Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement républicain et citoyen, à "TF1" au Journal télévisé de 20 heures le 21 mai 2005, sur ses arguments en faveur du "non" au référendum sur la Constitution européenne.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Claire Chazal :

A quelques jours du référendum, nous sommes dans la dernière ligne droite, et ce soir nous recevons Jean-Pierre Chevènement... nous accueillerons demain Jean-Louis Borloo pour le Oui.
On ne vous a pas vu cet après-midi, place de la République, au meeting pour le Non, Jean-Pierre Chevènement. Vous ne souhaitiez pas être aux côtés des communistes et de l'extrême gauche ?

Jean-Pierre Chevènement :

J'étais à Tours, pour un débat avec M. Donnedieu de Vabres. D'une manière générale, je dirais que le Non républicain reprend la critique sociale du Non de gauche et il l'articule avec une critique politique. C'est parce que nous avons abandonné notre souveraineté monétaire, par exemple, à une Banque centrale indépendante - qui ne réagit pas devant une dévaluation de 60% du dollar - que nous connaissons cette régression sociale, ces délocalisations industrielles, ce chômage de masse. Je vois, par exemple, que l'Allemagne et l'Italie...

Claire Chazal :

C'est une situation qui existe aujourd'hui. Ce traité constitutionnel, au fond, n'effacera pas des défauts que l'on aperçoit aujourd'hui avec les traités européens antérieurs

Jean-Pierre Chevènement :

C'est vrai : 325 articles sur 448. Mais enfin, l'uvre n'est pas si parfaite que l'on ne puisse pas la modifier. Une erreur, même tardive, mérite encore d'être modifiée. On ne peut le faire qu'en votant Non.

Claire Chazal :

Vous avez dit qu'une victoire du Non permettrait une nouvelle dynamique à gauche. Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu'il y aura après une recomposition, de possibles alliances ?

Jean-Pierre Chevènement :

Disons que cela fera bouger les lignes. Et d'abord en Europe, pas seulement en France, en Europe où je crois que si l'on consultait les peuples, ils seraient très près de dire la même chose que le peuple français.

Claire Chazal :

Pour le moment 10 ont dit Oui.

Jean-Pierre Chevènement :

Je vois M. Joska Fischer - que je connais bien - venir faire campagne en France, mais on ne consulte pas le peuple allemand.

Claire Chazal :

Ce sont des députés qui votent.

Jean-Pierre Chevènement :

Ce sont des députés, mais ce n'est pas la même chose. Vous savez bien comment marchent les partis.

Claire Chazal :

Ce n'est pas une démocratie directe mais tout de même...

Jean-Pierre Chevènement :

Il y a en Allemagne, vous savez, cinq millions de chômeurs. Il y a des délocalisations qui frappent en Italie également, en Catalogne. Tous les peuples ont les mêmes problèmes. C'est pour cela que la France ne sera pas seule. Elle ne sera pas seule. Vous verrez que, bien loin d'être isolée - comme le prétendent les propagandistes du Oui - , elle sera en avance, comme elle l'a été plusieurs fois dans son histoire.

Claire Chazal :

Elle ne sera pas seule, dites-vous. Est-ce que l'Europe, avec cette France qui a dit Non et ce traité constitutionnel qui ne sera finalement pas appliqué, ne sera pas plus faible face aux Etats-Unis ?

Jean-Pierre Chevènement :

Je ne le pense pas. D'ailleurs M. Bush s'est prononcé pour la Constitution européenne. C'était le 28 février dernier à Bruxelles. Je vous renvoie à une dépêche d'agence, que je tiens à votre disposition.

Claire Chazal :
Il peut difficilement faire autrement.

Jean-Pierre Chevènement :

De toute façon, il n'aura pas peur du futur ministre des Affaires étrangères européen, M. Solana, qui est l'ancien secrétaire général de l'Otan pendant les bombardements sur la Yougoslavie. Je ne crois pas qu'il soit de nature à l'effrayer.

