Interview de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, dans "Paris-Normandie" le 16 mai 2005, sur les enjeux du référendum pour la Constitution européenne, le climat social, le droit de pétition et l'éventualité de renégociation du traité en cas de victoire du "non".

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Média : Paris Normandie

Texte intégral

Q - La Haute-Normandie est lourdement frappée par le chômage et les délocalisations. Comment situez-vous la Constitution dans ce contexte où l'inquiétude quotidienne prédomine ?
R - Je comprends ces inquiétudes. Je les perçois moi-même en permanence sur le terrain. J'invite toutefois les Normands et les Français à ne pas se tromper de combat : le chômage et les délocalisations ne sont pas dus à l'Europe, mais à nos propres insuffisances en matière de politique de l'emploi depuis 25 ans. Au cours des dix dernières années, tous les pays européens se sont retroussés les manches pour travailler davantage, avec des résultats incontestables en termes de baisse du chômage ; la France, pendant ce temps, a bridé la compétitivité de ses entreprises en réduisant à 35 heures la durée du travail et en réussissant l'exploit de créer moins de pouvoir d'achat pour ceux qui ont un emploi et plus de chômage pour ceux qui n'en ont pas.
Pour sa part, l'économie européenne a créé en vingt ans plus de 25 millions d'emplois nets. Aujourd'hui, un Français sur quatre travaille pour l'exportation. L'élargissement de l'Europe n'est pas une cause des délocalisations : ces pays sont là et les entreprises qui veulent s'y installer peuvent le faire, avec l'Europe ou sans l'Europe. L'élargissement permet au contraire d'harmoniser les législations et les exigences sociales et par conséquent d'empêcher le dumping social. Qui peut croire que, face à la Chine, à l'Inde, aux Etats-Unis, nous avons la moindre chance de nous en sortir seuls ? La nouvelle Europe, celle de la Constitution, c'est la possibilité de mettre en place une politique de la recherche et de l'innovation, une politique industrielle, une politique énergétique, autant d'orientations qui sont indispensables et urgentes.
La nouvelle constitution, c'est le moyen de nous protéger mieux et en même temps d'être économiquement plus puissants et plus concurrentiels.
Q - Les partisans du "Non", dont Laurent Fabius, considèrent qu'une renégociation du traité sera possible si la France rejette le traité. C'est un point clé de la campagne. Quel est votre sentiment sur cette question, voire vos certitudes ?
R - En cas de " non " français, il faudrait bien sûr chercher des issues à la crise qui serait ainsi créée.
Ce qui est sûr en revanche, c'est que nous serions dans une position très affaiblie pour pouvoir négocier un autre texte, pour pouvoir même proposer la reprise d'un processus constitutionnel. Un certain nombre de pays profiteraient de notre isolement pour défendre l'idée d'un grand marché sans projet politique, avec le risque réel de l'emporter. Ensuite, à supposer que l'on se lance dans une nouvelle négociation, la France serait bien en peine de définir une position. La coalition des partisans du " non " est beaucoup trop hétéroclite, du parti communiste au Front national, pour permettre la détermination d'un mandat de négociation. Même Laurent Fabius ne pourrait rien négocier : il est le seul responsable socialiste en Europe à être contre la Constitution. Enfin, pour pouvoir négocier un autre texte, il faudrait que nos partenaires soient différents, ce qui ne sera pas le cas. Pourquoi accepteraient-ils demain ce qu'ils ont refusé hier, et qui plus est au profit d'un pays dont la position serait considérablement affaiblie ?
Q - Croyez-vous à l'efficacité du nouveau droit de pétition pour les citoyens ?
R - L'article 47 de la Constitution donne la possibilité à un million de citoyens européens (sur 450 millions au total), répartis dans plusieurs pays, de demander à la Commission de présenter un texte normatif sur un sujet donné. Il s'agit d'un droit d'initiative par voie de pétition collective, totalement inconnu en France et dans de nombreux pays européens.
Alors j'entends dire ici ou là que cette pétition ne lie pas la Commission, que celle-ci ne sera pas obligée d'agir. Mais comment imaginer un instant que la Commission puisse ignorer la pression politique que représente un million de personnes réparties dans plusieurs pays de l'Union ? Je crois au contraire que cette mesure est le symbole de la maturité de l'Europe aujourd'hui : elle permet l'avènement d'une véritable citoyenneté européenne fondée sur des enjeux qui dépassent les frontières nationales.
Q - Quel regard porte l'ancien ministre de l'Intérieur sur le volet sécuritaire de la Constitution ? Peut-on lutter réellement contre toutes formes de délinquance lorsque les frontières européennes ne sont pas définitivement fixées ?
R - Je suis particulièrement bien placé en effet pour savoir ce que l'Europe du traité de Nice nous empêche de faire en matière de sécurité et ce que la Constitution européenne va nous permettre de réaliser. Aujourd'hui, l'Europe, c'est un espace où les frontières intérieures sont supprimées et où les frontières extérieures sont mal protégées. Mais ce qui est une réalité sur le plan physique n'a pas eu de conséquences sur le plan de l'organisation de la lutte contre la délinquance. Les criminels et les marchandises illégales circulent librement, la coopération policière et judiciaire, l'échange d'informations, les fichiers de délinquants, les actes de procédure judiciaires comme les mandats d'arrêts ou les ordres de perquisition restent cloisonnés à l'intérieur des frontières nationales.
Avec la Constitution, les décisions en matière d'immigration, de coopération policière et de coordination judiciaire vont pouvoir être prises à la majorité des Etats membres et non plus à l'unanimité. C'est un changement considérable qui va permettre de mettre en place des politiques communes beaucoup plus fortes. Une affaire aussi intolérable que l'affaire Fourniret, où un criminel est laissé en liberté parce que deux pays aussi proches que la France et la Belgique ne peuvent pas s'échanger d'informations en matière pénale, ne sera plus possible. Avec la Constitution, des coopérations renforcées entre les Etats qui veulent aller plus vite et plus loin ensemble pourront également être mises en uvre. Il n'est pas acceptable que les grands Etats soient empêchés d'avancer ensemble par des Etats plus petits qui défendent des principes certes honorables, mais qui ne connaissent aucune des difficultés rencontrées par les pays plus grands.
(Source http://www.u-m-p.org, le 18 mai 2005)