Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, sur la remise en cause des 35 heures, la croissance du chômage, les bénéfices des grandes entreprises, le "non" à la Constitution européenne, la baisse du pouvoir d'achat, Rennes le 11 février 2005.

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Circonstance : Meeting le 11 février 2005 à Rennes

Texte intégral


Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
La nouvelle loi sur le temps de travail qui vient d'être votée en première lecture à l'Assemblée est une crapulerie de plus du gouvernement.
La loi Aubry n'avait certes pas été, en son temps, cette avancée sociale que nous présentent les dirigeants du Parti socialiste. Comment oublier que cette loi, si elle apportait aux travailleurs une réduction de leur horaire légal de travail, leur a, aussi, imposé la flexibilité des horaires, l'annualisation du temps de travail, le blocage des salaires ? Comment oublier que le salaire de beaucoup de travailleurs a été amputé, sans même parler de l'intensification du rythme du travail car, partout où ils le pouvaient, les patrons s'efforçaient de faire sortir la même production en moins d'heures travaillées ?
Et puis, sous prétexte de dédommager les patrons, la loi Aubry leur accordait des subventions, au détriment notamment du budget de la Sécurité sociale. Le bouquet, c'est que le patronat et la droite n'ont pas cessé de dénoncer, depuis, le "coût des 35 heures". Ce n'est pourtant pas la réduction du temps de travail qui a coûté cher, ce sont les sommes versées aux patrons !
Mais enfin, il y avait au moins la réduction du temps de travail ! Encore faut-il préciser qu'il y avait tellement d'exceptions prévues que quatre millions de travailleurs, celles et ceux notamment des petites entreprises, n'en ont jamais bénéficié !
La nouvelle loi Raffarin ne touche pas aux avantages que les patrons ont tirés de la loi Aubry, mais les travailleurs ne bénéficieront même plus de la réduction du temps de travail !
Et les ministres de se relayer, à la télévision ou à la radio, pour faire mine de s'étonner qu'on puisse s'opposer à la "liberté supplémentaire" assurée par la loi : celle de travailler plus pour gagner plus. Comme si c'étaient les travailleurs qui avaient la liberté de choisir leur temps de travail !
Ce n'est une liberté supplémentaire que pour les patrons ! Pour les travailleurs, ce sera l'obligation de travailler plus, les semaines où leur patron a une commande urgente. Pour gagner plus ? Mais c'est une triste plaisanterie ! Les heures supplémentaires n'étant plus décomptées par semaine, dans bien des cas il n'y aura pas de majoration du tout et, même lorsqu'il y en aura, la majoration pourrait n'être que de 10 % au lieu de 25 % !
Écoutez-les, ces ministres et ces grands patrons prêcher la nécessité de travailler plus ! Pour donner "un nouvel élan" à l'économie, vient d'affirmer l'un d'entre eux !
Mais des centaines de milliers de travailleuses ou de travailleurs qui n'ont que des emplois à temps partiel non choisi ou précaire, deux heures par ci, trois heures par là, voudraient bien travailler plus, ne serait-ce que 35 heures par semaine pour toucher une paie qui mérite ce nom. On ne leur en laisse pas la possibilité ! Et tous ceux, les licenciés, les chômeurs qui n'ont pas de travail du tout ?
Alors, que le patronat, que le gouvernement assurent donc un emploi et un salaire correct aux trois millions de chômeurs et aux trois autres millions de demi-chômeurs !
Mais à défaut de pouvoir assurer à tous un emploi et un salaire, ce système économique pourri produit des ministres payés pour prêcher la litanie patronale. Pour ces gens-là, il est normal que ceux qui ont un travail se crèvent au boulot pour gagner leur vie, pendant que ceux qui n'ont pas de travail crèvent de misère !
Travailler plus pour gagner plus ? Mais ce ne sont pas ceux qui travaillent le plus qui vivent le mieux ! Ceux qui font tourner les usines ou font rouler les trains ; celles qui font tinter les caisses enregistreuses dans les supermarchés ou font fonctionner les banques ; ceux qui bâtissent, ce sont eux qui ont des fins de mois difficiles et qui sont sous la menace d'un licenciement qui leur fera perdre leur gagne-pain. Des centaines de milliers de parasites, qui n'ont jamais rien fait de leurs dix doigts sauf encaisser les dividendes de leurs actions, eux, en revanche, vivent de mieux en mieux !
