Tribune de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, dans "Le Figaro" du 14 avril 2005, sur le projet de traité constitutionnel européen, intitulée "Une nouvelle Europe plus politique, plus efficace, plus forte".

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Texte intégral

Depuis trente ans, j'ai mis mon engagement politique au service de l'action, du changement, du refus de la fatalité. C'est pour cela que je voterai oui au référendum du 29 mai. Oui parce que la Constitution européenne, c'est l'avènement d'une nouvelle Europe qui va permettre de changer les politiques de l'Union européenne.
Les Français n'ont pas besoin de prouver leur attachement à la construction européenne. Depuis 50 ans, la France a été l'un des moteurs de l'Europe. C'est elle qui a inventé cette idée d'une construction progressive et pragmatique. Ce sont les Français qui ont accepté de surmonter les souffrances de leur passé pour faire triompher la paix. A tous les grands rendez-vous de la construction européenne, les Français ont été présents et actifs.
Aujourd'hui, ils sont prêts à aller plus loin, mais ils veulent être sûrs que l'Europe promise par la Constitution répondra réellement à leurs attentes.
Les Français veulent d'abord une Europe qui réponde à leurs préoccupations : l'emploi, la justice sociale, la sécurité, une politique migratoire humaine, mais maîtrisée, les défis du vieillissement. Ils veulent ensuite une Europe capable de peser face aux géants que sont les Etats-Unis, la Chine ou l'Inde. Il ne s'agit pas d'être dans une relation d'opposition à ces pays, mais de leur parler d'égal à égal et de défendre nos intérêts, en particulier à l'OMC. Les Français veulent enfin une Europe qui propose une autre mondialisation : une mondialisation où le libre-échange et la compétitivité sont mis au service de l'homme, et non l'inverse ; une mondialisation qui interdit le dumping social et le travail des enfants ; une mondialisation qui protège l'environnement et permet le développement des pays pauvres. Si ce n'est pas l'Europe, forte de son économie, mais aussi de ses valeurs, qui propose cet avenir différent, qui le fera ?
Ma conviction est que la Constitution européenne apporte à l'Europe le cadre d'action nécessaire pour répondre à l'ensemble de ces attentes.
Avec la Constitution, l'Europe sera d'abord plus politique. Le projet des pères fondateurs s'accomplit : l'Union économique devient une Union politique. Une nouvelle phase peut commencer, celle de la nouvelle Europe. Trois innovations déterminantes du texte constitutionnel le permettent :
- la Constitution établit une hiérarchie de ses priorités et place au sommet de celles-ci (parties I et II) les objectifs politiques de l'Union (dignité humaine, liberté, démocratie, justice, plein emploi, progrès social) et les droits fondamentaux des citoyens, dont ceux des salariés. Ces droits acquièrent une force juridique que le traité de Nice leur avait refusée. Les moyens et les outils de l'Union, tels que la politique commerciale et la libre-circulation des biens et des personnes, ne figurent qu'en troisième partie et sont désormais subordonnés aux objectifs et aux droits fondamentaux. L'action de la nouvelle Europe n'est plus au service du marché, mais des hommes ;
- la Constitution institue un Président du Conseil européen. C'est un progrès majeur. Actuellement, le Conseil européen, l'institution la plus importante de l'Union, celle qui impulse toutes les politiques européennes, est présidé à tour de rôle par les Etats membres pour une durée de six mois, ce qui empêche la mise en oeuvre de politiques durables et ne laisse à personne le temps de connaître le visage du Président de l'Europe. Elu par les chefs d'Etat et de gouvernement pour une durée de deux ans et demi renouvelable une fois, soit aussi longtemps que le Président de la Commission, et exerçant sa mission à temps plein, ce Président du Conseil européen saura ce que c'est que d'être élu et pourra faire prévaloir le choix des peuples. C'est un rééquilibrage fondamental qui permet à l'action politique de reprendre ses droits ;
- la nouvelle Europe, c'est enfin une Europe où la démocratie est renforcée : avec la Constitution, les parlements nationaux pourront empêcher l'Union d'intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence ; le système de la codécision, qui donne autant de pouvoirs au Parlement européen qu'au Conseil des ministres, sera la règle de droit commun ; un million de citoyens pourront demander à la Commission de proposer ou de revoir un texte dans un domaine particulier ; les débats du Conseil des ministres seront publics, ce qui obligera chaque responsable politique à justifier ses choix devant ses concitoyens plutôt que de s'abriter derrière la décision collective.
Avec la Constitution, l'Europe sera ensuite plus efficace. Personne ne peut contester que les institutions de l'Europe des six, et même des 15, sont inadaptées à l'Europe des 25. Tout le monde se souvient que le traité de Nice, signé en 2000 dans la hâte, n'était qu'une solution temporaire dans l'attente d'une réforme en profondeur des institutions. Cette réforme, la Constitution l'accomplit avec, là encore, trois innovations majeures :
- le Conseil des ministres : dans le système européen, les textes sont proposés par la Commission, mais ne peuvent être adoptés qu'avec l'accord du Parlement européen et du Conseil des ministres. C'est dire l'importance de ce qui se joue au Conseil.
Avec la Constitution, le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres devient la règle et son mode de calcul est simplifié. Alors que le traité de Nice donne aux grands pays un poids décisionnel très inférieur à la taille de leur population, la Constitution accorde à chaque pays un poids conforme à son importance démographique. La France augmente ainsi de plus de 40 % son influence au sein du Conseil des ministres. Là où l'immobilisme prévaut, car on ne peut décider qu'à l'unanimité ou avec l'aval de pays plus petits qui ont d'autres préoccupations, les grands pays pourront désormais se grouper pour faire agir l'Europe sur les sujets qui les touchent en priorité : terrorisme et criminalité organisée, délocalisations, politique agricole, stratégie industrielle
