Texte intégral
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Nous accueillons aujourd'hui comme promis Jean-Pierre RAFFARIN. Bonsoir monsieur le Premier ministre.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bonsoir Patrick POIVRE D'ARVOR.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous voilà aujourd'hui dans une situation assez paradoxale. Nous sommes à deux mois du référendum sur la constitution européenne. C'est ce soir votre première implication forte à la télévision sur ce sujet et pourtant, à gauche comme à droite, on entend des voix qui disent : " Qu'il se taise, il va nous faire perdre ". Ce n'est pas très agréable.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Vous savez, il y a de la malice partout. A ce que je sais, il y a même des gens qui voudraient ma place. S'ils savaient la lourdeur du travail...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous l'avez remarqué.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ca ne vous a pas échappé non plus. Je vais vous dire qu'il faut assumer ses responsabilités. Le gouvernement doit s'engager non pas pour faire la campagne des partis. Comment va être l'architecture de cette campagne ? Il y a au sommet le président de la République qui pose une question aux Français : c'est cela, un référendum.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et lui même va intervenir dans cette campagne ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je le pense. Il devra expliquer l'enjeu et je pense qu'il le fera. C'est son intention, c'est une responsabilité tellement importante pour notre pays qu'on a besoin d'entendre son message. Et puis il y a la campagne des partis. Il doit y avoir une campagne d'explications du gouvernement, chef du gouvernement. Je serai chef de cette campagne d'explications. Nous allons diffuser un document sur la constitution, nous avons un site Internet : constitution-europeenne.fr. Nous avons 500 réunions qui sont prévues, je vais moi-même faire plus de 20 réunions, pour expliquer et l'enjeu et ce qu'est la constitution européenne et pourquoi c'est un choix historique. Comme le résultat du référendum est incertain, tous les sondages nous l'indiquent, et à mon avis est durablement incertain...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous restez optimiste quand même ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bien sûr ! Mais le résultat est incertain, ça veut dire que chaque Française et chaque Français est devant sa responsabilité. C'est quelque chose qui nous engage : chaque vote va compter. C'est une responsabilité personnelle qui fait que la France doit choisir la voie en fonction du souhait du peuple français.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Dans les manifestations, les meetings dont vous parliez, est-ce qu'il y en aura certains communs avec Nicolas SARKOZY, le président de l'UMP par exemple ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bien sûr. L'ensemble des membres du gouvernement participeront aux réunions de l'UMP. Moi-même je serai engagé avec Nicolas SARKOZY, avec des Ministres, avec les uns, avec les autres sur le terrain pour faire partager notre conviction. Deux idées sur l'Europe : je crois vraiment que le monde a besoin aujourd'hui de l'Europe. Nos parents ont fait l'Europe pour faire la paix à l'intérieur de nos frontières. Notre génération doit faire l'Europe pour la paix dans le monde. Depuis que je suis Premier ministre, je suis très préoccupé par la situation internationale, par les guerres qui n'en finissent pas - la Palestine, Israël - par cette situation préoccupante qui est la montée du terrorisme. L'Europe avec ses valeurs, avec ses convictions sur les droits de l'homme, est utile au monde. Il faut équilibrer le monde. Si le monde n'est pas équilibré avec une Europe forte, nous risquons d'avoir probablement des menaces nouvelles. Pour la sécurité du monde, il faut l'Europe, et puis pour la France. J'étais avec les agriculteurs, on l'a vu tout à l'heure, ce matin.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Qui pour l'instant penchent vers le 'non', nous disent les sondages, à 69 %.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Certains. Mais je crois que sur tout cela il faut être prudent. Ce qui est très important, c'est que l'Europe est là et elle sera là. La question, c'est est-ce que la France sera forte dans l'Europe ou est-ce qu'elle sera faible dans l'Europe ? On a vu avec le dernier Conseil que le président de la République, parce qu'il est fort dans l'Union européenne, a pu régler un problème majeur qui est cette fameuse directive sur les services qui menace les emplois.