Texte intégral
RTL : Bonjour M. le Premier ministre. Nous allons parler avec vous ce matin d'une façon globale de la méthode Jospin, à travers une actualité dense, puisqu'il y a eu le blocage de la réforme de Bercy, mais aussi la fiscalité, les retraites, c'est par cela que nous allons commencer, les retraites. Hier, vous avez affirmé votre engagement sur le système de répartition avec un fonds de réserve doté d'au moins 1.000 milliards de francs dans les 20 ans à venir, et pourtant dans le meilleur des cas, le rapport Charpin disait, même si le chômage diminue beaucoup il faudra allonger la durée des cotisations, y compris pour le secteur privé, vous êtes sûr de vos calculs, on pourra éviter ça ?
Lionel Jospin : Les problèmes des déséquilibres des régimes de retraite sont à 20 ans et 40 ans. Et il faut se rapprocher de l'équilibre en 2020 et il faut éviter les déséquilibres entre 2020 et 2040, puisque, on le sait, l'évolution démographique, c'est-à-dire le nombre croissant de personnes âgées, ce qui est une bonne chose, parce que ça veut dire que notre espérance de vie s'allonge, va créer une disproportion, un déséquilibre par rapport aux actifs, c'est à dire à ceux qui cotisent pour les retraites de ceux qui les suivent. Et donc, effectivement, on a le droit de faire un choix de conception de nos systèmes de retraite, et pour ce qui concerne le gouvernement et ce qui concerne ma majorité, nous choisissons de rester dans le système de répartition, parce que c'est celui qui assure l'égalité entre les Français mais on ne peut pas ne pas reconnaître qu'il va y avoir un déséquilibre démographique et qu'il faut apporter des réponses. Alors, ces réponses peuvent être diverses, c'est de celles-ci dont nous allons discuter, avec les partenaires sociaux, mais il est clair, ou le choix sera d'augmenter très fortement les cotisations, ou le risque serait à terme de voir les pensions baisser, ou bien alors, la formule qui nous paraît le mieux maintenir le niveau des salaires d'aujourd'hui et des retraites de demain, c'est effectivement un allongement progressif de la durée de cotisations.
RTL : Y compris pour le privé ?
Lionel Jospin : Non, j'ai dit au contraire que un certain nombre de décisions ayant été prises déjà pour le privé, les déséquilibres de ce régime n'apparaissant qu'à partir de 2010, nous ne pensions pas que cela était nécessaire aujourd'hui.
RTL : Alors le problème numéro 1, c'est évidemment le régime des fonctionnaires, c'est celui qui a les plus grandes difficultés devant lui. Là, vous préconisez, vous proposez l'allongement de durée de cotisations à 40 ans, comme c'est le cas dans le secteur privé maintenant, et puis en revanche, la prise en compte des primes ou d'une partie des primes, ce que demandaient les fonctionnaires, mais en clair ça veut dire que, progressivement, il faudra que leur durée de cotisations aille jusqu'à 40 ans et puis aussi qu'ils payent des cotisations sur ces primes.
Lionel Jospin : Ah ça, on paye toujours des cotisations pour la Sécurité sociale, en l'espèce pour les retraites, sur les revenus qu'on touche, ça c'est normal, sinon on voit pas comment on pourrait faire fonctionner un système de répartition ..
RTL : C'est en plus de leurs cotisations actuelles, bien sûr.
Lionel Jospin : Alors d'abord, et le raisonnement est pour les fonctionnaires le même que pour les autres Français et que pour les autres futurs retraités, avec simplement un fait, c'est que le déséquilibre du régime des fonctionnaires sera plus fort que celui des salariés du privé. Donc, il faut accepter cette donnée et ce que je dis, ce que j'ai déjà dit aux responsables syndicaux que j'ai rencontrés, c'est que nous n'avons pas simplement une responsabilité par rapport aux fonctionnaires d'aujourd'hui, ce qu'on leur impose ou ce qu'on ne leur impose pas, et nous ne proposons pas d'imposer, nous proposons de négocier, de discuter avec leurs représentants. Mais eux et moi, moi en tant que chef du gouvernement, eux en tant que responsables syndicaux, nous avons une responsabilité pour les futures retraites des fonctionnaires et nous savons très bien que si le déséquilibre du régime des fonctionnaires représente 175 milliards par an en 2020, cela ne pourra pas être assumé simplement par le budget de l'Etat qui prendra sa part des déséquilibres, c'est évident, c'est-à-dire par les impôts et par la solidarité de tous les Français. Il faut donc que les fonctionnaires assurent leur future retraite en acceptant de consentir progressivement des évolutions.
RTL : Pourquoi est-ce qu'à côté des retraites par répartition, que vous confirmez donc, pourquoi est-ce que vous n'acceptez pas le principe, à côté je dis bien, en plus, le principe de fonds de pension ? C'est parce que c'est un tabou, une vache sacrée ?
Lionel Jospin : Non, mais il faut, il faut être clair d'abord. Je pense que l'opposition, derrière ses coups de chapeau de principe au système de répartition, est en réalité pour un système de capitalisation, pour un système de fonds de pension, où c'est non plus la solidarité entre les générations, les cotisations des actifs d'aujourd'hui qui assurent les retraites des retraités de demain, enfin ... qui assurent les retraites des retraités d'aujourd'hui, et ceux qui suivront assureront les retraites des futurs retraités, c'est l'épargne individuelle de chacun qui fera la retraite, comme ça existe par exemple aux Etats-Unis, et l'on sait que ce serait une source d'inéquité, d'injustice majeure, c'est-à-dire que ceux qui ont des petits salaires, qui ne peuvent pas épargner, hé bien ne pourraient pas se constituer des droits à la retraite suffisants. Or, l'opposition, la droite, est fondamentalement pour un système de capitalisation. Le complément, on peut l'admettre, y compris dans la Fonction publique, aujourd'hui il y a des systèmes, par exemple le système "pré -fonds" qui représente un certain complément, et nous, nous trouvons normal que les Françaises et les Français décident librement d'épargner en plus de leurs cotisations, pour leur retraite,, et nous poserons d'ailleurs cette question quand nous examinerons les problème dits de l'épargne salariale, de l'épargne à long terme. Mais la position de la droite n'est pas celle-ci et nous aurons ce débat, nous l'aurons pendant que nous allons négocier avec les partenaires sociaux, et nous l'aurons aussi dans les prochains rendez-vous. C'est que elle veut introduire les fonds de pension d'une façon telle, que, en réalité, elle offrira les systèmes de retraite aux compagnies d'assurances, et elle cassera ce système de solidarité que nous avons hérité de la Libération et de ses grandes conceptions sociales.
RTL : En un mot, pourquoi est-ce qu'alors, s'agissant cette fois-ci du fonds de garantie des retraites que vous voulez porter à plus de 1.000 milliards, ce qui est énorme, pourquoi vous n'acceptez pas le principe de transférer des propriétés de l'Etat, des actifs de l'Etat comme on dit, soit en les vendant, soit en les transférant là, après tout, ça appartient aux Français et ça resterait pour les Français.
Lionel Jospin : Les modes de ressources qui sont prévus dans les lois de financement de la Sécurité sociale de 98 et 99, permettent d'alimenter le fonds sur 20 ans, pour le porter en l'an 2020 à plus de 1.000 milliards de francs, c'est une somme quand même considérable, et nous avons amorcé l'abondement comme l'on dit, de ce fonds qui déjà, à la fin de l'année 2000 de cette année, aura 20 milliards de francs. Nous ne sommes pas hostiles, et donc je ne récuse pas le principe de réfléchir à la question de savoir si des actifs d'entreprises publiques pourraient soit gager ce fonds, type là, 1.000 milliards ...
RTL : France Télécom par exemple ...
Lionel Jospin : Soit même l'abonder. Mais je dis deux choses : d'abord on s'enflamme beaucoup parce que il y a une valorisation en Bourse très forte des actifs d'un certain nombre d'entreprises, et particulièrement de France Télécom, c'est positif parce que ça veut dire que les nouvelles technologies se développent en France, c'est positif parce que ça veut dire que ces entreprises publiques sont bien cotées, mais on sait aussi qu'il y a des effets spéculatifs et de spéculation, et on ne peut pas fonder l'alimentation d'un fonds destiné à garantir les retraites entre 2020 et 2040 sur des effets spéculatifs d'aujourd'hui. Je demande qu'on réfléchisse la tête froide et qu'on ne s'emballe pas. La deuxième chose qui est aussi importante, c'est que ces entreprises publiques peuvent mener la bataille de la compétition mondiale, parce qu'elles ont des ressources, parce qu'elles ont des dotations en capital. Et je pense qu'il faut veiller à ce que ces grandes entreprises françaises puissent continuer à mener des stratégies industrielles, et donc cette question nous la traiterons, mais la tête froide, avec attention et sans céder aux emballements du jour.
