Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur le projet de loi d'orientation agricole proposant une évolution du statut de l'exploitation agricole, la maîtrise des charges, se préoccupant de sécurité sanitaire et de qualité des aliments, préservant l'environnement et bénéficiant de simplifications administratives, Paris le 6 avril 2005.

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Circonstance : Présentation devant le Conseil Economique et Social (CES) du projet de loi d'orientation agricole à Paris le 6 avril 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Je suis très heureux de présenter, aujourd'hui, devant vous le projet de loi d'orientation agricole. Le Conseil Economique et Social tient une place éminente dans nos institutions et je souhaite ainsi manifester ma très grande considération à l'égard du travail que vous accomplissez. Vous possédez une expertise reconnue, - et qui doit être sollicitée -, dans l'appréciation des évolutions économiques et sociales de notre pays.
C'est pourquoi j'ai souhaité que soit présentée, en section de l'agriculture, la loi d'orientation qui doit définir et accompagner les principales évolutions de l'agriculture française pour les 20 prochaines années. Il s'agit de prolonger les succès qu'a connus le monde agricole après avoir relevé, au cours des cinquante dernières années, le défi de la modernisation. Soutien d'une industrie agroalimentaire dont les succès sur les marchés internationaux ont porté l'image de la France à l'étranger, notre agriculture a vocation à poursuivre cette association fructueuse avec le secteur industriel et à développer l'excédent commercial agroalimentaire français. Cette dynamique sera favorable à la création d'emplois salariés non seulement dans les exploitations mais aussi dans les entreprises d'aval.
Les exploitants et les Français sont légitimement fiers de cette agriculture qui a su associer performances économiques - première agriculture européenne -, sécurité alimentaire et maintien de terroirs vivants.
Aujourd'hui, la loi d'orientation agricole vise à répondre à un triple enjeu pour notre agriculture dans le contexte rénové et sécurisé de la Politique agricole commune :
· bâtir une agriculture économiquement forte ;
· répondre aux nouvelles attentes de la société ;
· simplifier les textes et procédures pour permettre aux agriculteurs de concentrer leurs efforts sur l'activité de leur exploitation.
I - Pour une agriculture économiquement forte offrant de meilleures conditions de vie et de travail
Pour assurer la pérennité des succès économiques de notre agriculture, le projet de loi se fixe deux orientations :
· d'une part, moderniser le statut des exploitations pour promouvoir la démarche d'entreprise et libérer les initiatives dans le monde agricole ;
· d'autre part, soutenir l'effort fourni par les exploitants pour être compétitifs.
I - 1 La modernisation du statut de l'exploitation agricole : vers une démarche d'entreprise qui assure plus de liberté à l'exploitant
La situation économique et sociale a connu, ces dernières années, de profondes mutations auxquelles l'agriculture n'a pas échappé. En particulier, cette évolution a mis en évidence les limites du modèle à deux unités de travail dans les exploitations.
· Le projet de loi doit favoriser l'évolution de l'exploitation vers une entreprise agricole organisée autour d'un projet économique, sans remettre pour autant en cause la responsabilité personnelle de l'agriculteur.
La constitution d'unités économiques pérennes passe par le développement des formes sociétaires organisées autour d'un petit nombre d'associés. C'est pourquoi je propose de faire évoluer le régime fiscal des EARL pour permettre que chaque associé conserve son statut fiscal de personne soumis au bénéfice agricole même si les associés n'ont pas de lien de famille entre eux.
Cette démarche d'entreprise qui met l'accent sur l'initiative et la responsabilité individuelles doit être confortée par trois dispositions essentielles :
· le fonds agricole, en premier lieu, comprendra l'ensemble des biens corporels et incorporels nécessaires à l'entreprise. C'est une mesure qui rapproche l'exploitation agricole des dispositions déjà offertes au secteur commercial et artisanal ;
· le bail cessible ensuite, cette possibilité étant ouverte avec l'accord des parties et sous certaines conditions en dehors même du cadre familial ;
· enfin, la simplification de la procédure du contrôle des structures et la limitation de son champ d'exercice.