Alors oui, la loi qui vient d'être votée cette semaine au Parlement est une crapulerie. Une crapulerie qui s'ajoute à toutes celles que le gouvernement a imposées aux travailleurs au fil du temps en parlant chaque fois de "réforme". Mais chaque fois que ce gouvernement parle de "réforme", vous pouvez être sûrs que c'est une mesure destinée à aggraver la condition ouvrière.
Et des réformes, on en a vus sous ce gouvernement ! La réforme des retraites, par exemple, destinée à faire travailler plus longtemps pour une retraite amputée. Les réformes successives de la Sécurité sociale signifient toutes que les travailleurs doivent payer plus en CSG, en forfait hospitalier, ou encore en augmentation du prix de la consultation chez le médecin.
Et des réformes, le gouvernement en a encore bien d'autres à notre usage, si nous le laissons faire. La réforme du Code du travail, par exemple, que le Medef réclame et que le gouvernement se prépare à lui accorder. Même le peu qui, dans le code actuel, protège les travailleurs, c'est encore trop pour les patrons. Ils ne veulent aucun frein légal à l'exploitation.
En réalité, la démolition de la législation du travail est en route depuis bien longtemps. Les conventions collectives sont vidées de leur contenu. Le Medef veut se débarrasser de tout ce qui représente un tant soit peu les intérêts collectifs des travailleurs. Il ne veut pas avoir affaire à l'ensemble du monde du travail. Il préfère des accords entreprise par entreprise, des accords où un patron n'a affaire qu'à 50, 500 ou 1000 travailleurs à qui il peut imposer ce qu'il veut par chantage et menace. Que signifie le mot "accord" dans ces conditions, sinon un accord entre le loup et la chèvre... où c'est toujours la chèvre qui se fait manger !
Dans le passé, l'État avait fait mine hypocritement de protéger un peu les travailleurs contre la férocité de leurs patrons. Le gouvernement ne fait même plus semblant. Il livre ouvertement les travailleurs au patronat.
Lorsque le gouvernement affirme que l'État n'a pas à intervenir dans la relation entre "partenaires sociaux" -comme ils disent- qu'est-ce que cela veut dire d'autre que de laisser les mains libre à chaque patron pour imposer sa décision dans son entreprise en la faisant cautionner par des syndicats trop faibles pour s'opposer, même quand ils ne sont pas franchement complaisants ?
Moins de code du travail, moins de syndicat ou des syndicats à la botte des patrons, voilà la législation sociale souhaitée par le grand patronat. Et l'État fait là où le MEDEF lui demande de faire.
Raffarin se félicite de ce qu'il appelle la "stabilisation du chômage". Mais les statistiques mentent, comme les ministres qui les brandissent.
Quant aux promesses éculées que le chômage va baisser, quel est donc le Premier ministre qu'on n'a pas entendu dire cela depuis trente ans ? Et cela fait trente ans que le chômage reste à un niveau intolérable.
Alors, il n'est pas étonnant que la pauvreté s'aggrave dans le pays. De plus en plus de travailleurs vivent dans des conditions insupportables. Regardons seulement la question du logement, une question vitale pour tous. Non seulement, cela ne s'est pas amélioré depuis 50 ans, mais cela s'aggrave sans cesse. Et ce n'est pas nous qui le disons, mais l'Abbé Pierre. Il y a dans ce pays plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont "sans domicile fixe" comme on dit, alors qu'ils sont sans domicile tout court. Et combien d'entre eux ont été, il y a quelques années, des travailleurs mais qui, en perdant leur emploi, ont tout perdu, leur salaire, leur logement et souvent leur famille ?
Et à côté de ces sans domicile officiellement reconnus, il y a les sans domicile déguisés. Il y a tous ceux qui en seraient réduits à dormir sous les ponts si des parents, des proches, ne faisaient pas l'effort de se serrer dans leur propre logement, même lorsqu'il est exigu. Pour la première fois, la fondation Abbé Pierre a recensé le nombre de ces sans domicile déguisés : ils sont plus d'un million. Et parmi ceux qui ont un domicile, combien sont ceux qui n'ont qu'un taudis infect ?