RTL :Olivier Mazerolle: Alors pour ce qui concerne la retraite des fonctionnaires, Nicole Notat dit :mais bon, la négociation ça n'est pas la garantie de la réussite, et on vient de voir à Bercy par exemple, qu'il suffisait aux syndicats, des syndicats du secteur public, de dire non pour que la négociation échoue. Vous ne vous ligotez pas les mains, comme ça ?
Lionel Jospin : Là, il s'agit quand même de l'intérêt bien compris des fonctionnaires, fonctionnaire de l'Etat, fonctionnaires des collectivités locales, ou agents au sens large des hôpitaux publics, et c'est leur avenir qui est en cause. La génération à laquelle j'appartiens, elle aura pas de problème de retraite, les retraites d'aujourd'hui sont garanties, mais elles ne sont pas garanties, si nous ne prenons pas des mesures, y compris dans la Fonction publique, à 20 ans ou à 30 ans.
RTL : Ils peuvent se dire : l'Etat continuera à payer ...
Lionel Jospin : Non, je crois qu'ils ne peuvent pas le penser, ils ne peuvent pas penser que l'Etat mettra l'équivalent d'un besoin de financement de 170 milliards, les systèmes de retraite de la Fonction publique sont adossés à l'Etat, ils resteront adossés à l'Etat, il n'est pas question de créer une caisse, donc l'Etat, c'est vrai, en prendra sa part, mais les fonctionnaires aussi doivent assurer leur avenir et l'avenir de ceux qui leur succéderont.
RTL : Parlons tout de même de cette réforme de Bercy ...
Lionel Jospin : Oui, non mais je pense donc, et d'ailleurs ils l'ont dit, que ils entreront dans cette discussion et dans cette négociation, parce que c'est l'avenir de leurs mandants qui est en cause.
RTL : Parlons donc de cette réforme de Bercy qui a été stoppée, finalement Alain Juppé avait buté sur les cheminots, le gouvernement bute sur les fonctionnaires du fisc qui, eux aussi, peuvent bloquer le fonctionnement de l'Etat. Est -ce qu'il n'y a pas là un barrage de certaines minorités qui peuvent bloquer le fonctionnement de l'Etat, barrages opposés aux politiques, au pouvoir politique?
Lionel Jospin : Si nous avons retiré ce projet, si les ministres et notamment Christian Sautter a retiré ce projet, c'était que nous ne voulions pas effectivement courir le risque d'un blocage. La question de la paye ou des problèmes de ce genre étaient posés. C'est d'ailleurs une responsabilité quand même assez sérieuse qui est prise dans ces circonstances.
RTL : Donc ça passe pour un recul du gouvernement...
Lionel Jospin : Oui mais je ne vois pas en quoi le fait de persister dans ce projet dans les circonstances où nous étions nous aurait fait avancer. Donc je ne vois pas en quoi c'est un argument. Ce que je pense simplement, c'est que les syndicats de fonctionnaires des impôts ou des finances en général ont dit qu'ils n'avaient pas souhaité cette réforme parce qu'ils avaient des inquiétudes, soit pour l'emploi, soit pour leurs conditions d'exercice de leur métier, soit pour les perceptions en milieu rural, je pense que des réponses étaient à porter à ces interrogations. Mais enfin il y a eu blocage. Ils ont dit qu'ils étaient favorables à une réforme, qu'ils acceptaient que leur métier se transforme et que surtout on serve mieux l'usager, c'est-à-dire le contribuable en France en leur présentant notamment un interlocuteur fiscal unique. Cette démarche de réforme devra être reprise mais je pense qu'elle devra...
RTL : Est-ce que vous ne croyez pas que pour beaucoup on va dire : Lionel Jospin recule dès lors qu'il y a un obstacle qui émane d'une partie de son électorat ?
Lionel Jospin : Ca n'a pas de rapport avec l'électorat. D'abord je ne sais pas ce que c'est que l'électorat, je crois aux citoyens dans la République et je ne fais pas de catégorisation des électorats. C'était simplement un problème de blocage. Nous n'aurions pas avancé, nous n'aurions pas fait passer cette réforme, donc je préfère, et le ministre a apprécié, qu'il était mieux de retirer ce projet et de reprendre cette démarche ultérieurement, mais nous ne pourrons la reprendre qu'avec les syndicats. Ce qui est vrai, ce qui est vrai... c'est que le secteur public en général doit admettre l'idée qu'il ne peut pas s'abstraire de l'évolution générale des choses. Bien sûr, le secteur public doit garantir des statuts. Il est là aussi pour, comment dirais -je, incarner des valeurs, des principes, une certaine stabilité, mais en même temps le monde ne peut pas bouger partout et notamment le secteur privé, et le secteur public ne pas évoluer aussi. Donc il faut, ensemble, que nous trouvions les formes de cette évolution, mais on ne peut pas rester dans la fixité quand tout le monde bouge.
RTL : En ce qui concerne cette réforme, en deux mots qu'est -ce qui n'a pas marché ?
Est-ce que c'était la méthode qui était mauvaise, ou est -ce que c'était les syndicats qui étaient mauvais...
Lionel Jospin : je ne peux pas...
RTL : Il y a forcément quelque chose qui n'a pas marché hein ...
Lionel Jospin : Vous l'avez vu, vous l'avez commenté depuis plusieurs jours, donc je crois que vous avez votre idée sur la question, je pense qu'il faudra reprendre cette démarche de façon négociée ultérieurement, mais pas tout de suite, mais je suis convaincu qu'une réforme de notre organisation fiscale est nécessaire et pourra se faire ultérieurement dans un autre climat, en y associant les partenaires sociaux dès le départ.
RTL : Il y a un principe dont on avait l'impression qu'il était fixé qui était celui de la stabilité des effectifs dans la fonction publique, la stabilité. Est-ce qu'il est remis en cause ce principe ? est-ce qu'il est assoupli ?
RTL : Parce qu'on voit les additions là... + 12.000 ici... + un milliard qui va entraîner...
RTL : et puis la parution de création de postes par exemple...
Lionel Jospin : non non... n'amalgamez pas des fonds et des emplois, ça n'est pas exactement la même chose...
RTL :Dans l'éducation nationale par exemple il va y avoir des créations de postes... tout le monde les demande d'ailleurs hein...
Lionel Jospin : Dans l'éducation nationale, j'ai accepté l'idée qu'une certaine programmation pluriannuelle des besoins et des emplois pourrait être acceptée, donc nous allons y travailler et y réfléchir.
RTL : Globalement, le principe de la stabilité des effectifs fonction publique, il est maintenu ?
Lionel Jospin : C'est un principe global et nous pouvons dans certaines limites, lorsque des besoins existent, lorsque des exigences sont formulées, examiner en quoi on le fait évoluer...
RTL : Ce sera accompagné de diminutions ailleurs ?
Lionel Jospin : On discute de quelques dizaines de milliers de postes.
RTL : Mais ce sera accompagné de diminutions d'effectifs ailleurs ?
Lionel Jospin : Nous reprendrons cette discussion. Les principes sont une très grande chose, ce qui est important aussi c'est de répondre aux problèmes et de faire évoluer les situations quand elles sont bloquées, c'est aussi ça le rôle du gouvernement.
RTL : Après toutes ces nouvelles, des informations circulent selon lesquelles Claude Allègre et Christian Sautter vous auraient présenté leur démission, est-ce exact ?
Lionel Jospin : Je n'ai pas l'intention de discuter de problèmes de l'affectation gouvernementale, comme ça en public... ça se discute avec les ministres... vous verrez bien le moment venu s'il faut prendre des mesures concernant le gouvernement ou pas...
RTL : Compte tenu de ce qui leur est arrivé, cette fois -ci il ne s'agit pas de leur personne simplement, il s'agit de la puissance de travail et de la capacité du gouvernement à gouverner, croyez-vous que Christian Sautter et Claude Allègre ont encore les pouvoirs d'exercer leur missions ?
