Intervention de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les relations des banques avec leurs clients, le microcrédit et l'information en matière de souscription et d'assurances, Paris le 5 avril 2005.

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Circonstance : Réunion du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) à Paris le 5 avril 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de pouvoir vous réunir rapidement après ma prise de fonction. Les services financiers - banque, épargne, assurance - sont indispensables à notre économie dans son ensemble et à chacun de nos concitoyens tout au long de sa vie. Le rôle des professionnels est délicat : ils doivent transformer une matière très complexe en un service de " grande consommation ". C'est pourquoi les pouvoirs publics y portent une grande attention. Des comités tels que le vôtre, qui nourrissent une discussion argumentée entre les besoins des uns et les impératifs des autres, et qui organisent cette discussion dans la durée, sont essentiels à l'action des pouvoirs publics. Dans ce comité, les pouvoirs publics jouent davantage un rôle de témoin que d'interface, et il me semble que responsabiliser ainsi les parties prenantes est la méthode la plus efficace. Je rends hommage au rôle joué, dans l'animation des débats, par le Président Constans.
Je voudrais dans mon propos liminaire lancer trois discussions :
quel bilan faisons-nous, à mi-parcours, collectivement, du plan d'action sur les relations banques/clients ?
quelle contribution le comité peut-il apporter pour étayer un discours équilibré, mais dynamique, sur le crédit ?
enfin, quelles sont les nouvelles pistes à explorer pour " muscler " le travail du comité dans le domaine de l'assurance ?
Je vous propose de faire, à l'issue de cette présentation, un tour de table.
1/ BILAN DU PLAN D'ACTION BANQUES ET CLIENTS
Premier point, donc : le plan d'action global dans lequel se sont engagés en novembre dernier, devant vous, l'État et la profession bancaire pour rendre la banque " plus facile pour tous ".
Je le reprends volontiers à mon compte, parce que j'apprécie la manière dont les choses ont été traitées : d'abord un recensement de l'ensemble des difficultés dans la relation banque/clients, et une méthode partenariale pour insérer les solutions définies dans un schéma d'action. Le Gouvernement en fait le cur de son action dans ce domaine et sera donc très attentif à son bon déroulement. J'ai souhaité aujourd'hui écouter, sans a priori, l'ensemble des parties concernées et vérifier que les éléments sont réunis pour le succès de ce plan.
Vous trouverez dans votre dossier un document préparé par Emmanuel Constans qui fait un état des lieux détaillé sur chaque objectif du plan d'action, et je laisserai les représentants des banques et de La Poste présenter leur bilan et leurs perspectives.
Je voudrais pour ma part m'arrêter un instant sur deux volets du plan : les engagements des pouvoirs publics d'une part, et les étapes qui restent à franchir, d'autre part.
a) Les engagements des pouvoirs publics sont et seront tenus :
l'INSEE a d'ores et déjà fait évoluer son indice des services financiers au 1er janvier 2005, et poursuit l'enrichissement progressif : M. Charpin vous détaillera tout à l'heure ses travaux, dont je sais qu'ils vous intéressent beaucoup.
le cadre législatif et réglementaire de la contractualisation en matière bancaire a été rénové conformément à vos recommandations, par un amendement à la loi de finances pour 2005, complété par un arrêté publié le 18 mars dernier qui précise les différentes stipulations des conventions de compte. Les travaux de la Commission des clauses abusives, qui a été chargée de peigner les conventions de compte d'un point de vue qualitatif vont bientôt aboutir ;
En matière d'amélioration des conditions de la concurrence, j'ai signé l'arrêté fixant les modalités d'information du public dans les agences bancaires, qui est paru ce matin au Journal officiel. La DGCCRF, désormais habilitée à en vérifier le respect, l'a intégré dans son programme de travail. Une meilleure concurrence suppose aussi la possibilité de comparer : sous la responsabilité du Président Constans, vous travaillez sur l'harmonisation de la nomenclature des services.
Enfin, s'agissant de l'accès aux services bancaires, la campagne publique annoncée pour faire connaître le droit au compte aux publics les plus concernés, est prête. Vous trouverez dans votre dossier le dépliant, simple et concret, qui a été préparé en collaboration avec des associations au contact des exclus. Son plan de diffusion est ambitieux : 750 000 exemplaires, diffusés dans plus de 600 points de contacts. La campagne sera lancée au mois d'avril, et j'irai à cette occasion sur le terrain. Enfin, la direction générale de la comptabilité publique a entamé ses travaux avec les collectivités locales dans les deux départements d'expérimentation, la Seine-Saint-Denis et la Sarthe, dont je salue le sénateur ici présent, pour diversifier les moyens de paiement proposés aux familles pour les services publics locaux (par exemple la cantine ou la crèche).
