Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'état de l'opinion en France sur l'Union européenne, Paris le 23 novembre 1998.

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Circonstance : Présentation par M. Moscovici du sondage "Les Français et l'Europe" à Paris le 23 novembre 1998

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, Il y a pratiquement un an, j'avais eu le plaisir de vous accueillir en ces lieux pour vous présenter une première enquête sur les questions européennes.
Quelques mois après ma prise de fonction, j'avais souhaité disposer d'une photographie de l'état de l'opinion en France sur la construction européenne, au moment où une nouvelle période s'ouvrait pour notre pays et pour l'Union.
Nombre d'entre vous se souviennent du travail passionnant réalisé alors par l'Institut IPSOS. Je crois pouvoir dire que son enquête, quantitative et qualitative, a constitué une source de référence très utile et durable à tous ceux qui s'intéressent à l'Europe.
C'est pourquoi, j'ai souhaité que ce baromètre européen soit actualisé, à nouveau avec le concours du Service d'Information du gouvernement et de la Commission, que je remercie et dont je salue les représentants ici.
Ce nouveau cliché est pris à un moment particulièrement intéressant. Nous sommes en effet à l'orée d'une séquence qui marquera sans aucun doute l'histoire de la construction européenne.
Je rappellerai, par ordre chronologique, les principales échéances qui vont rythmer les prochains mois.
- Commençons par évoquer le traité d'Amsterdam. Demain débutera à l'Assemblée nationale l'examen du projet de loi de révision constitutionnelle, précédant la ratification du traité qui devrait intervenir au début de l'année prochaine. Il importe de franchir cette étape et de rebondir vers une nouvelle ambition.
- L'avènement de la monnaie unique se rapproche. L'euro naîtra officiellement le 1er janvier prochain, même si on peut dire qu'il est déjà là. Lançant la semaine dernière, aux côtés de Dominique Strauss-Kahn, une nouvelle phase de la campagne de communication sur l'euro, j'ai pu mesurer la mobilisation impressionnante de tous, et pas uniquement des acteurs économiques.
- Le Conseil européen ordinaire se réunira les 11 et 12 décembre à Vienne. Son ordre du jour reflétera la nouvelle démarche de l'Union en faveur de l'emploi, engagée, à l'initiative de la France, dès Amsterdam.
- Il y a aussi le processus d'élargissement. Il a été lancé le 30 mars dernier. Les négociations sont maintenant ouvertes avec six pays candidats. Je viens moi-même de participer le 10 novembre aux premières conférences intergouvernementales à ce sujet.
- Cette perspective, désormais certaine, d'une Union élargie dans des proportions sans précédent, exige un effort, lui aussi inédit, d'adaptation de son cadre financier et de ses politiques communes. Cette négociation complexe, dite de l'Agenda 2000, suit son cours. Les Quinze se sont fixé pour objectif de parvenir à un accord politique en mars prochain.
- Je mentionnerai, enfin, le chantier de la réforme institutionnelle de l'Union. La perspective de l'élargissement nous met comme jamais auparavant, au défi de l'efficacité des institutions.
Enfin, je dois également mentionner, en toile de fond, les rencontres bilatérales, qui marquent cette fin d'année. Je reviens de La Rochelle où a eu lieu vendredi et samedi derniers le sommet franco-espagnol. A Potsdam, le 30 novembre, s'ouvrira le sommet franco-allemand. Enfin, Saint-Malo accueillera, le 3 décembre, le sommet franco-britannique.
Vous le voyez, l'actualité sera chargée.
Dans un tel contexte, il importe, me semble-t-il, de ne pas se laisser porter par l'action, en oubliant l'essentiel.
Je pense évidemment aux Français, à leur perception de l'Europe, à leurs attentes , à leurs questions.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, une préoccupation oriente en permanence mon action au sein du gouvernement : comprendre et expliquer pour contribuer à rapprocher nos concitoyens de cette Europe encore trop lointaine.
Je vais maintenant laisser la place à Pierre Giacometti qui va vous présenter les résultats de cette nouvelle enquête.
Je reprendrai ensuite la parole pour vous faire part de ma perception, des enseignements que j'en tire pour notre politique européenne des mois à venir.
COMMENTAIRES ET CONCLUSIONS
Je remercie beaucoup Pierre Giacometti pour cet exposé très complet et instructif.