Lionel Jospin : Je ne vais pas personnaliser, pardonnez-moi... Je pense que depuis trente-trois mois, le gouvernement, ce gouvernement, y compris avec ses ministres ont démontré une certaine puissance de travail et une capacité à faire avancer des dossiers. La situation économique en France aujourd'hui est bonne et ça n'est pas dû qu'à la conjoncture internationale, en tout cas, nous nous avons un taux de croissance supérieur aux autres grands pays européens... Non mais, pardonnez-moi mais je suis obligé aussi de décrire la situation telle qu'elle est. L'investissement est vif, la consommation est forte, le chômage recule, dans le même temps nous avons pris des mesures sociales : la couverture maladie universelle par exemple, nous avons fait des grands projets mobilisateurs : les emplois jeunes, les 35 heures et nous allons poursuivre. Donc le problème n'est pas la question de tel ou tel, ça c'est...
RTL : Les profs vous disent : Claude Allègre on n'en veut plus...
Lionel Jospin : Ecoutez Monsieur Mazerolle...
RTL : il y a un rejet passionnel...
Lionel Jospin : c'est au premier ministre de régler ces problèmes et il ne les règlera pas ce matin à RTL.
RTL : quand on dit : le gouvernement est orphelin de Dominique Strauss Kahn...
Lionel Jospin : écoutez, la presse ne s'est pas battue pour le retenir hein, quand il a été mis en cause...
RTL : Alain Duhamel : Ca fait en tout cas presque trois ans que vous êtes premier ministre, dans deux mois ça fera trois ans... On peut imaginer qu'au bout de trois ans il y a des gens qui sont fatigués, il y a des gens qui s'entendent moins bien, il y a des gens qui saturent, il y a des gens qui ont réglé des problèmes aussi, et à ce moment-là on peut imaginer qu'il faut une seconde étape, donc un second souffle, donc un vrai grand remaniement... Ca ce ne sont pas des questions de personnes hein, ce sont des questions de principes...
Lionel Jospin : Les remaniements c'est comme les dévaluations... il n'y a plus de problèmes de dévaluations maintenant... notre monnaie est solide et elle en plus elle participe d'une monnaie unique.
RTL : Il n'y a pas l'équivalent en politique hein...
Lionel Jospin : C'est ça, ça s'annonce après, c'est ce que je voulais dire. Bien. Alors je crois que le problème ne se pose pas en ces termes, simplement c'est vrai que quand des gouvernements durent un an, voire deux ans, ce qui a été quand même le sort des gouvernements qui m'ont précédé, il y a un certain nombre de types de problèmes, qui n'ont pas l'occasion de se présenter, parce que les gens disparaissent avant d'être confrontés à l'épreuve du temps. Bien. Donc cette équipe gouvernementale, nous allons regarder comment elle poursuit son chemin, mais je crois que si vous regardez les performances économiques, si vous regardez la réalité sociale telle que nous la faisons évoluer, si vous voyez aussi en dehors de ce problème spécifique qui s'est créé sur une réforme dans le service des impôts, aux finances, et les questions je dirais un peu chroniques qui reviennent de façon récurrente de l'enseignement...
RTL : mais puissante...
Lionel Jospin : Puissantes, mais qui reviennent de façon régulière devant les différents gouvernements parce que, enseigner est difficile, que le système éducatif est en tension, le climat social dans le pays est un climat assez calme d'une part, et il y a à nouveau un sentiment de confiance, ceux qui nous regardent considèrent que la France est aujourd'hui un peu la locomotive de l'Europe. Alors n'oublions pas ce chemin. Le gouvernement va garder comme première priorité, le chômage. Il va continuer à agir sur les problèmes de sécurité, de sécurité quotidienne, c'est pour nous une question absolument essentielle. Il s'efforcera de continuer à soutenir le dynamisme de notre économie, mais en montrant qu'on peut quand même faire de la réforme sociale. Il va continuer à réformer la société, nous avons fait la parité, l'égalité entre hommes et femmes, en tout cas au plan politique, et nous allons continuer cette démarche de réformes.
RTL : Quand on regarde les résultats des élections partielles de dimanche dernier et qu'on voit l'évolution des sondages, on peut quand même se poser la question de savoir si le rapport des forces qui vous, vous collectivement, à gauche, vous a été favorable depuis trois ans, n'est pas en train de basculer de l'autre côté...
Lionel Jospin : Alors ça, pour tirer cette leçon des élections partielles, Alain Duhamel...
RTL : Les sondages... j'ai dit : on peut se poser la question... alors votre réponse?
Lionel Jospin : Je ne commente jamais les sondages, donc on peut parler des élections partielles...
RTL : Par exemple.
Lionel Jospin : D'abord je vous ferais remarquer qu'après le premier tour, vous avez considéré que les voix de gauche étaient en bon état, que la majorité plurielle...
RTL : oui oui...
Lionel Jospin : ... n'avait pas reculé... c'est un premier indicateur, c'est une donnée brute...
RTL : Et après le deuxième tour ?
Lionel Jospin : Après le deuxième tour... vous avez connu comme moi Alain Duhamel et Olivier Mazerolle des élections partielles au bout de deux ans ou deux ans et demi de gouvernement et parfois même avant, généralement le gouvernement les perdait toutes. Les gouvernements de gauche, j'en ai connus juste après 81, vous vous rappellerez...
RTL : oui... oui... janvier 82...
Lionel Jospin : Janvier 82, ou gouvernement de droite. Je constate que depuis 1997, les performances de la majorité pluriel aux élections régionales et cantonales, aux élections européennes et même dans les partielles sont bonnes. Nous terminons ces élections partielles avec un nombre de députés à gauche et un nombre de députés à droite qui est resté le même... Nous avons perdu une circonscription que nous n'aurions pas dû perdre. Je ne pense pas qu'il y aurait dû y avoir une élection partielle d'ailleurs dans cette circonscription...
RTL : Dans la Sarthe...
Lionel Jospin : Dans la Sarthe. Je ne pense pas que c'était nécessaire, ou souhaitable, et pour le reste nous avons conquis sur la droite une circonscription que nous n'avions pas gagnée en 1997 ...
RTL : Dans le Pas de Calais...
RTL : Et le candidat... dans le Pas de Calais... Et le candidat, dans les Pyrénées Atlantiques, est venu mourir à 75 voix du candidat de droite, dans une circonscription de droite. Je pense donc que les résultats de ces élections partielles sont correctes.
RTL : Et la cohésion de la majorité plurielle. Quand vous entendez Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l'Intérieur, dire : "Ah, moi j'essaye de faire partager mon point de vue à Lionel Jospin sur la Corse. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il en ait un de point de vue".
Lionel Jospin : Je n'ai pas entendu dire çà, mais je pense que mes rapports avec Jean-Pierre Chevènement sont des rapports simples et directs.
RTL : Vous avez un point de vue sur la Corse ?
Lionel Jospin : J'ai vu comment la majorité plurielle avait accueilli mes annonces d'hier pour l'essentiel et ça me paraît être une bonne chose. Donc, cette majorité, elle tient bien, en tout cas elle n'étale pas quand même les divisions que je constate dans l'opposition, et pas simplement à Paris.
RTL : Et quand Robert Hue vous réclame un "printemps populaire", quand les Verts font part de leurs états d'âme.
Lionel Jospin : Mais c'est la vie çà, Olivier Mazerolle. Si c'était facile de gouverner, ça se saurait. Et donc, je considère qu'au bout de 33 mois, cette majorité plurielle, elle n'a manqué à aucun moment au gouvernement dans les votes importants. Elle traverse les élections de façon satisfaisante et elle a la place...
RTL : Attendez, attendez, vous ne vous dites pas, comme on le faisait dire à un autre dans une autre émission : "Encore deux ans" ?
