Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'état des négociations pour la réforme des institutions communautaires, notamment la composition de la Commission européenne et l'extension de la majorité qualifiée.

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Texte intégral

Je vous remercie de votre présence à ce point de presse régulier consacré au déroulement de la Présidence française.
L'événement majeur, depuis notre dernière rencontre, c'est, bien sûr, la réunion informelle du Conseil européen à Biarritz, les 13 et 14 octobre dernier.
Je crois que tout a été dit sur les résultats de cette réunion, tant par le président de la République et le Premier ministre, Hubert Védrine ou moi-même lors des points de presse organisés sur place, que par le gouvernement au cours de la semaine dernière, notamment à l'Assemblée nationale, lors de la séance des questions de mercredi. Je ne reviendrai donc pas aujourd'hui au fond et en détail sur les questions qui ont été évoquées à Biarritz. Mais ce que je veux dire, c'est que je ne partage pas tout à fait les points de vue qui ont été exprimés, et qui laisseraient penser que Biarritz a été le champ d'affrontement entre ceux que l'on appelle les "grands" et les "petits" pays, d'ailleurs de façon impropre puisque cette opposition ne recouvre que des différences de population.
Ce qui est sûr, c'est qu'il y a aujourd'hui, dans la CIG et, plus largement, dans l'Union, face à un élargissement qui verra, à plus ou moins brève échéance, le nombre actuel des Etats membres être multiplié par deux, une vraie difficulté qui est de résoudre la question suivante : comment prendre en compte l'intérêt général communautaire, difficulté qui se focalise notamment - mais pas seulement - sur la question de la taille de la Commission.
Vous connaissez la position de la délégation française sur ce sujet : nous sommes convaincus que la formule d'un Commissaire ou plus par Etat membre, qui pouvait être efficace et peut-être même légitime dans une Union à 6, 12 ou 15, peut être une réelle source d'affaiblissement de la dynamique communautaire dans une Union élargie à 25, 30, voire davantage de membres.
Et je crois qu'à l'heure où chacun s'interroge sur l'avenir de cette Union, à l'heure où l'on entend tel ou tel plaidoyer en faveur d'une évolution plus intergouvernementale de l'Union, je veux ici rappeler que certes, il existe des secteurs d'activités nécessairement organisés sur le plan intergouvernemental - par exemple la PESC - mais que, pour autant, nous demeurons aussi fermement attachés à la méthode communautaire qui a fait ses preuves et qui, surtout - ne l'oublions pas - a constitué un extraordinaire instrument de valorisation des Etats membres, à commencer, naturellement, par les pays dits plus "petits".
Voilà donc l'esprit dans lequel le président de la République et le Premier ministre se sont exprimés à Biarritz, en rappelant cette évidence de la construction européenne que les Commissaires ne sont pas les représentants des Etats membres qui les ont nommés, mais qu'ils sont là au contraire pour être indépendants des Etats, pour représenter et pour porter l'intérêt général communautaire, dans des conditions souvent difficiles.
La Présidence française, en ce qui la concerne, tiendra naturellement compte des positions exprimées par un certain nombre d'Etats membres sur cette question - on peut même dire que la formule d'un Commissaire par Etat membre constitue aujourd'hui une tendance majoritaire - mais nous continuerons, jusqu'à Nice, à plaider en faveur de l'intérêt général. Nous avons en effet la conviction que notre intérêt à tous, c'est bien d'avoir une Commission efficace, et qu'on ne se trompe donc pas sur les intentions de la France à cet égard : notre volonté n'est pas d'affaiblir le rôle de la Commission mais de le rehausser. Le reste est petite polémique.
Encore une fois, les réformes qui sont au cur de la Conférence intergouvernementale sont indispensables. Si nous ne les faisons pas, ou si nous nous contentons d'un accord a minima, en renvoyant à plus tard, une fois encore, les nécessaires réformes de fond, à une sorte de "grand soir" institutionnel qui ne viendra jamais, nous allons - c'est une certitude - à l'échec.