Le renouvellement de nos exploitations devrait en être amélioré mais nécessite aussi des dispositions spécifiques. La politique d'installation doit rendre possible la transmission et la reprise d'une exploitation dans des conditions économiques acceptables pour tous. Si le bail cessible et le fonds constituent des avancées juridiques favorables à l'installation, le plan crédit transmission devrait également y contribuer : le cédant , en contrepartie d'un paiement différé d'une partie de la reprise, obtiendra une rémunération bénéficiant d'avantages fiscaux. Le coût de la reprise pour le jeune agriculteur est ainsi étalé dans le temps, permettant une installation progressive et donc moins risquée.
Finalement, il s'agit de faciliter le développement de formes diversifiées de projets économiques dans le secteur agricole.
· Des conditions de vie et de travail améliorées
Les exploitants doivent bénéficier eux aussi des améliorations engagées ces dernières années dans l'organisation du temps de travail. C'est pourquoi, compte tenu des exigences spécifiques de l'agriculture et particulièrement de l'élevage, des aménagements sont nécessaires pour améliorer leurs conditions de vie. C'est aussi une question d'équité vis-à-vis d'une profession dévouée à son métier.
Ainsi le projet de loi ouvre-t-il aux agriculteurs l'accès aux services de remplacement avec l'aide de l'Etat. Il prévoit un avantage fiscal sous forme de crédit d'impôt pour les agriculteurs qui y auront recours. La participation de l'Etat pourra atteindre jusqu'à 50% du coût. Cette mesure sera par ailleurs directement créatrice d'emploi.
La loi promeut également le travail en commun et adapte, dans cette perspective, les règles régissant les CUMA.
Enfin, il est proposé d'ouvrir aux personnes exploitant moins de la demi surface minimum d'installation l'accès à l'assurance contre les accidents du travail ainsi que la possibilité d'acquérir des droits de retraite .
I - 2 Une agriculture compétitive et dynamique qui favorise le développement de l'emploi
L'amélioration de la compétitivité économique de notre agriculture est une exigence pour maintenir un secteur dynamique sur les marchés nationaux et étrangers garantissant l'indépendance alimentaire de la France mais aussi pour renforcer notre industrie agroalimentaire qui assure un débouché pour 70% des produits agricoles. Ces deux pôles des filières agricoles doivent conduire une démarche partenariale apte à promouvoir agriculture et produits transformés.
Ce renforcement de l'efficacité économique de l'agriculture passe par quatre axes :
· la maîtrise des charges ;
· le développement des débouchés non alimentaires, qui permettront d'approfondir la demande adressée à l'agriculture et de diversifier les marchés ;
· le poids accru de l'organisation économique, au niveau de l'offre et des interprofessions, qui garantira un partage équilibré de la valeur ajoutée produite par les exploitants et doit permettre de mieux valoriser la production agricole ;
· la gestion des risques.
1 - La baisse des charges
En suivant l'innovation technologique au plus près depuis cinquante ans et plus que toute autre population, les agriculteurs ont remarquablement maîtrisé les coûts de production. L'Etat, aussi, doit participer à l'allègement des charges en adaptant sa fiscalité aux évolutions économiques.
Dans cette perspective, la taxe sur le foncier non bâti (TFNB) sera progressivement éliminée, en préservant les ressources propres des collectivités locales concernées. Je voudrais cependant souligner l'impact considérable d'un telle mesure compte tenu du poids actuel de la TFNB.
2 - Perspective d'avenir, les nouveaux débouchés non alimentaires seront encouragés et soutenus, en particulier la production de biomasse à des fins non alimentaires.
