Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, à France-Inter le 27 avril 2005, sur la préparation d'un projet de loi sur la prévention de la délinquance et sur le développement des coopérations renforcées en matière de sécurité dans la perspective du traité constitutionnel européen.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- L'alourdissement des peines peut-il être un facteur de prévention de la violence ? L'accentuation de la répression du racket ou du trafic de drogue à l'intérieur et à proximité des établissements scolaires suffira t-elle à protéger les personnes les plus vulnérables, en l'occurrence les jeunes, puisque telle est l'ambition du projet qui sera présenté en juin prochain en Conseil des ministres. Prévention des violences : est-ce qu'encore une fois, le signal que vous avez l'intention d'envoyer, c'est-à-dire d'accentuer la répression à proximité des lieux où se trouvent les personnes les plus vulnérables, à commencer par les jeunes - on parlera aussi des femmes tout à l'heure et de l'espace Internet d'ailleurs - est un moyen de faire baisser la violence ?
R- L'objectif qui a été le mien, avec l'ensemble des ministres qui ont travaillé sur ce projet de loi - parce que c'est une oeuvre collective, nous nous sommes mis ensemble, avec le ministre des Affaires sociales, le ministre de l'Education, le ministre de la Santé, le ministre de l'Economie et des Finances -, pour faire un projet de loi un peu particulier : un projet de loi pragmatique qui prend en compte l'expérience du terrain. Nous avons notamment engagé sur le terrain des expérimentations dans vingt-cinq quartiers sensibles et nous avons voulu en tirer les leçons. Donc il ne s'agit pas de tomber dans les pièges anciens entre les partisans de la répression et les partisans de la prévention. Nous sommes là pour répondre aux problèmes de nos compatriotes et nous avons donc voulu viser trois objectifs. Le premier, c'est mieux cibler notre action. Si nous prenons le cas des jeunes, ils sont aujourd'hui confrontés à de nouvelles formes de criminalité, par exemple Internet. Et nous proposons de créer des cyber-patrouilles qui, sur le Net, policiers ou gendarmes, pourront traquer ces criminels.
Q- Pour Internet, vous doublez les effectifs, mais vous pensez que les hommes et les femmes qui vont traquer, par exemple, les pédophiles, mais pas seulement, sur Internet, les effectifs sont suffisants aujourd'hui, compte tenu de l'importance que prend le réseau ?
R- Nous nous adapterons. Ce que je souhaite, c'est que nous puissions prendre la mesure et disposer des outils nécessaires. Ce projet de loi nous dotera des outils nécessaires, parce que nous aurons plus d'hommes et de femmes qui pourront suivre les risques de la pédopornographie, de l'antisémitisme ou du racisme à travers l'Internet. Donc c'est un engagement très fort de la part de nos services de sécurité. Donc protéger les personnes les plus vulnérables, comme les jeunes. Je citerai aussi les femmes, il faut lutter contre les mariages forcés qui sont trop fréquents dans notre pays...
Q- Comment ?
R- En alourdissant les peines, en prévoyant une incrimination spécifique pour les mariages forcés. De la même façon, contre les violences conjugales, nous voulons pouvoir éloigner les conjoints violents du domicile familial. Aujourd'hui, malheureusement, ce sont souvent les femmes, celles qui sont victimes de ces violences, qui doivent partir. Là, c'est le conjoint violent qui pourra partir. Voilà une disposition de ce projet de loi. Nous devons aussi mieux nous mobiliser pour cibler les lieux les plus dangereux. La vidéosurveillance a donné des résultats très probants chez beaucoup de nos voisins, nous devons en tirer les leçons, qu'il s'agisse des galeries commerciales, qu'il s'agisse des cimetières, des lieux de culte, des aéroports, des galeries commerciales. Je veux plus de vidéosurveillance, ce qui suppose aussi un projet de loi. Je pense également à la vigilance dans les stades, je veux que le préfet puisse, par une mesure administrative, interdire de stade les hooligans, ceux qui auront montré qu'ils n'étaient pas capables d'assister à un match sans violence. Ceux-là seront consignés dans les commissariats pendant le temps des stades, obligés d'être présents. Il faut aussi mieux organiser et répartir les pouvoirs sur notre territoire et notamment renforcer les pouvoirs du maire. Ce projet de loi renforcera les pouvoirs du maire et les capacités des polices municipales...