Claire Chazal :

Justement, un ministre des Affaires étrangères, c'est l'une des nouveautés de cette Constitution. Il y aura aussi un président de l'Europe. Est-ce que ce n'est pas de nature à renforcer l'Europe face à la puissance américaine ?

Jean-Pierre Chevènement :

Il y aurait un président du Conseil européen, sans pouvoir ; un président de la Commission, avec des pouvoirs exorbitants ; un ministre des Affaires étrangères qui serait son second...

Claire Chazal :

La Commission aura moins de pouvoir qu'elle n'en a, et le Parlement sera renforcé dans la nouvelle Constitution.

Jean-Pierre Chevènement :

Ah non ! Désormais elle promeut l'intérêt général.

Claire Chazal :

Oui, mais le Parlement aura plus de pouvoir avec la nouvelle Constitution qu'il n'en a avec les anciens traités.

Jean-Pierre Chevènement :

Je ne le crois pas vraiment. Le Parlement européen n'exprime pas une volonté générale. Il y aura le président de l'Euro-groupe, le président de la Banque centrale, ça va faire beaucoup de monde. Ils vont se marcher sur les pieds. Très franchement, on nous demande de souscrire une police d'assurance dont toutes les clauses se retourneraient contre nous. Toute le monde le vérifie chaque jour, un chômage de masse s'est installé en Europe : 10% de la population active. Alors permettez, nous pouvons rectifier ! Nous pouvons corriger !

Claire Chazal :

Est-ce que l'on ne se trompe pas d'enjeu, Jean-Pierre Chevènement ? Vous exprimez des inquiétudes tout à fait légitimes, il y a du chômage, notamment en France, mais est-ce que nous ne nous trompons pas de problème ? Parce qu'au fond, on demande aux Français de voter sur une constitution et pas sur la politique nationale. Ce n'est pas la même échéance.

Jean-Pierre Chevènement :

Vous savez, la politique nationale ne peut plus être déconnectée de la politique européenne. Ceux qui vous disent le contraire vous trompent. Par contre, nous pouvons proposer une autre Europe à géométrie variable, en s'appuyant sur la démocratie, en donnant un gouvernement économique...

Claire Chazal :

Ca veut dire que vous voulez une renégociation du traité ?

Jean-Pierre Chevènement :

Sur au moins 5 dispositions : la Banque centrale, pour qu'elle contribue à la croissance et à l'emploi ; le Pacte de stabilité, pour que l'on puisse déduire les dépenses de recherche ; un gouvernement économique compétent en matières fiscale, sociale, budgétaire, monétaire ; la garantie des services publics ; et enfin une politique industrielle, pour que ce ne soit pas seulement la concurrence, encore la concurrence, rien que la concurrence.

Claire Chazal :

Vous avez noté que dans cette nouvelle constitution, nous passons d'une notion de concurrence, dans les traités antérieurs, à une notion d'économie sociale de marché ? Ce n'est pas un progrès pour vous ?

Jean-Pierre Chevènement :

C'est de la blague. C'est un concept très ancien qui date des démocrates-chrétiens allemands, dans les années 50. L'économie sociale de marché est en crise. Vous regarderez demain les résultats des élections en Rhénanie-Westphalie. Ce sont des mots. Le Oui est toujours incantatoire. Il faut une véritable réorientation. Nous pouvons le faire parce que nous pouvons rassembler les peuples européens qui veulent que le chômage recule. Je propose ces 5 modifications qui, à elles seules, représenteraient un vrai rayon de lumière dans le paysage européen. Je suis pour l'Europe, c'est pour ça que je vote Non !

Claire Chazal :

Merci beaucoup Jean-Pierre Chevènement, pour ces mots de fin, paradoxaux peut-être pour certains... mais ce sont les vôtres.
(Source http://www.chevenement-referendum.org, le 24 mai 2005)