Tous les gouvernements promettent aussi, périodiquement, des programmes de construction de logements sociaux. Mais de promesse en promesse, le nombre de ce type de logements se réduit. Et ceux qui ont été construits dans le temps tombent en ruine. Et le problème n'est pas seulement celui des logements sociaux, le problème est surtout que les salaires sont trop bas pour qu'une famille ouvrière puisse se payer un logement décent.
Je ne sais pas comment sont les choses ici, à Rennes, mais je sais que, dans la région parisienne, si on veut louer un F2 disponible, il faut compter au bas mot 600 euros, si ce n'est 800 ou 1000 pour être sûr d'en trouver un rapidement. Mais comment se payer un logement à ce prix lorsqu'on gagne le SMIC, c'est-à-dire à peine 1200 euros ? Et comment garder son logement, que l'on a du mal à payer même en travaillant, lorsqu'on vient d'être licencié et qu'on se retrouve avec les 425 euros du RMI ?
On nous parle de "spéculation immobilière", comme si c'était une maladie inguérissable. Mais pourquoi donc le gouvernement, qui sait si bien restreindre les droits des travailleurs, ne pourrait-il restreindre les privilèges des spéculateurs ? Il ne peut pas, parce qu'il ne veut pas. Parce qu'il est du côté du profit et des profiteurs, pas du côté des salariés locataires.
Les travailleurs n'acceptent cette situation que contraints et forcés, parce qu'il y a la menace du chômage, parce qu'il y a la crainte de perdre son emploi. Voilà la situation des travailleurs aujourd'hui : elle est intolérable, elle est inacceptable !
On nous dit qu'il faut que les entreprises se développent et que leur fonction est de faire du profit. Mais à quoi leur sert ce profit ? A investir dans des usines, dans des machines nouvelles, pour créer des emplois et pour produire à meilleur marché, grâce à une mécanisation supérieure ? Non ! Le profit des entreprises est avant tout distribué en dividendes aux actionnaires qui voient leur fortune augmenter d'une année à l'autre de 15 ou de 20 % quand ce n'est pas plus. Voilà à quoi aboutissent les efforts et les sacrifices des travailleurs. Et ce qui n'est pas distribué aux propriétaires et aux gros actionnaires sert à ce que les entreprises se rachètent les unes, les autres. Des trusts gigantesques sont rachetés par d'autres pour créer des trusts plus gigantesques encore. Et l'absorption faite, on restructure, c'est-à-dire on licencie.
Ces profits ne servent pas plus à améliorer les équipements collectifs, à multiplier les maternités et les hôpitaux de proximité, à créer plus de classes dans les écoles des quartiers populaires. Ils ne servent même pas à préparer l'avenir en favorisant la recherche, à en juger par la colère des chercheurs qui s'est manifestée la semaine dernière.
Louis Schweitzer, qui se prépare à quitter sa place de PDG de Renault vient d'annoncer un bénéfice net de 3,5 milliards d'euros pour son entreprise, en hausse de 43 % par rapport à l'année précédente. Il y a de quoi réjouir les actionnaires, sans aucun doute ! Mais en quoi cela devrait réjouir les travailleurs de Renault, alors que c'est au détriment de leur fatigue, de leur usure et de leurs salaires que ce profit a été obtenu ? En quoi cela sert les intérêts de la société ?
Ce qui est claironné par tous les journaux comme des nouvelles réjouissantes explique en réalité pourquoi la condition ouvrière se dégrade. C'est précisément parce que la part des profits ne cesse d'augmenter dans le revenu national, que la part des salaires ne cesse de baisser.
Comme le disait, cette semaine, un grand quotidien du soir avec un art certain de l'euphémisme, le véritable problème est le "partage des richesses dans ce pays". Et de constater -et je le cite : "La part des richesses crées par les entreprise et revenues aux salariés est tombée de 70 % à 60 % dans le courant des années 80 et la part des profit a fait le chemin inverse, grimpant de 30 à 40 %". Et il a ajouté que cette évolution ne s'est jamais arrêtée.
