Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Info" le 17 mai et à "RTL" le 18 mai 2005, sur les sondages portant le non en tête au référendum sur le Traité constitutionnel européen le 29 mai prochain et sur la campagne de Laurent Fabius en faveur du non.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - France Info - RTL

Texte intégral

France Info
Q- Vous venez d'entendre deux sondages qui indiquent que le "non" remonte, il est même donné vainqueur, 51 contre 49. Cela veut dire que vous avez du mal à convaincre les Français.
R- Cela veut dire qu'il y a encore beaucoup de Français qui hésitent, puisque hier ou avant-hier, il y avait des sondages qui donnaient le "oui" en tête. Aujourd'hui, c'est le "non", et on nous dit qu'il y aurait encore 30 % d'indécis. Voilà pourquoi je pense qu'il faut s'adresser d'abord à ceux qui s'interrogent, qui doutent, qui veulent répondre en connaissance de cause, c'est-à-dire en sachant bien que c'est leur avenir, l'avenir de l'Europe, la place de la France, qui vont se décider le 29 mai. Et moi, c'est vers eux que je veux m'adresser aujourd'hui. Est-ce que le traité constitutionnel, celui que l'on nous propose, est un progrès ou pas ? Si c'est un progrès sur le plan de la démocratie - à mes yeux, ça l'est, puisqu'il y aura un Parlement européen plus fort, il y aura des Parlements nationaux qui pourront contrôler l'Europe, il y aura le droit de pétition - alors il faut prendre le traité, c'est la partie 1. S'il y a davantage de droits et de liberté qui nous sont donnés à travers le traité constitutionnel - c'est la partie 2 - il faut prendre ce traité, puisque nous aurons la capacité de faire valoir nos droits partout, pas simplement nous les Français, mais tous les Européens, ce qui sera une convergence, notamment en matière de droits sociaux ; S'il pense que les politiques européennes, c'est la partie 3, sont améliorées par rapport aux traités existants, et notamment sur le plan de la politique sociale - c'est pourquoi les syndicats européens, la quasi-totalité sont pour le traité - alors il faut le prendre. Voyez, j'essaye de dire, maintenant qu'on va faire le choix, est-ce qu'on prend le traité tel qu'il nous est proposé, le traité constitutionnel. Si c'est un progrès, il faut le prendre, ou on en reste là, c'est-à-dire à ce qui se passe aujourd'hui, qui ne nous satisfait pas toujours.
Q- Revenons à cette campagne électorale. Les sondeurs nous expliquent que si le "non" remonte, c'est une des conséquences de ce lundi de Pentecôte chômé. Vous, vous avez attaqué assez durement le Gouvernement. Est-ce que c'est très productif, à moins de deux semaines du référendum ?
R- Je pense que les Français sont à la fois exaspérés et lucides. Ils sont exaspérés par la politique du Gouvernement depuis trois ans. Et l'affaire du jour de la Pentecôte résume tout : un Gouvernement injuste qui s'en prend aux seuls salariés, un Gouvernement inefficace qui fait travailler la moitié de la France, et encore on ne sait pas, contraint l'autre, l'oblige à la grève. Bref, un Gouvernement qui ne sait pas donner du sens à sa politique. Et puis, troisièmement, un Gouvernement imprévoyant, parce qu'on ne nous fasse pas croire que la question du jour férié maintenant travaillé va régler le financement de la grande dépendance ou des personnes handicapées. Donc, c'est un mauvais Gouvernement. Mais est-ce que - et c'est là qu'arrive la lucidité des Français - est-ce que le 29 mai, on règle la question du Gouvernement ? Non. On décide de l'avenir de l'Europe. Quand le traité constitutionnel va s'appliquer, je peux vous dire une seule chose, c'est qu'il n'y aura plus de Gouvernement Raffarin, et il n'y aura plus, je l'espère, le président J. Chirac à la tête de l'Etat. Pourquoi ? Parce qu'on sera en 2007 et qu'en 2007, c'est une Europe nouvelle qui va s'ouvrir, et je l'espère, une France d'alternance qui va se présenter.
Q- Parlons un petit peu de l'après. Quel que soit le résultat du 29, il semble bien qu'une majorité de l'électorat de gauche se prononce pour le "non". Cela doit quand même poser problème pour vous.
R- Ecoutez, d'abord, je m'intéresse aux socialistes. Je leur dis : votez d'abord le 29 mai...