A la vue de ces résultats, sans paraphraser ce qui vient d'être dit, le ministre des Affaires européennes que je suis ne peut s'empêcher d'exprimer, vous le comprendrez, une première réaction de satisfaction, non pour lui-même mais pour l'Europe. Mais c'est une satisfaction réaliste.
En effet, je me réjouis que les tendances positives, enregistrées en septembre 1997, soient confirmées et amplifiées par cette enquête.
Je rappelle que la première étude, il y a un an, - contrairement à ce qu'on peut penser aujourd'hui - avait été un peu surprenante car elle avait permis d'infirmer l'idée, fausse et trop souvent répandue, de la montée d'un sentiment anti-européen en France.
Il faut se resituer à ce moment-là : en septembre 1997, c'était cette impression-là qui dominait. Un an plus tard, on pouvait attendre une correction - après tout, une enquête peut être corrigée par une autre : pas du tout. On constate au contraire une amplification des résultats de l'enquête de 1997.
Aujourd'hui, l'état de l'opinion sur l'Europe semble structuré par quelques grands traits :
- Emerge d'abord un partage des opinions encore plus favorable à l'Europe. 77 % des Français pensent que l'Europe est une bonne chose pour leur pays. C'était 68 % en 1997. Plus significatif encore, à mes yeux, est le fait que 71 % (contre 64 % en 1997) considèrent que l'Europe est une bonne chose pour eux, c'est-à-dire qu'ils en apprécient concrètement les apports et les avantages. Il y a des progressions très significatives.
Je note que, parmi les sentiments évoqués par les Français, la confiance progresse nettement à 18 %, contre 10 % en 1997, surtout au détriment de la crainte. La confiance qui se substitue à la crainte c'est un mouvement important même si l'espoir pour sa part reste stable.
- deuxième idée : les résultats permettent aussi d'esquisser la liste des champs reconnus, certains diront légitimes, de l'intervention de l'Union européenne, ceux où la valeur ajoutée communautaire ne fait pas de doute. Les questions autour des 17 thèmes le montrent bien en filigrane. Je pense particulièrement au maintien de la paix, aux politiques sectorielles (progrès technologique, recherche, environnement, ...) et aux enjeux liés à la croissance, à l'emploi, et à la santé des entreprises. Toujours d'un point de vue sectoriel, je relève aussi le souhait de donner à la construction européenne un contenu encore plus grand dans un certain nombre de domaines économiques - la monnaie unique bien sûr, mais aussi la protection sociale et la fiscalité - et ceux qui touchent à la sécurité (défense, police, justice). Je note au passage - peut-être pour corriger ce que je viens de dire - que l'ordre des priorités évolue peu, sauf pour la mise en place d'une police européenne, que 34 % jugent prioritaire aujourd'hui, contre 27 % en 1997.
- troisième motif de satisfaction : la construction européenne est très nettement perçue comme une protection contre la mondialisation, perception que nous avions décelée dès la fin 1997, aujourd'hui au premier plan de l'actualité.
- quatrième motif de satisfaction : la notion du souhait d'accélération de la construction européenne, qui est particulièrement marqué et que Pierre Giacometti mettait au coeur de sa conclusion.
Mais, comme je le disais au début de mes propos, cette satisfaction est bien sûr fortement teintée de réalisme.
D'abord parce que les indicateurs rendant compte de l'attachement à l'Europe restent stables. Les Français, c'est compréhensible et cela demeure très marqué, sont particulièrement attachés aux espaces de proximité que représentent leur région et leur ville, et l'Europe vient en 4ème position (derrière la France, la région et la ville) pour 49 % des Français.
Quant à la citoyenneté européenne, le rapport reste là aussi stable - 67 % la jugeant importante, 31 % pas importante - ce qui montre peut-être son caractère abstrait, même si le partage est relativement satisfaisant.
Je rappelle, une fois de plus, la campagne que nous avons lancée pour le droit de vote des ressortissants de la Communauté européenne aux élections européennes.
Les opinions sont aussi partagées dans l'appréciation de la crainte pour l'identité de la France constituée par la poursuite de la construction européenne (elle demeure importante pour 46 % des interrogés et pas importante pour 51 % d'entre eux). C'est quelque chose qui demeure déterminant.