Alors, pour formuler de façon plus exacte c'est-à-dire plus brutale la réalité : pour que quelques centaines de milliers de gros actionnaires puissent toucher des dividendes de plus en plus élevés, pour que les dynasties bourgeoises se retrouvent à la tête de richesses de plus en plus phénoménales, on pousse vers la pauvreté de plus en plus de travailleurs, on démantèle les services publics et on ruine toute la vie sociale. Et cela, que le gouvernement soit de droite ou de gauche !
Et c'est cette société, qui fonctionne sur une base aussi pourrie, qu'on essaie de nous présenter comme la société idéale ! Les bien pensants ricanent en prétendant que le communisme a échoué en URSS et que le capitalisme est la seule forme économique et sociale viable.
Mais le prétendu communisme en URSS n'a eu qu'une histoire de 70 ans. Il a été tenté dans un des pays les plus arriérés d'Europe, le pays qui avait été celui des Tzars et des moujiks, du fouet, un pays ravagé par la faim. Malgré toutes les tares de son régime bureaucratisé, l'URSS est pourtant devenue une des premières puissances mondiales, rivalisant avec les USA dans l'espace alors que l'Europe était encore à la traîne.
Mais quel est donc le bilan du capitalisme, alors qu'il a trois siècles et même plus d'histoire ?
Il s'est développé sur la rapine, la traite des Noirs, les massacres coloniaux. Il a engendré deux guerres mondiales et, aujourd'hui même, quel est donc son bilan, ici même en France, un des pays les plus riches de la planète ? Ou en Allemagne, considérée comme le pays le plus riche d'Europe et où le nombre de chômeurs vient de dépasser les 5 millions, chiffre jamais atteint depuis la grande crise des années 30 ?
Mais surtout quel est son bilan à l'échelle de l'ensemble de la planète ? Parce que la planète capitaliste, ce n'est pas seulement la France, l'Allemagne ou les États-unis où, l'un dans l'autre, on survit même en étant pauvre. C'est aussi Haïti. Et c'est aussi l'Afrique. C'est aussi les guerres ethniques ou tribales, derrière lesquelles il y a bien souvent des entreprises capitalistes qui cherchent à mettre la main, ici sur les diamants ou le manganèse, là sur le pétrole.
On nous a rappelé récemment les horreurs du nazisme. Mais le nazisme, il n'est pas né de rien. Il a poussé sur le terreau du capitalisme ! Et qu'on ne nous dise pas que ces horreurs-là c'est fini ! Aucune des nombreuses guerres menées directement ou indirectement par l'impérialisme, de l'Afghanistan à l'Irak, en passant par le Moyen Orient ou la Côte d'Ivoire, aucune des guerres locales en Afrique ou ailleurs n'a fait autant de victimes que la guerre mondiale, mais à elles toutes, elles n'en sont pas loin !
Voilà le système que justifient tous nos dirigeants politiques. Voilà le système qu'ils servent. Eh bien, nous continuons à penser que ni ce système ni ceux qui le défendent ne représentent l'avenir. Tôt ou tard, l'humanité reprendra sa marche en avant, qui passera inéluctablement par la fin du capitalisme et par la réorganisation de la société sur une base égalitaire, c'est-à-dire communiste.
Les perspectives d'une société socialiste ou communiste, c'est-à-dire d'une société débarrassée de la dictature du grand capital et du profit, n'est plus représentée par les grands partis qui se disent socialistes ou communistes; Ces partis ont non seulement abandonné ces perspectives, mais ne défendent même plus les intérêts quotidiens des classes populaires.
Ce n'est pas seulement ici, à Rennes que les dirigeants du Parti socialiste ont participé aux défilés syndicaux en s'arrogeant même les premières places dans certains médias.
Les travailleurs n'ont pas à laisser les Hollande, les Fabius, les Straus-Khan ou les Jack Lang parler en leur nom. Leur parti est devenu un parti de la bourgeoisie, un parti des possédants. La seule chose qui le distingue des partis de droite, c'est que son électorat, il le trouve dans les classes populaires. Cela les amène, dans l'opposition, à tenir un langage qui plaise aux classes populaires un peu plus que celui de la droite.
Mais une fois au pouvoir, les uns et les autres mènent des politiques semblables. La droite de façon ouverte et méprisante, la gauche de façon hypocrite.
