Déclaration de M. Alain Madelin, président de Démocratie Libérale, sur la notion de libéralisme politique, notamment les valeurs de la responsabilité personnelle, les choix de la décentralisation, de l'autonomie et de l'exigence sociale de la protection des plus faibles, dans le cadre de son projet libéral, La Défense le 17 octobre 1998.

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Circonstance : Réunion d'une "Convention libérale" de Démocratie Libérale et Conseil national à la Défense les 17 et 18 octobre 1998

Texte intégral

Au terme de cette journée, une journée qui je l'ai constaté, a été animée, bouillonnante, passionnée, parfois politiquement très incorrecte, je veux d'abord dire un grand merci à celles et ceux qui ont participé à l'organisation, à l'animation de l'ensemble de nos forums et de nos débats.
15 forums, 80 heures de débats, une centaine d'intervenants, plusieurs milliers de participants.
Un grand merci, parce que cette journée était pour nous une étape importante. Nous avons montré que l'on pouvait faire de la politique autrement, faire respirer, aérer la vie politique.
Il y a maintenant tout juste 150 jours, les libéraux avec Démocratie Libérale ont - les premiers - présenté un projet de reconquête autour de 10 choix forts.

Que les choses soient claires. Si nous entendons ainsi dessiner dès maintenant un autre avenir que celui que nous préparent aujourd'hui les socialistes, c'est bien pour dire qu'on ne compte pas sur les libéraux pour faire de la prochaine alternance "une Restauration". Non, merci ce sera sans nous !
Qu'on ne compte pas davantage sur les libéraux pour préparer je ne sais trop quelle alternance chèvre-chou entre un centre gauche et un centre droit défendant peu ou prou les mêmes choix mous, les mêmes politiques incapables de résoudre vraiment les problèmes des Français. .
Non merci, on a déjà donné !
La prochaine alternance exigera des choix modernes, des choix forts, construits autour de solides convictions.
Et les grands choix modernes dont le pays a besoin sont plus que jamais des choix libéraux.
C'est pourquoi, avant de tenir cette convention nous avons tout naturellement discuté de ce projet au sein de notre mouvement, Démocratie Libérale.
Mais nous avons pensé qu'il nous fallait aller plus loin. Frotter nos idées, nos arguments, dans une manifestation largement ouverte, dans ce lieu de rencontre et de débats qu'à constitué aujourd'hui cette première Convention Libérale.
Un grand merci encore d'avoir donné tout au long de cette journée une bonne image des libéraux, une bonne image de l'opposition - pas celle d'une opposition qui se chamaille mais celle d'une opposition qui travaille; une opposition libérale, ouverte, attentive, imaginative, qui écoute, qui discute et qui propose..
Normalement, si nous faisions de la politique comme tout le monde, je devrais en cet instant sortir providentiellement de ma poche une synthèse de nos travaux soigneusement rédigée à l'avance.
Désolé, mais pour une vraie synthèse, il va vous falloir attendre. Car il va nous falloir travailler, pour décrypter tout ce qui a été dit tout au long de cette journée, pour enrichir les propositions qui sont les nôtres.
Pour l'heure, je ne peux que tenter de mettre en perspective les idées et les débats qui ont été aujourd'hui les nôtres. Essayer de dégager le fil conducteur de toutes nos réflexion. Avant bien d'autre et je crois mieux que d'autres, les libéraux ont compris et dit que nous ne subissions pas une crise, comme on l'affirme trop facilement, mais que nous vivions une mutation profonde de notre société.
La mondialisation de l'économie, la réduction des distances, l'accélération du temps, la révolution des technologies de l'information, annoncent une transformation sans précédent de notre civilisation.
Troisième grande vague de changement dans l'histoire de l'humanité, la civilisation de l'usine fait place à la civilisation du savoir, au moment précis où s'achève à la fois un siècle et un millénaire.
Avec deux guerres mondiales avec deux idéologies totalitaires, le 20ème siècle a été le siècle des Etats, de la toute puissance des Etats. Un siècle dur pour l'homme, où l'homme était parfois peu de choses.
De plus, le modèle industriel, la civilisation de masse ont coupé de leur racine, de leurs valeurs, des millions d'hommes et de femmes. Aujourd'hui, un urbanisme inhumain, un environnement parfois mutilé en portent encore la marque.
Progressivement nous sommes passés dune confiance dans l'homme à une confiance dans l'Etat, et de la confiance dans l'Etat à une défiance envers l'homme.
Je suis convaincu que le nouveau siècle, la nouvelle civilisation en gestation constituent en fait une profonde et heureuse rupture par rapport au 20ème siècle.
Il va nous falloir repenser notre culture, notre conception du pouvoir, de la souveraineté et l'ensemble de nos institutions sociales dans une nouvelle approche fondée sur la confiance retrouvée dans l'homme afin de remettre l'homme au cour de la société.
Et dans cette ouvre de reconstruction, nous, les libéraux, nous avons beaucoup de choses à dire. Parce que nous sommes les héritiers de l'humanisme libéral.
Oui, nous entendons reprendre aujourd'hui l'idéal d'émancipation de la personne humaine. Son affranchissement de ces mille liens de tutelle qui brident sa liberté, sa responsabilité, sa personnalité et qui font obstacle à la vie.
Parce que, avant d'être une approche économique, le choix libéral est d'abord un choix profondément politique aux dimensions philosophiques, éthiques, juridiques et institutionnelles.

