Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, sur la mauvaise répartition du travail, la mauvaise répartition de la richesse, le "non" à la Constitution européenne, le mécontentement social, les revendications minimales des syndicats, Toulouse le 18 mars 2005.

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Circonstance : Meeting le 18 mars 2005 à Toulouse

Texte intégral


Travailleuses,
travailleurs,
camarades et amis,
Constatant le succès des manifestations et des grèves du 10 mars, Raffarin avait annoncé l'ouverture de négociations pour les salaires du service public et, pour le secteur privé, il a parlé de mieux "répartir les fruits de la croissance".
Dans les jours qui ont suivi, Thierry Breton, le nouveau ministre de l'Économie, et surtout Seillière, le président du Medef, se sont chargés de donner un contenu aux phrases creuses de Raffarin.
Thierry Breton, affirmant, lui aussi, sa volonté de "stimuler le pouvoir d'achat des Français par le partage de la croissance", a donc annoncé une "prime d'intéressement". Un versement unique et de plus, plafonnée à 200 euros ! Voilà qui va formidablement stimuler le pouvoir d'achat des salariés ! Mais ce généreux cadeau aux travailleurs est facultatif. Thierry Breton ne veut surtout pas contraindre les patrons de lâcher, ne fût-ce qu'une miette à leurs salariés, pas même les patrons de ces grandes entreprises qui viennent d'annoncer une progression faramineuse de leurs bénéfices. Non, le ministre de l'économie veut seulement rendre - et je le cite - "ce dispositif attractif", aux yeux des patrons s'entend, en les autorisant à compter cet argent dans les frais généraux déductibles de leurs impôts sur les sociétés. Voilà donc leur "répartition des fruits de la croissance" : une prime exceptionnelle de 200 euros pour les travailleurs, payée en fait par l'État avec l'argent des impôts.
Quant à Seillière, il a été plus brutal. Il a déclaré tout de go que Raffarin peut dire ce qu'il veut, mais dans les entreprises, ce sont les patrons qui décident et c'est à eux de dire s'ils veulent donner des augmentations ou pas. Et pour qu'on comprenne bien ses sentiments, il a ajouté que le smic est déjà trop élevé et que, si les minima salariaux de branche sont inférieurs au smic, c'est tout à fait normal. Je vous rappelle que l'homme qui affirme que toucher un smic de 1154,18 brut par mois, c'est trop, est le chef de file de la richissime famille de Wendel ! Quant à lui, Seillière, avec sa rémunération annuelle de 1,5 million d'euros, hors stocks option, il touche en un jour le salaire mensuel de 3 smicards !
Autant vous dire que pour faire rentrer dans la gorge de ce baron milliardaire ses propos et pour arracher à ses semblables les augmentations de salaire indispensables, il faudra bien autre chose que des discours ! Mais j'espère qu'il ne perd rien pour attendre !
Si la journée du 10 mars a montré que le mécontentement est largement partagé par tous les travailleurs, c'est que, depuis des années, la répartition de la croissance, c'est : tout pour le patron, rien pour les ouvriers.
Cela fait longtemps, bien trop longtemps que le patronat récupère sur le dos des travailleurs les profits élevés que son économie en crise ne lui permet pas de récupérer par une extension de ses marchés.
Lorsque les patrons des grandes entreprises, relayés par les médias, se vantent des profits fantastiques réalisés en 2004, ils s'adressent à leur monde, aux actionnaires, aux "investisseurs financiers", à tous ceux qui font fortune en spéculant sur l'achat et la revente d'actions.
Mais, pour les ouvriers, ces annonces sonnent comme des provocations. Eux, ils savent que ces profits gigantesques sont réalisés sur leur dos, par une exploitation de plus en plus dure. Et quand ils ne le savent pas, ils le sentent dans leurs muscles, dans leurs nerfs, par l'usure de leur santé, par la fatigue de journées trop longues. Ils le voient aussi sur le montant de leur feuille de paie.
Oui, si les profits sont élevés, c'est parce qu'on écrase de plus en plus le monde du travail, parce que les salaires sont trop bas même quand on a un emploi stable ; parce que les horaires ont été rendus flexibles et sont imposés au gré des fluctuations du marché ; parce que les emplois stables sont remplacés par des emplois précaires : intérim, CDD, temps partiel non choisi.
Et ce qui est vrai pour le privé l'est aussi, et de plus en plus, dans le secteur public. Car la fameuse "sécurité de l'emploi" de la Fonction publique, si souvent attaquée par les porte-voix bornés du grand patronat, est depuis longtemps un mensonge, brandi pour diviser les travailleurs et pour opposer ceux du public à ceux du privé.