Q- C'est une remontée des expériences qui ont été menées ?
R- Absolument. Je veux, quand il y a tapage nocturne, quand il y a des tags, quand il y a des animaux dangereux, que le maire puisse agir tout de suite. Ce n'est pas la peine de remonter tout en haut de la chaîne. Le maire est le responsable de proximité, il doit avoir les moyens d'agir plus vite. Et il faut dissuader, il faut éviter le passage à l'acte et donc faire en sorte que dans les zones les plus sensibles, je pense aux écoles qui souvent voient dans leurs abords des trafics : il faut réprimer très sévèrement les trafics qui auront lieu aux abords des établissements scolaires, les rackets... Et là, la loi sera beaucoup plus sévère. Donc vous le voyez, il s'agit d'une économie de loi extrêmement concrète. Il ne s'agit pas de faire des plans sur la comète, il s'agit de répondre à des problèmes très spécifiques qui sont les problèmes du quotidien. Nous venons d'avoir des affrontements entre bandes... Des formes nouvelles de violence, des bandes de village à village... Absolument. Alors, ce n'est pas nouveau. On donne le sentiment parfois de découvrir la lune, mais l'affrontement entre ces bandes n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est qu'aujourd'hui, cette violence touche les zones rurales, périurbaines. Et c'est vrai que c'est une des nouveautés de la démographie française que de voir à la frontière des villes, par exemple dans la troisième couronne de Paris, de nouveaux types d'affrontements entre ces bandes. Ces affrontements sont parfois totalement gratuits - c'est ce qu'on appelle des violences non crapuleuses. Parfois elles sont crapuleuses, liées à des trafics, et là nous verrons dans le cas d'espèce ce que l'enquête nous dira. Mais nous devons être mieux armés et c'est pour cela que je veux pouvoir mieux répartir les effectifs sur le territoire dans les zones rurales, faire en sorte qu'à l'appui des brigades de gendarmerie, les escadrons mobiles puissent être apportés en renfort et sécuriser ces zones spécifiques. C'est une nécessité d'adaptation en permanence de la part de nos forces de sécurité, qui donne des résultats : moins 12 % de la délinquance générale depuis 2002, moins 25 % de délinquance de voie publique et une stabilisation des violences contre les personnes. Nous avons obtenu en 2004 les meilleurs résultats depuis dix ans. Mais, bien sûr, nous ne pouvons pas nous en satisfaire et la lutte contre les violences qui touche les personnes est la priorité de mon action.
Q- C'est toujours la même chose : quand on contracte comme ça la parole politique en dix minutes, on a l'impression d'un seul coup là que vous décrivez un paysage où on va se poser la question des libertés individuelles. Les caméras dans la rue, les systèmes de surveillance alentours des lycées et dans les écoles, la cybercriminalité qui se développe... Est-ce que vous allez avoir la même exigence pour que ceux qui sont chargés de prévenir la violence, et de la punir aussi quand elle s'exerce, soient très attentifs, encore une fois, des droits individuels et des libertés de chacun ? Parce que tout cela donne un peu le vertige....
R- C'est la première exigence de la fonction politique, comme de la gendarmerie. Et nous sommes, de ce point de vue-là, extraordinairement soucieux du respect des règles de la déontologie et des libertés personnelles. Nous ne cessons de tirer les leçons, avec les autorités administratives indépendantes, qui nous apportent leurs conseils, leurs rapports, une meilleure formation des policiers, des sanctions plus fortes quand c'est nécessaire. Je n'accepte pas un certain comportement et nous avons eu une augmentation à la fois des sanctions au cours des dernières années et des révocations. L'immense majorité des forces de police est mobilisée pour apporter leur concours à nos concitoyens dans un esprit qui est celui de la générosité, qui est celui de la prise de risque, quand on sait qu'il y a 10.000 policiers blessés par an, qu'il y a chaque année des policiers et des gendarmes tués. C'est le service de nos compatriotes. Exigeant, vigilant, soucieux du respect des libertés individuelles, mais c'est bien pour cela, au cur de ce projet de loi, qu'il y a ce mot-clé : mieux cibler. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi, n'importe où. Il s'agit d'aller là où véritablement le risque d'insécurité est le plus grand. Donc apporter plus de protection aux personnes vulnérables, être davantage présents dans les lieux les plus sensibles, les plus dangereux et puis être davantage présents au moment où le risque d'infraction est le plus grand, et c'est en particulier le cas en fin d'après-midi, la nuit et les week-end. C'est donc un travail stratégique, qui ne vise pas à faire du tout sécuritaire, mais qui vise à choisir véritablement des cibles privilégiées et donc à mieux répondre aux besoins de nos compatriotes.
