Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à "France 2" le 26 février 2004, sur l'arrêt des importations américaines de foie gras et charcuterie, sur les difficultés du vignoble français dues à la concurrrence croissante, sur les emplois agricoles.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard-. On va aborder de ce matin une actualité très chargée.
- "Oui."
Q- En commençant par cette interdiction des autorités américaines des charcuteries et du foie gras français. Que veut dire cela ? C'est une nouvelle mesure de représailles contre la politique française ?
R- "Je ne pense pas qu'on puisse dire cela. Mais nous sommes évidemment très choqués par cette décision. Les Américains envoient dans le monde entier des missions d'inspection dans les produits desquels ils importent des produits alimentaires. L'Europe fait d'ailleurs la même chose. Une mission est venue en France et estime que notre système de sécurité sanitaire n'est pas conforme aux normes américaines, ce qui m'étonne beaucoup parce que l'on a un système, en Europe et en France, beaucoup plus fiable qu'aux Etats-Unis. Alors le résultat, malgré une mission que j'ai envoyée à Washington lundi dernier, c'est que les Américains interdisent pour l'instant l'importation de produits à base de viande, foie gras et autres, qui concernent onze entreprises françaises."
Q- Le consommateur français doit-il s'inquiéter ?
R- "Non, pas du tout."
Q- C'est donc sans justification ?
R- "C'est sans justification.Vous savez, aux Etats-Unis, je crois qu'il y a 2 000 morts par an du fait d'intoxications alimentaires. En France cela doit être 2 ou 3. Nous avons donc un système très fiable, il faut toujours être très vigilant bien sûr, mais nous avons un système de sécurité sanitaire d'alimentation très fiable, beaucoup plus qu'aux Etats-Unis. Mais nous avons, là, purement une démarche, j'allais dire "bureaucratique et juridique" qui a abouti à cette regrettable décision. J'en ai parlé avant hier à Bruxelles au commissaire chargé de la Santé et de l'Alimentation, D. Burn, qui doit bientôt se rendre aux Etats-Unis. Nous continuons donc évidemment de suivre ce dossier, en espérant que le bon sens prévale."
Q- Et si le bon sens ne prévaut pas, que faites-vous ? Vous prenez des mesures, vous, de rétorsion ?
R- "Il faudra que l'on regarde d'ailleurs au niveau européen, comment l'on fait par rapport aux règles de l'OMC, parce que nous estimons que cette décision n'est pas conforme."
Q- L'Europe, la veille, avait pris une décision interdisant les oeufs et les volailles américaines...
R- "Oui."
Q- ... à cause de la grippe du poulet. Là, cela peut-il être de la part des Américains une mesure de représailles aussi ?
R- "Non, je ne pense pas parce que cette mission d'inspection remonte à la fin de l'année dernière. C'est une mission de routine. D'ailleurs il n'y a pas que la France qui fait l'objet de telles missions dans le monde entier. La grippe aviaire au Texas, c'est il y a quelques jours. Donc, on a immédiatement décidé de suspendre l'importation des oeufs américains. Je ne pense donc pas, de bonne foi, que l'on puisse dire que les choses sont liées."
Q- Le deuxième gros dossier, c'est celui du vin. Vous avez rencontré hier les viticulteurs. On consomme moins de vin en France, les viticulteurs sont en difficulté. Ils voudraient que l'on modifie la loi Evin afin qu'ils puissent faire plus de publicité pour le vin. Cela paraît difficile.
R- "Je crois que le vin est très important, parce que c'est notre culture, c'est notre fierté, c'est beaucoup d'emplois et c'est la moitié de notre excédent commercial en matière agricole. Mais c'est vrai que l'on a une crise : baisse de la consommation en France, liée au changement des modes de vie ; baisse des exportations..."
Q- Liée aussi à la volonté du Gouvernement de faire baisser les accidents sur les routes, il faut le dire ?
R- "Oui, mais je ne suis pas sûr que ce soit le vin qui le plus responsable des accidents sur les routes. On a une tendance sociologique, comme disent les savants, depuis un demi-siècle, où le vin est de moins en moins un aliment et de plus en plus un élément de plaisir. D'ailleurs, la preuve, c'est que les vins en moyenne haut de gamme, sont toujours très vivants, alors que le vin de table de nos parents ou de nos grands-parents, a moins d'importance aujourd'hui. On a donc une évolution sociologique majeure : une baisse des exportations à un moment où l'on a une surproduction mondiale. Alors c'est vrai qu'il y a un certain nombre de difficultés par rapport à la publicité et à la communication. Moi, je crois que le message doit être clair : diabolisation du vin : non, mais modération : oui."
Q- Que pouvez-vous faire concrètement pour les viticulteurs ?
R- "Ce qui a été décidé hier, c'est que nous allons mettre en place des groupes de travail. Il y a une réunion la semaine prochaine. Et le Premier ministre a souhaité qu'il y ait à la fois les représentants des viticulteurs, les parlementaires, les associations de lutte contre la violence routière, les associations de lutte pour la santé publique, pour que tout le monde se retrouve pour voir comment on peut communiquer sur la modération sans diaboliser un produit qui fait partie de notre patrimoine."
Q- Cela veut dire qu'il pourrait quand même y avoir une petite évolution sur le texte de la loi Evin ?