Avec un risque pour le processus d'élargissement, d'abord. La France a toujours fait preuve, sur ce sujet de l'élargissement, de la plus grande clarté : une absence d'accord à Nice signifierait un recul, totalement regrettable, des perspectives de l'élargissement, sauf naturellement à obtenir un accord en 2001 : mais, franchement, peut-on imaginer que la négociation serait plus simple à résoudre dans six mois ou dans un an ? Je n'en suis pas sûr du tout.
Pour nous, un échec n'est donc pas une hypothèse intellectuelle dans laquelle nous entendons nous placer, tout simplement parce que nous voulons le succès de l'élargissement, et vous le savez, la Présidence française fait par ailleurs de gros efforts pour faire avancer les négociations d'élargissement, car, je l'ai déjà dit, je le répète, l'élargissement, c'est-à-dire la réunification du continent européen est, pour nous, d'une part, un devoir historique à l'égard des peuples du centre et de l'est de l'Europe, et, d'autre part, la promesse de nouveaux horizons pour tous les Européens.
Je profite de l'occasion pour vous rappeler que se tiendra, à Sochaux, le 23 novembre prochain, une réunion ministérielle de la Conférence européenne, prélude à une réunion au Sommet de la Conférence, à Nice, où se retrouveront les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze et des 13 pays candidats, le 7 décembre, avant le Conseil européen. En réunissant par deux fois cette Conférence, la Présidence française a voulu intensifier le dialogue avec les candidats, d'autant que nous sommes bien conscients de l'importance que ces pays attachent à la négociation en cours sur la réforme des Institutions. Donc, il faut non seulement les informer mais aussi les associer. C'est notre but.
En effet, un échec de cette réforme serait durement ressenti par ces pays, mais aussi par les opinions publiques européennes : il est vrai que tous ces sujets sont très complexes et qu'ils ne sont pas perceptibles par l'opinion. Mais en même temps, il ne faut pas sous-estimer les attentes en ce qui concerne l'issue de la CIG qui est en cours. Quel crédit nos concitoyens pourraient-ils accorder à une Union qui prétend aller vers plus d'intégration politique, qui a maintenant sa monnaie, mais qui serait incapable de faire fonctionner durablement ses institutions ? Quelle confiance pourraient-ils faire à des institutions incapables de se réformer pour préparer l'avenir, leur propre avenir, dans une Union élargie ?
Je suis, en effet, pour ma part, très sensible au fait que, sans toujours suivre les méandres de la négociation - tant mieux d'ailleurs -, les opinions publiques européennes, et notamment l'opinion française que je connais bien, mesurent parfaitement les enjeux politiques de la CIG et, surtout, ses implications, si nous ne parvenons à un succès. Comme l'a dit d'ailleurs le Premier ministre à l'Assemblée nationale, - c'est une formule que je trouve heureuse et donc que je reprends -, s'il n'y a pas d'accord à Nice, c'est un échec, mais s'il n'y a pas un bon accord, ce n'est pas un succès. Nous devons être dans cette logique.
Deuxième point que je souhaitais évoquer : vous savez que nous travaillons beaucoup à ce que ce semestre soit l'occasion d'aller à la rencontre des préoccupations concrètes de nos concitoyens européens et français. Tout cet effort participe, selon moi, d'un effort indispensable pour redonner confiance dans cette Europe, pour montrer que celle-ci est directement présente dans nos vies quotidiennes.
Là encore, je ne reviens pas sur les aspects que nous avons souhaité approfondir à l'occasion de cette Présidence, et sur lesquels nous avons bien progressé, notamment depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, il y a trois semaines. Permettez-moi de prendre quelques exemples un peu emblématiques :
- sur la sécurité alimentaire : vous connaissez les efforts que nous avons faits pour rétablir la confiance dans la chaîne alimentaire, en faisant entrer en vigueur, dès septembre, le règlement sur un système d'identification et d'enregistrement des bovins, et mettant en place l'étiquetage de la viande bovine. Reste que nous attendons que le Parlement européen donne son avis sur la proposition de création d'une autorité européenne de la sécurité alimentaire, qui reste notre objectif.
