonctionnaires demain et au fond, de créer une espèce d'osmose ?
R- Ce n'est pas notre prévision ce matin.
Q- G. de Robien disait hier que l'accord qui a été passé par les six syndicats de la SNCF et la direction de la SNCF sur la prévention des conflits est en train de démontrer son efficacité. Comment pouvez-vous dire que cela démontre son efficacité à tous les usagers qui, aujourd'hui, sont dans les bouchons, avec un TGV sur trois et un train Corail sur quatre ?
R- D'abord, je voudrais dire que je pense effectivement à ceux qui vont passer une journée difficile en raison des perturbations à la SNCF. C'est une vraie préoccupation que de savoir que des millions de Français vont avoir une journée particulièrement difficile aujourd'hui. Deuxième chose : cet accord remonte au mois d'octobre, il est donc tout récent. Depuis cette date, il y a eu 140 cas de procédures d'alarme sociale. C'est-à-dire que les syndicats ont demandé à mettre en place cette procédure de négociation rapide pour essayer d'éviter la grève. Et dans 85 % des cas, la grève a été évitée. Donc, il y a évidemment les grèves que l'on voit et les grèves évitées que l'on ne voit pas. Donc, l'alarme sociale, cela a déjà marché. Deuxième considération - et c'est quand même une nouveauté -, c'est l'annonce des trains qui vont fonctionner, qui fonctionnent aujourd'hui, qui a été faite depuis deux jours, qui donne lieu à des pages de publicités, à des numéros d'appel. Ca, c'est un vrai progrès.
Q- C'est la grève indolore ?
R- Ce n'est jamais indolore. Bien sûr, non, ce n'est pas indolore. Maisc'est mieux avant, parce qu'on sait la veille si on aura ou non, le trainque l'on a prévu de prendre. Ce n'est pas négligeable.
Q- Il y en a un que vous n'avez pas convaincu, c'est le président du Medef, qui disait hier qu'il était absolument inacceptable de pénaliser de la sorte l'activité économique des entreprises. Les entreprises - je reprends ses termes, et vous êtes un libéral - "ont besoin d'être servies pour fonctionner".
R- Oui. Si monsieur Seillière a une solution pour éviter à jamais les grèves, qu'il la présente. Je crois qu'il faut être très réaliste : on a une entreprise qui a une longue culture du conflit et de la grève. La situation s'améliore plutôt. On a eu en 2004, sensiblement moins de grèves qu'en 2003. Nous espérons qu'avec ces nouvelles procédures de discussions sociales, il y aura moins de conflits à la SNCF en 2005 qu'en 2004. Dire que pour autant, tout est réglé, bien sûr, non.
Q- Je reprends la question de E.-A. Seillière : où est le service minimum promis par le chef de l'Etat il y a quelques mois ?
R- Service minimum ne veut pas dire qu'il y a absence de grève. D'abord, ce serait impossible.
Q- Cela veut dire que pendant la grève, l'activité économique peut continuer, ce n'est ça la signification ?
R- C'est compliqué. Le service minimum, aujourd'hui, il y a un service, il y a 1 200 trains qui vont circuler aujourd'hui. On pourrait dire que c'est un service minimum. Non, ce n'est pas ce que mon disons. Nous avons encore des progrès à faire, progrès dans la prévention des conflits, dans leur prévisibilité, et dernier point - et ça, pour l'instant nous n'y sommes pas, quand il y a grève, parce qu'il y aura toujours des grèves, il faut que nous puissions dire "telle ligne est prioritaire, tel service est prioritaire" et qu'on l'organise, notamment, avec les collectivités locales, parce qu'il n'y a pas que la région parisienne, il y a toutes les grandes agglomérations, le service dans les régions. Il faut que l'on puisse dire s'il y a grève, c'est d'abord telle et telle ligne, tel et tel service qui sont assurés.
Q- Donc, vous dites, au fond, à tous les parlementaires qui s'agacent de
ne pas voir de loi sur le service minimum dans votre majorité, qu'il
n'y aura pas de loi sur le service minimum ?
R- Ce n'est pas ce que nous avons dit, ce n'est pas ce que nous disons.
Q- Il y aura ou il n'y aura pas ?
R- Nous disons, pour l'instant, que nous sommes engagés dans la voie d'une négociation et dans la voie d'une expérimentation - je le répète - depuis octobre, donc, c'est tout récent. Je crois qu'il faut explorer cette voie conventionnelle, cette voie d'accord. Cela vaut toujours mieux que la loi, parce que vous savez, une loi, c'est bien mais ce qui compte, c'est l'application. Rien ne garantit qu'une loi assurant un service dans les textes assurera un service minimum dans les faits. Donc, si nous pouvons, par la négociation, faire des progrès, il faudra aller plus loin qu'aujourd'hui, eh bien, nous pourrons, le cas échéant faire l'économie d'une loi.