Combien de postiers sont des contractuels sans la moindre "sécurité de l'emploi" ? Combien d'infirmières ou aide-soignantes des hôpitaux publics sont des intérimaires ? Combien y a-t-il d'auxiliaires à l'Éducation nationale ? Combien y a-t-il de vacataires parmi les employés des ministères eux-mêmes ? Combien sont ceux qui, dans les mairies ou dans les collectivités locales, travaillent comme stagiaires ou en CES ? Sans même parler de celles et ceux, nombreux, qui travaillent dans des secteurs externalisés du service public ?
Au nom de la recherche de la rentabilité, le patronat comme l'Etat cherchent partout à imposer des salaires fluctuants.
Oui, leurs profits viennent du rythme de travail croissant dans les entreprises, des cadences de plus en plus dures à supporter qui rendent malade ou invalide au bout de 10 ou 15 ans de travail.
L'intensification du travail ne concerne pas seulement les entreprises de production. Il suffit de regarder le travail des caissières des supermarchés !
Dans combien de supermarchés, de grands magasins, on impose, en plus, le temps partiel morcelé en fonction des heures d'affluence de la clientèle, une heure le matin, deux heures à midi et deux heures en fin de journée ?
Dans combien de chaînes de restauration rapide, des Flunch aux cafétérias de Casino, en passant par tous les McDo et autres Quick, les salaires mensuels tournent autour de 700 à 800 euros ?
Ce sont en majorité les femmes qui sont victimes du temps partiel non choisi. Des travailleuses -y compris des mères de famille- qui n'ont même pas le temps de rentrer chez elles dans les moments libres entre les heures travaillées. Elles sont prises toute la journée sans être payées à temps complet. Et, ensuite, une fois par an, lors de la "journée internationale des femmes", on a droit à des numéros de cirque, comme celui d'un Debré cédant pour un jour sa place de président de l'Assemblée nationale à une députée ! Et la télévision qui nous abreuve d'histoires de femmes qui ont malgré tout réussi à faire carrière ! Mais qu'est-ce que cela change pour la vendeuse ou pour la caissière de supermarché ?
Ce qui se passe dans chaque entreprise se traduit à l'échelle de l'ensemble du pays par une baisse continue de la part des salaires dans le revenu national. Les revenus du capital augmentent en conséquence.
Cela se traduit, aussi, par le nombre de chômeurs Un travailleur sur dix est au chômage. Quand on fait faire de plus en plus de travail par de moins en moins d'ouvriers, cela signifie forcément des suppressions d'emplois.
Et on arrive à cette situation folle, aberrante, qu'on fait trimer au travail ceux qui ont un emploi, pendant que plusieurs millions de travailleurs n'ont pas d'emploi du tout ou n'en ont un que de temps en temps. Et les ministres nous répètent qu'il faut travailler plus pour rendre le pays compétitif. Mais qu'ils commencent donc par assurer du travail et un salaire correct à ceux qui n'en ont pas !
Comment s'étonner qu'avec l'accroissement du chômage et de la précarité, la pauvreté s'étende aussi. Le nombre de RMIstes a littéralement explosé ces derniers mois. Plus d'un million de personnes qui n'ont plus de travail n'ont plus pour vivre que les quelque 425 euros mensuels du RMI. Mais, parmi les pauvres, y compris parmi ceux qui n'ont même pas de quoi se payer un logement et qui dorment chez des amis ou des parents ou pire, dans leur voiture ou dans la rue, il y a aussi et de plus en plus des travailleurs en activité. Et puisque depuis le 15 mars la trêve hivernale est terminée, je veux affirmer qu'expulser celles et ceux, des familles entières, qui ont des difficultés à payer leur loyer, est une crapulerie !
Tous les bien-pensants nous expliquent doctement que le profit est indispensable et que la vocation des entreprises est de faire du profit. Mais qu'est-ce qu'elles font donc de ce profit ? Est-ce qu'elles l'investissent dans des machines nouvelles ? Est-ce qu'elles l'investissent pour créer de nouvelles usines et de nouveaux emplois ? Pas du tout !
Est-ce qu'elles achètent des machines pour soulager la pénibilité du travail ?
Évidemment non !
Est-ce que les travailleurs, ceux qui créent ces profits, en bénéficient en quoi que ce soit ? Non !