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais est-ce qu'elle peut rester forte dans une Europe à 25 et bientôt à 27 ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Elle peut rester forte si les Français disent 'oui' à la France en Europe. Si les Français disent 'non', la France sera affaiblie. Quand la France est forte, elle peut gagner ses batailles, elle peut montrer son élan, elle peut montrer ses valeurs, elle peut mettre du bleu - blanc - rouge dans le bleu avec les étoiles, elle peut porter ses messages, les droits de l'homme. Notre modèle social, il faut le défendre. Si nous ne le défendons pas, si notre message n'a pas de force, celui qui sera demain chargé de représenter la France, il sera affaibli. Voter 'oui', ce n'est pas voter RAFFARIN, ce n'est pas voter HOLLANDE, ce n'est pas voter pour tel ou tel : c'est voter pour la France. Demain, après-demain, dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans, celui qui parlera au nom de la France, il aura besoin de la force du peuple français. Si la France dit 'oui' à l'Europe, la France sera forte en Europe. Si la France dit 'non' à l'Europe, la France sera fragilisée dans cette construction européenne. Nouveau traité, nouvelle Union avec une France forte, c'est cela le sens du 'oui'. C'est un peu un 'oui' à la France.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous venez de citer François HOLLANDE. Il est imaginable que vous fassiez un meeting commun avec lui ou avec François BAYROU, qui est d'un autre parti que le vôtre ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je crois que nous devons ajouter nos 'oui'. Je crois qu'il ne faut pas qu'il y ait de confusion, puisque nous n'avons pas des points d'accords sur tous les sujets, puisque nous avons un certain nombre de divergences. Il est bien que le parti socialiste puisse mobiliser ses électeurs et je souhaite qu'il les mobilise toujours davantage, parce qu'en ce moment on sent qu'il y a un certain flottement à l'intérieur du parti socialiste. Je souhaite donc vraiment que le parti socialiste mobilise les électeurs.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous ne vous en réjouissez pas secrètement, vous n'avez pas d'arrières-pensées sur ce sujet ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Non, pas du tout, pas du tout. Je souhaite vraiment que chacun mobilise les siens et qu'on additionne les 'oui', les 'oui' pour la France, pour que la France soit forte, qu'elle défende son élan dans les constructions européennes.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous savez bien que dans ce genre de situation, habituellement les Français répondent rarement à la question qui leur est posée. En ce moment ils ont beaucoup de préoccupations qui sont très très éloignées de la constitution européenne. Ils voient bien que le chômage continue à monter - il est à 10 % aujourd'hui - que ce que vous annonciez sur la reprise de la croissance faibli, puisqu'on est à peu près à 2 %, ce sont vos derniers chiffres.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Soyons prudents sur ce sujet. Vous savez, l'année dernière à la même époque, les mêmes organismes ont annoncé 1,7 et on fait 2,5. Alors, soyons très prudents. Je continue à dire que le chômage baissera de manière significative dans l'année 2005. A la fin de cette année, nous aurons une baisse significative du chômage. Je continue à le dire parce que c'est dans tous les indicateurs. Même l'UNEDIC a annoncé 120 000 chômeurs de moins. Je pense donc que nous sommes dans cette perspective. Nous avons une croissance qui sera entre 2 et 2,5. Je pense que nous pouvons atteindre les 2,5 mais l'année dernière il y a eu un tel écart qu'il faut être prudent sur les chiffres. C'est un peu comme avec les sondages.