J'observe aussi que persistent, sur les questions européennes, les clivages économiques, sociaux et politiques, bien identifiés depuis des années. On y retrouve les clivages marqués à Maastricht, les proeuropéens étant surtout les personnes à études et revenus supérieurs, masculins, les étudiants. La polarisation des attitudes politiques se renforce, avec d'un côté les réticences accrues des sympathisants du Parti communiste et Front national, et, de l'autre, les nets progrès de ceux qui se sentent proches du Parti socialiste et de l'UDF. Je me garderais bien d'ailleurs de faire le moindre conseil au Parti socialiste pour sa campagne. Je répéterai ce que je disais hier dans une émission : je pense qu'il aurait tort de laisser à d'autres l'euroenthousiasme puisque c'est manifestement ce qu'attendent ses sympathisants ou ses électeurs. Ce n'est pas un créneau mais c'est bien un credo dont il faut s'emparer.
Pourtant, à y regarder de plus près, même sur cette idée d'attachement, des évolutions de fond positives se dessinent.
Je prendrai deux exemples :
* 70,4 % des femmes pensent que l'Europe est une bonne chose pour elles. Elles n'étaient que 59,7 % en 1997. Le sentiment de confiance des femmes augmente sensiblement, passant de 8,2 % en 1997 à 15,4 %. L'espoir féminin reste stable tandis que le sentiment de crainte diminue fortement, de 33,9 % en 1997 à 25,1 % aujourd'hui.
* deuxième indicateur positif : l'opinion de ceux qui se sentent proches d'aucun parti évolue également dans le bon sens. 14,7 % éprouvent aujourd'hui un sentiment de confiance, contre 3,7 % en 1997. 67,8 % considèrent que l'Europe est une bonne chose pour eux, à comparer à 42,2 % en 1997. J'y vois là ce que Pierre Giacometti disait sur la prégnance de l'actualité et le fait qu'il y a des évolutions positives qui sont perçues par tous.
Après ces quelques commentaires complémentaires, j'en viens maintenant à de très rapides enseignements pour l'action qu'il est possible de tirer de ces résultats. Je rappelle que la démarche que je suivais, en mettant en place ce baromètre, est bien de comprendre, d'expliquer pour ensuite agir.
C'est d'abord un net encouragement à poursuivre sur la voie que nous nous sommes fixée. Les Français ont une demande d'Europe, mais d'une Europe proche de leurs préoccupations. Comme vous le savez, le gouvernement n'a pas ménagé ses efforts, depuis le Conseil européen d'Amsterdam, pour infléchir le cours de la construction européenne dans un sens favorable à la croissance et à l'emploi. Dans la nouvelle configuration politique européenne, nous sommes aujourd'hui mieux entourés pour mettre au premier plan ces objectifs. On voit en tous cas, sans que cela manifeste forcément une adhésion politique, qu'il y a là une thématique qui a un écho dans la population à peu près dans toutes ses composantes.
Les Français ont également une demande de sens, d'information, de débat. Plus qu'on ne le dit, ils ont soif de comprendre comment cette Europe fonctionne, de savoir qui la dirige, qui les dirige. Il nous faut répondre à leur attente, même si en France, on a eu beaucoup de débats politiques sur l'Europe. C'est pourquoi la réforme institutionnelle profonde que nous appelons de nos voeux pour réaliser dans de bonnes conditions l'élargissement ne répond pas uniquement à un principe d'hygiène institutionnelle ou à des problèmes fonctionnels que seuls quelques eurocrates ou spécialistes de l'Europe peuvent percevoir.
Je crois que réformer les institutions européennes, les faire mieux connaître, les rendre plus accessibles, plus perceptibles - prenons l'exemple de M. ou Mme PESC - ce n'est pas seulement un problème de fonctionnement mais c'est aussi un impératif de démocratie.
Toutes les échéances à venir doivent être mises à profit pour faire progresser, sans complaisance aucune, la connaissance de l'Union européenne, par les Français.
J'aime faire référence à l'expression "rendre l'Europe populaire". Pour ma part, je ne ménagerai pas mes efforts pour attendre cet objectif, toujours avec le soutien actif de la Commission européenne. Je lancerai prochainement une nouvelle série d'actions de communication publique destinées à présenter l'Union européenne à l'étape d'Amsterdam.
C'est la suite de toutes ces actions qui ont été commencées avec le dialogue sur l'Europe que conduisait Michel Barnier. Il y a actuellement en préparation une nouvelle série d'actions qui démarreront prochainement.