Le profit est pour l'essentiel empoché purement et simplement par les propriétaires des entreprises et par leurs gros actionnaires. Il augmente la fortune des possédants, le nombre de leurs résidences, de leurs voitures de luxe, de leurs avions privés ou de leurs châteaux. Et, quand il n'est pas gaspillé en dépenses de luxe par la classe riche, le profit vit sa propre vie, alimente les circuits financiers, la spéculation internationale, les rachats d'entreprises les unes par les autres.
Et, pourtant, c'est le profit que tous les gouvernements favorisent. C'est pour donner toujours plus au grand patronat qu'on économise sur l'éducation, sur les hôpitaux sur les équipements collectifs. C'est pour cela qu'il y a de moins en moins de logements corrects accessibles avec un salaire ouvrier. A un bout de l'échelle sociale, les nombreuses résidences de luxe pour les riches, et accessoirement pour les ministres aux frais du contribuable, et, à l'autre bout, des HLM mal entretenues et tombant en ruines, ou même pas de logement du tout, pour les pauvres qui crèvent de froid dans la rue.
Oui, ce gouvernement Chirac-Raffarin est ouvertement, cyniquement, au service du grand patronat et de ses intérêts. Toutes les mesures prises depuis qu'il est au pouvoir aggravent les conditions d'existence des travailleurs et des classes populaires.
La réforme des retraites aboutit au recul de l'âge de la retraite et à l'amputation du montant des pensions.
La réforme de la Sécurité sociale consiste à faire payer plus les assurés par le biais de la hausse de la CSG, de l'augmentation du forfait hospitalier et de l'euro obligatoire à chaque consultation médicale.
Oui, on fait payer toujours plus les assurés alors même que le système de santé se détériore parce qu'on n'embauche pas un personnel suffisant dans les hôpitaux ou dans les maisons de retraite, parce qu'on ferme des lits, parce qu'on compense les restrictions de crédits au système hospitalier en comptant sur le personnel.
Mais ce n'est pas au personnel hospitalier surchargé de compenser l'insuffisance des effectifs et des moyens matériels.
Dans l'enseignement, la réforme Fillon contre laquelle les lycéens protestent à juste raison est encore une façon d'aligner des arguments pseudo-pédagogiques pour justifier l'insuffisance des crédits à l'Éducation nationale ; une insuffisance de crédits dont les conséquences sont particulièrement graves pour les enfants des classes populaires. Et les lycéens ont mille fois raison de protester contre l'école à deux vitesses, qui existe depuis des années mais que la réforme Fillon aggrave encore.
Et devant la protestation des lycéens, Fillon a le culot d'affirmer que ceux qui manifestent ne représentent pas l'ensemble des lycéens. Comme si, lui, le ministre, même flanqué de ses conseillers hauts fonctionnaires, représentait plus les lycéens que les 150.000 lycéens qui étaient dans la rue ces dernières semaines et qui continuent à se manifester !
Je ne vous rappelle que pour mémoire l'affaire Gaymard. Car vous recevez en ce moment votre feuille d'impôt dans laquelle vous pouvez apprécier la prose ministérielle -je cite : "Nous prenons devant vous l'engagement d'oeuvrer pour que chaque euro dépensé en votre nom soit un euro réellement utile, au service de notre pays et pour l'avenir de nos enfants". Quand on sait que les deux signataires de cette phrase, Hervé Gaymard et Jean-François Copé, se sont fait payer par l'Etat des logements de luxe dans des quartiers chics de Paris pour un loyer mensuel dont le montant représente le salaire de 14 smicards, on ne peut être qu'écoeuré par le cynisme de ces gens et leur mépris de l'opinion et des sentiments des classes populaires !
Les ministres de ce gouvernement, un des plus réactionnaires que le pays ait connu depuis longtemps, n'ont que faire de ce que pensent les travailleurs. Leur électorat, ils le recrutent majoritairement dans la petite bourgeoisie, parmi les possédants petits et grands, dans un milieu réactionnaire spontanément haineux envers les ouvriers.
Alors oui, on ne peut qu'être révolté par ce cynisme et par ce mépris. Mais n'en oublions pas pour autant la suffisance des ministres socialistes, et surtout leur politique !
Combien de mesures anti-ouvrières sous le gouvernement Jospin ? Combien de privatisations, combien d'attaques contre les services publics, au nom de la rentabilité ? Combien de baisses de charges sociales sous prétexte d'inciter les patrons à créer des emplois, qu'ils n'ont jamais créés ? Et, bien des travailleurs, à commencer par ceux de Renault Vilvorde ou de Michelin, ont des raisons de se souvenir qu'ils n'ont trouvé aucun soutien face à leur patron licencieur. Et n'oublions pas que bien des mesures anti-ouvrières mises en oeuvre par le gouvernement Chirac-Raffarin ont été préparées sous le gouvernement Jospin par Fabius et ses semblables ?