Q- Est-ce que vous recommandez à L. Gallois, de ne pas payer les jours de grève, en tout cas, de ne pas payer le jour de grève, comme monsieur Dutreil l'a fait dans la fonction publique ?
R- C'est la règle et c'est l'honneur des grévistes. Quand on fait grève, on n'est pas payé et c'est une responsabilité personnelle, c'est quelque chose que l'on assume. Je crois qu'il en a toujours été ainsi, qu'il en sera toujours ainsi.
Q- Que pensez-vous du fameux projet de directive européenne concernant le troisième paquet ferroviaire qui signifie que les lignes transversales seront ouvertes à la concurrence ?
R- Pour les marchandises. Pour les marchandises, en effet, la concurrence est annoncée à relativement brève échéance. Mais les marchandises, le transport des marchandises, c'est une affaire d'entreprise. Ce sont les entreprises qui sont clientes de la SNCF et qui, demain, pourront être clientes d'autres entreprises. C'est un point extrêmement important, parce qu'autant en France nous sommes bons en trafic de voyageurs, sauf les jours de grève, mais les TVG, c'est quand même une belle réussite française, autant nous sommes mauvais, il faut le dire, nous avons été très mauvais, nous sommes encore mauvais, pour le trafic de marchandises. Et là, il faut que nous fassions des progrès. Les suppressions de poste dont on parle aujourd'hui - 3 500 suppressions de poste ; rappelons quand même que la SNCF continue à embaucher plus de 3 500 personnes cette année -, cela vient essentiellement de la volonté de remettre à flot le trafic de marchandise. Sur les 3 500 postes, il y en a plus de 2 000 qui concerne les marchandises. C'est là que nous avons des progrès à faire. Je crois que la SNCF a besoin d'être à niveau, de faire aussi bien que les meilleurs sur le transport des marchandises.
Q- Que la SNCF transfère certaines lignes Corail, soit aux régions, soit au privé, cela vous semble-t-il plausible ?
R- Non, vous savez, les lignes Corail...
Q- C'est dans l'ère du temps.
R- C'est par rapport à l'ensemble du trafic de la SNCF, on parle de quelques services où il y a très peu de voyageurs. Je crois qu'il y a des solutions à trouver. La solution n'est sûrement pas la suppression ni le transfert brutal, sans autre forme de procès, aux régions. Donc, les régions font l'essentiel pour les trafics régionaux, l'Etat et la SNCF pour les grandes lignes. Je crois que ça continuera comme ça.
Q- Grève de La Poste, des cheminots, de la fonction publique, "sinistrose" disait hier notre confrère Le Monde, à partir d'un rapport des préfets, sinistrose des Français ; est-ce que vous redoutez que cette inquiétude, cette angoisse sociale n'ait des répercussions sur le vote du référendum sur la Constitution européenne ?
R- J'espère vivement que non. D'abord, je voudrais souligner que les différents conflits concernent des sujets extrêmement différents. Par exemple, à la SNCF, il n'est pas question de salaire, puisqu'il y a eu un accord salarial signé par plusieurs organisations syndicales...
Q- Ca, c'est votre analyse. Est-ce que tout cela ne risque pas de faire corps et de se répercuter sur le référendum ?
R- En tant qu'Européen convaincu, bien sûr, je souhaite qu'il n'en soit pas ainsi. Ce serait dramatique que l'on utilise un référendum qui a une importance considérable pour l'avenir de notre continent, pour l'avenir de l'Europe, pour exprimer des insatisfactions qui existent toujours ci et là.
Q- Dans ce contexte, est-ce que N. Sarkozy ne joue pas un mauvais rôle en ajoutant la Turquie, en refaisant voter les militants de l'UMP - vous appartenez à l'UMP - sur la Turquie, alors que le vote a déjà eu lieu du temps de monsieur Juppé ?
R- Il faut être très clair, la question qui sera...
Q- Il vous agace N. Sarkozy ?
R- La politique, ce n'est pas cela, la politique, c'est quand même le fond des affaires. Et le fond des affaires, c'est une affaire considérable, c'est de savoir si on continue la construction européenne. Il faut absolument que la France disent "oui" au projet de Constitution.
Q- L'UMP, c'est fait pour soutenir le président de la République ou
pour le gêner ?
R- A priori, plutôt pour le soutenir.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 janvier 2005)