Lionel Jospin : Non, ce n'est pas mon problème parce que moi, je pars du point de départ et ce que je me dis, c'est que dans deux ans, ce que je souhaite au moment des élections législatives, c'est que la France soit forte économiquement, mais généreuse socialement. Je veux que ce soit une France dans laquelle on vit mieux ensemble, et les problèmes de l'intégration, par exemple, sont des problèmes très importants, les problèmes de la non discrimination. Je veux que ce soit une France qui soit ouverte sur le monde et la modernité, mais qui garde pleinement aussi son identité. Parce que nous sommes une vieille nation et nous ne pouvons vivre que si nous avons une identité forte. Donc, vous formulez bien les choses, moi, ce qui me préoccupe, c'est le parcours de ce gouvernement pendant deux ans et dans quelle situation nous dirons aux Français : "Voilà, nous remettons notre mandat, il y a les élections, voilà ce que nous avons fait, voilà aussi ce que nous avons l'intention de faire si nous voulons aller plus loin".
RTL : Alors, la semaine dernière, vous avez annoncé des mesures fiscales et en gros, d'après les éléments dont on dispose, disons : les catégories populaires ont été satisfaites de vos annonces et les classes moyennes ont été déçues. C'était votre objectif ?
Lionel Jospin :Pas exactement, mais je pense que les choses n'ont peut-être pas été présentées exactement comme elles auraient dû l'être et j'en ai ma part.
RTL : Vous voulez dire par vous, vous voulez dire ?
Lionel Jospin : Oui, exactement. Et j'en ai sans doute ma part. Non, peut-être par les commentaires et peut-être aussi un petit peu par moi. La baisse de la TVA -un point - on l'a présentée comme étant favorable aux classes populaires. Oui, mais enfin, c'est au moins autant aussi favorable aux classes moyennes. Je dirais même, d'une certaine façon, plus parce qu'elles consomment plus. Et donc, c'est cette baisse d'un point de la TVA, qui a suivi des baisses ciblées que nous avions faites, et donc qui ont ramené le taux de TVA -qui avait été augmenté de deux points par M. Juppé - à un taux plus supportable, elle concerne tous ceux qui consomment. Donc, c'est une mesure qui sert aussi toutes les catégories qui consomment et aussi les classes moyennes.
RTL : Mais pas l'impôt sur le revenu.
Lionel Jospin : L'impôt sur le revenu, à cette étape, touche essentiellement les deux tranches les plus basses. Mais lorsque vous baissez les taux sur les deux tranches les plus basses, d'une certaine façon, vous affectez aussi les tranches les plus élevées, puisque le socle, on paye moins. Mais cet effort d'allégement de la fiscalité, nous allons le poursuivre. Nous avons constaté...
RTL : Vous voulez dire, l'année prochaine, ce sera le tour des classes moyennes ?
Lionel Jospin : Attendez, je finis... Non, si vous me faites présenter les choses comme çà, c'est vos catégorisations, ça ne correspond pas, moi, à ce que je ressens et à ce que je veux faire. Je veux dire simplement que nous avons constaté que les prélèvements obligatoires augmentaient mécaniquement parce que la croissance était plus forte, qu'il y avait plus de rentrées fiscales. Nous voulons faire baisser les impôts volontairement. C'est cette démarche que nous avons entreprise dans le collectif budgétaire en baissant la taxe d'habitation, en baissant la TVA et en commençant à baisser l'impôt sur le revenu. Nous allons poursuivre cette démarche d'allégement d'impôt pour ramener les prélèvements obligatoires au niveau où ils étaient en 1995. Je pense que cela concernera l'impôt sur le revenu. Il est trop tôt pour le dire parce qu'il faudra avoir le débat avec la majorité puis ensuite avec le parlement tout entier, mais cette démarche se poursuivra et elle concernera, à mon sens, d'autres catégories de salariés ou d'actifs.
RTL : Alors, d'une façon plus globale, Edouard Balladur disait récemment : "Il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a une compétition fiscale féroce en Europe. La mondialisation oblige à baisser ardemment les prélèvements obligatoires et on ne pourra pas maintenir une exception française aussi bien sur les retraites que sur le poids d'une fonction publique aussi important que cela en France".
Lionel Jospin : Il y a deux dimensions, il y a la dimension européenne et il y a la dimension nationale. Sur la dimension européenne, vous savez que la France, avec d'autres pays, se bat pour une harmonisation fiscale, ou on va dire plus modestement pour une limitation de ce qu'on appelle la concurrence déloyale en matière de fiscalité. On a un espace commercial unique, on a une monnaie unique, on démantèle les monopoles -comme l'on dit - au nom de la concurrence, nous n'avons pas à accepter que certains pays essayent de détourner des entreprises vers eux ou des revenus en pratiquant le dumping fiscal, c'est-à-dire des abaissements fiscaux excessifs. Comme ces abaissements fiscaux excessifs se font généralement sur les capitaux qui bougent, et les capitaux qui bougent, ce n'est pas les salaires. Les salaires, on les garde chez soi, on les dépense chez soi. Ca veut dire que cette compétition tend à abaisser l'impôt sur le capital et à maintenir l'essentiel de l'impôt sur le salaire. Ce n'est pas juste. Donc, il faut lutter contre cette compétition déloyale au plan fiscal, mais il y a un blocage...
RTL : En maintenant l'exception française ?
Lionel Jospin : Non, je vous parle d'une démarche européenne, et il y a actuellement pratiquement 14 pays qui sont d'accord pour cela, ce n'est donc pas une exception française. Il y a plutôt une exception britannique, parce que les Britanniques bloquent à cet égard. Et par ailleurs, je pense qu'il faut alléger la fiscalité en France - c'est la démarche que nous avons amorcée dans le budget 2000. Il y avait déjà 40 milliards de baisse d'impôt dans le budget primitif, nous venons d'en ajouter 40 milliards dans le collectif, et nous poursuivrons cette démarche en 2001 et 2002. Donc, nous allons dans le sens de cette réduction de l'écart dans les fiscalités.
RTL :M. Jospin, vos adversaires -quelquefois certains de vos partenaires - vous reprochent de faire preuve "soit d'autosatisfaction, soit de personnalisation excessive de l'action du gouvernement". Est-ce que ça vous agace, est-ce que ça vous touche ?
Lionel Jospin : Le premier reproche, le deuxième reproche plutôt, n'est absolument pas exact, parce que, ayant la chance de bénéficier dans ce gouvernement de la présence de personnalités fortes, talentueuses, travaillant bien, je crois au contraire que pour l'essentiel, j'ai laissé les ministres exprimer eux-mêmes, défendre eux-mêmes leurs projets. Il peut y avoir tel ou tel moment -peut-être quand c'est plus difficile - où il faut que je montre aussi que je m'engage, que je me mouille, que je prends des risques, que je défends mon gouvernement. Mais je pense que ce deuxième reproche est totalement infondé si vous voyez la pratique depuis 2 ans et demi.
RTL : Et le premier ?
Lionel Jospin : Le premier. Si je ne défends pas mon bilan, si je n'affirme pas mes convictions, si je n'essaye pas de montrer ce qui va et ce qui progresse, qui va le faire ? Ce n'est pas l'opposition, ce n'est pas son rôle. Mais ce n'est pas forcément les médias, ce n'est pas leur vocation. Alors, si je ne peux pas défendre mon bilan sans tomber sous le reproche de l'autosatisfaction, autant, j'allais dire qu'on termine l'émission, mais je crois qu'elle se termine, non ?
RTL : Oui, oui. Mais attendez, il y en a qui disent : "Quand on le pique, il s'énerve facilement. Donc, on va le piquer".
Lionel Jospin : Oui, vous savez, j'ai des années -un peu anciennes maintenant -, Alain Duhamel le sais, de compétition sportive, alors donc, j'ai peut-être un peu de réactivité, mais j'ai l'habitude des chocs et j'ai quelques années de vol dans l'action publique, comme on dit. Donc, je ne crois pas qu'il faille espérer trop de ce ressort.
RTL : Alors, il y en a d'autres qui se disent : "Mais, dans le fond, entre le Président et Lionel Jospin, on voit bien qu'il y a des piques comme çà qui arrivent de temps à autre. Ils sont bloqués parce qu'il va y avoir la présidence européenne française jusqu'au 31 décembre, mais alors à partir du 1er janvier 2001, ça va être la grande explication et on en a pour 15 mois".
Lionel Jospin : Je ne sais pas. Ce n'est pas ma préoccupation. Moi, je ne sais quelle sera l'attitude du Président à cet égard. Je pense que par rapport à d'autres cohabitations, celle-ci est quand même plutôt paisible. Mais moi, ma seule préoccupation jusqu'à 2002, à 2002 inclus, sera gouverner et aller aux élections législatives. Je n'en ai pas d'autre. Je ne sais pas comment faire pour vous en convaincre, mais je n'en ai pas d'autre. Je n'ai aucun autre projet que de gouverner jusqu'à 2002, ensuite de rendre compte au peuple. Ca s'arrête là !
