Entretien de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à TV5 le 23 février 2004, sur une campagne d'information sur l'Union européenne auprès des enfants, la perspective d'une baisse de la TVA dans la restauration et le débat autour du droit de vote des étrangers non ressortissants communautaires.

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Média : Télévision - TV5

Texte intégral

Q - L'Europe va passer de quinze à vingt-cinq. L'Europe de demain, ce sont les enfants d'aujourd'hui. Noëlle Lenoir est ministre déléguée aux Affaires européennes dans le gouvernement français. Elle lance une initiative à destination des enfants des collèges dans les classes de 4ème.
Madame la Ministre, merci d'être avec nous. Ils vont recevoir beaucoup de choses, d'ailleurs : j'ai par exemple ici un beau puzzle, c'est-à-dire qu'ils vont pouvoir s'amuser comme ça à apprendre les pays, à chercher. Ils vont pouvoir faire un concours de dessin. Quel est le but de tout cela finalement ? On a l'impression que les enfants ne connaissent pas l'Europe ?
R - Les enfants savent que l'Europe est leur nouvelle patrie, mais ils ne connaissent pas bien l'Europe. Les pays qui vont nous rejoindre le 1er mai ont été séparés de nous par le mur de Berlin, donc on n'a pas eu l'occasion d'y faire du tourisme. Et puis aussi il est temps, il est grand temps, au moment où l'Europe connaît la mue la plus importante de son histoire, que nous sachions que nous sommes aussi citoyens européens et pas seulement citoyens de nos pays respectifs.
Q - Oui, c'est-à-dire que les enfants doivent donner l'exemple car les adultes ne sont pas très bons. On voit bien dans les sondages que l'Europe, ils connaissent mal...
R - On connaît mal l'Europe. Pourtant, nous sommes de mieux en mieux informés sur l'Europe. Jamais les médias audiovisuels, aussi bien que la presse écrite, n'ont autant parlé d'Europe. Et l'on sait maintenant que la plupart des questions qui nous sont posées aujourd'hui ont une solution européenne. Mais c'est vrai, il est difficile de se reconnaître dans des institutions européennes qui sont originales et il faut donc expliquer.
Q - Voilà, c'est un petit cahier comme ça destiné aux petits citoyens d'Europe et à l'intérieur, il y a des questions. Je pense que si on les posait à certains adultes, ils ne sauraient pas forcément en quelle année le Traité de Rome a été signé : 1995, 1957, 2004 ? Dans quel pays d'Europe se situe Maastricht : aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Pologne ? Alors, les enfants des 4ème vont devoir répondre
R - Le Traité de Rome a été signé en 1957. Mais il est vrai que ces enfants n'étaient pas nés. Il est donc utile de leur indiquer que l'Europe à déjà 50 ans, c'est-à-dire sans doute plus que l'âge de leurs parents. Malgré tout, cette Europe est encore à découvrir. Il faut que ces enfants en connaissent les capitales. Il faut qu'ils connaissent les villes européennes et les cultures des autres pays et ce que font les jeunes de ces pays. C'est pourquoi j'ai fait réaliser un film qui est ludique, humoristique, amusant, mais qui, en même temps, présente ces pays et ce que font les jeunes de ces pays qui ressemble de très près à ce qu'aiment les jeunes chez nous.
Q - Alors justement un extrait de ce film.
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Q - On peut dire qu'en tout cas, ils ne vont pas s'ennuyer, les enfants !
R - La présentation que l'on vient de voir se veut clownesque. Il faut le dire parce que ce film s'adresse à des enfants de toute origine, de tout milieu et de toute capacité d'écoute. En revanche, ce qui n'est pas montré dans cette présentation et qui est très intéressant, ce sont les séquences sur les pays. Elles sont très complètes. On commence par en montrer les beautés architecturales et les paysages ; puis aussi les jeunes, les sports qu'ils pratiquent, la musique qu'ils aiment. Il y a de très belles musiques dans tous les pays de l'Est de l'Europe qui vont nous rejoindre. Et le film comporte également des références historiques : par exemple, on montre la répression du printemps de Prague avec les chars soviétiques et même les morts. Il y a dans ce film des messages très sérieux à l'intérieur de séquences plus amusantes
Q - C'est parler le langage des enfants pour leur faire comprendre que l'Europe, c'est à eux. Vous le dites d'ailleurs dans la préface de ce petit livret. Vous dites, "c'est l'Europe agrandie et vous, vous allez grandir avec".
R - Les Européens sont en train de construire ensemble un espace de paix, de liberté et de stabilité. Ce qu'ils n'ont jamais fait auparavant. C'est une entreprise extraordinaire et il faut la rendre attractive. Il faut qu'on l'aime. Il faut qu'il y ait de l'émotionnel dans l'Europe. Cet émotionnel ne passe pas par l'institutionnel, par la description des organes politiques de l'Europe. Il passe par le sentiment qu'on a d'adhérer à des cultures différentes des nôtres, mais que nous sentons être malgré tout proches de nous-mêmes. C'est cette richesse de l'Europe qu'il faut sentir.
