Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles de Mayotte" le 13 mai 2005, sur les enjeux du référendum sur la Constitution européenne pour Mayotte.

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Média : Les Nouvelles de Mayotte

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Les Nouvelles de Mayotte : Madame la Ministre, Mayotte est une petite collectivité perdue au milieu de l'océan Indien et pour la majorité de la population l'Europe paraît très loin. Les Mahorais entendent parler de RUP et de fonds structurel européens mais m'appréhendant pas de façon concrète tout cela. Quels sont les avantages que Mayotte et sa population tireront du " oui " ?
Brigitte Girardin : Par un " oui " franc et massif, Mayotte enverra un message clair à nos partenaires européens, en cohérence avec son souhait d'accéder au statut de région ultra-périphérique (RUP) de l'Europe dont bénéficient déjà La Réunion, les Antilles et la Guyane. L'enjeu est important pour Mayotte, chacun doit s'en convaincre : sur le plan financier notamment, le statut de RUP lui donnera pleinement accès aux fonds structurels européens, ainsi qu'au programme de compensation des handicaps que propose la Commission pour la période 2007-2013. Je rappelle qu'il s'agit de sommes considérables, qui ont représenté 3,5 milliards d'euros sur la période 2000-2006 pour nos quatre DOM actuels. Le développement économique et social de Mayotte sera donc fortement stimulé dès lors qu'elle pourra y prétendre à son tour.
Pour y parvenir, le projet de Constitution a précisément prévu une disposition (article IV-440-7) par laquelle la France pourra demander l'accession au statut de RUP pour Mayotte, à la seule condition qu'elle soit en mesure d'intégrer le droit communautaire. D'une façon plus générale, Mayotte a également tout à gagner de ce Traité constitutionnel qui constitue un progrès pour la démocratie, grâce au renforcement des prérogatives du Parlement européen et à l'introduction d'un droit d'initiative populaire (un million de citoyens pourra demander à la Commission de soumettre au Parlement une proposition législative) ; il s'agit également d'un progrès pour chaque citoyen européen dont les droits fondamentaux sont clairement reconnus (égalité entre les hommes et les femmes, non discrimination, respect du droit des minorités, etc.). Ce Traité constitutionnel donne en outre pour la première fois à l'Europe une véritable dimension sociale, comme le reconnaît très honnêtement la Confédération européenne des syndicats, ce qui correspond, vous le savez, à la vision française de la construction européenne. Enfin, avec ce Traité, l'Europe disposera de nouveaux moyens pour lutter contre l'immigration clandestine et la criminalité, par un renforcement de la coopération entre magistrats et policiers des différents Etats membres, mais aussi par la perspective de création d'un parquet européen et par l'élaboration d'une véritable politique commune en matière d'asile et d'immigration.

Les Nouvelles de Mayotte : Ne pensez-vous pas que dans cette campagne, les hommes politiques locaux ont trop tardé à expliquer les enjeux de ce scrutin ? La campagne ne se met en place que depuis quelques jours seulement, alors qu'en métropole elle est au centre des préoccupations depuis plusieurs mois déjà. Compte-tenu des difficultés qui sont celles de la population mahoraise, ce retard ne risque t'il pas de déboucher sur un taux d'abstention extrêmement élevé le 29 mai prochain ?
Brigitte Girardin : Ce qui importe à mes yeux, c'est que la mobilisation finisse par s'effectuer, et tel est bien le cas. Je sais en effet que votre député, Mansour Kamardine, a prévu de tenir 80 réunions publiques d'ici le 29 mai, ce qui témoigne de son engagement pour expliquer le Traité constitutionnel. Moi-même, j'ai eu l'occasion lors de mon dernier déplacement dans votre île, en mars dernier, d'expliquer les apports de cette Constitution pour l'avenir de Mayotte.
S'agissant du taux de participation à ce référendum, je ne partage pas votre pessimisme. Je pense en effet que la prise de conscience des enjeux spécifiquement mahorais de la consultation conduiront à une bonne mobilisation. Car je le répète, Mayotte a une chance exceptionnelle d'accéder au statut de RUP avec ce Traité, chance qui ne se représentera pas de sitôt s'il n'est pas ratifié.
Les Nouvelles de Mayotte : " Historiquement " chaque scrutin d'échelle européenne a atteint des sommets d'abstention à Mayotte alors que les enjeux sont considérables pour le développement de l'île, si le taux de participation n'atteint pas au moins les 50 %, ne pensez-vous pas que le statut de RUP pour Mayotte ne soit remis en cause avec toutes les conséquences économiques qui en découleront ?
Brigitte Girardin : L'abstention serait inévitablement interprétée comme un signe d'indifférence de la part des Mahorais pour leur destin européen. Je me refuse à penser que cela puisse être le cas.
S'agissant de l'accession de Mayotte au statut de RUP, il est clair qu'un bon taux de participation, meilleur en tout cas que ceux enregistrés lors des précédents scrutins européens, sera un atout essentiel pour défendre ce dossier à Bruxelles. A contrario, un message d'indifférence de votre part rendrait la négociation plus difficile.
Les Nouvelles de Mayotte : Quelles seront, également, les conséquences du " oui " en matière de pêche par exemple ? Y a t-il des craintes de voir les ressources halieutiques de la zone être mises en péril par des flottilles de navires européens ?
Brigitte Girardin : Mayotte connaît actuellement une pêche essentiellement artisanale qui est pratiquée à l'intérieur du lagon. La richesse de sa zone économique lui permet d'envisager à terme le développement d'une pêche plus lointaine.
Dans ce contexte, les autorités françaises veilleront, bien évidemment, à garantir à votre collectivité un accès prioritaire et maîtrisé à ses propres ressources. La préservation des ressources halieutiques dans un objectif de développement durable constitue d'ailleurs déjà un axe majeur de la politique commune de la pêche. Il n'y a donc à mon sens aucune crainte à avoir dans ce domaine.
Les Nouvelles de Mayotte : Si le " oui " l'emporte, sous quels délais Mayotte et sa population verront-ils les effets de ce scrutin et par quoi se traduiront-ils concrètement ?
Brigitte Girardin : Les effets les plus immédiats seront ceux liés aux droits reconnus aux Mahorais en leur qualité de citoyens européens à part entière. Par exemple, il sera possible à chacun de saisir à tout moment la Cour de Justice des Communautés européennes s'il estime que l'un ou l'autre des droits que lui confère la Constitution lui est dénié. Mais au-delà, il s'agit surtout de dynamiser le dossier mahorais d'accession au statut de RUP, en lui donnant toutes les chances d'aboutir rapidement, et de pouvoir ainsi bénéficier de la prochaine programmation des fonds structurels européens prévue en 2007. Aidez-moi à prouver à Bruxelles, en vous rendant massivement aux urnes, que vous êtes attachés à la défense de vos droits et de vos spécificités. En votant oui, vous direz que vous croyez en l'Europe, et que vous lui faites confiance pour vous accompagner dans votre développement.
Propos recueillis par Denis Herrmann
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 mai 2005)