RTL :Merci Monsieur Jospin.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 mars 2000)
Lionel Jospin : Les problèmes des déséquilibres des régimes de retraite sont à 20 ans et 40 ans. Et il faut se rapprocher de l'équilibre en 2020 et il faut éviter les déséquilibres entre 2020 et 2040, puisque, on le sait, l'évolution démographique, c'est-à-dire le nombre croissant de personnes âgées, ce qui est une bonne chose, parce que ça veut dire que notre espérance de vie s'allonge, va créer une disproportion, un déséquilibre par rapport aux actifs, c'est à dire à ceux qui cotisent pour les retraites de ceux qui les suivent. Et donc, effectivement, on a le droit de faire un choix de conception de nos systèmes de retraite, et pour ce qui concerne le gouvernement et ce qui concerne ma majorité, nous choisissons de rester dans le système de répartition, parce que c'est celui qui assure l'égalité entre les Français mais on ne peut pas ne pas reconnaître qu'il va y avoir un déséquilibre démographique et qu'il faut apporter des réponses. Alors, ces réponses peuvent être diverses, c'est de celles-ci dont nous allons discuter, avec les partenaires sociaux, mais il est clair, ou le choix sera d'augmenter très fortement les cotisations, ou le risque serait à terme de voir les pensions baisser, ou bien alors, la formule qui nous paraît le mieux maintenir le niveau des salaires d'aujourd'hui et des retraites de demain, c'est effectivement un allongement progressif de la durée de cotisations.
RTL : Y compris pour le privé ?
Lionel Jospin : Non, j'ai dit au contraire que un certain nombre de décisions ayant été prises déjà pour le privé, les déséquilibres de ce régime n'apparaissant qu'à partir de 2010, nous ne pensions pas que cela était nécessaire aujourd'hui.
RTL : Alors le problème numéro 1, c'est évidemment le régime des fonctionnaires, c'est celui qui a les plus grandes difficultés devant lui. Là, vous préconisez, vous proposez l'allongement de durée de cotisations à 40 ans, comme c'est le cas dans le secteur privé maintenant, et puis en revanche, la prise en compte des primes ou d'une partie des primes, ce que demandaient les fonctionnaires, mais en clair ça veut dire que, progressivement, il faudra que leur durée de cotisations aille jusqu'à 40 ans et puis aussi qu'ils payent des cotisations sur ces primes.
Lionel Jospin : Ah ça, on paye toujours des cotisations pour la Sécurité sociale, en l'espèce pour les retraites, sur les revenus qu'on touche, ça c'est normal, sinon on voit pas comment on pourrait faire fonctionner un système de répartition ..
RTL : C'est en plus de leurs cotisations actuelles, bien sûr.
Lionel Jospin : Alors d'abord, et le raisonnement est pour les fonctionnaires le même que pour les autres Français et que pour les autres futurs retraités, avec simplement un fait, c'est que le déséquilibre du régime des fonctionnaires sera plus fort que celui des salariés du privé. Donc, il faut accepter cette donnée et ce que je dis, ce que j'ai déjà dit aux responsables syndicaux que j'ai rencontrés, c'est que nous n'avons pas simplement une responsabilité par rapport aux fonctionnaires d'aujourd'hui, ce qu'on leur impose ou ce qu'on ne leur impose pas, et nous ne proposons pas d'imposer, nous proposons de négocier, de discuter avec leurs représentants. Mais eux et moi, moi en tant que chef du gouvernement, eux en tant que responsables syndicaux, nous avons une responsabilité pour les futures retraites des fonctionnaires et nous savons très bien que si le déséquilibre du régime des fonctionnaires représente 175 milliards par an en 2020, cela ne pourra pas être assumé simplement par le budget de l'Etat qui prendra sa part des déséquilibres, c'est évident, c'est-à-dire par les impôts et par la solidarité de tous les Français. Il faut donc que les fonctionnaires assurent leur future retraite en acceptant de consentir progressivement des évolutions.
RTL : Pourquoi est-ce qu'à côté des retraites par répartition, que vous confirmez donc, pourquoi est-ce que vous n'acceptez pas le principe, à côté je dis bien, en plus, le principe de fonds de pension ? C'est parce que c'est un tabou, une vache sacrée ?
Lionel Jospin : Non, mais il faut, il faut être clair d'abord. Je pense que l'opposition, derrière ses coups de chapeau de principe au système de répartition, est en réalité pour un système de capitalisation, pour un système de fonds de pension, où c'est non plus la solidarité entre les générations, les cotisations des actifs d'aujourd'hui qui assurent les retraites des retraités de demain, enfin ... qui assurent les retraites des retraités d'aujourd'hui, et ceux qui suivront assureront les retraites des futurs retraités, c'est l'épargne individuelle de chacun qui fera la retraite, comme ça existe par exemple aux Etats-Unis, et l'on sait que ce serait une source d'inéquité, d'injustice majeure, c'est-à-dire que ceux qui ont des petits salaires, qui ne peuvent pas épargner, hé bien ne pourraient pas se constituer des droits à la retraite suffisants. Or, l'opposition, la droite, est fondamentalement pour un système de capitalisation. Le complément, on peut l'admettre, y compris dans la Fonction publique, aujourd'hui il y a des systèmes, par exemple le système "pré -fonds" qui représente un certain complément, et nous, nous trouvons normal que les Françaises et les Français décident librement d'épargner en plus de leurs cotisations, pour leur retraite,, et nous poserons d'ailleurs cette question quand nous examinerons les problème dits de l'épargne salariale, de l'épargne à long terme. Mais la position de la droite n'est pas celle-ci et nous aurons ce débat, nous l'aurons pendant que nous allons négocier avec les partenaires sociaux, et nous l'aurons aussi dans les prochains rendez-vous. C'est que elle veut introduire les fonds de pension d'une façon telle, que, en réalité, elle offrira les systèmes de retraite aux compagnies d'assurances, et elle cassera ce système de solidarité que nous avons hérité de la Libération et de ses grandes conceptions sociales.
RTL : En un mot, pourquoi est-ce qu'alors, s'agissant cette fois-ci du fonds de garantie des retraites que vous voulez porter à plus de 1.000 milliards, ce qui est énorme, pourquoi vous n'acceptez pas le principe de transférer des propriétés de l'Etat, des actifs de l'Etat comme on dit, soit en les vendant, soit en les transférant là, après tout, ça appartient aux Français et ça resterait pour les Français.
Lionel Jospin : Les modes de ressources qui sont prévus dans les lois de financement de la Sécurité sociale de 98 et 99, permettent d'alimenter le fonds sur 20 ans, pour le porter en l'an 2020 à plus de 1.000 milliards de francs, c'est une somme quand même considérable, et nous avons amorcé l'abondement comme l'on dit, de ce fonds qui déjà, à la fin de l'année 2000 de cette année, aura 20 milliards de francs. Nous ne sommes pas hostiles, et donc je ne récuse pas le principe de réfléchir à la question de savoir si des actifs d'entreprises publiques pourraient soit gager ce fonds, type là, 1.000 milliards ...
RTL : France Télécom par exemple ...
Lionel Jospin : Soit même l'abonder. Mais je dis deux choses : d'abord on s'enflamme beaucoup parce que il y a une valorisation en Bourse très forte des actifs d'un certain nombre d'entreprises, et particulièrement de France Télécom, c'est positif parce que ça veut dire que les nouvelles technologies se développent en France, c'est positif parce que ça veut dire que ces entreprises publiques sont bien cotées, mais on sait aussi qu'il y a des effets spéculatifs et de spéculation, et on ne peut pas fonder l'alimentation d'un fonds destiné à garantir les retraites entre 2020 et 2040 sur des effets spéculatifs d'aujourd'hui. Je demande qu'on réfléchisse la tête froide et qu'on ne s'emballe pas. La deuxième chose qui est aussi importante, c'est que ces entreprises publiques peuvent mener la bataille de la compétition mondiale, parce qu'elles ont des ressources, parce qu'elles ont des dotations en capital. Et je pense qu'il faut veiller à ce que ces grandes entreprises françaises puissent continuer à mener des stratégies industrielles, et donc cette question nous la traiterons, mais la tête froide, avec attention et sans céder aux emballements du jour.