Q- Il y a les socialistes, mais votre électorat aussi.
R- D'abord, je suis le responsable des socialistes, ce qui est important, c'est que nous, on essaye de faire voter notre électorat. Pourquoi ? Parce que c'est à la fois notre histoire, l'Europe, et c'est notre avenir. Qui imagine, dans le monde tel qu'il est, avec les menaces telles qu'elles sont - la menace par rapport à la paix, par rapport à ce qui est la compétition, les délocalisations - [qu'] il faudrait affaiblir l'Europe. Au contraire, il faut une Europe forte et notre électorat y est sensible, parce que c'est avec F. Mitterrand, avec J. Delors, avec tous les socialistes qu'on a toujours fait avancer l'Europe, pas seuls mais avec d'autres. Voilà pourquoi les électeurs socialistes, ils sont toujours en hésitation, parce qu'ils ont bien envie de sanctionner le Gouvernement de J.-P. Raffarin, mais ils sont d'abord dans la volonté de construire l'Europe. Ensuite, il y a la gauche. Il y a une partie de la gauche, et moi je la respecte, qui n'a jamais voulu l'Europe : les communistes, l'extrême gauche. Ils n'ont jamais voulu un seul traité européen. Cela ne nous a pas empêchés de nous retrouver, de nous retrouver au Gouvernement et on se retrouvera demain.
Q- Justement, aujourd'hui, L. Fabius donne une interview à l'Humanité. Au-delà de ses propos, on a l'impression qu'il est en train de devenir le socialiste capable de se réconcilier avec cette autre gauche : le PCF, l'extrême gauche.
R- D'abord, quand on est un socialiste, il faut rassembler les socialistes, c'est quand même mieux. Quand on est socialiste, on rassemble les siens. Qu'est-ce qu'a voulu une majorité de socialistes ? Voter pour le traité constitutionnel. Le mieux, ce serait de faire campagne comme les socialistes. Si on commence à faire la campagne des autres, c'est un peu curieux, un peu paradoxal pour rassembler la gauche, vous en conviendrez. Donc, d'abord, il faut rassembler sa famille politique - je m'y emploie, avec beaucoup d'autres, heureusement - et puis ensuite, on rassemblera la gauche. Mais on la rassemblera sur quelle ligne ? Sur la ligne de l'extrême gauche, de Besancenot, de Bové ? Est-ce crédible, quand on a été Premier ministre, ministre de l'Economie et des Finances, qu'on a fait les choix que chacun connaît, chacun a en mémoire, maintenant d'aller faire la cour à l'Humanité ou à J. Bové ? Cela fait sourire. Eh bien, on va sourire, parce que parfois, il vaut mieux
sourire que rouspéter.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mai 2005)
RTL
Q- Jean-Michel APHATIE : Bonjour François Hollande. Le non au traité constitutionnel a repris la tête dans les sondages et c'est dans ce contexte que Jean-Pierre Raffarin a fait son retour dans la campagne électorale. Il a déclaré hier soir sur France 2 "que la force continentale serait avec l'Europe si le traité constitutionnel était adopté". Ce retour de Jean-Pierre Raffarin est un soutien au "oui" que vous défendez François Hollande ? Il est utile ?
R- François HOLLANDE : Écoutez Jean-Pierre Raffarin fait ce qu'il veut, il est Premier Ministre, il intervient dans une campagne. Est-ce qu'il est le meilleur agent électoral du "oui".
Q- C'est la question.
R- C'est la question qu'il faut poser.
Q- Que je vous pose.
R- À la majorité actuelle. Moi je fais campagne "pour le oui socialiste".
Q- Il y a un "oui" socialiste et un "oui" qui n'est pas socialiste.
R- Nous pouvons donner la même réponse, c'est le oui. Nous pouvons voter le même traité, c'est le cas. Mais nous avons des politiques qui devront sortir de ce traité constitutionnel qui seront forcément différentes. Et c'est ce qu'il faut que chacun comprenne. L'enjeu d'aujourd'hui, ce n'est pas le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, son sort est déjà scellé.
Q- Ah bon.
R- Chacun le sait, Alain Duhamel l'a lui-même évoqué.
Q- Je ne sais pas, vous le savez vous ?
R- C'est une affaire de jours ou de semaines, que le "oui" ou que le "non" l'ait emporté.
Q- C'est une information François Hollande.