François Copé, le porte-parole du gouvernement, un de ses ministres les plus cyniques, a pu ricaner en voyant tous ces ex-ministres dans les cortèges syndicaux et poser la question à François Hollande : "Inscrira-t-il dans son programme présidentiel pour 2007 la suppression de tous les assouplissements que nous proposons" pour les 35 heures ? Et il a ironisé en ajoutant : "J'attends sa réponse avec impatience".
Il sait qu'il n'y aura pas de réponse. Les ministres de tous bords se connaissent bien.
François Hollande et ses compères se gardent de promettre d'annuler les mesures prises depuis trois ans par le gouvernement Chirac-Raffarin. Ils savent qu'ils auront à les reprendre à leur compte. Ils expliqueront alors que c'est la faute à leurs prédécesseurs, qu'ils n'y peuvent rien.
Le Parti communiste, lui, maintenant qu'il est dans l'opposition, reprend à son compte certaines des revendications des travailleurs. Mais cela ne l'engage pas vraiment, car il sait que, si le Parti socialiste accepte encore, la prochaine fois, des ministres communistes, ces ministres seront toujours la cinquième roue du carrosse gouvernemental et qu'ils ne pourront pas changer la politique d'un gouvernement socialiste, ils ne pourront que la cautionner.
Le Parti socialiste soutient également les manifestations de lycéens qui s'amplifient un peu partout dans le pays. Oui, les lycéens ont raison de descendre dans la rue pour protester contre la loi Fillon et surtout contre une politique de restriction de crédits, qui fait que dans les écoles des quartiers populaires, on ferme ou on regroupe des classes et qu'il n'y a ni les infrastructures nécessaires ni le nombre d'enseignants pour assurer une éducation convenable à tous. Ils ont raison de s'insurger contre un enseignement à deux vitesses qui ne donne pas les mêmes chances à un jeune sortant d'un lycée huppé qu'à un autre d'un lycée de banlieue.
Mais la politique de restriction de crédits à l'Éducation nationale n'a pas commencé avec Fillon. Elle ne se réduit pas à son projet de loi. C'est la politique de tous les gouvernements qui se succèdent depuis des années et de tous les Ministres de l'Éducation nationale.
C'est un ministre socialiste, Allègre, qui a même le triste honneur d'avoir trouvé l'expression méprisante pour justifier cette politique, en affirmant qu'il fallait "dégraisser le mammouth". Et une des plus grandes mobilisations de lycéens des vingt dernières années s'est produite en 1990, sous le gouvernement socialiste de Rocard et dont le Ministre de l'Éducation s'appelait Jospin.
Alors, j'adresse ma solidarité pleine et entière aux lycéens, et mon encouragement à continuer et à amplifier leur mouvement. Le premier recul de Fillon sur le bac après le succès de la journée de manifestations d'hier confirme que c'est le seul moyen. Mai si j'ai un conseil à leur donner, c'est de ne pas se contenter d'un recul de Fillon ni d'un retrait de sa loi. Car les projets de loi, ça va et ça vient... et même les ministres. La politique qui est menée depuis des décennies et qui va à l'encontre des intérêts des lycéens, à l'encontre des intérêts de la société, dépasse la petite personne des ministres qui se succèdent.
Oui, il faut stopper cette politique. Il faut consacrer plus d'argent à créer des classes supplémentaires dans les quartiers populaires, à embaucher des enseignants, des éducateurs supplémentaires. Les lycéens ont intérêt à se donner pour objectif d'obliger l'État à consacrer l'argent des impôts à l'Éducation nationale plutôt que de financer des armes ou de subventionner le grand patronat.
C'est sur ce terrain-là que la lutte des lycéens peut s'intégrer dans un combat plus général des classes populaires. Il faut peser sur la vie politique de ce pays, pour imposer au gouvernement de quoi accorder le budget nécessaire à l'Éducation nationale, à la Santé publique, aux hôpitaux, aux maternités, aux transports publics, à la construction de logements convenables pour tous.
Le Parti socialiste et le Parti communiste sont aujourd'hui divisés sur le vote au Référendum sur la Constitution européenne. Le Parti communiste mène la campagne du "non" alors que le Parti socialiste, dans sa majorité, appelle à voter oui. Mais ces deux partis sont d'accord au moins sur une chose, qui est de dramatiser l'enjeu de ces élections et de présenter le vote de ce référendum comme une échéance importante pour le monde du travail.