Q- D'où cette nouvelle délégation de responsabilités aux maires, pour avoir justement cette capillarité-là sur le terrain ?
R- Absolument, parce que la bataille de la sécurité c'est la bataille de tous et en particulier de ceux qui sont au contact très directement de nos concitoyens. Quand vous avez un chien dangereux le maire doit être capable d'apporter lui-même la réponse, sans que cela remonte. Donc c'est ce souci de proximité et d'efficacité de réponse et qui prend en compte aussi cette exigence des libertés individuelles, qui est au cur évidemment de mon projet, de mes préoccupations.
Q- Un mot de l'actualité de cette journée : je pense évidemment à Airbus. Mais il se trouve que G. Schröder était hier à Paris, aux côtés de J. Chirac. Dans "L'homme européen", vous développez cette idée d'un "Euro centre", c'est-à-dire au fond une structure politique qui tirerait un peu les wagons, comme on a souvent parlé de l'Europe a géométrie variable. Ce qu'on a vu hier, Chirac- Schröder, est-ce une illustration de cet "Euro centre" ?
R- C'est d'abord une illustration de la volonté franco-allemande : quatre grands projets d'innovation industrielle, deux dans le domaine des biotechnologies, deux dans le domaine des technologies de l'information, cela veut dire que nous sommes plus forts si nous pouvons ensemble nous avancer dans des projets qui impliquent des financements très importants. Nous avons besoin de mettre en commun nos énergies, nos volontés et nos capacités. Mais dans le cadre de l'Europe, bien sûr, ce traité constitutionnel nous permettra une très grande souplesse, d'agir dans le cadre des coopérations renforcées avec un tiers des états, de maintenir aussi notre capacité à agir dans le cadre intergouvernemental. Je vais réunir, le 12 mai à Paris, les cinq grands pays dans le domaine de la sécurité, les cinq ministres de l'Intérieur, et nous allons plancher sur un sujet qui intéresse tous les Français, qui est le sujet du contrôle des frontières. Je vais faire ça, quelques jours après avoir remis son rapport au président de la République et au Premier ministre, sur l'immigration irrégulière. Donc, vous le voyez, il y a ce que nous faisons seul, parce que c'est notre responsabilité. Il y a ce que nous pouvons faire mieux à cinq : des patrouilles communes, des équipes communes d'enquête face au terrorisme, face à la migration irrégulière, nous sommes plus efficaces quand nous le faisons à cinq. Et puis il y a ce que nous pouvons faire à huit, à dix, dans le cadre des coopérations renforcées. Et dans le domaine qui est le mien de la sécurité, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, dans le domaine contre l'immigration irrégulière, ces coopérations renforcées seront possibles. Il y a ce que nous faisons faire à huit, à dix dans, le cadre des coopérations renforcées. Et dans le domaine qui est le mien de la sécurité, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, contre l'immigration irrégulière, ces coopérations renforcées seront possibles. Et il y a ce que nous faisons à vingt-cinq, tirant les leçons de ce que nous avons engagé, à titre parfois expérimental à quelques-uns. Donc tous ces domaines, ces initiatives montrent à quel point ce traité constitutionnel nous donne la souplesse nécessaire pour être plus efficace, ce qui est véritablement l'obsession d'un ministre de l'Intérieur, des ministres de l'Intérieur de l'Europe.
Q- Dans un entretien accordé par le Premier ministre au Courrier Picard aujourd'hui, M. Raffarin, dit qu'après le référendum du 29 mai, "J. Chirac prendra les décisions nécessaires pour la France". C'est presque mot à mot ce que vous aviez vous-même dit, non ?
R- C'est rassurant. Mais cela vous étonne ?
Q- Oui, un peu quand même !
R- Nous avons tous le même objectif : toujours mieux écouter les Français, toujours mieux répondre à leurs préoccupations et puis nous rassembler, parce que dans les moments importants de notre vie nationale,se rassembler est une exigence essentielle. Je ne vois là rien que de très naturel.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 avril 2005)