Vous pourrez entendre tout à l'heure de manière plus détaillée les représentants des différentes directions de mon ministère qui sont mobilisées sur ces sujets.
b) Il ne faut pas se le cacher, les étapes qui nous restent à franchir sont les plus délicates et elles conditionnent le succès de cette entreprise. Je voudrais mettre l'accent sur l'accès aux moyens de paiement pour tous.
Le 9 novembre, la profession bancaire s'est engagée à commercialiser, à un tarif modéré, une gamme de moyens de paiement adaptés aux personnes ne disposant pas de chéquier. Le résultat doit être à la hauteur des attentes : il faut que ces offres soient suffisamment complètes dans la couverture des besoins identifiés, pour une activité de la vie courante " normale, mais pas rationnée " ; il faut que le tarif en soit modéré, sans quoi l'impact sera contre-productif pour les publics ciblés.
Soyons clairs : cette voie d'action pragmatique me paraît, non seulement la plus raisonnable, mais aussi la plus efficace, pour que chaque acteur soit responsabilisé dans le cadre d'une relation commerciale de droit commun. Je comprends que l'idée d'un service de base " d'accès direct " soit attrayante pour certaines associations, en particulier celles qui sont au contact des publics en difficultés, au-delà d'un système de droit au compte. Mais je pense que les travaux actuels du comité devraient aboutir à des résultats proches, sans avoir les effets pervers de solutions trop systématiques et en faire assumer le coût à la collectivité. En tous cas, rien ne justifie aujourd'hui de renoncer à cette approche, qui répond de manière ciblée et précise aux difficultés identifiées, au travers de mécanismes de marché. C'est d'ailleurs ce que relève dans son avis sur le service bancaire universel le Conseil de la Concurrence saisi par l'un d'entre vous.
Pour autant, j'ai parfaitement conscience que la voie pragmatique est étroite. Les établissements de crédits et la Poste en ont, je crois, conscience et font de gros efforts. Je leur demande de se mettre à l'écoute des attentes exprimées par les associations. Pour les encourager dans ces efforts, je souhaite m'assurer personnellement, avant la présentation des offres, de leur qualité. Je vous rendrai compte de ces " tests " à l'occasion de la réunion du CCSF qui présentera les offres de moyens de paiement.
Le deuxième engagement qui reste à tenir dans un calendrier qui se rapproche, vise à trouver un équilibre dans la tarification des incidents de paiement : la mise en place de forfaits par chèque sans provision et d'une information préalable sera indiscutablement un progrès, notamment pour que les personnes de bonne foi puissent réagir à temps.
LANCEMENT D'UNE ÉTUDE SUR LE CRÉDIT
Le suivi du plan d'action occupe donc, légitimement, une bonne part de votre temps. Je voudrais pourtant que vous réserviez de l'énergie pour vous pencher sur le thème du crédit et pour compléter le programme de travail sur l'assurance.
Favoriser le développement du crédit est en effet indispensable. Permettre au plus grand nombre de souscrire un crédit, c'est leur ouvrir la faculté de réaliser leurs projets personnels et professionnels dans de bonnes conditions : tout le monde ne dispose pas d'une épargne préalable, et tout les projets ne peuvent pas attendre. De surcroît, un marché du crédit plus développé, c'est aussi un marché plus concurrentiel, ce qui stimulera doublement notre économie.
Je souhaite demander un avis " circonstancié " au CCSF sur la demande des ménages en matière de crédit. Cet avis ferait autorité, en dressant un bilan incontestable de la situation grâce à la diversité de vues représentées autour de cette table.
Le comité consultatif avait publié une étude en janvier 2004, où il apparaissait que les ménages français, avec un endettement de 60 % de leur revenu disponible brut, étaient, avec les Italiens, les moins endettés d'Europe. Il y a matière à rentrer davantage dans les détails, en distinguant selon le type de crédits et de population, et je comprends que telle était votre opinion à l'issue de l'étude.
Cette étude, pour laquelle le CCSF pourra recourir à des expertises extérieures, aurait pour objectif de répondre aux questions suivantes :
Qui emprunte, à quelles conditions et pourquoi ? Qui souhaite emprunter, jusqu'à quelles conditions et pour quel objet ?
Comment les établissements de crédit répondent-ils à cette demande ? Y a-t-il des problèmes d'accès au crédit pour des personnes raisonnablement solvables, par exemple les personnes aux revenus irréguliers ?
Quels sont les freins au crédit ? Sont-ils culturels, financiers, concurrentiels, réglementaires ? Plus spécifiquement, quel est l'impact de la réglementation sur la segmentation du marché, et cette réglementation répond-elle aux objectifs fixés ?
Je n'ai, pour ma part, aucun schéma de réponse préconçu, mais une forte attente à l'égard de votre diagnostic et de vos recommandations. Ma seule demande, c'est que vous abordiez la problématique du crédit de manière positive, en réfléchissant d'abord aux chances de succès, plutôt qu'aux risques d'échec.