Ce n'est pas le choix de l'économie d'abord, comme on veut trop souvent le faire croire
Certes, nous croyons à l'efficacité d'une économie de liberté. Elle constitue meilleur moyen d'assurer la prospérité, la mobilité sociale et le progrès social.
Mais nous ne réduisons pas l'homme à l'économie. Au contraire, nous mettons l'économie au service de l'homme.
Ce n'est pas nous qui réduisons l'économie aux chiffres de la comptabilité publique. Nous n'avons qu'une médiocre confiance dans les agrégats de la comptabilité nationale qui considèrent comme augmentation de la richesse nationale l'augmentation du temps passé dans les embouteillages ou les accidents de voitures, et qui confondent ventes d'armes et ventes de livres.
Nous savons que l'économie c'est avant tout des hommes et des femmes plus ou moins motivés et incités par la culture et les institutions à développer leur initiative et leur créativité et à faire preuve de comportement responsable.
Et dans la défense que nous faisons souvent de l'entreprise, il y a avant tout la défense de l'entrepreneur, de l'innovateur, des créateurs, des hommes et des femmes au travail.
Nous savons que beaucoup de choses qui ne valent rien d'un point de vue marchand, la vertu, l'honneur, les soins prodigués par les mères à leurs enfants, ont cependant une vraie valeur pour l'homme et pour la société.
Voilà pourquoi, la pensée libérale n'est pas un manuel de cuisine économique qui mettrait l'homme au service de ses recettes.
Je tiens à réaffirmer cela précisément au moment où les tourmentes financières de la planète nous rappellent, notamment en extrême orient, que la liberté économique ne peut se passer durablement, pour être efficace, des fondations juridiques et politiques d'une société libérale.
Et je le fais d'autant plus que nos adversaires qui ont été forcés d'accepter les contraintes de l'économie de marché, de reconnaître sa supériorité sur l'économie dirigée, voudraient aujourd'hui contenir la force nos idées au seul domaine économique de façon à préserver le statu quo social et politique.