- sur la sécurité des transports maritimes, les ministres des Transports ont adopté, le 2 octobre, un ensemble de mesures sous la forme d'une position commune (transmise au Parlement européen dans le cadre de la co-décision), concernant l'élimination des pétroliers à simple coque d'ici à 2015, délai, d'ailleurs, que le Premier ministre a souhaité, lors du Conseil européen de Biarritz, voir ramené à 2010.
Il convient aussi de signaler l'adoption, par les ministres des Transports, d'une directive concernant les installations nécessaires, dans chaque port, au traitement des déchets d'exploitation et des résidus de cargaison.
- sur la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment d'argent, je veux souligner l'accord du Conseil des ministres de l'Economie et des Finances, le 29 septembre dernier, sur le projet de directive sur le blanchiment des capitaux, mais aussi l'accord des ministres chargés de la Justice et des Affaires intérieures, le 28 septembre dernier, sur la compétence d'Europol au blanchiment d'argent, et, enfin, le débat d'orientation lors du Conseil conjoint des ministres de l'Economie et des Finances, d'une part, de la Justice et des Affaires intérieures, d'autre part, le 17 octobre dernier, sur les moyens de renforcer l'efficacité de la lutte contre la délinquance financière ;
- plus largement, en ce qui concerne les questions financières et fiscales, je signale aussi que les travaux concernant la fiscalité de l'épargne, suite aux engagements pris lors du Conseil européen de Feira, progressent plutôt bien ;
- sur la mise en oeuvre de l'Espace européen de liberté, de sécurité et de justice, je veux attirer votre attention sur les résultats que nous avons enregistrés au cours des dernières semaines, puisque le Conseil JAI du 28 septembre a permis un accord politique sur le Fonds européen pour les réfugiés, mais aussi sur l'extension des compétences d'EUROPOL à la lutte contre le blanchiment.
De même, dans le domaine de la Justice, je veux signaler que les travaux sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaire en matière civile et pénale sont en bonne voie, et qu'un accord a été trouvé sur la mise en place opérationnelle du réseau judiciaire EUROJUST, destiné à faciliter la coopération entre magistrats des Etats membres ;
- un mot, enfin, pour vous rappeler que lors du dernier Conseil Emploi-Social, le 17 octobre, sous la présidence de Martine Aubry, dont c'était la dernière manifestation officielle, les Quinze sont notamment parvenus à un accord sur la directive relative aux discriminations dans l'emploi, mais aussi, pour la première fois au plan européen, sur des objectifs communs en matière de lutte contre l'exclusion. Et, comme vous le savez, les choses avancent aussi - pas facilement je crois - sur l'Agenda social, qui est une grande priorité de notre Présidence.
Voilà le compte rendu que je voulais faire des événements qui se sont déroulés depuis notre dernière rencontre. Pour le résumer, sur la CIG, nous demeurons très vigilants sur la façon de faire respecter l'intérêt communautaire, ce qui est aussi dans l'intérêt de l'élargissement. Pour le reste, je crois que dans les priorités économiques, sociales, sociétales, citoyennes, la Présidence française fait son chemin et le fait bien.
***
Q - Sur la CIG et le passage à la majorité qualifiée, on a eu l'impression à Biarritz, sur les dossiers essentiels que c'était la France qui bloquait le passage à la majorité qualifiée. Que fait la France, non pas en tant que Présidente de l'Union, mais en tant que pays membre, pour débloquer la situation ?
Avez-vous l'impression que les Français en général sont bien informés sur la Présidence qu'exerce la France ? Je fais allusion notamment à l'intervention du Premier ministre à la télévision où il a parlé pendant 45 minutes et n'a nullement mentionné l'Europe.
