Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, dans "La Tribune" du 22 janvier 2004, sur la réforme de l'assurance-maladie.

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Média : La Tribune

Texte intégral

Vous étiez ministre des Affaires sociales lors de la dernière grande réforme de l'assurance-maladie en 1996. Quelles seraient pour vous les mesures prioritaires à prendre pour remettre les comptes sur la voie de l'équilibre promis par le président Chirac pour 2007 ?
- On ne peut pas s'en sortir par une seule mesure. Il faut définir une politique d'ensemble qui utilise de nombreux leviers. Ce serait une grave illusion de penser qu'il y a une réforme miracle pour un système où la multiplicité des décisions individuelles s'entrecroisent. La dérive vient d'abord du manque de visibilité. Il faut d'abord redéfinir le rôle de chaque acteur - gestionnaires, soignants, assurés, assureurs - et ensuite obtenir que chacun d'entre eux s'engage à adopter des comportements nouveaux plus responsables.
Est-ce possible alors que tous les sondages montrent que les Français préfèrent payer plus plutôt que de limiter leur accès aux soins ?
- Il ne s'agit pas d'amputer les droits aux soins, mais d'obtenir un recours plus responsable et plus rationnel aux soins. On doit demander à l'assuré d'éviter l'errance médicale qui n'apporte rien de plus à la qualité des soins et qui coûte cher. Cela implique aussi une meilleure articulation entre la médecine de ville et l'hôpital. L'assuré ne doit pas aller automatiquement aux urgences, au risque d'occasionner des coûts surdimensionnés pour une affection parfois bénigne.
En 1996, Alain Juppé s'était heurté à la fronde des médecins. Cette expérience ne va-t-elle pas inciter le gouvernement actuel à la prudence ?
- En 1996, il fallait agir dans l'urgence pour respecter les critères de Maastricht, ce qui exigeait un freinage immédiat des dépenses. Là, il faut certes agir sans tarder, mais le gouvernement peut se donner les moyens d'aller au fond des choses.
Défendez-vous toujours l'idée de faire supporter plus largement aux assurés la prise en charge du "petit risque" pour laisser à l'assurance-maladie les pathologies plus lourdes ?
- C'est une mauvaise formulation. Il faut un meilleur partage des rôles entre l'assurance universelle obligatoire qui doit continuer à assurer l'égalité de tous pour les soins lourds et coûteux et les assurances complémentaires. Celles-ci doivent intervenir de manière plus importante et surtout plus coordonnée, notamment dans le domaine du maintien en santé. Cela va de la prévention en matière dentaire aux affections non invalidantes qui exigent surtout de la part du patient une bonne hygiène de vie. Cette meilleure coopération entre l'assurance-maladie obligatoire et assurances complémentaires n'est possible que si tout le monde à accès à l'assurance complémentaire. Pour cela, il faut envisager une aide pour les Français qui ne disposent ni de la CMU ni d'une couverture complémentaire. Il y a aujourd'hui des entreprises qui concèdent au titre de la prévoyance une aide importante à leurs salariés. On peut se demander si ces pratiques ne pourraient être étendues à l'ensemble des entreprises.
Le débat sur les recettes ne pourra être évité. Une hausse de la CSG est-elle d'ores et déjà acquise ?
- Il ne faut recourir à des recettes nouvelles qu'après avoir donné à l'assurance-maladie des règles de gouvernance et de fonctionnement qui la protègent des dérives majeures de ces dernières années. Un appel à une recette nouvelle ne peut être conçu qu'en bout de course pour parvenir à un équilibre durable.
Etes-vous favorable à une piste étudiée par les experts visant à relever la CSG pour les retraités et les chômeurs ?
- Si un effort supplémentaire est demandé, il ne sera compris que s'il est juste. Dans la catégorie des retraités, le prélèvement au titre de la CSG est très disparate. On peut penser à une certaine harmonisation. Le cas des chômeurs est un problème différent.
Le gouvernement envisage d'utiliser la voie des ordonnances pour réformer la santé. Cette procédure ne risquerait-elle pas d'amoindrir le rôle du Parlement ?
- Légiférer par ordonnances est indispensable pour une telle réforme et j'y suis favorable. Toutes les grandes réformes de la Sécurité sociale - celles de 1967 et de 1996 - ont été faites par ordonnances, car elles portent sur des dispositifs très complexes. Il ne s'agit pas de donner un blanc-seing au gouvernement. Le législateur ne peut pas se sentir dépossédé, car la loi d'habilitation donne lieu elle-même à un débat de fond. A travers elle, le gouvernement s'explique sur ses objectifs et les moyens qu'il va utiliser. Les ordonnances permettent de couper court aux séances interminables tout en associant pleinement le législateur aux choix majeurs. Il faut savoir si l'on veut un débat politique sur une réforme majeure de la société française ou un enlisement dans un débat trop technique où les détails risquent de cacher l'essentiel.
Propos recueillis par Delphine Girard
(source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2004)