Donc, pas question de nous laisser enfermer dans le champs clos de l'économie, alors que le libéralisme économique n'est plus aujourd'hui vraiment un signe distinctif en Europe ou dans le monde; et que les libéraux ont bien d'autres choses à dire. Nous l'avons montré aujourd'hui.
Il y a quelques années les libéraux ont su entraîner l'opposition toute entière vers le libéralisme économique. Aujourd'hui ils doivent aller plus loin et entraîner l'opposition, et au-delà les Français, vers le libéralisme politique.
Je voudrais aujourd'hui, pour mieux cerner le fil conducteur de notre projet, tenter de définir les quatre traits majeurs du nécessaire libéralisme politique
1. Ce libéralisme politique, c'est d'abord, une philosophie et une éthique : l'éthique de la responsabilité personnelle.
Beaucoup ont pu découvrir dans cette Convention Libérale, la place que nous faisions aux débats philosophiques, éthiques, juridiques et moraux.
Si nous l'avons fait, c'est que nous pensons que la politique est inséparable de la morale, et qu'elle procède d'une certaine conception de l'homme.
Nous croyons à la supériorité éthique des choix qui proposent d'enrichir la personne humaine en conduisant celle-ci à assurer une part toujours plus grande de responsabilité personnelle;
Nous savons, puisque nous avons aujourd'hui sans aucun doute plus de liberté qu'à n'importe quelle autre époque de l'histoire de l'humanité, qu'il nous faut plus que jamais apprendre à faire un bon usage de notre liberté.
C'est que la liberté, celle d'agir ou de choisir, n'est rien si elle n'est éclairée par la responsabilité.
Il est vrai qu'après des décennies de tutelles, voire d'assistance, la liberté de choix - choisir sa retraite, sa protection sociale, l'école de ses enfants - peut effrayer et que par facilité ou par habitude, on préfère encore sen remettre à d'autres, à l'Etat, à l'autorité, à la loi, au règlement, pour faire le bon choix à votre place.
Malheureusement notre pays ne dispose plus à ce jour de la culture, des règles du jeu et des institutions qui correspondent à cette confiance dans l'homme, dans sa liberté et sa responsabilité.
Nous sommes encore dans une période charnière, ou sous le double choc de Mai 1968 et de la mondialisation, le vieux modèle autoritaire et hiérarchique qui dominait notre société craque de toute part, et je dis cela sans regret, Dans le même temps partout s'ouvrent de nouveaux espaces de liberté. Mais une liberté orpheline encore de la responsabilité.
Tant de beaux esprits sont venus soit rétrécir à l'excès la notion de responsabilité -"personne n'est responsable, c'est la société qui est responsable de tout"- soit l'agrandir en exagérant la notion de responsabilité -"nous sommes tous collectivement responsable de tout", ce qui revient à peu près au même que de dire que personne n'est responsable.

· C'est pourquoi, il est absolument nécessaire, pour déplacer le centre de gravité de notre culture politique, qu'aux côtés des libéraux, de nombreux Français qui, quels que soient leur positions sociales, partagent cette culture de la liberté et de la liberté personnelle, s'engagent dans la vie civile et politique.
2. Le deuxième trait du libéralisme politique c'est aussi des règles du jeu, des institutions modernes qui accompagnent cette confiance dans l'homme, dans sa liberté et sa responsabilité.
A tous les étages de nos institutions et de notre droit, nous privilégions encore l'Etat, les décisions et les choix collectifs.
Prenez nos grands systèmes bloqués comme l'Education ou notre protection sociale. Ne perdons pas notre temps à accuser les médecins, les professeurs, les élèves ou les malades.
Dans un cas comme dans l'autre, ce qui est en cause, c'est un système qui ne sait pas favoriser à tous les niveaux des comportements responsables et organiser la responsabilité de chacun.
Il est faux de croire encore que l'on peut diriger de tels mammouths en mettant un contrôleur derrière chaque médecin ou chaque ordonnance, un syndicat ou un bureaucrate parisien derrière chaque établissement ou chaque nomination de professeurs.
· C'est pourquoi, dans notre projet nous faisons les choix de la décentralisation et de l'autonomie pour retrouver des mécanismes de responsabilité, Indépendance pour les universités, responsabilité des entreprises dans la formation professionnelle, autonomie des caisses d'assurance maladie et la liberté de choix pour les assurés..
Je suis d'ailleurs convaincu que le projet libéral que nous avons proposé et dont nous avons discuté tout au long de cette journée, constitue une révolution aux deux sens de ce mot, à la fois le bouleversement des valeurs et d'un ordre social existant, et aussi la rotation autour d'un axe.
Nous avons une société, une politique, des institutions, une culture même, qui procède de l'Etat.
Il nous faut inverser le sens du mouvement et repartir de l'homme.
Formidable tâche de reconstruction pour le libéralisme politique.
· C'est pourquoi par nos choix, nous voulons favoriser le gouvernement local, réformer l'Etat, réduire la part de nos dépenses publiques dans la richesse nationale, déplacer la frontière entre la dépense privée et la dépense publique, c'est-à-dire la frontière de la responsabilité personnelle, c'est a dire faire le choix d'un peu plus de feuille de paie et donc d'un peu moins de feuille d'impôt ou d'allocations.
. Nous proposons de reconstruire un Etat de droit et non de passe-droit, où la loi est la même pour tous avec justice sereine qui fait que les bons citoyens sont tranquilles et que les mauvais ne le sont pas. Un Etat respecté car un Etat respectable.
3. Le troisième trait libéralisme politique, c'est l'exigence sociale de la protection des plus faibles
L'histoire nous apprend d'ailleurs, ou plus exactement devrait nous apprendre, que la pensée libérale apparaît avec l'exigence de protéger les faibles contre les puissants, avec l'affirmation des droits de la personne contre les excès du pouvoir, la protection du droit de la minorité contre les tyrannies possible de la majorité. Et que cette pensée libérale est à l'origine même de l'idée des Droits de l'Homme.
L'histoire nous apprend aussi, ou plus exactement devrait nous apprendre, que les libéraux ont défendu dès l'origine dans un même mouvement, et les libertés économiques et le besoin de sécurités sociales.
Beaucoup sont surpris lorsqu'on leur dit que ce sont les libéraux qui ont pensé, créé, initié à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, toutes les grandes institutions de protection sociale, l'assurance maladie, l'assurance chômage l'assurance vieillesse, et qu'ils sont aussi à l'origine de la liberté syndicale, des bourses du travail ou encore de la politique contractuelle. Aussi, quand l'Etat-Providence est en panne, quand il nous faut explorer d'autres chemins, il est normal que les libéraux sachent apporter là encore des réponses au besoin de justice et de protection sociale.