R - D'abord, je crois que le mot a été mentionné. Vous savez quand on fait une intervention à la télévision, on répond aux questions que les journalistes vous posent, pour l'essentiel. Mais, je voudrais signaler que le Premier ministre avait donné son accord pour qu'à l'Assemblée nationale soit organisée une séance de questions d'actualité exclusivement consacrée à la Présidence française de l'Union européenne. Je regrette d'ailleurs que l'opposition n'ait pas exactement joué le jeu, en posant toute une série de questions polémiques. Mais cela a été l'occasion pour le Premier ministre de répondre personnellement pendant près d'1/4 d'heure à la Représentation nationale et de présenter les résultats du Conseil européen de Biarritz. Ce qui n'a pas été le cas, me semble-t-il, dans tous les pays membres de l'Union européenne. Je ne pense pas qu'il y a eu un compte rendu parlementaire et télévisé systématique des travaux de Biarritz. Mais une telle séance était bien naturelle, puisque nous avons la Présidence.
Sur le premier point, vous me donnez l'occasion de combattre cette idée convenue que ce serait la France qui serait un obstacle au vote à la majorité qualifiée. A ma connaissance, la délégation française, dont je crois bien connaître les positions, est une de celles qui a le moins d'exceptions à faire valoir en matière de vote à la majorité qualifiée. Nous sommes allants, par exemple sur les questions de protection sociale, ce qui n'est pas le cas forcément de toutes les délégations. En ce qui concerne la fiscalité, nous voulons travailler sur la base du papier de la Commission, ce qui n'est pas non plus forcément le cas de toutes les délégations.
Nous avons fait valoir deux problèmes, et deux seulement, qui sont des problèmes effectivement importants pour nous mais qui ne constituent pas un blocage sur les principaux sujets : le premier problème concerne la politique commerciale extérieure, en matière de services. Nous estimons effectivement - c'est une position que, je crois, l'on peut comprendre en Allemagne - que l'Europe a une identité culturelle à affirmer, une identité culturelle à défendre. Cela passe par le fait que ces négociations commerciales extérieures en matière de services, et notamment de services culturels audiovisuels, doivent continuer d'être régies par l'unanimité. J'ai le souvenir des conditions dans lesquelles nous avons défini, à Luxembourg, notre mandat en vue des négociations de l'OMC à Seattle. Je crois qu'il est assez heureux qu'il y ait eu certains garde-fous pour défendre l'identité culturelle.
La deuxième réserve que nous avons fait valoir, et que, je crois, d'ailleurs partage le gouvernement allemand, concerne les visas, l'asile et l'immigration. Le Traité d'Amsterdam a prévu que nous déciderions à l'unanimité du passage à la majorité qualifiée dans cette matière, cinq ans après la ratification du Traité d'Amsterdam, c'est-à-dire en 2004. Nous pensons que, pour des raisons strictement politiques, parlementaires et constitutionnelles, il nous est très difficile d'anticiper - d'ailleurs, ce serait d'un an, au maximum ! - sur cette disposition dans le Traité de Nice, simplement parce qu'il n'y a pas de majorité parlementaire en France pour le faire. Je rappelle tout de même qu'un bon traité est un traité que l'on ratifie. Mais, nous avons fort peu d'exceptions, comme vous le voyez. La deuxième, d'ailleurs, n'est pas un blocage puisque, de toutes façons, un mécanisme de passage à la majorité qualifiée est prévu en 2004. Donc, on voit que la France est très allante sur le passage à la majorité qualifiée et nous pensons effectivement que c'est une question centrale pour la réussite de la CIG. Un des acquis de Biarritz a d'ailleurs été de constater que la plupart des délégations en avait conscience.