Pour notre part, à Lutte Ouvrière, nous voterons "non" à ce référendum. Nous voterons non parce que le projet de Constitution européenne sur lequel on nous demande notre opinion, n'apporte rien, ni au monde du travail ni aux peuples. Il n'apporte ni des libertés supplémentaires ni des possibilités plus grandes pour les travailleurs pour se défendre face à l'avidité patronale. Cette constitution est destinée à compléter la domination économique des puissances occidentales sur la partie pauvre de l'Europe par la domination juridique.
Ces puissances occidentales, qui ont déjà mis la main sur les usines, sur les banques, sur les grands commerces des pays de l'Est, ne sont même pas capables d'assurer aux travailleurs de cette partie de l'Europe le même niveau de vie qu'en occident. Ils voudraient, au contraire, continuer à jouer sur les différences de salaires en délocalisant parfois, au mieux de leurs profits, ou en faisant venir ici des travailleurs de là-bas, mais avec des salaires de là-bas.
Voilà pourquoi, et j'en profite pour le dire, il est de notre intérêt à nous tous, travailleurs de l'ensemble de l'Europe, d'agir pour que les salaires soient les mêmes pour tous, quel que soit le pays d'origine. Voilà pourquoi un des objectifs des luttes futures que les travailleurs d'Europe ne manqueront pas de mener dans les années à venir, sera d'augmenter les salaires partout et d'obtenir que les salaires soient du même niveau et permettent partout de vivre. C'est la seule façon d'empêcher que les patrons puissent jouer les travailleurs les uns contre les autres. Notre intérêt à tous, à l'échelle de tout le continent, c'est d'être unis face à nos exploiteurs.
Et puis cette Constitution n'est même pas capable d'assurer les mêmes droits d'un bout à l'autre de l'Europe. Elle reconnaît par exemple le mariage, mais pas le divorce. Elle ne reconnaît pas le droit à l'interruption de grossesse à l'échelle de l'ensemble de l'Union Dans plusieurs pays, ce droit est réservé aux plus riches qui peuvent se payer le voyage pour aller là où le régime est plus tolérant. A plus forte raison, elle n'impose pas à tous les médecins l'obligation de pratiquer les IVG là où elles sont légales.
La Constitution européenne accumule les paragraphes pour réglementer le commerce et l'homogénéiser d'un bout à l'autre du continent. Elle ne tente même pas d'aligner les droits au niveau le plus favorable.
Je n'ai jamais eu la naïveté d'attendre de la Constitution européenne qu'elle améliore le sort des travailleurs. Aucune constitution, pas plus celle de la France que d'autres, n'est faite pour cela.
Mais enfin, les institutions européennes pourraient au moins peser pour balayer la crasse réactionnaire accumulée, ici quant aux droits des femmes, là quant au poids des Églises dans la vie sociale, ailleurs en matière de libertés publiques. Mais les institutions européennes qui sont si pointilleuses sur les conditions de concurrence n'ont rien à faire ni de la condition des femmes, ni des libertés publiques. Pas au point d'avoir une politique contraignante vis-à-vis des aspects les plus réactionnaires des législations nationales existantes.
Oh oui, les droits du capital au profit sont unifiés à l'échelle du continent, mais pas le droit des personnes, pas le droit des travailleurs, pas le droit des êtres humains !
Alors je réaffirme que nous sommes pour une Europe unie, fraternelle, sans frontières entre les peuples ! Mais nous disons non, mille fois non, à cette constitution européenne !
Nous voterons non, mais nous nous opposerons aux arguments de ceux des partisans du non qui appellent à ce vote en prétendant que c'est un moyen de parer aux coups contre les travailleurs car ces coups viendraient de Bruxelles. C'est une fumisterie ! Ce n'est pas Bruxelles, ce sont nos propres capitalistes, notre propre gouvernement qui nous attaque ! Et ce sont aussi ceux-là, ceux dont les capitaux sont ici, dont les sièges sociaux sont ici, qui sont à la portée de notre colère !