Souvenons-nous en car, dès maintenant, le Parti socialiste commence à nous dire qu'il faut attendre 2007, un président de la République de gauche peut-être, une nouvelle majorité au Parlement, un nouveau gouvernement. Mais les travailleurs n'ont jamais pu compter ni sur Mitterrand ni sur Jospin pour les défendre.
Personne n'a jamais fait de cadeaux aux travailleurs, et surtout pas un gouvernement qui est, dans cette société, toujours le conseil d'administration de la bourgeoisie, quelle que soit son étiquette politique. Les mesures gouvernementales qui améliorent vraiment la vie des travailleurs ont toujours été le résultat de leurs propres luttes.
Toute l'histoire du capitalisme montre que les seuls moments où les travailleurs ont pu stopper cette pression permanente et parfois renverser la vapeur ont été les périodes de luttes ouvrières : juin 1936, mai 1968 et, dans une certaine mesure à une échelle plus petite, novembre-décembre 1995.
Mais dès que la pression ouvrière se relâche, le mécanisme de l'économie capitaliste se remet en marche et fabrique la pauvreté pour pouvoir enrichir quelques-uns. On peut, par des luttes ouvrières, freiner les méfaits du capitalisme. Mais pour l'empêcher de nuire, il faut mettre fin à cet ordre économique et social aussi irrationnel qu'inhumain. Voilà ce qui est à la base de nos convictions communistes.
Les dégâts du capitalisme, ce n'est pas seulement ce que les travailleurs et les chômeurs subissent ici même, dans un pays qui passe pour être un des plus riches du monde. Les dégâts du capitalisme, ce sont les inégalités profondes entre pays et entre continents entiers. Les dégâts du capitalisme, c'est le sous-développement de la majorité des pays de cette planète. C'est la famine dans certains d'entre eux. C'est aussi des sociétés à la dérive, déchirées par des guerres de clans politiques ou ethniques, derrière lesquelles il y a toujours les intérêts économiques de grands trusts.
Oui, les dégâts du capitalisme, ce sont aussi les guerres. Après les deux guerres mondiales du siècle passé, la paix n'est jamais complètement revenue. Il y a en permanence des affrontements armés sur un point ou un autre de la planète. Et même dans les pays qui ne sont pas touchés par des affrontements sur leur territoire, des sommes sans cesse croissantes sont dépensées en armements, en matériels militaires.
Les guerres, c'est la continuation de la concurrence, de la rivalité économique, par d'autres moyens. Voilà pourquoi être pacifiste sans mettre en cause le capitalisme, c'est de la naïveté qui se comprend quand il s'agit de jeunes pour qui c'est un premier pas pour contester un ordre social révoltant, mais c'est de l'hypocrisie lorsqu'il s'agit d'hommes politiques.
Et puis, comment oublier que, si la France ne connaît pas la guerre sur son territoire, elle n'a cessé d'en mener ailleurs dans le monde. De sales guerres coloniales à Madagascar, en Indochine ou en Algérie. Et depuis la fin des guerres coloniales, combien d'interventions militaires de l'armée française pour soutenir des dictatures pourries un peu partout en Afrique, de Djibouti au Gabon, en passant par le Tchad ? Comment oublier que des troupes françaises sont stationnées dans plusieurs pays africains et qu'elles ont assassiné en Côte-d'Ivoire et qu'elles interviendront peut-être, demain, au Togo ? Comment oublier que les Chirac et compagnie qui ont fait des simagrées à propos de la guerre contre l'Irak, sont en même temps les complices des États-unis en Afghanistan ? Comment oublier que Poutine est accueilli en ami par Chirac malgré les massacres en Tchétchénie ?
Alors oui, le capitalisme, c'est tout cela. Cet ordre social injuste, inhumain, qui gâche les immenses possibilités de l'humanité de maîtriser sa vie sociale, cet ordre social capitaliste représente le passé, et pas l'avenir. Il disparaîtra tôt ou tard, comme ont disparu dans le passé bien d'autres formes de sociétés basées sur l'exploitation et l'oppression. La question qui se pose n'est pas si un nouvel ordre social basé sur la propriété collective et soucieux de satisfaire les besoins de tous remplacera la société actuelle, cette société exploiteuse et égoïste. La question, c'est quand cela se produira.