R- Tant mieux si je vous donne cette information.
Q- Merci.
R- Jean-Pierre Raffarin peut partir, ce sera la même majorité. Ce sera le même président, jusqu'en 2007. Donc la question qui est posée aux Français ce n'est pas de savoir si Monsieur Raffarin va rester ou pas rester. Ce n'est pas de savoir si Jacques Chirac va pouvoir aller jusqu'au bout de son mandat. Sur le premier point, on sait que Jean-Pierre Raffarin, son sort est scellé et sur le second, on sait que Jacques Chirac ira jusqu'au bout. Alors de quoi s'agit-il ? Il ne s'agit pas des deux années qui viennent. Il s'agit des dix années qui viennent. Dans quelle Europe veut-on vivre ? Une Europe organisée autour d'un traité constitutionnel qui marque des avancées, sur le plan démocratique, sur le plan social, sur le plan de notre protection ? Où est-ce qu'on veut rester dans un traité, celui qui existe aujourd'hui, qui finalement ne donne pas de force à l'Europe. Moi je pense que c'est ça l'enjeu. Ensuite, c'est de savoir si après le traité constitutionnel voté on pourra - à travers le vote aux élections françaises, aux élections européennes, aux élections dans les différents pays - mener des politiques plus à gauche, ou plus à droite en Europe. Je pense que les Français doivent avoir ce seul enjeu en question. Parce qu'il s'agit bien de l'avenir de l'Europe, et de rien d'autre.
Q- Ce matin - une campagne électorale, ce sont aussi des acteurs - c'est José Manuel Barroso, le Président de la Commission Européenne, qui va intervenir dans le débat français. Il sera tout à l'heure sur une radio concurrente. Ce renfort-là il est utile pour vous
François Hollande ?
R- Écoutez, que le Premier Ministre parle, vous m'interrogez.
Q- C'est la même question.
R- Il est Premier Ministre. Que le Président de la Commission parle, il est le Président de la Commission Européenne.
Q- Est-ce que ça vous contrarie ces voisinages.
R- Ils sont en place. Ils sont là. Ce n'est pas moi qui les ai choisis, ni Monsieur Raffarin, je pense que je vous donne une autre information - vous ne l'aviez peut-être pas - ni Monsieur Barroso, ce n'est pas moi qui l'ai choisi. C'est l'Europe telle qu'elle est. Moi je ne m'occupe pas de l'Europe telle qu'elle est. Aujourd'hui, je m'occupe de l'Europe telle qu'elle peut être demain. C'est ça l'enjeu. Alors pour m'occuper de l'Europe telle qu'elle peut être demain, j'ai besoin - comme tous les Français - d'un traité constitutionnel qui soit meilleur que les traités actuels. Il est meilleur, c'est un progrès, personne ne le conteste, et deuxièmement nous avons besoin d'alternance en Europe, d'alternance en France - ça c'est 2007 - et c'est l'alternance aussi dans beaucoup de pays qui vont se présenter, là, dans les corps électoraux bientôt : Italie en 2006, Allemagne également en 2006, donc nous avons aussi à préparer des alternances dans les pays européens.
Q- "L'Europe libérale passe par le oui", formule signée Laurent Fabius.
R- Écoutez l'Europe sociale passe par le "oui", c'est notre slogan.
Q- Oui. Et lui il dit : l'Europe libérale passe par le "oui".
R- L'Europe libérale, c'est pour beaucoup ce qu'elle est aujourd'hui. Et moi je n'ai pas fait l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui. Ce n'est pas moi qui ai signé les traités. Ce n'est pas moi qui ai négocié les traités. C'est qui ?
Q- Laurent Fabius ?
R- Donc si on pense que l'Europe elle n'est pas suffisante, elle est trop libérale, je le pense, elle a aussi des atouts, on a un grand marché qui fonctionne, on a une monnaie unique et moi je n'en plains pas, qui protège. Mais avant de se poser la question de savoir quelle est la critique que l'on peut porter au traité constitutionnel - qui est un progrès - faudrait-il d'abord parler de ce qui existe aujourd'hui. Moi je pense que le traité constitutionnel c'est mieux que ce qui existe aujourd'hui. Ça permet l'Europe sociale. Donc ça permettra à chacun d'avoir bien les idées en tête. Qui est responsable de quoi.