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vos électeurs traditionnels sont assez déroutés parce qu'en ce moment, dès qu'il y a une manifestation d'importance, le gouvernement lâche du lest. Par exemple sur la réforme de l'école, il n'y a pas eu finalement de réforme du bac et puis pour ce qui est des fonctionnaires, ils vont finalement obtenir sans problème ce qui, selon vous, n'existait pas dans les caisses de l'Etat. Vous allez encore beaucoup lâcher comme ça dans les deux mois à venir pour préserver le 'oui' au référendum ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Si vous le permettez, je trouve le propos un peu caricatural. La situation sociale, j'y suis très attentif, est caractérisée par à mon avis deux éléments très importants. Premièrement, il y a une opposition d'un certain nombre d'organisations à la politique de réforme et de modernisation que je mène dans l'intérêt de la France. Et puis d'autre part, il y a une légitime préoccupation pour mieux partager les fruits de la croissance. On avait pensé à une croissance de 1,7, on a fait en 2004 2,5. Un certain nombre de Français veulent donc voir pour eux les fruits de la croissance.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - D'autant plus qu'ils voient les profits records des grandes entreprises.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Absolument.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ce n'est pas anormal qu'ils demandent.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ceci est légitime. Et donc, à ceux qui voulaient s'opposer à ma politique de réformes de modernisation du pays, j'ai montré ma fermeté et ma détermination. Nous avons fait la réforme du temps choisi : pouvoir travailler plus pour gagner plus. Cette réforme a été votée cette semaine. La réforme de l'éducation nationale a été votée à l'Assemblée nationale cet après-midi.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Sans la réforme du bac.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Sans la réforme du bac. A ce jour, on a ouvert les discussions, on a fait une réforme très importante sur l'éducation. La formation des maîtres va être changée, la réussite à l'école va être changée. Aujourd'hui, plus de 100 000 jeunes sortent de l'école sans aucune qualification. Mettre la réussite à l'école, aller chercher chez chaque enfant son talent. Il n'y a pas d'enfant sans talent.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et pourtant, ils sont encore inquiets, on l'a vu aujourd'hui.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ils sont inquiets, c'est normal : une réforme provoque toujours un peu d'inquiétude mais il faut penser à l'avenir du pays. Sur ces sujets-là, j'ai donc continué avec fermeté et avec détermination la politique de réforme, comme j'avais fait les retraites, comme j'ai fait l'assurance maladie, j'ai fait les 35 heures, j'ai fait la réforme de l'éducation nationale.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais sur les fonctionnaires.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Sur l'autre sujet....
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Oui, moi j'ai bien entendu votre Ministre de la Fonction publique, Renaud DUTREIL, qui disait : " Il n'y a plus rien dans les caisses, on ne peut pas vous donner davantage ".
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Il est normal... Je voudrais d'abord dire que dans notre pays, on considère les fonctionnaires vraiment avec une meilleure affection, je dirais. Parce que la fonction publique, elle est très importante pour le pays. Les fonctionnaires ne sont pas des Français de deuxième catégorie, on a besoin de services publics de qualité. Donc, les fonctionnaires, ils ont besoin aussi d'avoir le droit au partage du pouvoir d'achat. Donc, ne mettons pas les fonctionnaires comme s'il était coupable que les fonctionnaires voient leurs salaires augmenter du niveau de l'inflation. Donc, les fonctionnaires, chacun l'a vu, on a tous un professeur, des enseignants, des infirmières qu'on a rencontrées à l'hôpital ou dans telle ou telle circonstance, dont on sait que le pays a besoin et le monde rural, on le sait bien, a besoin des services publics. Donc, les fonctionnaires...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Jusque-là, vous leur avez donné parcimonieusement.