Plus vite la classe ouvrière sera capable de faire surgir de ses rangs des partis qui affirment clairement dans leur programme que leur objectif est l'émancipation des travailleurs et le renversement de l'ordre capitaliste, plus l'humanité s'épargnera des crises, des guerres, des souffrances. Eh bien, il faut tout faire pour que cela se produits au plus vite !
Il faut tout faire pour que la classe ouvrière retrouve cette confiance en elle-même qui la rendra capable de se défendre. Mais aussi pour qu'elle retrouve la conscience de la capacité de s'émanciper des chaînes de l'exploitation et, par la même occasion, fonde une société égalitaire et démocratique, une société véritablement communiste.
Les grands partis ont désormais les yeux fixés sur le référendum du 29 mai pour ou contre la Constitution européenne. Dans le camp de ceux qui appellent à voter "oui", c'est déjà la compétition pour savoir qui en tirera profit au cas où le "oui" l'emporte.. Compétition entre Chirac et Hollande, où Chirac part avec le net avantage d'avoir été celui qui a proposé ce référendum. Le Parti socialiste se retrouve une fois de plus derrière Chirac. Décidément, ça devient une habitude ! Et voilà les Hollande et Strauss-Kahn qui s'échinent à justifier cette Constitution européenne, rédigée pourtant sous la houlette de l'homme de droite Giscard d'Estaing.
Et parmi ceux qui voteront "non", il y a de tout.
Il y a, d'un côté, les démagogues d'extrême droite ou de droite extrême avec le trio Le Pen - de Villiers - Pasqua qui voteront "non", simplement pour pouvoir agiter des stupidités chauvines, xénophobes, réactionnaires, dont ils font leurs choux gras électoraux.
En plus de l'extrême gauche et du Parti communiste, à gauche l'éventail de ceux qui appellent à voter "non" va de Chevènement à Fabius, Emmanuelli ou Mélenchon. Parmi eux, il y a des personnages politiques qui sont des ennemis du monde du travail et qui ont eu l'occasion de le montrer en tant que ministres, voire, pour Fabius, en tant que Premier ministre. Autant dire que leur "non" n'en fait pas des amis des travailleurs !
Pour notre part, bien que nous voterons "non" à ce référendum, ce choix n'implique aucune solidarité avec ces gens-là.
Ce caractère hétéroclite des votes "non" fait qu'il n'y aura certainement pas une conclusion politique bien significative à tirer du pourcentage qu'obtiendra le "non" à ce référendum. Et même de son éventuelle victoire.
Bien malin est celui qui pourra distinguer dans les urnes les "non" de gauche des "non" de droite ; le "non" de ceux qui s'opposent à l'unification européennes du "non" de ceux qui veulent seulement protester contre la façon dont cette unification se fait ; le "non" de ceux qui auront voté sur la Constitution du "non" de ceux qui auront voté contre Chirac-Raffarin en se contrefichant de ce qu'il y a ou pas dans cette Constitution.
Et tout cela montre l'importance tout à fait relative du résultat de ce référendum.
Pour notre part, nous voterons "non" tout simplement parce que cette Constitution n'apporte rien de bon aux travailleurs ni aux peuples d'Europe. Elle n'apporte ni des libertés supplémentaires ni des possibilités plus grandes pour les travailleurs pour se défendre face à l'avidité patronale. Elle ne donne même pas aux travailleurs des pays les plus pauvres de l'Union européenne, dont les salaires sont parfois cinq ou six fois moindres que ceux des travailleurs d'Europe occidentale, des armes supplémentaires pour se défendre. Et elle ne cherche même pas à uniformiser par le haut la législation du travail ni à améliorer les protections sociales là où elles sont particulièrement défaillantes. Et il n'est évidemment pas question d'un salaire minimum à l'échelle de l'Union.
L'unification européenne, nous sommes pour. Nous pensons même que l'Europe devrait être unifiée depuis, au bas mot, un siècle, d'un bout à l'autre du continent. Si elle ne l'a pas été, c'est uniquement à cause des bourgeoisies nationales qui avaient besoin de leur État pour s'enrichir en temps de paix et pour se mener deux guerres mondiales, chaque camp ayant pour ambition de dominer l'Europe et de voler les unes les autres leurs colonies d'Afrique ou d'ailleurs.
Oui, nous sommes pour l'unification complète du continent, bien entendu Turquie comprise, et même bien au-delà. Les discussions sur les limites de l'Europe sont aussi stupides qu'hypocrites, chaque politicien cherchant à faire passer les frontières de l'Europe là où cela arrange sa démagogie. L'avenir, c'est l'association des peuples qui le souhaitent et c'est la disparition de toutes les frontières que l'on a dressées entre eux.