RTL :Olivier Mazerolle: Alors pour ce qui concerne la retraite des fonctionnaires, Nicole Notat dit :mais bon, la négociation ça n'est pas la garantie de la réussite, et on vient de voir à Bercy par exemple, qu'il suffisait aux syndicats, des syndicats du secteur public, de dire non pour que la négociation échoue. Vous ne vous ligotez pas les mains, comme ça ?
Lionel Jospin : Là, il s'agit quand même de l'intérêt bien compris des fonctionnaires, fonctionnaire de l'Etat, fonctionnaires des collectivités locales, ou agents au sens large des hôpitaux publics, et c'est leur avenir qui est en cause. La génération à laquelle j'appartiens, elle aura pas de problème de retraite, les retraites d'aujourd'hui sont garanties, mais elles ne sont pas garanties, si nous ne prenons pas des mesures, y compris dans la Fonction publique, à 20 ans ou à 30 ans.
RTL : Ils peuvent se dire : l'Etat continuera à payer ...
Lionel Jospin : Non, je crois qu'ils ne peuvent pas le penser, ils ne peuvent pas penser que l'Etat mettra l'équivalent d'un besoin de financement de 170 milliards, les systèmes de retraite de la Fonction publique sont adossés à l'Etat, ils resteront adossés à l'Etat, il n'est pas question de créer une caisse, donc l'Etat, c'est vrai, en prendra sa part, mais les fonctionnaires aussi doivent assurer leur avenir et l'avenir de ceux qui leur succéderont.
RTL : Parlons tout de même de cette réforme de Bercy ...
Lionel Jospin : Oui, non mais je pense donc, et d'ailleurs ils l'ont dit, que ils entreront dans cette discussion et dans cette négociation, parce que c'est l'avenir de leurs mandants qui est en cause.
RTL : Parlons donc de cette réforme de Bercy qui a été stoppée, finalement Alain Juppé avait buté sur les cheminots, le gouvernement bute sur les fonctionnaires du fisc qui, eux aussi, peuvent bloquer le fonctionnement de l'Etat. Est -ce qu'il n'y a pas là un barrage de certaines minorités qui peuvent bloquer le fonctionnement de l'Etat, barrages opposés aux politiques, au pouvoir politique?
Lionel Jospin : Si nous avons retiré ce projet, si les ministres et notamment Christian Sautter a retiré ce projet, c'était que nous ne voulions pas effectivement courir le risque d'un blocage. La question de la paye ou des problèmes de ce genre étaient posés. C'est d'ailleurs une responsabilité quand même assez sérieuse qui est prise dans ces circonstances.
RTL : Donc ça passe pour un recul du gouvernement...
Lionel Jospin : Oui mais je ne vois pas en quoi le fait de persister dans ce projet dans les circonstances où nous étions nous aurait fait avancer. Donc je ne vois pas en quoi c'est un argument. Ce que je pense simplement, c'est que les syndicats de fonctionnaires des impôts ou des finances en général ont dit qu'ils n'avaient pas souhaité cette réforme parce qu'ils avaient des inquiétudes, soit pour l'emploi, soit pour leurs conditions d'exercice de leur métier, soit pour les perceptions en milieu rural, je pense que des réponses étaient à porter à ces interrogations. Mais enfin il y a eu blocage. Ils ont dit qu'ils étaient favorables à une réforme, qu'ils acceptaient que leur métier se transforme et que surtout on serve mieux l'usager, c'est-à-dire le contribuable en France en leur présentant notamment un interlocuteur fiscal unique. Cette démarche de réforme devra être reprise mais je pense qu'elle devra...
RTL : Est-ce que vous ne croyez pas que pour beaucoup on va dire : Lionel Jospin recule dès lors qu'il y a un obstacle qui émane d'une partie de son électorat ?
Lionel Jospin : Ca n'a pas de rapport avec l'électorat. D'abord je ne sais pas ce que c'est que l'électorat, je crois aux citoyens dans la République et je ne fais pas de catégorisation des électorats. C'était simplement un problème de blocage. Nous n'aurions pas avancé, nous n'aurions pas fait passer cette réforme, donc je préfère, et le ministre a apprécié, qu'il était mieux de retirer ce projet et de reprendre cette démarche ultérieurement, mais nous ne pourrons la reprendre qu'avec les syndicats. Ce qui est vrai, ce qui est vrai... c'est que le secteur public en général doit admettre l'idée qu'il ne peut pas s'abstraire de l'évolution générale des choses. Bien sûr, le secteur public doit garantir des statuts. Il est là aussi pour, comment dirais -je, incarner des valeurs, des principes, une certaine stabilité, mais en même temps le monde ne peut pas bouger partout et notamment le secteur privé, et le secteur public ne pas évoluer aussi. Donc il faut, ensemble, que nous trouvions les formes de cette évolution, mais on ne peut pas rester dans la fixité quand tout le monde bouge.
RTL : En ce qui concerne cette réforme, en deux mots qu'est -ce qui n'a pas marché ?
Est-ce que c'était la méthode qui était mauvaise, ou est -ce que c'était les syndicats qui étaient mauvais...
Lionel Jospin : je ne peux pas...
RTL : Il y a forcément quelque chose qui n'a pas marché hein ...
Lionel Jospin : Vous l'avez vu, vous l'avez commenté depuis plusieurs jours, donc je crois que vous avez votre idée sur la question, je pense qu'il faudra reprendre cette démarche de façon négociée ultérieurement, mais pas tout de suite, mais je suis convaincu qu'une réforme de notre organisation fiscale est nécessaire et pourra se faire ultérieurement dans un autre climat, en y associant les partenaires sociaux dès le départ.
RTL : Il y a un principe dont on avait l'impression qu'il était fixé qui était celui de la stabilité des effectifs dans la fonction publique, la stabilité. Est-ce qu'il est remis en cause ce principe ? est-ce qu'il est assoupli ?
RTL : Parce qu'on voit les additions là... + 12.000 ici... + un milliard qui va entraîner...
RTL : et puis la parution de création de postes par exemple...
Lionel Jospin : non non... n'amalgamez pas des fonds et des emplois, ça n'est pas exactement la même chose...
RTL :Dans l'éducation nationale par exemple il va y avoir des créations de postes... tout le monde les demande d'ailleurs hein...
Lionel Jospin : Dans l'éducation nationale, j'ai accepté l'idée qu'une certaine programmation pluriannuelle des besoins et des emplois pourrait être acceptée, donc nous allons y travailler et y réfléchir.
RTL : Globalement, le principe de la stabilité des effectifs fonction publique, il est maintenu ?
Lionel Jospin : C'est un principe global et nous pouvons dans certaines limites, lorsque des besoins existent, lorsque des exigences sont formulées, examiner en quoi on le fait évoluer...
RTL : Ce sera accompagné de diminutions ailleurs ?
Lionel Jospin : On discute de quelques dizaines de milliers de postes.
RTL : Mais ce sera accompagné de diminutions d'effectifs ailleurs ?
Lionel Jospin : Nous reprendrons cette discussion. Les principes sont une très grande chose, ce qui est important aussi c'est de répondre aux problèmes et de faire évoluer les situations quand elles sont bloquées, c'est aussi ça le rôle du gouvernement.
RTL : Après toutes ces nouvelles, des informations circulent selon lesquelles Claude Allègre et Christian Sautter vous auraient présenté leur démission, est-ce exact ?
Lionel Jospin : Je n'ai pas l'intention de discuter de problèmes de l'affectation gouvernementale, comme ça en public... ça se discute avec les ministres... vous verrez bien le moment venu s'il faut prendre des mesures concernant le gouvernement ou pas...
RTL : Compte tenu de ce qui leur est arrivé, cette fois -ci il ne s'agit pas de leur personne simplement, il s'agit de la puissance de travail et de la capacité du gouvernement à gouverner, croyez-vous que Christian Sautter et Claude Allègre ont encore les pouvoirs d'exercer leur missions ?