Cette démarche de développement du crédit, le gouvernement la poursuit activement sur deux dossiers :
- il encourage le micro-crédit à vocation sociale. S'agissant des personnes en situation difficile, le Fonds de cohésion sociale va commencer à fonctionner. Jean-Louis Borloo le présente cet après-midi à la presse : il fonctionnera sous la présidence de Michel Camdessus, sur la base d'une convention tri-partite avec Bercy et la Caisse des dépôts. Je souhaite que votre étude permette, au-delà de cette impulsion très intéressante donnée au micro-crédit à vocation sociale, le développement du crédit " de droit commun " pour le plus grand nombre.
- deuxièmement, des travaux législatifs ont été lancés pour faciliter le développement de nouveaux types de crédit. La création du prêt hypothécaire " rechargeable " et du prêt viager hypothécaire dynamiseront le marché. Le Gouvernement recueillera votre avis sur la protection du consommateur qui devra accompagner ces nouveaux produits.
Bien entendu, il ne s'agit pas, avec cette démarche, de faire abstraction du surendettement. La Banque de France finalisera d'ici cet été son enquête qualitative triennale sur le surendettement, à partir des cas réels traités en commissions de surendettement. Sur la base des résultats de cette enquête, je souhaite que ce comité examine la pertinence des différents éléments de prévention, au regard des situations complexes auxquelles font face nos concitoyens. L'analyse des parcours individuels pourrait déboucher sur un " cahier des charges " préparé sous l'égide du comité, pour être appliqué par les établissements prêteurs au contact de leurs clients. Il est temps, en effet, de se pencher sur la façon dont les textes, et l'esprit des textes, sont appliqués, à l'issue de nombreuses modifications législatives, sur lesquelles une pause me semblerait d'ailleurs justifiée. Mais je suis bien sûr preneur de votre point de vue sur cette question comme sur les autres.
ANNONCE DU PROGRAMME ASSURANCES
Enfin, je souhaite recueillir votre avis sur plusieurs sujets d'assurance. A l'issue de cette discussion, je vous adresserai une saisine formelle, conjointe avec Christian Jacob.
Je souhaiterais d'abord saluer les travaux entrepris. Bien sûr, je pense d'abord à l'étude menée sur l'assurance automobile, qui a eu un impact sur le pouvoir d'achat des assurés et sur la mobilisation au service de la politique de prévention routière. Les autres travaux en cours, qu'il s'agisse du suivi des plans d'épargne retraite populaire et des conditions de résiliation des contrats d'assurance revêtent également un grand intérêt pour les assurés.
Vous vous êtes également penché sur la réforme de l'information des souscripteurs d'assurance-vie, et vous avez donné en décembre votre accord au texte en considérant qu'il présentait un bon équilibre et préservait l'intérêt de long terme de la communauté des assurés. La discussion de ce soir à l'Assemblée nationale permettra je pense de lever plusieurs malentendus auquel ont succombés des commentateurs moins avertis que vous. De fait, il est très important que l'assuré ne compte pas sur des contentieux tardifs : il doit être responsabilisé dès le départ. C'est pourquoi je salue votre initiative de réfléchir à un guide recensant les points essentiels que l'assuré se doit d'examiner et d'identifier avant de souscrire son contrat.
Au-delà de ces thèmes, je vous propose de muscler votre programme dans le domaine de l'assurance en ouvrant de nouveaux chantiers :
- le premier de ces thèmes est l'assurance de protection juridique, dont le fonctionnement actuel pose diverses difficultés. Les travaux du CCSF permettraient de poursuivre le débat engagé entre les pouvoirs publics, les assureurs et les avocats en y associant les représentants des assurés.
- le second sujet est l'accès de l'assuré au rapport d'expertise après sinistre. Si la nécessité de cet accès n'est plus remise en cause, il faut engager une réflexion sur ses conditions et modalités.
- le troisième thème de réflexion porte sur l'application de la prescription biennale. La Cour de Cassation a mis en évidence, à plusieurs reprises, la méconnaissance par les assurés de la procédure de la prescription et a insisté sur l'intérêt d'une meilleure information.
- le quatrième sujet proposé à votre analyse est une réflexion sur l'indice INSEE des prix de l'assurance multirisques habitation. Avec la demande de protection, la part du budget des Français consacrée à l'assurance croît. Il serait utile que le CCSF se penche sur l'indexation des contrats afin, le cas échéant, de demander à l'institut une actualisation de la méthode de calcul de son indice de référence.
- enfin, vous vous apprêtez également à étudier l'assurance emprunteurs. A cet égard, l'usage des sanctions prévues par le Code des assurances et la définition des garanties invalidité, incapacité et arrêt de travail pourraient utilement retenir l'attention de votre Comité.
Je vous propose de faire un tour de table sur ces trois sujets: le bilan du plan d'action banques/clients de novembre dernier, développement du crédit et programme de travail sur les assurances.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 7 avril 2005)