Je souhaite aussi que les actions déjà engagées pour assurer une large diffusion de l'information sur l'Europe se poursuivent. Sources d'Europe, le Centre d'information dont nous assurons la tutelle avec la Commission, développe ses actions en ce sens et nous travaillons à la mise en place, dans toutes les régions, d'un réseau de relais d'information sur l'Europe qui fédérera ce qui existe.
J'en termine maintenant avant de répondre à vos questions.
Ne voyez pas dans cet exercice du sondage la tentation du bilan ou la manifestation d'une autosatisfaction. Il n'est pas question d'être tourné vers le passé, même s'il y a des résultats encourageants, alors que les enjeux de demain sont déjà là, considérables et nombreux. Au demeurant, une attitude tournée vers le passé serait contradictoire avec la démarche du gouvernement, qui privilégie une politique s'inscrivant dans la durée.
C'est pourquoi, comme toujours, je considère un sondage comme une photographie qui me plaît plutôt. Mais c'est d'abord une source d'énergie supplémentaire pour persévérer sur la voie déjà ouverte et éventuellement pour l'infléchir car il y a aussi des motifs de réalisme, pas d'inquiétude mais de vigilance très forte.
La conversion à l'Europe, l'attachement à l'Europe ne sont pas encore réalisés. Chez tous nos concitoyens, des clivages demeurent, clivages qui peuvent préoccuper un gouvernement qui a les orientations politiques qui sont les siennes et que l'on connaît.
Q - Ma question concerne la qualité des services publics. Il est frappant de voir que nos compatriotes semblent avoir une opinion plus favorable à l'influence de l'Europe sur la qualité des services publics que sur l'agriculture, ce qui est un peu paradoxal quand on sait la part du budget qui est consacré au soutien à l'agriculture. Comment interprétez-vous cette réponse ?
Si vous me permettez une remarque concernant l'éducation. Malgré les encouragements que les Européens peuvent tirer des chiffres que nous a donnés M. Giacometti, n'y a-t-il pas une lacune très grave qui est la faiblesse de l'éducation civique en général et l'absence de dimension européenne dans l'éducation civique ? Le ministère des Affaires européennes ne devrait-il pas insister auprès de l'Education nationale pour que cette dimension soit prise en compte davantage qu'elle ne l'est aujourd'hui dans nos programmes d'éducation ?
R - Il y a un besoin que l'Europe soit mieux connue. Cet aspect du débat du sens de l'information doit prendre sa source dans l'éducation. Cela passe effectivement par une meilleure connaissance des institutions européennes, du système politique européen qui reste, vous le savez, très lointain pour les Français. Je crois qu'il est, en fait, difficilement compréhensible autrement que par une catégorie, hélas, très limitée d'usagers. C'est pour cela que tout ce qui peut contribuer à la connaissance des institutions, également à la participation aux élections européennes, qui est un enjeu crucial, ira dans le bon sens.
Sur les services publics, on ne peut pas tirer de très grands enseignements de cette question-là. Même si on voit qu'une petite majorité de Français considèrent que l'Europe est plutôt une bonne chose pour les services publics (44 %), 40 % considèrent tout de même que ce n'est ni une bonne ni une mauvaise chose. Ce n'est pas le sujet qui vient en tête. Ce n'est pas non plus le sujet qui enregistre le plus d'évolution sur une année puisque cela reste relativement stable. En même temps, l'absence de scepticisme sur les services publics prouve bien qu'il n'y a pas non plus partage des idées anti-européennes qui assimile complètement l'Europe à la dérégulation. On sait bien qu'aujourd'hui le service public est une réalité qui doit être vécue au niveau européen, organisée au niveau européen. Je souligne aussi que le Traité d'Amsterdam permet de reconnaître pour la première fois les services publics dans son article 7D et qu'il y a là aussi la perception d'une nécessité d'évolution des services publics et donc, peut-être à travers cela s'exprime une conception plus dynamique qu'on ne veut bien parfois le penser. Ce qui ne veut pas dire que lorsqu'il y a des dérégulations injustifiées, on ne doive pas les combattre ; ce qui ne veut pas dire qu'on ne doive pas rééquilibrer la construction européenne dans un sens qui soit plus favorable aux services publics.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)