Lionel Jospin : Je ne vais pas personnaliser, pardonnez-moi... Je pense que depuis trente-trois mois, le gouvernement, ce gouvernement, y compris avec ses ministres ont démontré une certaine puissance de travail et une capacité à faire avancer des dossiers. La situation économique en France aujourd'hui est bonne et ça n'est pas dû qu'à la conjoncture internationale, en tout cas, nous nous avons un taux de croissance supérieur aux autres grands pays européens... Non mais, pardonnez-moi mais je suis obligé aussi de décrire la situation telle qu'elle est. L'investissement est vif, la consommation est forte, le chômage recule, dans le même temps nous avons pris des mesures sociales : la couverture maladie universelle par exemple, nous avons fait des grands projets mobilisateurs : les emplois jeunes, les 35 heures et nous allons poursuivre. Donc le problème n'est pas la question de tel ou tel, ça c'est...
RTL : Les profs vous disent : Claude Allègre on n'en veut plus...
Lionel Jospin : Ecoutez Monsieur Mazerolle...
RTL : il y a un rejet passionnel...
Lionel Jospin : c'est au premier ministre de régler ces problèmes et il ne les règlera pas ce matin à RTL.
RTL : quand on dit : le gouvernement est orphelin de Dominique Strauss Kahn...
Lionel Jospin : écoutez, la presse ne s'est pas battue pour le retenir hein, quand il a été mis en cause...
RTL : Alain Duhamel : Ca fait en tout cas presque trois ans que vous êtes premier ministre, dans deux mois ça fera trois ans... On peut imaginer qu'au bout de trois ans il y a des gens qui sont fatigués, il y a des gens qui s'entendent moins bien, il y a des gens qui saturent, il y a des gens qui ont réglé des problèmes aussi, et à ce moment-là on peut imaginer qu'il faut une seconde étape, donc un second souffle, donc un vrai grand remaniement... Ca ce ne sont pas des questions de personnes hein, ce sont des questions de principes...
Lionel Jospin : Les remaniements c'est comme les dévaluations... il n'y a plus de problèmes de dévaluations maintenant... notre monnaie est solide et elle en plus elle participe d'une monnaie unique.
RTL : Il n'y a pas l'équivalent en politique hein...
Lionel Jospin : C'est ça, ça s'annonce après, c'est ce que je voulais dire. Bien. Alors je crois que le problème ne se pose pas en ces termes, simplement c'est vrai que quand des gouvernements durent un an, voire deux ans, ce qui a été quand même le sort des gouvernements qui m'ont précédé, il y a un certain nombre de types de problèmes, qui n'ont pas l'occasion de se présenter, parce que les gens disparaissent avant d'être confrontés à l'épreuve du temps. Bien. Donc cette équipe gouvernementale, nous allons regarder comment elle poursuit son chemin, mais je crois que si vous regardez les performances économiques, si vous regardez la réalité sociale telle que nous la faisons évoluer, si vous voyez aussi en dehors de ce problème spécifique qui s'est créé sur une réforme dans le service des impôts, aux finances, et les questions je dirais un peu chroniques qui reviennent de façon récurrente de l'enseignement...
RTL : mais puissante...
Lionel Jospin : Puissantes, mais qui reviennent de façon régulière devant les différents gouvernements parce que, enseigner est difficile, que le système éducatif est en tension, le climat social dans le pays est un climat assez calme d'une part, et il y a à nouveau un sentiment de confiance, ceux qui nous regardent considèrent que la France est aujourd'hui un peu la locomotive de l'Europe. Alors n'oublions pas ce chemin. Le gouvernement va garder comme première priorité, le chômage. Il va continuer à agir sur les problèmes de sécurité, de sécurité quotidienne, c'est pour nous une question absolument essentielle. Il s'efforcera de continuer à soutenir le dynamisme de notre économie, mais en montrant qu'on peut quand même faire de la réforme sociale. Il va continuer à réformer la société, nous avons fait la parité, l'égalité entre hommes et femmes, en tout cas au plan politique, et nous allons continuer cette démarche de réformes.
RTL : Quand on regarde les résultats des élections partielles de dimanche dernier et qu'on voit l'évolution des sondages, on peut quand même se poser la question de savoir si le rapport des forces qui vous, vous collectivement, à gauche, vous a été favorable depuis trois ans, n'est pas en train de basculer de l'autre côté...
Lionel Jospin : Alors ça, pour tirer cette leçon des élections partielles, Alain Duhamel...
RTL : Les sondages... j'ai dit : on peut se poser la question... alors votre réponse?
Lionel Jospin : Je ne commente jamais les sondages, donc on peut parler des élections partielles...
RTL : Par exemple.
Lionel Jospin : D'abord je vous ferais remarquer qu'après le premier tour, vous avez considéré que les voix de gauche étaient en bon état, que la majorité plurielle...
RTL : oui oui...
Lionel Jospin : ... n'avait pas reculé... c'est un premier indicateur, c'est une donnée brute...
RTL : Et après le deuxième tour ?
Lionel Jospin : Après le deuxième tour... vous avez connu comme moi Alain Duhamel et Olivier Mazerolle des élections partielles au bout de deux ans ou deux ans et demi de gouvernement et parfois même avant, généralement le gouvernement les perdait toutes. Les gouvernements de gauche, j'en ai connus juste après 81, vous vous rappellerez...
RTL : oui... oui... janvier 82...
Lionel Jospin : Janvier 82, ou gouvernement de droite. Je constate que depuis 1997, les performances de la majorité pluriel aux élections régionales et cantonales, aux élections européennes et même dans les partielles sont bonnes. Nous terminons ces élections partielles avec un nombre de députés à gauche et un nombre de députés à droite qui est resté le même... Nous avons perdu une circonscription que nous n'aurions pas dû perdre. Je ne pense pas qu'il y aurait dû y avoir une élection partielle d'ailleurs dans cette circonscription...
RTL : Dans la Sarthe...
Lionel Jospin : Dans la Sarthe. Je ne pense pas que c'était nécessaire, ou souhaitable, et pour le reste nous avons conquis sur la droite une circonscription que nous n'avions pas gagnée en 1997 ...
RTL : Dans le Pas de Calais...
RTL : Et le candidat... dans le Pas de Calais... Et le candidat, dans les Pyrénées Atlantiques, est venu mourir à 75 voix du candidat de droite, dans une circonscription de droite. Je pense donc que les résultats de ces élections partielles sont correctes.
RTL : Et la cohésion de la majorité plurielle. Quand vous entendez Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l'Intérieur, dire : "Ah, moi j'essaye de faire partager mon point de vue à Lionel Jospin sur la Corse. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il en ait un de point de vue".
Lionel Jospin : Je n'ai pas entendu dire çà, mais je pense que mes rapports avec Jean-Pierre Chevènement sont des rapports simples et directs.
RTL : Vous avez un point de vue sur la Corse ?
Lionel Jospin : J'ai vu comment la majorité plurielle avait accueilli mes annonces d'hier pour l'essentiel et ça me paraît être une bonne chose. Donc, cette majorité, elle tient bien, en tout cas elle n'étale pas quand même les divisions que je constate dans l'opposition, et pas simplement à Paris.
RTL : Et quand Robert Hue vous réclame un "printemps populaire", quand les Verts font part de leurs états d'âme.
Lionel Jospin : Mais c'est la vie çà, Olivier Mazerolle. Si c'était facile de gouverner, ça se saurait. Et donc, je considère qu'au bout de 33 mois, cette majorité plurielle, elle n'a manqué à aucun moment au gouvernement dans les votes importants. Elle traverse les élections de façon satisfaisante et elle a la place...
RTL : Attendez, attendez, vous ne vous dites pas, comme on le faisait dire à un autre dans une autre émission : "Encore deux ans" ?
Lionel Jospin : Non, ce n'est pas mon problème parce que moi, je pars du point de départ et ce que je me dis, c'est que dans deux ans, ce que je souhaite au moment des élections législatives, c'est que la France soit forte économiquement, mais généreuse socialement. Je veux que ce soit une France dans laquelle on vit mieux ensemble, et les problèmes de l'intégration, par exemple, sont des problèmes très importants, les problèmes de la non discrimination. Je veux que ce soit une France qui soit ouverte sur le monde et la modernité, mais qui garde pleinement aussi son identité. Parce que nous sommes une vieille nation et nous ne pouvons vivre que si nous avons une identité forte. Donc, vous formulez bien les choses, moi, ce qui me préoccupe, c'est le parcours de ce gouvernement pendant deux ans et dans quelle situation nous dirons aux Français : "Voilà, nous remettons notre mandat, il y a les élections, voilà ce que nous avons fait, voilà aussi ce que nous avons l'intention de faire si nous voulons aller plus loin".