Dans cette construction européenne, jamais il n'a été question des hommes, même s'il y a eu quelques retombées positives, comme la possibilité pour les Européens de se déplacer plus facilement d'un pays à l'autre et de s'y installer.
Alors, la Constitution européenne, c'est comme le reste. Elle n'est que l'expression juridique de ce qu'ils font depuis cinquante ans.
Bien sûr, elle consacre la propriété privée, l'économie de marché et, par conséquent, la domination du grand capital, comme toutes les Constitutions nationales.
La Constitution européenne a pour raison d'être, aussi, de consacrer sur le plan juridique la domination des pays impérialistes occidentaux et de leurs groupes industriels et financiers sur la partie orientale et pauvre de l'Europe.
Depuis la chute de l'Union soviétique et l'ouverture économique des pays de l'Est européen, les grands groupes occidentaux ont mis la main sur l'économie des pays de l'Est. De Varsovie à Sofia, les enseignes de grands magasins portent des noms bien connus ici. Quand ce n'est pas Auchan ou Carrefour, ce sont leurs équivalents allemands, britanniques ou autrichiens. Si vous cherchez un hôtel, vous retombez sur toutes les déclinaisons du trust Accor : depuis Mercure ou Sofitel à Novotel ou Ibis. Et puis, il y a ce qui saute moins aux yeux, les grandes entreprises industrielles, naguère nationalisées, qui sont un peu partout privatisées et tombées dans l'escarcelle de trusts occidentaux.
Alors, bien sûr, cela intéresse les trusts occidentaux que les pièces et les marchandises, qu'ils font fabriquer à moindres coûts dans leurs succursales de la partie pauvre de l'Europe, puissent circuler sans obstacle. L'élargissement de l'Union européenne vers sa partie pauvre était donc de leur intérêt. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils souhaitent que ces pays aient trop de possibilités d'influer sur les choix des institutions européennes, sur la gestion de leur budget. Et, à plus forte raison, ces trusts ne souhaitent absolument pas que l'intégration des pays de l'Est dans l'Union européenne signifie pour leurs travailleurs les mêmes salaires et les mêmes droits.
Et puis cette Constitution n'est même pas capable d'assurer les mêmes droits d'un bout à l'autre de l'Europe. Par exemple, elle ne reconnaît pas le divorce. Elle ne reconnaît pas non plus le droit à l'interruption volontaire de grossesse à l'échelle de l'ensemble de l'Union Dans plusieurs pays, ce droit est réservé aux femmes les plus riches qui peuvent se payer le voyage pour aller dans le pays où le régime est plus tolérant. A plus forte raison, elle n'impose pas à tous les médecins l'obligation de pratiquer les IVG là où elles sont légales.
En ce qui concerne le sort des travailleurs, nous n'avons jamais eu la naïveté d'attendre de la Constitution européenne qu'elle l'améliore. Aucune constitution, pas plus celle de la France que d'autres, n'est faite pour cela.
Mais enfin, les institutions européennes auraient pu au moins peser pour balayer la crasse réactionnaire accumulée, ici quant aux droits des femmes, là quant au poids des Églises dans la vie sociale, ailleurs en matière de libertés publiques. Mais les institutions européennes, qui sont si pointilleuses sur les conditions de concurrence, pour laquelle elles accumulent les paragraphes dans la Constitution, n'ont rien à faire et de la condition des femmes, et des libertés publiques. En tout cas, pas au point d'avoir une politique contraignante vis-à-vis des aspects les plus réactionnaires des législations nationales existantes.
Oh oui, les droits du capital au profit sont unifiés à l'échelle du continent, mais pas le droit des personnes, pas le droit des travailleurs, pas le droit des êtres humains !
Mais que les capitalistes et leurs serviteurs politiques le veuillent ou pas, j'ai l'espoir que leur construction européenne contribue à mettre dans la conscience de tous les travailleurs de ce continent, qu'ils soient exploités en France, en Allemagne, en Estonie ou en Bulgarie, qu'ils font partie d'une seule et même classe ouvrière.
Qu'ils le veuillent ou non, les promoteurs de l'Europe capitaliste auront contribué à forger une classe ouvrière d'Europe composée de travailleurs de toutes origines, nés sur le sol européen ou immigrés d'Afrique ou d'Asie. Cette classe ouvrière sera numériquement la classe ouvrière la plus importante du monde. Une fois qu'elle aura pris conscience d'elle-même, elle représentera une force considérable, capable d'ébranler leur construction européenne jusqu'à ses fondations capitalistes !