Q - Vous avez dit qu'il y avait une tendance pour que l'on conserve un commissaire par Etat membre, tendance majoritaire au sein de l'Union européenne. Y a-t-il aussi une tendance majoritaire pour que le nombre des commissaires soit plafonné ?
R - Je comprends mal votre question, puisque l'alternative, c'est le plafonnement ou bien un commissaire par Etat membre...
Q - Peut-il y avoir un commissaire par Etat membre jusqu'à un certain nombre d'Etats membres ? Est-ce une formule envisagée ?
R - Non. Quand j'ai dit qu'il y avait une tendance, je faisais un constat. C'est vrai qu'aujourd'hui, si on mettait les positions à plat, et non pas d'un point de vue dynamique, il y aurait plus d'Etats membres qui souhaitent un commissaire par Etat membre que d'autres qui souhaitent un plafonnement avec rotation égalitaire. Cela dit, ce que j'observe, à écouter les réactions des chancelleries ou de la presse étrangère, c'est que l'échange, dont on a parlé, entre ceux que l'on appelé les "petits" et ceux que l'on a appelé les "grands", n'a pas été inutile et a contribué un peu à faire bouger les positions. En effet, dans un certain nombre de capitales européennes, on commence à dire maintenant que l'argument sur la rotation égalitaire est intellectuellement et politiquement fort, qu'il faudra bien que, dans une Union élargie, on ait une Commission plus rationnellement organisée, et donc plafonnée. Ce qui se dégage effectivement pourrait être une démarche en deux temps. Cela fait partie des réactions que nous enregistrons. Car, encore une fois, le rôle de la Présidence est de défendre l'intérêt général, de tenir compte des réactions des autres et d'essayer de dégager le meilleur compromis possible. Mais c'est vrai que là, il y a une petite piste qui se dessine, dont je ne dis pas qu'elle devient la nôtre - nous restons fermement convaincus que la solution est une Commission plafonnée avec une rotation égalitaire. Mais nous enregistrons les mouvements, qui sont nets, pas partout, mais dans plusieurs endroits significatifs.
Je précise d'ailleurs qu'à la demande du président de la République et du Premier ministre, j'envisage de me rendre dans un certain nombre de capitales européennes, avant la tournée du Président, pour débattre avec les Premiers ministres et les ministres des Affaires étrangères. Je commence ce soir à Bruxelles où je verrai M. Verhofstadt.
Q - Quels autres pays ?
R - Ceux que je pourrais, car il y a des contraintes de temps et d'agenda mutuelles. Le maximum. Si je pouvais voir tous ceux que l'on appelle les "petits", je serai très heureux, mais je crains que le calendrier de la Présidence ne le permette pas, car les jours où je suis libre, ils ne le sont pas forcément, etc.
Q - Et l'Autriche ?
R - Je me suis déjà exprimé, je crois, sur mon désir d'aller en Autriche... Pas dans l'immédiat. Mais je compte aller au moins dans les pays du Bénélux, les pays scandinaves, le Portugal, et si possible, la Grèce. Sur l'Autriche, je me suis déjà exprimé. Je veux dire par là que les Autrichiens peuvent trouver des interlocuteurs plus à leur goût que moi.
Q - Y a-t-il du nouveau sur la réunion euro-méditerranéenne de Marseille ?
R - Pas spécialement.
Q - Rien ?
R - Elle aura lieu.
Q - Malgré toutes les crises ?
R - Elle aura lieu à un niveau ministériel, bien sûr. Pour le reste, nous suivons l'évolution au jour le jour de la situation au Proche-Orient.
Q - Mais c'est, de toutes façons, exclu au niveau des chefs d'Etat ?
R - Rien n'est exclu dans cette région du monde. Tout est compliqué.
Q - De quelles façons les pays candidats sont-ils informés ou impliqués dans cette réforme des institutions ? On leur signale juste ce qui se passe ou ont-ils leur mot à dire ?