Tous ceux qui, au lieu de désigner aux travailleurs leurs ennemis véritables, ici, à portée de main, pour la détourner vers des objectifs éloignés, abstraits, inaccessibles, veulent en réalité interdire aux travailleurs d'agir. Ils voudraient que les travailleurs en restent à se plaindre, à râler sur les malheurs du temps, au lieu de leur dire que, oui, on peut faire reculer nos ennemis car, jusqu'à nouvel ordre, toutes leurs usines, tous leurs chantiers, toutes leurs banques, toute leur économie ne fonctionnent qu'avec notre travail et que cela nous donne la capacité de les faire reculer !
Mais nous disons aussi que ce n'est pas le résultat de ce référendum qui va améliorer en quoi que ce soit le sort des travailleurs. Ce n'est pas au référendum que cela se passe. Et c'est en cela que c'est une escroquerie de détourner les travailleurs sur le référendum à venir ou encore sur les élections présidentielles de 2007.
Face à l'offensive du patronat et du gouvernement, il faut la contre-offensive de tous les travailleurs.
Les travailleurs ne peuvent compter ni sur le Parti socialiste, ni même sur le Parti communiste pour préparer cette contre offensive.
Ils ne peuvent pas plus compter sur les directions syndicales. Les confédérations syndicales ont attendu jusqu'au 5 février dernier pour appeler à une manifestation contre la politique anti-ouvrière du gouvernement. Mais maintenant que la manifestation du 5 février a eu lieu, qu'est-ce qu'elles nous proposent donc, quelle suite donnée ?
Aucune confédération syndicale, quelles que soient par ailleurs leurs divergences, ne propose des perspectives claires aux travailleurs. Ce n'est pas vraiment nouveau. Aussi loin qu'on remonte dans les dernières décennies, cela a toujours été le cas. Lorsqu'un mouvement part de la base, les confédérations savent en prendre la direction, mais toujours pour le canaliser, toujours pour l'arrêter sur une base acceptable pour le patronat.
Faut-il rappeler que Mai 68 n'a pas été le résultat d'une orientation des confédérations syndicales vers une offensive des travailleurs ? Non ! L'offensive est venue d'en bas, elle est venue des travailleurs eux-mêmes, qui ont forcé la main des dirigeants syndicaux. Et les syndicats n'ont appelé à la généralisation du mouvement que pour en prendre le contrôle et, lorsque cela était fait, pour engager les négociations des fameux accords de Grenelle. Oh, la lutte des travailleurs était assez puissante pour que le patronat lâche une hausse importante du SMIC et surtout fasse des concessions aux appareils syndicaux, en leur accordant des postes supplémentaires comme ceux des délégués syndicaux. Mais le patronat s'en est tiré à bon compte.
Faut-il rappeler également qu'en 1995, la grève des cheminots est aussi partie de la base, des roulants, même si certains syndicats -et encore pas tous- l'ont accompagnée jusqu'au bout ?
Tous les dirigeants syndicaux prétendent aujourd'hui qu'il y a une séparation entre le politique et le syndical. Mais l'évolution des syndicats reflète étroitement l'évolution politique.
Sous le gouvernement Jospin, les grandes confédérations syndicales ont toutes mis en veilleuse les revendications des travailleurs pour servir, en fait, de courroie de transmission à la politique gouvernementale.
Lorsque Thibault prétend faire évoluer la CGT dans le sens de plus d'indépendance vis-à-vis du PC, en réalité il contribue à ce qu'elle soit plus dépendante de la social-démocratie.
Thibault vient de se voir désavoué par son Comité confédéral national au sujet du vote au référendum sur la Constitution européenne. Que Thibault soit désavoué et que la CGT décide de voter non, tant mieux, car s'il ne voulait pas que sa confédération donne une consigne de vote, c'est pour protéger l'influence sur son appareil du Parti socialiste et de ceux qui voteront oui.
Mais le désaveu de Thibault ne s'est pas fait au nom d'une politique de lutte de classe et il n'y a pas de quoi s'en réjouir. Il n'y a pas à se réjouir que n'ait pas été opposé à Thibault un plan de lutte susceptible de redonner confiance aux travailleurs, susceptible de les convaincre qu'il est non seulement nécessaire mais possible de riposter aux attaques. Faire passer cette question à l'arrière-plan et mettre en avant le vote au référendum, c'est faire prendre des vessies pour des lanternes !