Face à l'union fondée sur la concurrence et la rivalité des bourgeoisies d'Europe, il faut opposer la véritable union des travailleurs. Il faudra se fixer comme objectif commun à l'échelle de l'Europe, l'augmentation générale des salaires et leur alignement par le haut, afin qu'ils permettent partout de vivre correctement. C'est la seule façon d'empêcher les patrons de jouer les travailleurs les uns contre les autres, de délocaliser dans la partie la plus pauvre de l'Europe ou, encore, de faire appel ici même, en France, à des travailleurs mal payés venant des pays de l'Est.
Alors, nous voterons "non" à cette Constitution ! Mais nous nous opposerons aux argument de ceux des partisans du non qui appellent à ce vote en prétendant que c'est un moyen de parer les coups contre les travailleurs puisque ces coups viendraient de Bruxelles. C'est une fumisterie ! Ce n'est pas Bruxelles, c'est notre propre gouvernement qui nous attaque, ce sont nos propres capitalistes ! Et ce sont eux aussi dont les capitaux sont ici, dont les entreprises sont ici, qui sont à la portée de notre colère !
Tous ceux qui, au lieu de désigner aux travailleurs leurs ennemis véritables, ici, à portée de main, les détournent vers des objectifs éloignés, abstraits, inaccessibles, veulent en réalité interdire aux travailleurs d'agir. Ils ne veulent pas leur dire que toutes leurs usines, tous leurs chantiers, toutes leurs banques, toute leur économie ne fonctionnent qu'avec notre travail et que, oui, cela nous donne la capacité de faire reculer nos ennemis !
Au fur et à mesure que la campagne officielle du référendum s'amorce, on entend de plus en plus de dirigeants politiques ou des commentateurs se poser avec inquiétude la question : est-ce que le climat social ne va pas perturber le vote et fausser le résultat du référendum ? Autant vous dire que cela ne nous inquiète absolument pas. Et, pour tout dire, si le climat social devenait tel que l'on oublie le référendum, cela ne nous fera pas pleurer! Car, pour les travailleurs, ce sont les luttes, c'est la mobilisation sociale, qui contiennent de l'espoir, et certainement pas le résultat du vote à ce référendum !
Amis et camarades,
Personne ne pouvait avoir la naïveté de croire que le succès de la journée du 10 mars suffirait pour faire céder le patronat et le gouvernement, mais cela a montré l'ampleur du mécontentement. Et ce mécontentement ne sera pas apaisé par les débats télévisés entre économistes distingués qui se demandent gravement si le pouvoir d'achat a augmenté ou s'il stagne. Les travailleurs savent lire leur feuille de paie et compter ! Et ils voient que leur pouvoir d'achat a baissé et, dans ces conditions, ils n'ont pu que ressentir comme une provocation l'annonce des hausses faramineuses de profits.
La journée du 10 mars doit avoir une suite. Les directions syndicales n'en ont pas encore annoncé une alors que cela aurait dû être fait avant même que les manifestations du 10 mars aient eu lieu afin que chaque étape prépare la suivante, que le succès d'une journée encourage les hésitants à se joindre à la suivante. Les négociations proposées dans le secteur public, ou celles envisagées dans certaines branches professionnelles lors de la rencontre aujourd'hui entre les syndicats et une sous-commission du ministère du travail, ne doivent pas arrêter la pression des travailleurs, mais, au contraire, la renforcer.
Les directions syndicales ont tout de suite saisi au vol la proposition de négociations. On peut se dire que cela fait partie de leur rôle ! Mais, en revanche, elles n'étaient pas obligées d'assortir leur acceptation de commentaires du genre "c'est positif", "ces pas en avant", etc. Car, non seulement Raffarin n'a encore rien lâché, mais tout laisse à penser que, même s'il lâche un petit quelque chose, il tentera d'obtenir une contrepartie avec la caution des directions syndicales.
Autant dire que le gouvernement connaît bien les directions syndicales et que ce n'est pas la négociation autour d'un tapis vert qui l'inquiète. Mais il sait aussi que les grèves peuvent démarrer sans les directions syndicales. Ils savent que les travailleurs, en se mettant en lutte, peuvent aussi forcer la main des directions syndicales.
Même lorsqu'elles prennent le train des luttes, il ne faut pas compter sur les directions syndicales pour proposer aux travailleurs des perspectives claires. Lorsqu'un mouvement démarre par en bas, les confédérations savent en prendre la direction, mais toujours pour le canaliser, toujours pour l'arrêter sur une base acceptable pour le patronat.