L'intervention des pouvoirs publics dans ce domaine est prioritaire et répond à un triple enjeu :
· environnemental : la promotion des biomasses doit contribuer à la lutte contre l'effet de serre ;
· agricole et forestier : en France, le potentiel mobilisable de surfaces et de production est très important ;
· économique : l'augmentation des prix pétroliers diminue le coût d'opportunité du développement de ces nouvelles sources d'énergie et permettra de créer de nouveaux emplois industriels.
L'utilisation du bois-énergie sera valorisée à travers la généralisation du taux de TVA à 5,5% ou bien les dispositions qui faciliteront les partenariats entre l'Office National des Forêts et les entreprises privées du secteur. Quant à la biomasse, le Gouvernement soutiendra les initiatives pour promouvoir son utilisation.
[ Une mission interministérielle pilotée par le Ministère de l'Agriculture sera installée pour favoriser la valorisation de la biomasse et le développement des utilisations non alimentaires de la production agricole. ]
3 - Le renforcement de l'organisation économique
Les entreprises agricoles sont souvent de très petites entreprises (TPE) dont la singularité ne permet pas un dialogue équilibré avec ses partenaires. C'est pourquoi la loi veille au renforcement de l'organisation économique et contribue à rendre plus efficace l'action des organisations de producteurs.
Les interprofessions auront des missions étendues de manière à leur permettre d'intervenir dans la gestion des crises conjoncturelles, soutenir le potentiel du secteur ou trouver de nouveaux débouchés.
Dans cette perspective, la coopération sera également rénovée : un haut conseil de la coopération sera créé et le statut de la coopération modernisé, afin d'améliorer la transparence et la gouvernance des coopératives, assurer une gestion plus dynamique de leur capital social et favoriser leur mobilisation en faveur de l'investissement.
4 - La gestion des risques
Enfin, l'agriculture demeure une activité soumise aux aléas économiques ou naturels. C'est pourquoi les mécanismes de gestion des aléas seront rénovés de manière à accroître leur efficacité. L'accès à la déduction pour investissement et celui à la dotation pour aléas seront facilités et leur plafond commun porté de 21 200 à 26 000 euros. Une agence de gestion des risques sera créée comme s'y était engagé le Président de la République dans son discours de Murat.
II - Pour une agriculture au cur des nouveaux enjeux de notre société
Pour répondre aux attentes de nos concitoyens et conclure le nouveau " contrat de mission " évoqué, le 24 mars dernier, par le Premier Ministre entre l'agriculture et la société, la loi réaffirme l'engagement de l'agriculture en faveur d'un niveau élevé de sécurité sanitaire mais aussi de qualité des denrées alimentaires. Elle met l'accent sur les services rendus par l'agriculture en terme d'aménagement du territoire et d'entretien de notre espace et renforce les liens entre agriculture et préservation de l'environnement.
II - 1 Une agriculture qui assure la sécurité sanitaire et la qualité des aliments
Dans le secteur végétal, à l'image de ce qui existe dans celui des productions animales, une instance d'expertise indépendante de la gestion du risque et chargée de l'évaluation des risques des produits phytosanitaires sera mise en place.
Au delà du simple respect de la sécurité sanitaire, nos concitoyens comme les agriculteurs sont attachés à la qualité des produits. Valorisés, les signes de qualité véhiculent l'identité nationale et constituent un élément de différenciation décisif sur les marchés. Pour en accroître l'efficacité, leur lisibilité doit être accrue :
· les diverses catégories d'outils de segmentation du marché seront regroupées ;
· un institut unique de l'origine et de la qualité chargé de l'instruction et du contrôle des signes sera créé.
II - 2 Une agriculture qui participe à la préservation de l'environnement
Les pouvoirs publics et les exploitants doivent répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens en terme de protection de l'environnement. De ce point de vue, la conditionnalité introduite par la réforme de la PAC, appliquée avec pragmatisme, constitue une approche novatrice : elle traduit l'engagement de la société à soutenir financièrement son agriculture pour les services rendus en termes de sécurité sanitaire, d'environnement ou de bien-être des animaux.