R- "Je ne crois que l'on n'en est pas là. L'esprit de la loi Evin, il n'est pas question de le remettre en cause : lutter contre le tabagisme, lutter contre l'alcoolisme, je crois que tout le monde est bien d'accord, y compris d'ailleurs les viticulteurs, sur cette démarche. Mais il faut regarder dans le détail comment l'on peut améliorer la communication sur la modération sans sombrer dans la prohibition qui ne correspond pas à notre culture du vin."
Q- N'y a-t-il pas aussi un problème de qualité du vin français ? Car vous le disiez : les vins étrangers, eux, marchent de mieux en mieux...
R- "Oui, ils marchent de mieux en mieux, parce qu'ils partent de très bas. Donc, nous gardons quand même, la France, la plus grosse part de marché à l'international. Il est donc plus facile de croître quand on est rien du tout que de continuer à croître quand on est le leader. Il y a eu beaucoup d'efforts de faits en matière de qualité, depuis ces dernières décennies dans beaucoup de vignobles. Il faut encore en faire. C'est la raison pour laquelle j'ai obtenu de Bruxelles la possibilité de mettre en oeuvre une politique de reconversion qualitative différée du vignoble. On le fait actuellement à titre expérimental dans le Languedoc-Roussillon, ça marche très bien. Et j'ai décidé pour 2004 d'ouvrir cette possibilité à tous les vignobles français qui le souhaiteraient."
Q- Il faut aussi baisser la production peut-être non ?
R- "Il faut une maîtrise de la production, et d'ailleurs qui a déjà eu lieu. Mais le problème est que le vignoble français ne peut pas non plus être la variable d'ajustement du vignoble mondial. Parce que, comme je vous le disais tout à l'heure, depuis ces dernières années, nous avons eu 9 % des surfaces plantées qui ont augmenté dans le monde et 17 % de la production qui a augmenté, et pas du tout du fait, ni de la France, ni de l'Europe. Tout simplement, parce qu'on a ces nouveaux pays où l'on n'a pas comme chez nous un système de droit de plantation, mais où l'on peut planter ou arracher de la vigne, comme vous semble. Il y a des cultures différentes, s'agissant du vin. Par exemple, aux Etats-Unis, en Australie et en Afrique du Sud, le vin est un produit industriel et pas un produit lié au terroir par des viticulteurs."
Q- Rapidement, parlons aussi des insecticides : vous avez décidé de suspendre la vente du Régent mais pas de détruire les stocks. Et certains disent que c'est une demi-mesure, parce que si c'est dangereux, il fallait tout interdire !
R- "Non, je ne crois qu'il faut arrêter sur ce sujet d'avoir une vision catastrophiste ou apocalyptique. Une étude de la Commission d'étude de la toxicité, le 29 janvier dernier, nous a alertés pour la première fois sur les risques potentiels pour l'environnement et la faune sauvage. J'ai lancé une procédure contradictoire, avec les utilisateurs et les fabricants. Cette procédure contradictoire a abouti lundi dernier. J'ai décidé effectivement de suspendre la commercialisation et l'utilisation de six produits à base de fripronil que l'on appelle le Régent. Il y a un problème spécifique pour les semences qui sont enrobées et qui sont déjà chez les agriculteurs pour les semis de printemps. Nous avons donc décidé de permettre que ces semences soient semées pour le semi de printemps, mais les stocks de produit eux-mêmes, eux ne sont plus utilisables. C'est très clair."
Q- Ce week-end, c'est le Salon de l'agriculture et il est placé sous le signe de l'emploi. Cela veut dire qu'il y a encore des emplois à créer dans
l'agriculture ? Pourtant, les agriculteurs disent toujours qu'ils ne s'en sortent pas !
R- "Oui, le Salon sera inauguré samedi matin par le président de la République. Et j'ai décidé, cette année, de mettre, pour le ministère de l'Agriculture, l'accent sur l'emploi. Puisque, l'emploi des métiers de la terre, de la mer, de la forêt, du cheval, des industries agroalimentaires, c'est 10 % de l'emploi en France et on n'en parle jamais. On dit : oui, il n'y a que 3,5 ou 4 % d'agriculteurs..."
Q- On dit toujours : c'est la crise.
R- "Oui, on dit toujours "c'est la crise", et c'est vrai qu'en ce moment les agriculteurs français connaissent beaucoup de difficultés dans beaucoup de filières. Mais globalement, il faut bien que les Français soient conscients que l'agriculture et la mer, au sens large du terme, et la forêt, c'est 10 % de l'emploi en France, souvent dans des zones rurales. Et donc, il faut se battre pour cet emploi-là. Nous avons donc un parcours des métiers de la terre et de la mer, avec tous nos établissements d'enseignement et de formation agricoles pour sensibiliser, notamment les jeunes, sur ces métiers."
Q- D'un mot, vous allez aussi réunir les ministres de l'Agriculture francophones au Salon ?
R- "Oui, parce que l'agriculture est au coeur des débats de la mondialisation, on l'a vu à Cancun au mois de septembre. La question du développement agricole des pays du Sud est extrêmement importante. J. Chirac, il y a un an, a fait un discours remarqué devant les chefs d'Etat et de gouvernement africains réunis à Paris. Donc, je réunis effectivement, 25 ministres de pays francophones pour qu'on élabore des positions communes sur la faim dans le monde, le développement agricole et le commerce équitable."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 février 2004)