Faut-il rappeler que mai 1968 n'a pas été le résultat d'une orientation des confédérations syndicales vers une offensive des travailleurs ? L'offensive est venue d'en bas, elle est venue des travailleurs eux-mêmes, qui ont forcé la main des dirigeants syndicaux. Et les syndicats n'ont appelé à la généralisation du mouvement que pour en prendre le contrôle et, lorsque cela était fait, pour engager les négociations des fameux accords de Grenelle. Oh, la lutte des travailleurs était assez puissante pour que le patronat lâche une hausse importante du SMIC et surtout fasse des concessions aux appareils syndicaux, en leur accordant des postes supplémentaires comme ceux des délégués syndicaux. Rappelons-nous en aujourd'hui, alors que plusieurs dirigeants de la gauche réclament un "nouveau Grenelle salarial", que ce n'est pas l'éloquence des chefs syndicaux autour de la table de négociations qui avait, à l'époque, contraint le patronat à reculer, mais la grève générale ! Ce sont en revanche les directions syndicales qui ont permis au patronat de s'en tirer à bon compte.
Pendant et après les manifestations du 10 mars, on a entendu dire qu'il fallait transformer leur succès en un succès du vote "non" au référendum. Tous ceux qui disent cela ou qui se préparent à le dire, qu'il s'agisse d'hommes politiques ou de chefs syndicaux, trahissent les intérêts des travailleurs. Même après les élections régionales et européennes, où pourtant le désaveu du gouvernement était clair, cela n'a empêché aucun des mauvais coups de Chirac-Raffarin. Alors, il ne faut pas que le mécontentement qui monte soit détourné vers les urnes.
Il faut, au contraire, que la mobilisation massive du 10 mars soit suivie par d'autres, toujours plus amples. Contrairement à tous ceux qui disent que, pour améliorer le sort des travailleurs, il faut voter "non", nous disons : votez "non", mais pour stopper les attaques du patronat et du gouvernement, il faut la lutte, les grèves, les manifestations.
Dans les urnes, la voix des travailleurs est étouffée sous le papier ! C'est dans les entreprises, dans la rue, que nous sommes forts. C'est là que nous les ferons reculer !
Ce que le patronat et le gouvernement craignent par-dessus tout, c'est un mouvement qui s'étende et qui s'amplifie. C'est un mouvement dont ils ne savent pas aujourd'hui ce qu'il réservera demain. C'est un mouvement dont ils ne savent pas comment et quand les organisations syndicales parviendraient à le contrôler et quel prix ils auraient à payer pour l'arrêter.
Bien sûr, le développement, l'amplification des luttes ne dépendent pas des seuls militants, mais de ce qui se passe dans la conscience de centaines de milliers, de millions de travailleurs. Il faut être crétin, même si on est ministre, pour prétendre que, lorsque des dizaines de milliers de lycéens sont dans la rue, c'est parce qu'ils ont été manipulés ! Rendons cet honneur à Fillon, c'est lui-même qui a réussi à faire descendre des dizaines de milliers de lycéens sur le pavé !
Et je peux vous dire que Gaymard et Copé ou les grands patrons qui se sont vantés dans les médias de leurs bénéfices multipliés, ont plus fait pour élever d'un cran le mécontentement que tous les agitateurs, même les plus convaincus de la nécessité de la lutte !
Mais, pour que le mécontentement transformé en colère devienne volonté de lutte consciente, avec des objectifs justes unissant le monde du travail, il faut qu'il y ait des travailleuses et des travailleurs qui répètent autour d'eux que la contre-offensive des travailleurs est non seulement nécessaire et légitime, mais aussi possible. Puisque les patrons se vantent eux-mêmes d'avoir de l'argent, il faut les contraindre à ce qu'au moins une partie de cet argent serve tout à la fois à augmenter tous les salaires, à transformer les emplois précaires en emplois stables correctement payés, à arrêter les licenciements collectifs et à donner un emploi à tous en répartissant le travail.
Et, lorsque dans une entreprise, sur un chantier, le mécontentement est en train de se transformer en volonté de lutte, il faut qu'il y ait des travailleuses et des travailleurs non seulement pour prendre des initiatives qui s'imposent mais aussi pour faire en sorte que la volonté de lutte ne soit pas déviée vers le corporatisme, vers des revendications catégorielles, et que tous les travailleurs se retrouvent autour des objectifs fondamentaux qui concernent tous les travailleurs.
Et ces objectifs sont -et je ne peux que me répéter :
- pas de licenciements collectifs,
- pas de précarité,
- un emploi correctement payé pour tous,
- augmentation générale des salaires !
Alors, préparons la contre-offensive du monde du travail !
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 22 mars 2005)