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je leur ai donné, si je puis dire, nous avons négocié et nous avons négocié avec une hypothèse de croissance qui était celle de 1,7. Aujourd'hui, nous avons eu 2,5. Donc, nous pouvons faire un geste, mais nous faisons un geste avec une négociation. C'est-à-dire que les syndicats, les partenaires sociaux ont des objectifs ; nous, l'Etat, on a des objectifs. Moi, je veux la réforme de l'Etat. Qu'est-ce que c'est pour moi la réforme de l'Etat ? C'est plus de fonctionnaires auprès des Françaises et des Français, auprès de chez eux pour leur rendre la vie plus facile. Plus de services publics accessibles aux personnes, moins de gens dans les administrations centrales, moins de gens dans la bureaucratie, plus de gens sur le terrain au contact de l'usager. Voilà la réforme de l'Etat que je souhaite. Donc, je souhaite que, ensemble, on puisse mener cette politique-là avec, naturellement, l'accord des fonctionnaires. Donc, je suis attaché à la motivation des fonctionnaires, c'est pour ça que je souhaite que la négociation qui est engagée aille à son terme. Il y a une feuille de route avec des réformes importantes ; avec ces réformes-là, il peut y avoir évidemment une logique de gagnant/gagnant et tout le monde peut s'y retrouver dans un progrès collectif pour le pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Pour leur donner satisfaction, vous allez leur donner 1 % supplémentaire ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je ne vais pas parler de chiffres avec vous parce que ce n'est pas avec vous que je négocie...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ce sera la semaine prochaine, donc vous pouvez leur dire un petit peu en avance.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Nous allons discuter avec les syndicats... Non, il ne s'agit pas... Le chiffre n'est pas arrêté, il s'agit d'une discussion globale, une négociation globale. Dans cette négociation, l'Etat fera part de son souhait. Tout est envisagé, notamment la partie réforme qu'on ne doit pas oublier à côté de la partie salaire.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Jean-Pierre RAFFARIN, est-il jouissif, voire simplement drôle de sentir le souffle chaud de ses successeurs qui se pressent et qui se cachent de moins en moins, y compris dans votre gouvernement ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est vrai, c'est arrivé jusqu'à moi, je l'entends dire. Je lis ici ou là qu'il y a des candidats à ma succession. Depuis le jour où je suis arrivé, j'ai vu en effet des candidats vouloir être Premier ministre. Moi, je crois qu'être Premier ministre, être en mission, c'est un grand honneur, c'est une grande responsabilité. Je l'assume et je l'assumerai tant que le chef de l'Etat le souhaitera. Il sait qu'il peut compter sur moi, je sais que j'ai sa confiance. Dans ces circonstances-là, c'est lui qui décidera des échéances. Moi, je ne veux pas me livrer aux jeux personnels. Je crois qu'aujourd'hui, le chef du gouvernement, il est en charge de l'unité, de l'intérêt général, je crois vraiment que les jeux persos ne sont pas des jeux d'avenir. Ceux qui mènent ce type d'entreprise ne conduisent pas, je crois, leur propre parcours vers un avenir prometteur. L'avenir, il est dans l'union parce que l'action a besoin de l'union, la victoire a besoin de l'union.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous avez suffisamment d'autorité pour rappeler les uns et les autres à la discipline, par exemple, votre secrétaire d'Etat qui dit un tiers de sondage, ce n'est pas très bon, ça ne suffit pas, en gros, il nous plombe ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je me suis expliqué avec lui. Vous savez, je vous l'ai déjà dit une fois, je crois, je suis un bon garçon, mais je n'aime pas qu'on me marche sur les pieds. Donc, je l'ai convoqué et je lui ai expliqué qu'il ne fallait pas que ça se reproduise. J'ai des discussions avec les uns et avec les autres, comme ça, gentiment, mais fermement. Ce qui compte, ce n'est pas le sort personnel de tel ou tel, c'est le travail que l'on doit faire pour les Français. La valeur d'un gouvernement, ce n'est pas le talent de tel ou tel, c'est la capacité d'action de toute une équipe. Et tous ceux qui ne jouent pas le jeu de l'équipe freinent l'action et, de ce point de vue-là, sont coupables.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Dans trois mois, après le référendum, vous serez toujours là ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - On m'a souvent posé la question, moi, je ne suis pas là par jouissance, je ne suis pas là par bonheur, le pouvoir n'est pas mon ambition ; je garde, vous savez, un côté rebelle, je garde un côté mécontent, on dit qu'être moderne, c'est être mécontent. Moi, je suis toujours mécontent, je vois toujours des choses à changer, je vois toujours des choses à faire, donc je reste motivé, mobilisé. J'assumerai les responsabilités qu'on me confiera, mais je le fais sans avoir peur de partir et sans avoir peur de rester.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Jean-Pierre RAFFARIN, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 mars 2005)