RTL : Alors, la semaine dernière, vous avez annoncé des mesures fiscales et en gros, d'après les éléments dont on dispose, disons : les catégories populaires ont été satisfaites de vos annonces et les classes moyennes ont été déçues. C'était votre objectif ?
Lionel Jospin :Pas exactement, mais je pense que les choses n'ont peut-être pas été présentées exactement comme elles auraient dû l'être et j'en ai ma part.
RTL : Vous voulez dire par vous, vous voulez dire ?
Lionel Jospin : Oui, exactement. Et j'en ai sans doute ma part. Non, peut-être par les commentaires et peut-être aussi un petit peu par moi. La baisse de la TVA -un point - on l'a présentée comme étant favorable aux classes populaires. Oui, mais enfin, c'est au moins autant aussi favorable aux classes moyennes. Je dirais même, d'une certaine façon, plus parce qu'elles consomment plus. Et donc, c'est cette baisse d'un point de la TVA, qui a suivi des baisses ciblées que nous avions faites, et donc qui ont ramené le taux de TVA -qui avait été augmenté de deux points par M. Juppé - à un taux plus supportable, elle concerne tous ceux qui consomment. Donc, c'est une mesure qui sert aussi toutes les catégories qui consomment et aussi les classes moyennes.
RTL : Mais pas l'impôt sur le revenu.
Lionel Jospin : L'impôt sur le revenu, à cette étape, touche essentiellement les deux tranches les plus basses. Mais lorsque vous baissez les taux sur les deux tranches les plus basses, d'une certaine façon, vous affectez aussi les tranches les plus élevées, puisque le socle, on paye moins. Mais cet effort d'allégement de la fiscalité, nous allons le poursuivre. Nous avons constaté...
RTL : Vous voulez dire, l'année prochaine, ce sera le tour des classes moyennes ?
Lionel Jospin : Attendez, je finis... Non, si vous me faites présenter les choses comme çà, c'est vos catégorisations, ça ne correspond pas, moi, à ce que je ressens et à ce que je veux faire. Je veux dire simplement que nous avons constaté que les prélèvements obligatoires augmentaient mécaniquement parce que la croissance était plus forte, qu'il y avait plus de rentrées fiscales. Nous voulons faire baisser les impôts volontairement. C'est cette démarche que nous avons entreprise dans le collectif budgétaire en baissant la taxe d'habitation, en baissant la TVA et en commençant à baisser l'impôt sur le revenu. Nous allons poursuivre cette démarche d'allégement d'impôt pour ramener les prélèvements obligatoires au niveau où ils étaient en 1995. Je pense que cela concernera l'impôt sur le revenu. Il est trop tôt pour le dire parce qu'il faudra avoir le débat avec la majorité puis ensuite avec le parlement tout entier, mais cette démarche se poursuivra et elle concernera, à mon sens, d'autres catégories de salariés ou d'actifs.
RTL : Alors, d'une façon plus globale, Edouard Balladur disait récemment : "Il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a une compétition fiscale féroce en Europe. La mondialisation oblige à baisser ardemment les prélèvements obligatoires et on ne pourra pas maintenir une exception française aussi bien sur les retraites que sur le poids d'une fonction publique aussi important que cela en France".
Lionel Jospin : Il y a deux dimensions, il y a la dimension européenne et il y a la dimension nationale. Sur la dimension européenne, vous savez que la France, avec d'autres pays, se bat pour une harmonisation fiscale, ou on va dire plus modestement pour une limitation de ce qu'on appelle la concurrence déloyale en matière de fiscalité. On a un espace commercial unique, on a une monnaie unique, on démantèle les monopoles -comme l'on dit - au nom de la concurrence, nous n'avons pas à accepter que certains pays essayent de détourner des entreprises vers eux ou des revenus en pratiquant le dumping fiscal, c'est-à-dire des abaissements fiscaux excessifs. Comme ces abaissements fiscaux excessifs se font généralement sur les capitaux qui bougent, et les capitaux qui bougent, ce n'est pas les salaires. Les salaires, on les garde chez soi, on les dépense chez soi. Ca veut dire que cette compétition tend à abaisser l'impôt sur le capital et à maintenir l'essentiel de l'impôt sur le salaire. Ce n'est pas juste. Donc, il faut lutter contre cette compétition déloyale au plan fiscal, mais il y a un blocage...
RTL : En maintenant l'exception française ?
Lionel Jospin : Non, je vous parle d'une démarche européenne, et il y a actuellement pratiquement 14 pays qui sont d'accord pour cela, ce n'est donc pas une exception française. Il y a plutôt une exception britannique, parce que les Britanniques bloquent à cet égard. Et par ailleurs, je pense qu'il faut alléger la fiscalité en France - c'est la démarche que nous avons amorcée dans le budget 2000. Il y avait déjà 40 milliards de baisse d'impôt dans le budget primitif, nous venons d'en ajouter 40 milliards dans le collectif, et nous poursuivrons cette démarche en 2001 et 2002. Donc, nous allons dans le sens de cette réduction de l'écart dans les fiscalités.
RTL :M. Jospin, vos adversaires -quelquefois certains de vos partenaires - vous reprochent de faire preuve "soit d'autosatisfaction, soit de personnalisation excessive de l'action du gouvernement". Est-ce que ça vous agace, est-ce que ça vous touche ?
Lionel Jospin : Le premier reproche, le deuxième reproche plutôt, n'est absolument pas exact, parce que, ayant la chance de bénéficier dans ce gouvernement de la présence de personnalités fortes, talentueuses, travaillant bien, je crois au contraire que pour l'essentiel, j'ai laissé les ministres exprimer eux-mêmes, défendre eux-mêmes leurs projets. Il peut y avoir tel ou tel moment -peut-être quand c'est plus difficile - où il faut que je montre aussi que je m'engage, que je me mouille, que je prends des risques, que je défends mon gouvernement. Mais je pense que ce deuxième reproche est totalement infondé si vous voyez la pratique depuis 2 ans et demi.
RTL : Et le premier ?
Lionel Jospin : Le premier. Si je ne défends pas mon bilan, si je n'affirme pas mes convictions, si je n'essaye pas de montrer ce qui va et ce qui progresse, qui va le faire ? Ce n'est pas l'opposition, ce n'est pas son rôle. Mais ce n'est pas forcément les médias, ce n'est pas leur vocation. Alors, si je ne peux pas défendre mon bilan sans tomber sous le reproche de l'autosatisfaction, autant, j'allais dire qu'on termine l'émission, mais je crois qu'elle se termine, non ?
RTL : Oui, oui. Mais attendez, il y en a qui disent : "Quand on le pique, il s'énerve facilement. Donc, on va le piquer".
Lionel Jospin : Oui, vous savez, j'ai des années -un peu anciennes maintenant -, Alain Duhamel le sais, de compétition sportive, alors donc, j'ai peut-être un peu de réactivité, mais j'ai l'habitude des chocs et j'ai quelques années de vol dans l'action publique, comme on dit. Donc, je ne crois pas qu'il faille espérer trop de ce ressort.
RTL : Alors, il y en a d'autres qui se disent : "Mais, dans le fond, entre le Président et Lionel Jospin, on voit bien qu'il y a des piques comme çà qui arrivent de temps à autre. Ils sont bloqués parce qu'il va y avoir la présidence européenne française jusqu'au 31 décembre, mais alors à partir du 1er janvier 2001, ça va être la grande explication et on en a pour 15 mois".
Lionel Jospin : Je ne sais pas. Ce n'est pas ma préoccupation. Moi, je ne sais quelle sera l'attitude du Président à cet égard. Je pense que par rapport à d'autres cohabitations, celle-ci est quand même plutôt paisible. Mais moi, ma seule préoccupation jusqu'à 2002, à 2002 inclus, sera gouverner et aller aux élections législatives. Je n'en ai pas d'autre. Je ne sais pas comment faire pour vous en convaincre, mais je n'en ai pas d'autre. Je n'ai aucun autre projet que de gouverner jusqu'à 2002, ensuite de rendre compte au peuple. Ca s'arrête là !
RTL :Merci Monsieur Jospin.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 mars 2000)