R - C'est une réforme qui est déjà suffisamment difficile à 15 pour qu'on n'envisage pas de la résoudre à 28, alors qu'il n'y a pas 28 membres dans l'Union européenne. Donc, il faut qu'il y ait une information, une association, une consultation mais les pays candidats ne sont pas dans la négociation. En même temps, la Présidence française a le souci que cette consultation, cette association soient extrêmement fortes. C'est justement pour cela que nous organisons les deux réunions de la Conférence européenne que je mentionnais. La première se tient à Sochaux le 23 novembre. A l'ordre du jour de cette réunion, il y a trois choses : le matin, une réunion de travail consacrée précisément à la réforme des institutions européennes ; le déjeuner sera consacré à une discussion libre sur l'avenir de l'Europe et l'après-midi, nous aurons une manifestation publique, en présence de Jacques Delors, Bronislaw Geremek, Rudolf von Thadden et des ministres des Etats membres et des pays candidats, qui doit également traiter de l'avenir de l'Union. Nous voulons donc parler avec les pays candidats, à la fois de la réforme institutionnelle et de l'avenir de l'Europe. Il y aura ensuite, le 7 décembre à Nice, une réunion au sommet de la Conférence européenne. Donc, il faut faire justice à la Présidence française qui est celle, depuis longtemps, qui aura eu le souci le plus important d'associer les pays candidats à la définition de l'Europe que nous voulons bâtir ensemble. Donc, c'est une dimension très importante.
Q - Sur le Moyen-Orient, quelles sont les possibilités pour la Présidence d'agir ? Que comptez-vous faire ?
R - Nous continuons à jouer le rôle qui est le nôtre, c'est-à-dire celui d'une puissance diplomatique qui s'exprime, qui veut jouer un rôle de facilitateur de la paix et qui est disponible. C'est dans cet esprit-là qu'au Conseil européen de Biarritz, nous avons lancé un appel aux parties, qui a été entendu parmi d'autres. C'est aussi dans cet esprit-là que M. Solana s'est rendu à Charm el-Cheikh. Nous continuons à travailler dans le même esprit.
Q - Avant la tenue du sommet arabe au Caire, vous aviez appelé quelques pays arabes à la modération. Il y a eu le sommet et des décisions ont été publiées. Quel est votre sentiment vis-à-vis de ces décisions, et notamment à propos de deux points : l'appel au Conseil de sécurité des Nations unies à créer une Cour pénale ; la demande de protection des populations palestiniennes.
R - Je n'ai pas de commentaires particuliers à faire à cette heure. L'absence de commentaires ne signifiant pas un commentaire.
Q - En parlant des pays dits "petits", on a le sentiment à Lisbonne et au Portugal qu'aussi bien la France que l'Allemagne cherchent à minimiser le rôle d'intervention des pays du Sud, parmi lesquels se trouve le Portugal, jusqu'à remettre en cause la rotativité de la Présidence. Quel est votre sentiment ?
R - Ce sentiment n'est pas le mien, même s'il peut y avoir des malentendus ! Je vais prendre un exemple. Quand nous proposons une Commission avec rotation égalitaire, personne ne peut dire que c'est une disposition qui avantage les "grands" par rapport aux "petits". Si nous disions : nous, les "grands", nous avons toujours un commissaire pendant que les autres en ont zéro de temps à autre, là ce serait une mesure inégalitaire. Mais nous nous mettons exactement sur un pied d'égalité. Nous disons que pendant 5 Commissions sur 7, chaque pays a un commissaire. Pendant 2 commissions sur 7 - c'est le principe de rotation égalitaire -, les pays peuvent ne pas en avoir du tout. Qui peut imaginer que c'est une mesure contre les petits pays ? Donc, s'il y a des malentendus, expliquons-nous. C'est pour cela que j'ai bien l'intention d'aller voir M. Guterres à Lisbonne, et j'ai l'impression qu'il m'accueillerait volontiers.