Q - Alors quand on parlait des adultes qui ne donnent pas toujours le bon exemple, c'est peut-être les enfants qui vont nous donner la direction. Mais c'est vrai que l'Europe d'aujourd'hui, on le lit, elle nous paraît en panne, on le lit partout, dans toute la presse. On a vu la réunion tripartite avec Jacques Chirac, Tony Blair, Gerhard Schröder. On a entendu Berlusconi qui disait "c'est un directoire", l'Europe ne fonctionne pas ensemble. Alors, on va s'élargir, on voit bien que l'Europe est en ordre dispersé.
R - Non, elle n'est pas en ordre dispersé. L'Europe a des problèmes très importants à régler. Elle a des échéances historiques devant elle : d'abord l'adoption d'une Constitution, la première Constitution européenne de toute l'histoire. On est en train de la négocier et elle devrait aboutir cette année en 2004, année historique s'il en est.
Et puis, l'Europe doit faire face à un élargissement qui ne consiste pas simplement à étendre l'espace européen ou à augmenter le poids démographique de l'Europe. Il s'agit de permettre à des pays séparés de nous pendant cinquante ans, de nous rejoindre. C'est l'unification du continent européen qui est en marche.
Il y a par ailleurs des discussions à mener sur le budget de l'Europe : quelles sommes allons-nous donner à l'Europe pour qu'elle puisse réaliser des actions communes au nom de tous ? Jamais dans l'histoire l'Europe n'a été confrontée à de telles échéances, à de tels problèmes à surmonter. C'est pourquoi nous sommes si attentifs à la façon dont on va pouvoir les régler. Je suis très heureuse que, finalement d'une façon presque inédite, la presse renvoie aux problèmes européens de façon beaucoup plus personnalisée. On comprend ainsi de mieux en mieux que le président Chirac, le Premier ministre Tony Blair, le chancelier fédéral Gerhard Schröder sont des hommes politiques non seulement de leur pays, mais aussi des hommes politiques européens qui contribuent à faire l'Europe. Quand Silvio Berlusconi, président du Conseil italien, réagit à certaines initiatives d'autres responsables politiques européens, il montre qu'il fait partie des hommes politiques de nos pays qui font l'Europe.
Q - Par exemple, sur cette question de la TVA pour la restauration, on a vu que Gerhard Schröder a fait un geste pour la France. Mais est-ce que cela va aboutir parce que c'est une vraie revendication ?
R - Vous avez raison. Plus les sujets sont européens, plus les Etats sont tenus de s'entendre et d'arriver à transcender leurs intérêts nationaux pour agir ensemble. Concernant la TVA, on essaie d'en harmoniser les taux pour préserver la libre concurrence entre services et industries à travers l'Europe. Eh bien, nous avons demandé - c'était un engagement du président de la République et du Premier ministre - que les restaurateurs, en France, bénéficient d'un taux réduit. Nous avons négocié. Je me suis beaucoup impliquée dans ce dossier et la Commission européenne a été finalement d'accord avec moi. Nous sommes maintenant en train de négocier avec nos partenaires. Il y a eu, comme vous l'avez vu, à la dernière rencontre à Berlin, un accord entre le président de la République et le chancelier fédéral, pour appliquer effectivement ce taux de TVA réduit en 2006. Il va falloir continuer les négociations avec nos autres partenaires pour aboutir d'ici un an à peu près.
Q - Alors un mot sur une autre question. On a vu la Belgique voter, le Parlement, pour le droit de vote des immigrés aux élections municipales. On voit que, là aussi, l'Europe est en ordre dispersé.
R - Je suis étonnée, mais très heureuse de vos questions. Car il y a quelques années, vous n'auriez jamais demandé que l'Europe ait une politique unique en matière d'immigration et de vote des étrangers. Eh bien maintenant, le problème est posé au niveau européen. On a commencé par la politique de l'immigration qui est devenue une politique communautaire. Pour l'instant, la question du droit de vote des étrangers non ressortissants communautaires, reste d'ordre national. On considère qu'il est préférable, la question étant très sensible, que chaque pays en décide pour son compte propre.
Q - Et ce n'est pas encore le moment pour la France ?
R - Ce n'est pas encore un sujet qui est traité de cette façon en France. Mais il y a des échéances très importantes, puisque entre le 10 et le 13 juin, dans toute l'Europe, dans les vingt-cinq pays où résident les 454 millions d'habitants de l'Union européenne, les électeurs vont devoir se diriger vers les urnes pour voter pour élire leurs députés européens au Parlement de Strasbourg. Et cela, c'est quand même historique.
Q - Merci Madame la Ministre. Simplement peut-être encore un mot. On a beaucoup parlé de l'Europe des valeurs. L'antisémitisme, on voit bien que c'est une vraie question, sur la question des valeurs, on a vu le discours fort de Jacques Chirac. Sur cette question, dit l'Europe, ce sont des valeurs
R - L'Europe, ce sont des valeurs. La discrimination, le racisme, la haine raciale, l'antisémitisme ont parfois, à certaines heures noires de notre histoire, été ancrés dans nos pratiques. Mais l'Europe justement vise à exclure ces pratiques. C'est parce que nous avons exclu ces pratiques d'intolérance que nous avons, bien heureusement, renoncé à la guerre sur notre sol.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2004)