Q- "Si on veut rassembler la gauche, il vaut mieux s'adresser aux gens de gauche". Formule signée : Laurent Fabius.
R- Décidément, vous êtes inspiré par Laurent Fabius.
Q- Ah j'ai de bonnes lectures.
R- Je vais reprendre le raisonnement, un raisonnement qu'on connaît bien, et que chacun répète, qui n'est pas d'ailleurs de tel ou tel, qui est de François Mitterrand.
Q- Quel copieur ce Fabius !
R- Pour gagner il faut d'abord rassembler les socialistes. Qu'est-ce qui est le mieux pour rassembler les socialistes que de rassembler autour de la position qui est la leur ? Quand on veut d'abord rassembler son camp, il faut d'abord rassembler les socialistes. C'est ce que je fais. Je les rassemble, avec d'autres, sur la position qu'ils ont eux-mêmes votée dans un scrutin interne. Ça c'est la bonne façon de rassembler les socialistes. Parce que, quand on commence à diviser les socialistes.
Q- Ce que fait Laurent Fabius ?
R- Je ne pose pas la question sur Laurent Fabius.
Q- Je vous pose la question : est-ce que Laurent Fabius divise les socialistes ?
R- Moi je vous dis ce que je fais. Moi je rassemble les socialistes, on verra ce que font les autres. Je rassemble les socialistes autour de la position qui a été votée par les socialistes. Ensuite, on peut rassembler la gauche autour de la ligne du parti socialiste. Si on commence par diviser les socialistes, et puis ensuite par rassembler la gauche sur la position de l'autre gauche, que celle des socialistes, c'est compliqué. Et comme c'est compliqué, je préfère le passage le plus simple.
Q- Une citation de François Hollande.
R- Ça c'est bien, je ne vous la contesterai pas.
Q- À propos de Laurent Fabius : "parfois, il vaut mieux sourire que rouspéter" et c'est précisément ce qu'on vous reproche François Hollande, trop de sourires, et pas assez d'autorité.
R- Il y a des moments où quand on voit des scènes cocasses il vaut mieux en sourire.
Q- C'est cocasse ce que fait Laurent Fabius pour vous ?
R- Je trouve que lorsque Laurent Fabius, par exemple, rencontre José Bové pour dire qu'il participe pratiquement de la même position que lui, je me dis que, là, il y a un problème de cohérence. Et quand il y a un problème de cohérence, il vaut mieux en sourire. Moi je ne suis pas là pour répondre à Laurent Fabius, même si vous m'interrogez là-dessus, je suis là pour m'adresser aux Français. C'est trop important ce qui se passe aujourd'hui. Trop important pour notre avenir. Parce que le 29 mai, on décide. Si c'est le oui qui l'emporte, il y aura un traité constitutionnel. Ça sera un progrès pour l'Europe. L'Europe pourra avancer. L'Europe pourra aller vers d'autres discussions, d'autres négociations, y compris sur le plan social. Et puis si on refuse le traité constitutionnel, on reste au traité ordinaire. C'est ça qui est grave. Et c'est ça qui ne prête pas à sourire. L'autorité qu'on doit marquer, elle doit être vis-à-vis de ce qu'est une position responsable devant les Français. Moi je suis dans l'opposition. Il me serait très commode aujourd'hui de brocarder Jean-Pierre Raffarin, il y a matière. Je serais dans une position extrêmement facile de dire aux Français : vous êtes malheureux, vous êtes exaspérés, votez contre le traité mais il se trouve que je suis, certes dans l'opposition, mais qu'avec mon parti j'aspire de nouveau à être aux responsabilités, aux responsabilités de la France, et aux responsabilités de l'Europe. Alors j'ai le devoir, avec tous ceux qui m'entourent, de leur dire : qu'est-ce qui est le mieux pour vous ? Qu'est-ce qui vous protège le plus ? Le traité constitutionnel ou le traité existant ? Le traité constitutionnel !
Q- Le parti socialiste va se remettre de ses divisions François Hollande ?
R- Oui mais l'enjeu n'est pas le parti socialiste. Le parti socialiste il se remettra de tout, parce qu'il sait ce qu'est son unité. Il sait ce qu'est la ligne qui doit être la nôtre, le rassemblement. Mais l'avenir, là, le 29 mai, c'est pas le parti socialiste, c'est l'Europe !
François Hollande, pas si souriant que ça ce matin, était l'invité d'RTL. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 mai 2005)