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bonsoir Patrick POIVRE D'ARVOR.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous voilà aujourd'hui dans une situation assez paradoxale. Nous sommes à deux mois du référendum sur la constitution européenne. C'est ce soir votre première implication forte à la télévision sur ce sujet et pourtant, à gauche comme à droite, on entend des voix qui disent : " Qu'il se taise, il va nous faire perdre ". Ce n'est pas très agréable.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Vous savez, il y a de la malice partout. A ce que je sais, il y a même des gens qui voudraient ma place. S'ils savaient la lourdeur du travail...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous l'avez remarqué.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ca ne vous a pas échappé non plus. Je vais vous dire qu'il faut assumer ses responsabilités. Le gouvernement doit s'engager non pas pour faire la campagne des partis. Comment va être l'architecture de cette campagne ? Il y a au sommet le président de la République qui pose une question aux Français : c'est cela, un référendum.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et lui même va intervenir dans cette campagne ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je le pense. Il devra expliquer l'enjeu et je pense qu'il le fera. C'est son intention, c'est une responsabilité tellement importante pour notre pays qu'on a besoin d'entendre son message. Et puis il y a la campagne des partis. Il doit y avoir une campagne d'explications du gouvernement, chef du gouvernement. Je serai chef de cette campagne d'explications. Nous allons diffuser un document sur la constitution, nous avons un site Internet : constitution-europeenne.fr. Nous avons 500 réunions qui sont prévues, je vais moi-même faire plus de 20 réunions, pour expliquer et l'enjeu et ce qu'est la constitution européenne et pourquoi c'est un choix historique. Comme le résultat du référendum est incertain, tous les sondages nous l'indiquent, et à mon avis est durablement incertain...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous restez optimiste quand même ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bien sûr ! Mais le résultat est incertain, ça veut dire que chaque Française et chaque Français est devant sa responsabilité. C'est quelque chose qui nous engage : chaque vote va compter. C'est une responsabilité personnelle qui fait que la France doit choisir la voie en fonction du souhait du peuple français.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Dans les manifestations, les meetings dont vous parliez, est-ce qu'il y en aura certains communs avec Nicolas SARKOZY, le président de l'UMP par exemple ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bien sûr. L'ensemble des membres du gouvernement participeront aux réunions de l'UMP. Moi-même je serai engagé avec Nicolas SARKOZY, avec des Ministres, avec les uns, avec les autres sur le terrain pour faire partager notre conviction. Deux idées sur l'Europe : je crois vraiment que le monde a besoin aujourd'hui de l'Europe. Nos parents ont fait l'Europe pour faire la paix à l'intérieur de nos frontières. Notre génération doit faire l'Europe pour la paix dans le monde. Depuis que je suis Premier ministre, je suis très préoccupé par la situation internationale, par les guerres qui n'en finissent pas - la Palestine, Israël - par cette situation préoccupante qui est la montée du terrorisme. L'Europe avec ses valeurs, avec ses convictions sur les droits de l'homme, est utile au monde. Il faut équilibrer le monde. Si le monde n'est pas équilibré avec une Europe forte, nous risquons d'avoir probablement des menaces nouvelles. Pour la sécurité du monde, il faut l'Europe, et puis pour la France. J'étais avec les agriculteurs, on l'a vu tout à l'heure, ce matin.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Qui pour l'instant penchent vers le 'non', nous disent les sondages, à 69 %.