J'ajoute un mot. Je ne vois pas pourquoi on me soupçonnerait, par exemple, de vouloir remettre en cause la présidence tournante. Ce n'est pas dans les sujets de Nice. Que l'on parle des sujets de Nice, que l'on ne fasse pas de procès d'intention pour la suite.
Q - Dans le système de rotation égalitaire tel que vous le décrivez, y aurait-il, malgré tout, un dispositif d'équilibre entre les grands et les petits pays ?
R - Le système de rotation est parfaitement égalitaire. Il ne peut pas y avoir de système d'équilibre. On peut éventuellement dire que lorsque les Français et les Allemands - par exemple, puisque c'est un couple qui existe - ont un commissaire, l'un ou l'autre, ils se concertent pour choisir ce commissaire. Voilà le type de choses à quoi l'on peut parvenir. Pour le reste, le système de rotation est parfaitement égalitaire. La question ensuite est de savoir comment on l'applique, c'est-à-dire par où on commence : tirage au sort ou autre chose... A partir du moment où on tourne, le système est égalitaire. C'est chacun son tour. Chacun se trouve exactement dans la même situation par rapport au système.
Q - Tout dépend de la composition de la liste !
R - Pourquoi ?
Q - Vous pouvez très bien avoir une liste où, à un certain moment du cycle, vous auriez une majorité de petits pays ou une majorité de grands pays...
R - Oui, sauf que le système de rotation égalitaire a justement pour objectif de faire disparaître cette notion de rattachement d'un commissaire à un pays. Elle manifeste l'indépendance des commissaires par rapport aux pays dont ils sont issus. Donc, cela cesse d'être le critère déterminant. Nous n'allons pas introduire l'intergouvernemental dans la Commission. Je trouve qu'il y a quelques paradoxes. J'ai entendu M. Prodi prononcer son discours à Strasbourg et combattre la méthode intergouvernementale au bénéfice de la méthode communautaire, tout en défendant des mécanismes de composition intergouvernementale de l'organe communautaire. Il faut sortir de cette logique-là et revenir à l'intérêt communautaire. C'est le sens de la proposition de rotation égalitaire.
Q - Les priorités étant la réforme des institutions, l'Europe, au moins pendant un certain temps, ne devrait-elle pas s'interdire de parler de dossiers importants de politique internationale qui ne mènent à rien ? Même s'il y avait consensus, il n'y aurait pas de résultat. Les présidents européens ne devraient-ils pas d'abord se consacrer à l'Europe avant de se consacrer à ce qui est extérieur à l'Europe ?
R - Il y a une partie de ce que vous dites qui est fondée. C'est ainsi qu'alors que nous étions assaillis par une actualité internationale très importante à Biarritz, le Proche-Orient et l'ex-Yougoslavie, nous nous sommes concentrés, malgré tout, sur l'ordre du jour du sommet. La totalité des réunions de travail, le dîner de travail ont été consacrés à l'Union européenne. La priorité a été clairement donnée à la résolution des problèmes internes auxquels nous étions confrontés. Je crois que, dans ce sens-là, il est très important de maintenir l'ordre du jour et d'avoir une méthode de travail rigoureuse. Je note d'ailleurs qu'ayant lu encore une fois une synthèse des réactions de la presse dans la totalité des pays de l'Union européenne, cela a été apprécié, y compris la méthode qui a consisté à voir une maîtrise très stricte des temps de parole. On peut dire beaucoup de choses en peu de temps. Cela dit, nous ne sommes pas en train de bâtir une Union européenne repliée sur elle-même. Nous sommes en train de bâtir une Europe qui ait aussi une puissance politique, une réalité diplomatique, une politique étrangère et de sécurité communes. Donc, il est très important que nous nous exprimions et que nous pesions dans ces sujets. On peut faire tous les commentaires que l'on veut sur le Proche-Orient. Pour ma part, je considère que nous assistons à un retour progressif, mais réel, de l'Europe dans le jeu. Pour ce qui concerne l'ex-Yougoslavie en revanche, nous sommes plus que dans notre rôle puisque la perspective qui s'offre maintenant à la Serbie et à l'ex-Yougoslavie en général, est européenne. Je ne dissocie pas, là en l'occurrence, politique intérieure et politique extérieure. Le rôle d'une présidence c'est bien de faire les deux, en respectant son propre agenda, mais sans négliger le monde qui l'entoure car, sans quoi, on court un risque de nombrilisme fatal.