- au cas où, malgré tout, l'Union ne parviendrait pas à agir à 25, les Etats qui veulent aller plus vite et plus loin ensemble pourront le faire dans le cadre de coopérations renforcées, dont la Constitution améliore le fonctionnement. Ce que j'avais anticipé de manière informelle lorsque j'étais ministre de l'intérieur, en créant le groupe des cinq (France, Allemagne, Italie, Espagne, Grande-Bretagne) dans le domaine de la politique migratoire, pourra devenir une réalité juridique. La coopération renforcée sera même de droit lorsqu'un pays empêchera l'Union européenne d'agir dans le domaine pénal. C'est un progrès majeur, car aucun citoyen ne peut admettre que la suppression des frontières se fasse au bénéfice de la criminalité et non de la coordination policière et judiciaire ;
- la Constitution crée enfin un poste de ministre des affaires étrangères de l'Union, mettant fin à l'éclatement actuel des compétences en matière internationale (plusieurs commissaires, un haut-représentant en matière de politique étrangère et de sécurité commune et le ministre des affaires étrangères du pays qui préside temporairement l'Union). A l'image du secrétaire d'Etat américain, qui est doté dans les négociations de tous les moyens utiles (diplomatiques, militaires, financiers, commerciaux, culturels), le ministre des affaires étrangères de l'Union européenne aura la visibilité et la crédibilité nécessaires pour faire entendre la voix de l'Europe dans les instances internationales.
Plus politique, plus efficace, l'Europe sera plus forte. Je l'affirme : il n'y a pas un défaut de l'Europe actuelle - pas assez démocratique, pas assez politique, pas assez efficace, pas assez humaine, pas assez sociale, pas assez proche des citoyens - qui ne trouve d'amélioration ou de solution dans la Constitution européenne.
La question que les Français doivent dès lors se poser, c'est de savoir si les arguments du " non " sont suffisamment forts pour justifier le rejet d'un texte qui comporte des avancées majeures vers cette Europe nouvelle que nous voulons.
Ces arguments sont de plusieurs natures.
Il y a d'abord les arguments pointillistes, ceux qui s'emparent de n'importe quelle disposition pour lui donner, généralement, une interprétation erronée ou délibérément biaisée, et discréditer l'ensemble du processus. Non, l'affirmation du droit à la vie ne remet pas en cause le droit à l'avortement et l'affirmation de la liberté de culte ne remet pas en cause la laïcité. Ces droits figurent dans la Convention européenne des droits de l'homme depuis 1950 et n'ont jamais empêché les Etats membres de les concilier avec d'autres exigences telles que le droit des femmes ou la liberté de conscience. Non, la concurrence libre et non faussée et l'Europe hautement compétitive ne sont pas des objectifs en soi, mais des moyens pour atteindre le plein emploi et le progrès social, dont l'efficacité n'est plus contestée que par la Corée du Nord. Aucun de ces arguments ne peut sérieusement justifier le rejet du texte dans son ensemble.
Il y a ensuite les arguments qui sont tout simplement faux.
Il est faux de dire que la Constitution est ultralibérale et n'est pas sociale. D'abord, une Constitution est un cadre, pas un programme politique. Elle est là pour donner les moyens d'agir à tous ceux, de droite ou de gauche, qui veulent que l'Europe améliore la vie des Européens. Ensuite, c'est exactement l'inverse qui est vrai. Pour la première fois dans l'histoire de la construction communautaire, la Constitution fixe à l'Europe des objectifs sociaux et lui impose de respecter les nombreux droits sociaux de la Charte. Les syndicats européens ne s'y sont pas trompés puisque la Confédération européenne des syndicats s'est prononcée en faveur de la Constitution.
Il est faux de dire que la Constitution va être gravée dans le marbre pendant 50 ans. Comme pour les traités actuels, la Constitution pourra être modifiée à l'unanimité des Etats membres. Cette règle, qui permet de protéger les textes fondateurs contre des modifications trop fréquentes ou que la France ne pourrait approuver, n'a pas empêché de modifier plusieurs fois le traité de Rome depuis 1957.
Il est faux enfin de dire qu'un " non " français permettra une " crise salutaire ". La raison en est simple : nos partenaires de négociation seront les mêmes. Pourquoi accepteraient-ils demain ce qu'ils ont refusé hier, alors même que certains se satisferaient de l'Europe économique des traités actuels ? La conséquence du " non " est donc le retour au traité de Nice, la poursuite de l'Europe actuelle, sans politiques communes ambitieuses, et l'abandon sans doute durable de tout projet constitutionnel européen.
Il y a enfin les arguments qui s'opposent à la philosophie politique du texte constitutionnel.
Les uns reprochent à la Constitution de ne pas aller assez loin. A ceux-là, j'oppose la conviction que notre vraie chance d'aller plus loin est de ratifier ce qui est acquis pour pouvoir améliorer ensuite, de l'intérieur, la nouvelle Europe.
Les autres, à l'inverse, reprochent à la Constitution d'aller trop loin dans le sens d'une Europe politique. Mais c'est en rendant l'Union plus politique que nous allons pouvoir changer l'Europe. Et c'est en la dotant d'une Constitution que sa voix dans le monde sera plus forte : elle sera celle de 25 peuples, unis non plus seulement par des intérêts de marché, mais par leur adhésion à des valeurs communes.
Pour ma part, je souhaite une nouvelle Europe pour une nouvelle France. Je voterai oui à la Constitution.

(Source http://www.u-m-p.org, le 20 avril 2005)