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Certains. Mais je crois que sur tout cela il faut être prudent. Ce qui est très important, c'est que l'Europe est là et elle sera là. La question, c'est est-ce que la France sera forte dans l'Europe ou est-ce qu'elle sera faible dans l'Europe ? On a vu avec le dernier Conseil que le président de la République, parce qu'il est fort dans l'Union européenne, a pu régler un problème majeur qui est cette fameuse directive sur les services qui menace les emplois.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais est-ce qu'elle peut rester forte dans une Europe à 25 et bientôt à 27 ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Elle peut rester forte si les Français disent 'oui' à la France en Europe. Si les Français disent 'non', la France sera affaiblie. Quand la France est forte, elle peut gagner ses batailles, elle peut montrer son élan, elle peut montrer ses valeurs, elle peut mettre du bleu - blanc - rouge dans le bleu avec les étoiles, elle peut porter ses messages, les droits de l'homme. Notre modèle social, il faut le défendre. Si nous ne le défendons pas, si notre message n'a pas de force, celui qui sera demain chargé de représenter la France, il sera affaibli. Voter 'oui', ce n'est pas voter RAFFARIN, ce n'est pas voter HOLLANDE, ce n'est pas voter pour tel ou tel : c'est voter pour la France. Demain, après-demain, dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans, celui qui parlera au nom de la France, il aura besoin de la force du peuple français. Si la France dit 'oui' à l'Europe, la France sera forte en Europe. Si la France dit 'non' à l'Europe, la France sera fragilisée dans cette construction européenne. Nouveau traité, nouvelle Union avec une France forte, c'est cela le sens du 'oui'. C'est un peu un 'oui' à la France.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous venez de citer François HOLLANDE. Il est imaginable que vous fassiez un meeting commun avec lui ou avec François BAYROU, qui est d'un autre parti que le vôtre ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je crois que nous devons ajouter nos 'oui'. Je crois qu'il ne faut pas qu'il y ait de confusion, puisque nous n'avons pas des points d'accords sur tous les sujets, puisque nous avons un certain nombre de divergences. Il est bien que le parti socialiste puisse mobiliser ses électeurs et je souhaite qu'il les mobilise toujours davantage, parce qu'en ce moment on sent qu'il y a un certain flottement à l'intérieur du parti socialiste. Je souhaite donc vraiment que le parti socialiste mobilise les électeurs.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous ne vous en réjouissez pas secrètement, vous n'avez pas d'arrières-pensées sur ce sujet ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Non, pas du tout, pas du tout. Je souhaite vraiment que chacun mobilise les siens et qu'on additionne les 'oui', les 'oui' pour la France, pour que la France soit forte, qu'elle défende son élan dans les constructions européennes.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous savez bien que dans ce genre de situation, habituellement les Français répondent rarement à la question qui leur est posée. En ce moment ils ont beaucoup de préoccupations qui sont très très éloignées de la constitution européenne. Ils voient bien que le chômage continue à monter - il est à 10 % aujourd'hui - que ce que vous annonciez sur la reprise de la croissance faibli, puisqu'on est à peu près à 2 %, ce sont vos derniers chiffres.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Soyons prudents sur ce sujet. Vous savez, l'année dernière à la même époque, les mêmes organismes ont annoncé 1,7 et on fait 2,5. Alors, soyons très prudents. Je continue à dire que le chômage baissera de manière significative dans l'année 2005. A la fin de cette année, nous aurons une baisse significative du chômage. Je continue à le dire parce que c'est dans tous les indicateurs. Même l'UNEDIC a annoncé 120 000 chômeurs de moins. Je pense donc que nous sommes dans cette perspective. Nous avons une croissance qui sera entre 2 et 2,5. Je pense que nous pouvons atteindre les 2,5 mais l'année dernière il y a eu un tel écart qu'il faut être prudent sur les chiffres. C'est un peu comme avec les sondages.