Des soutiens spécifiques sont apportés pour encourager les démarches respectueuses de l'environnement ou en faveur de la qualité allant au delà des prescriptions réglementaires :
· l'agriculture biologique sera soutenue sous la forme d'un crédit d'impôt. Elle permettra ainsi de réduire les distorsions de concurrence avec les pays européens qui ont instauré une aide au maintien à l'agriculture biologique.
· des aides financières (aide au diagnostic au titre de la conditionnalité, aide à la qualification pour l'agriculture raisonnée) seront également mobilisées.
Enfin, la loi prévoit des dispositions spécifiques :
· pour l'agriculture de montagne. Elles compléteront les mesures déjà inscrites dans la loi sur le développement des territoires ruraux ;
· pour les zones à enjeu environnemental spécifique. Les baux ruraux nouvellement signés pourront comporter des clauses environnementales.
III - La simplification administrative et institutionnelle : recentrer l'agriculture sur le cur de son activité
Dans le prolongement de l'action gouvernementale, le projet de loi doit marquer une nouvelle étape de la simplification administrative et institutionnelle en agriculture.
L'application de la PAC réformée résultant des accords de Luxembourg est l'occasion de réorganiser le mode de gestion et de contrôle des aides à l'agriculture, dans le but d'améliorer son efficacité mais surtout d'offrir un meilleur service à l'agriculteur. Une agence unique de gestion et paiement des aides aux exploitations du premier pilier sera créée tandis que les Directions départementales de l'agriculture et de la forêt seront confortées dans leur rôle de guichet unique pour l'instruction des dossiers.
En ce qui concerne les structures de concertation, il est nécessaire d'en adapter et d'en simplifier le fonctionnement afin de les positionner pleinement dans leur rôle d'orientation ; c'est notamment le cas des CDOA et des contacts avec les organisations professionnelles permettront dans les prochains jours de préciser les mesures de simplification les plus adaptées.
Par ailleurs, la coopération entre les établissements d'enseignement et de formation, les établissements de développement agricole et agro-industrielle et ceux chargés de la recherche agronomique et vétérinaire doit être renforcée grâce à l'examen des différents projets dans le cadre du Conseil supérieur d'orientation (CSO).
Enfin, l'organisation du dispositif de sélection animale, issu de la loi dur l'élevage de 1966, sera modernisée ; le monopole de zone pourrait être supprimé et l'interprofession structurée.
Les spécificités de régions ultramarines seront aussi prises en compte. La loi leur accordera une attention particulière, notamment pour ce qui concerne la question foncière. L'évolution des règles relatives au statut du fermage vers celles applicables en métropole et la maîtrise du recul des superficies à usage agricole grâce à des outils adaptés à leur situation sont attendues par ces régions.
Moderniser le statut de l'exploitation agricole, alléger les charges qui pèsent sur le secteur, conquérir de nouveaux débouchés, organiser l'offre de produits et se prémunir contre les aléas, sont des axes prioritaires si l'on veut assurer la compétitivité de notre agriculture et lui permettre de conserver sa place dans le monde.
Simplifier l'encadrement administratif de notre agriculture, favoriser la démarche d'entreprise de nos agriculteurs, en leur assurant des conditions de vie et de travail comparables avec les autres catégories professionnelles, constituent le complément indispensable à la recherche d'une compétitivité renforcée, car il est légitime que les agriculteurs bénéficient du fruit de leurs efforts et de l'enrichissement de la nation.
Faire de notre agriculture un exemple de développement durable en accompagnant les démarches de valorisation des usages non alimentaires de la biomasse et garantir la prise en compte de l'environnement dans les pratiques agricoles, tout en en reconnaissant les services qu'elle rend dans la valorisation de nos territoires répond enfin aux attentes nouvelles de notre société à l'encontre de l'agriculture.
Ce sont les perspectives que le Gouvernement a voulu dessiner pour son action et pour l'agriculture durant les vingt prochaines années.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 7 avril 2005)