Et qu'on ne nous dise pas que les travailleurs ne sont pas prêts aujourd'hui à s'engager dans l'action car la crainte du chômage est forte et que la démoralisation est grande. Car comment faire en sorte que cet état d'esprit change et que la confiance revienne si les directions syndicales elles-mêmes abandonnent les exigences vitales de la classe ouvrière au nom du "réalisme".
Comment les travailleurs pourraient se persuader que cela est nécessaire et possible, si même leurs organisations syndicales abandonnent ces revendications pour finir par ne plus réclamer que des négociations ?
Mais tout le monde sait que les négociations sans rapport de force, c'est accepter et cautionner ce que les patrons veulent imposer aux travailleurs !
Oui, il faut affirmer haut et fort qu'une augmentation générale de tous les salaires est indispensable pour empêcher que les travailleurs s'enfoncent dans la pauvreté ! Oui, pour empêcher la société aller à la catastrophe, il faut interdire les licenciements collectifs !
Alors, je ne sais pas ce qui mettra le feu aux poudres ! Mais cette riposte, elle viendra ! Elle viendra parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de se défendre ! Elle viendra parce que nous ne pouvons pas accepter que, d'année en année, le sort des travailleurs se dégrade et que l'avenir des enfants des classes populaires apparaisse plus sombre encore que le présent des parents.
Voyez avec quel mépris le gouvernement a traité les manifestations du 5 février et l'hostilité qu'elles exprimaient à sa politique. Tant qu'ils ont la conviction que de telles manifestations seront sans lendemain, cela ne les gêne pas vraiment, et surtout cela ne les fera certainement pas reculer.
Mais rappelons-nous comment, en 1995, les seuls cheminots ont pu faire reculer Juppé, lui qui assurait, quelques semaines avant le développement de la grève, avec morgue, qu'il était "droit dans ses bottes" et qu'il n'avait pas à s'occuper des clameurs de la rue ! Mais, à l'époque, cette grève n'a pas vraiment dépassé les limites de la corporation.
Eh bien, les grèves corporation par corporation sont aujourd'hui notoirement insuffisantes et les syndicats qui, après la mobilisation du 5 février, proposent de nouveau des journées corporation par corporation, trahissent les intérêts des travailleurs.
Tous les travailleurs de ce pays, quelle que soit leur corporation, ont besoin d'une augmentation substantielle de leur salaire ! Tous ont besoin de se protéger contre les menaces de licenciement et de la précarité ! Il faut que l'ensemble de la classe ouvrière se retrouve autour de quelques objectifs simples, répondant à ces exigences, pour faire reculer le gouvernement ! Il faut un mouvement ample, incontrôlable par le gouvernement, et qui menace d'échapper à toute prévision !
Ceux qui les ont vécus, se souviennent des premiers jours de mai 68, ou même des premiers jours des grèves de 95, avant que les appareils syndicaux les contrôlent, les canalisent et annoncent qu'ils étaient prêts à négocier. C'est lorsque le mouvement est explosif, lorsqu'à chaque jour de grève les possédants ont à redouter que le lendemain soit pire pour eux, qu'ils auront cette peur salutaire qui seule les fera céder.
Alors, nous n'en sommes pas là, au jour d'aujourd'hui. Mais nous pouvons dire et répéter autour de nous ces vérités. Nous avons à dire que les licenciements et le chômage ce n'est pas normal et qu'on peut y mettre fin, en empêchant les patrons de licencier, en les obligeant à répartir de travail entre tous sans baisse de salaire, en prenant sur le profit !
Nous avons à dire, que la baisse incessante du pouvoir d'achat des travailleurs n'est pas normale, alors que les entreprises, les grands groupes industriels et financiers, les grandes dynasties françaises jonglent avec les milliards !
Alors, le développement vers des luttes se fera peut-être par une explosion générale, imprévisible, du mécontentement ouvrier ; il se fera peut-être progressivement par des luttes et des succès partiels, les plus combatifs entraînant les autres. Mais il est important qu'il y ait des travailleurs, des militants, pour affirmer haut et fort les exigences du monde du travail, et qui ne se résignent pas, qui ne renoncent pas, fût-ce au nom d'un faux réalisme, et qui maintiennent haut le drapeau !
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 14 février 2005)