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vos électeurs traditionnels sont assez déroutés parce qu'en ce moment, dès qu'il y a une manifestation d'importance, le gouvernement lâche du lest. Par exemple sur la réforme de l'école, il n'y a pas eu finalement de réforme du bac et puis pour ce qui est des fonctionnaires, ils vont finalement obtenir sans problème ce qui, selon vous, n'existait pas dans les caisses de l'Etat. Vous allez encore beaucoup lâcher comme ça dans les deux mois à venir pour préserver le 'oui' au référendum ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Si vous le permettez, je trouve le propos un peu caricatural. La situation sociale, j'y suis très attentif, est caractérisée par à mon avis deux éléments très importants. Premièrement, il y a une opposition d'un certain nombre d'organisations à la politique de réforme et de modernisation que je mène dans l'intérêt de la France. Et puis d'autre part, il y a une légitime préoccupation pour mieux partager les fruits de la croissance. On avait pensé à une croissance de 1,7, on a fait en 2004 2,5. Un certain nombre de Français veulent donc voir pour eux les fruits de la croissance.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - D'autant plus qu'ils voient les profits records des grandes entreprises.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Absolument.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ce n'est pas anormal qu'ils demandent.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ceci est légitime. Et donc, à ceux qui voulaient s'opposer à ma politique de réformes de modernisation du pays, j'ai montré ma fermeté et ma détermination. Nous avons fait la réforme du temps choisi : pouvoir travailler plus pour gagner plus. Cette réforme a été votée cette semaine. La réforme de l'éducation nationale a été votée à l'Assemblée nationale cet après-midi.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Sans la réforme du bac.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Sans la réforme du bac. A ce jour, on a ouvert les discussions, on a fait une réforme très importante sur l'éducation. La formation des maîtres va être changée, la réussite à l'école va être changée. Aujourd'hui, plus de 100 000 jeunes sortent de l'école sans aucune qualification. Mettre la réussite à l'école, aller chercher chez chaque enfant son talent. Il n'y a pas d'enfant sans talent.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et pourtant, ils sont encore inquiets, on l'a vu aujourd'hui.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ils sont inquiets, c'est normal : une réforme provoque toujours un peu d'inquiétude mais il faut penser à l'avenir du pays. Sur ces sujets-là, j'ai donc continué avec fermeté et avec détermination la politique de réforme, comme j'avais fait les retraites, comme j'ai fait l'assurance maladie, j'ai fait les 35 heures, j'ai fait la réforme de l'éducation nationale.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais sur les fonctionnaires.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Sur l'autre sujet....
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Oui, moi j'ai bien entendu votre Ministre de la Fonction publique, Renaud DUTREIL, qui disait : " Il n'y a plus rien dans les caisses, on ne peut pas vous donner davantage ".
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Il est normal... Je voudrais d'abord dire que dans notre pays, on considère les fonctionnaires vraiment avec une meilleure affection, je dirais. Parce que la fonction publique, elle est très importante pour le pays. Les fonctionnaires ne sont pas des Français de deuxième catégorie, on a besoin de services publics de qualité. Donc, les fonctionnaires, ils ont besoin aussi d'avoir le droit au partage du pouvoir d'achat. Donc, ne mettons pas les fonctionnaires comme s'il était coupable que les fonctionnaires voient leurs salaires augmenter du niveau de l'inflation. Donc, les fonctionnaires, chacun l'a vu, on a tous un professeur, des enseignants, des infirmières qu'on a rencontrées à l'hôpital ou dans telle ou telle circonstance, dont on sait que le pays a besoin et le monde rural, on le sait bien, a besoin des services publics. Donc, les fonctionnaires...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Jusque-là, vous leur avez donné parcimonieusement.