Q - Le chancelier autrichien a posé à Biarritz la question de la centrale nucléaire tchèque. Il a dit qu'il allait parler de ce dossier au niveau européen. Où en sont les choses ?
R - Il a été pris bonne note de son observation. On a demandé à la Commission d'y réfléchir en liaison avec la Présidence.
Q - Sur la Commission qui tournerait égalitairement, cela signifie que, pendant un mandat, il n'y aurait par exemple aucun commissaire français. La rotation se ferait sur plusieurs mandats ou sur un seul ?
R - La rotation se fait logiquement, je crois, sur 7 mandats. Cela signifie en pratique que chaque pays, sur 7 Commissions, a cinq mandats où il est présent dans la Commission. Il a deux mandats où il n'est pas présent. Sur 35 ans, un pays est là pendant 25 ans et pas là pendant 10 ans.
Q - Sur l'autorité en matière de sécurité alimentaire, quels seraient ses fonctions, ses missions ? Si elle existait aujourd'hui, à quoi servirait-elle, par exemple dans l'exemple de la vache folle ?
R - Nous voyons bien que nous nous trouvons dans une situation paradoxale. Nous avons à la fois des décisions qui nous sont théoriquement imposées par les règles du marché intérieur, - je pense par exemple à la levée de l'embargo britannique - alors qu'en même temps, nous voyons bien qu'il y a un déficit de coordination, d'information, d'harmonisation des politiques qui nous a conduit, nous par exemple, à déroger à ces règles du marché, en maintenant l'embargo sur la viande de buf britannique, position qui, je crois, n'a pas démontré être erronée depuis qu'elle a été prise, car les problèmes demeurent. L'idée d'une autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments serait de jouer, au niveau européen, le même rôle que joue l'autorité française de sécurité sanitaire des aliments, c'est-à-dire de faire respecter des normes, d'informer, de faire avancer la connaissance scientifique, de mettre en réseau les agences nationales et donc, de perfectionner la sécurité alimentaire, d'avoir une approche commune de la sécurité alimentaire. Je crois que ce serait un pas très important pour mieux comprendre et mieux harmoniser nos politiques.
Q - Au sujet de la Bulgarie, quelle est la situation sur la levée des visas ? A quelle étape en sont les négociations d'adhésion ? Peuvent-elles être différentes de celles de la Roumanie ?
R - Nous sommes en train d'examiner ces questions en ce moment même. Les négociations progressent. Nous avons ouvert avec la Bulgarie, je crois, 4 nouveaux chapitres. La Commission est saisie d'une demande d'ouverture de chapitre supplémentaire. Elle est en train de l'examiner. La question de la levée de l'obligation des visas a été évoquée à plusieurs reprises par les ministres de l'Intérieur, qui n'ont pas encore donné de réponse définitive, même si, côté français, nous avons un préjugé favorable. Mais nous ne sommes pas seuls dans cette affaire-là. Nous avons un préjugé favorable à la fois pour la Bulgarie et pour la Roumanie.

Q - George Bush vient d'annoncer que s'il était élu en novembre, il retirerait les troupes américaines déployées en Bosnie et au Kosovo. Seriez-vous tenté de lui dire "chiche" puisque nous avons une Europe de la Défense en gestation ou regretteriez-vous cette décision ?
R - George Bush n'est pas encore élu président des Etats-Unis... Je ne voudrais pas m'ingérer dans la campagne américaine./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2000)