· C'est pourquoi nous avons proposé de remettre radicalement en cause les structures les mécanismes même de l'Etat providence pour rompre avec la logique de l'inactivité.
Nous refusons d'enfermer des familles entières dans la dépendance et la pauvreté au risque dune déstructuration familiale dangereuse et dune transmission d'une culture d'assistance, de générations en générations.
Nous proposons une activité minimum rémunérée, pour chaque fois qu'on le peut transformer les revenu d'assistance en revenu d'activité
Un revenu minimum garanti par un complément sur la feuille de paie.
Le sauvetage de nos retraites par la création de fonds de pension.
Le sauvetage de notre assurance maladie par l'autonomie des caisses, la concurrence, et la liberté de choix des assurés.

· Nous voulons reconstruire une école qui donne à chacun sa chance toute sa chance en faisant bouger l'Education nationale, par la décentralisation, l'autonomie des établissement, par l'indépendance des universités, une vraie liberté d'initiative aux chefs d'établissements et aux enseignants, une vraie liberté de choix aux parents et aux étudiants. .

4. 4ème trait : Le libéralisme politique cherche le rassemblement, la concorde et non la division
Promouvoir un libéralisme politique c'est chercher à unir et réunir les Français. Certes la France est unique. Et Elle est sûrement porteuse d'un destin singulier. Mais les Français sont pluriels.
Il s'agit de les faire vivre ensemble des Français différents, ayant chacun leur propre projet de société et de bonheur.
Le temps n'est plus à ceux qui prétendaient dire aux Français comment ils devaient vivre, et faire à leur place les choix essentiels.
Notre démarche est plus modeste, ou, peut être plus ambitieuse : permettre l'harmonie la coexistence pacifique des projets de vie de tous les Français.
Aujourd'hui les intellectuels de gauche découvrent les valeurs dites " de droite ", des valeurs qu'à mes yeux on avait eu tort doublier et même de dénigrer : la défense de la loi et de l'autorité, de l'ordre et de la morale, la discipline à l'école et le civisme.
Mais il existe aussi des valeurs que l'on dit abusivement, selon moi, " de gauche ", la générosité, la fraternité, la solidarité ; Elles sont tout aussi indispensables à l'équilibre dune société et à une vie en commun.
Le projet des libéraux, c'est celui qui additionne ces valeurs et non celui qui oppose artificiellement les une aux autres.
Pour nous, le vrai clivage aujourd'hui - et encore plus demain- c'est celui qui oppose ceux qui font d'abord confiance à l'Etat à ceux qui font d'abord confiance en l'homme ; C'est celui des anciens et des modernes.
Le projet des libéraux aujourd'hui, celui dont nous avons discuté tout au long de cette journée, c'est sans doute le seul projet qui peut permettre à notre société de réussir notre entrée dans le prochain siècle, celui qui peut permettre à la jeunesse de vivre toutes les chances de ces nouveaux espaces de liberté et de responsabilité. Les exaltantes perspectives que leur offre le prochain monde.
Permettez moi pour conclure de citer cette phrase de Saint-Exupéry : "l'avenir, tu n'as pas à la prévoir. Tu as à le permettre".
(source http://www.demlib.com, le 19 février 2002)