Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur les efforts en faveur de la recherche européenne pour améliorer sa compétitivité, notamment le soutien financier à la recherche fondamentale et la perspective de la création d'un Conseil européen de la recherche, Dublin, le 17 février 2004.

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Circonstance : Voyage de Mme Claudie Haigneré en Irlande à l'occasion d'un séminaire sur la compétitivité organisé à Dublin par la ministre irlandaise Mary Harney, présidente du Conseil des ministres européens, les 16 et 17 février 2004

Texte intégral


I - Le défi à relever
La compétition scientifique mondiale à laquelle se livrent les pays industrialisés avec notamment la montée en puissance des budgets de recherche de base américains et japonais constitue un défi pour l'Europe.
C'est pour notre modèle économique et social la perspective d'une évolution lourde, avec notamment pour l'Europe, le risque d'un recul de sa présence dans certains domaines de pointe où sa recherche est pourtant d'excellent niveau, ainsi que celui de l'exode de ses meilleurs cerveaux hors du continent européen.
Il est donc impératif de réagir pour renforcer les pôles d'excellence scientifique européens et leur potentiel d'attractivité auprès des grandes firmes industrielles mondiales.
En plus d'un soutien accru aux programmes consacrés à la formation et la mobilité des chercheurs et aux infrastructures de recherche, la France considère que l'Europe doit se donner les moyens de stimuler l'excellence de la recherche fondamentale en renforçant la compétition entre les équipes au niveau européen, de promouvoir des pôles d'excellence et de favoriser l'émergence d'idées nouvelles et créatrices.
II- L'Europe doit accroître son soutien à la recherche fondamentale
C'est le socle sur lequel se construit son avenir, celui de sa capacité d'innovation, de son attractivité pour des scientifiques et ingénieurs étrangers, et d'une grande part de ses emplois.
Nul ne peut plus en effet contester qu'il existe un lien étroit entre recherche fondamentale, innovation et dynamisme économique. Les entreprises implantent aujourd'hui leurs activités de recherche au plus près des laboratoires et des universités où elles trouvent cette possibilité de recruter de jeunes scientifiques et d'anticiper en permanence les évolutions du savoir et des techniques. Les étudiants et les chercheurs, eux aussi, recherchent la reconnaissance de leurs pairs et de la communauté scientifique auprès des laboratoires les plus performants.
Sans la recherche de l'excellence dans les domaines fondamentaux du savoir, il n'est pas de recherche et d'innovation durablement viables. C'est de ce terreau que naissent les inventions les plus originales, les ruptures conceptuelles ou expérimentales les plus lumineuses.
Si j'insiste sur la recherche fondamentale, c'est bien parce qu' à mes yeux elle constitue le coeur de la connaissance. La recherche fondamentale telle que je l'entends doit se déployer des mathématiques ou de la physique vers les sciences humaines et sociales, dont l'apport est essentiel à notre compréhension du monde et à l'acceptation du progrès par tous.
III- Quelle pourrait être la vision européenne pour la recherche de base à l'horizon 2015 ?
Il faut que l'impulsion politique donnée à la recherche européenne à Lisbonne, puis à Barcelone de façon quantitative (objectif des 3%), soit prolongée par une véritable vision qualitative et prospective sur les vingt prochaines années qui mettrait en évidence les besoins en ressources humaines, en grandes infrastructures, avec leurs composantes internationales, qui identifierait des secteurs clés d'avenir.
Je souhaite donc que nous réfléchissions, à l'échelle européenne, à la meilleure manière de progresser ensemble vers cette vision à moyen et long terme qui accompagnerait nos efforts en terme quantitatifs.
Avec le 6ème PCRD, l'Europe a engagé des initiatives importantes pour fédérer et mobiliser les compétences. Les réseaux d'excellence, les grands projets intégrés sont des moyens efficaces pour rapprocher les laboratoires européens. Ils ont permis de mobiliser des moyens importants et de constituer des équipes structurées autour de nos grandes priorités. L'expérience NEST*, les primes Marie Curie** explorent, avec des moyens certes encore très modestes, le financement communautaire sur le front des connaissances. C'est bien sur ce dernier point que l'Europe doit aussi faire des progrès pour préparer son avenir sur les vingt prochaines années.
IV- Il faut donc une initiative européenne en matière de recherche fondamentale
Pour parvenir à mettre en place rapidement un mécanisme de financement de projets de recherche fondamentale respectueux de la dynamique interne de cette recherche, il faut ouvrir à l'ensemble des domaines de recherche scientifique, des appels à propositions sur lesquels les meilleures équipes de toute l'Union européenne seront en compétition, avec une évaluation basée sur l'excellence scientifique au meilleur niveau européen et mondial, sans distinction de nationalité, sans critère de juste retour, sans obligation de coopération transnationale.
Quel mécanisme de financement ?
Il faut un système inscrit dans le PCRD mais avec une gestion extérieure souple et déconcentrée
Dans ce contexte, la création d'un Conseil européen de la recherche (ERC) est proposé. Une "Agence européenne de la recherche" pourrait en effet être un instrument efficace pour assurer une gestion déconcentrée de la recherche européenne fondée sur l'excellence. Cette instance doit être mise en place par la Commission européenne pour assurer le lien avec le Programme-cadre mais doit avoir des méthodes souples de gestion et de mise en oeuvre qui sont indispensables pour répondre aux exigences de réactivité et de souplesse nécessaires.
Il faut enfin avoir la vision d'une stratégie scientifique, par domaines scientifiques d'une part et dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire croisée d'autre part.
L'ERC doit être mis en place en veillant très attentivement à créer un lien de confiance avec la communauté scientifique européenne.
La communauté des chercheurs se pose aujourd'hui la question de son devenir, de son rôle dans la société.
Les chercheurs expriment par exemple aujourd'hui en France la crainte de ne plus pouvoir être sûrs de leur capacité de rester au meilleur niveau mondial, de ne plus pouvoir entreprendre des travaux aux frontières de la connaissance car les besoins exprimés par les applications sont devenus prépondérants. Or la recherche cognitive, sans but précis à priori, est la garantie indispensable pour assurer à la fois l'avenir de notre société et de notre économie, mais aussi la garantie de l'indépendance de l'expertise, dont les gouvernements ont besoin. Il s'agit donc bien d'une politique publique, dont l'objectif est de promouvoir un bien public que sont les progrès de la connaissance et l'élargissement du savoir.
La mise en oeuvre de l'ERC doit donc s'appuyer sur la communauté académique et mettre en place des dispositifs d'une grande transparence pour ses réflexions prospectives et stratégiques.
L'amélioration de la compétitivité de l'Europe ne pourra jamais se réduire à une simple augmentation des efforts financiers. Elle doit être assortie d'un objectif d'excellence de la recherche de base et d'une réflexion continue sur l'organisation de la recherche européenne. L'Europe doit aujourd'hui trouver, en évaluant les atouts de chacun et en s'inspirant de leurs succès, les meilleurs modes d'organisation possibles des dispositifs de recherche. Il y a urgence et obligation de résultat.
* NEST : Sciences et technologies nouvelles émergeantes 215 m ( 6ème PCRD) pour des projets collaboratifs de type " adventure ", " insight " ou " pathfinder " ;
**Prime d'excellence Marie Curie : " soutien à des chefs d'équipe prometteurs ".

(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 2 mars 2004)