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je leur ai donné, si je puis dire, nous avons négocié et nous avons négocié avec une hypothèse de croissance qui était celle de 1,7. Aujourd'hui, nous avons eu 2,5. Donc, nous pouvons faire un geste, mais nous faisons un geste avec une négociation. C'est-à-dire que les syndicats, les partenaires sociaux ont des objectifs ; nous, l'Etat, on a des objectifs. Moi, je veux la réforme de l'Etat. Qu'est-ce que c'est pour moi la réforme de l'Etat ? C'est plus de fonctionnaires auprès des Françaises et des Français, auprès de chez eux pour leur rendre la vie plus facile. Plus de services publics accessibles aux personnes, moins de gens dans les administrations centrales, moins de gens dans la bureaucratie, plus de gens sur le terrain au contact de l'usager. Voilà la réforme de l'Etat que je souhaite. Donc, je souhaite que, ensemble, on puisse mener cette politique-là avec, naturellement, l'accord des fonctionnaires. Donc, je suis attaché à la motivation des fonctionnaires, c'est pour ça que je souhaite que la négociation qui est engagée aille à son terme. Il y a une feuille de route avec des réformes importantes ; avec ces réformes-là, il peut y avoir évidemment une logique de gagnant/gagnant et tout le monde peut s'y retrouver dans un progrès collectif pour le pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Pour leur donner satisfaction, vous allez leur donner 1 % supplémentaire ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je ne vais pas parler de chiffres avec vous parce que ce n'est pas avec vous que je négocie...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ce sera la semaine prochaine, donc vous pouvez leur dire un petit peu en avance.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Nous allons discuter avec les syndicats... Non, il ne s'agit pas... Le chiffre n'est pas arrêté, il s'agit d'une discussion globale, une négociation globale. Dans cette négociation, l'Etat fera part de son souhait. Tout est envisagé, notamment la partie réforme qu'on ne doit pas oublier à côté de la partie salaire.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Jean-Pierre RAFFARIN, est-il jouissif, voire simplement drôle de sentir le souffle chaud de ses successeurs qui se pressent et qui se cachent de moins en moins, y compris dans votre gouvernement ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est vrai, c'est arrivé jusqu'à moi, je l'entends dire. Je lis ici ou là qu'il y a des candidats à ma succession. Depuis le jour où je suis arrivé, j'ai vu en effet des candidats vouloir être Premier ministre. Moi, je crois qu'être Premier ministre, être en mission, c'est un grand honneur, c'est une grande responsabilité. Je l'assume et je l'assumerai tant que le chef de l'Etat le souhaitera. Il sait qu'il peut compter sur moi, je sais que j'ai sa confiance. Dans ces circonstances-là, c'est lui qui décidera des échéances. Moi, je ne veux pas me livrer aux jeux personnels. Je crois qu'aujourd'hui, le chef du gouvernement, il est en charge de l'unité, de l'intérêt général, je crois vraiment que les jeux persos ne sont pas des jeux d'avenir. Ceux qui mènent ce type d'entreprise ne conduisent pas, je crois, leur propre parcours vers un avenir prometteur. L'avenir, il est dans l'union parce que l'action a besoin de l'union, la victoire a besoin de l'union.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous avez suffisamment d'autorité pour rappeler les uns et les autres à la discipline, par exemple, votre secrétaire d'Etat qui dit un tiers de sondage, ce n'est pas très bon, ça ne suffit pas, en gros, il nous plombe ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je me suis expliqué avec lui. Vous savez, je vous l'ai déjà dit une fois, je crois, je suis un bon garçon, mais je n'aime pas qu'on me marche sur les pieds. Donc, je l'ai convoqué et je lui ai expliqué qu'il ne fallait pas que ça se reproduise. J'ai des discussions avec les uns et avec les autres, comme ça, gentiment, mais fermement. Ce qui compte, ce n'est pas le sort personnel de tel ou tel, c'est le travail que l'on doit faire pour les Français. La valeur d'un gouvernement, ce n'est pas le talent de tel ou tel, c'est la capacité d'action de toute une équipe. Et tous ceux qui ne jouent pas le jeu de l'équipe freinent l'action et, de ce point de vue-là, sont coupables.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Dans trois mois, après le référendum, vous serez toujours là ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - On m'a souvent posé la question, moi, je ne suis pas là par jouissance, je ne suis pas là par bonheur, le pouvoir n'est pas mon ambition ; je garde, vous savez, un côté rebelle, je garde un côté mécontent, on dit qu'être moderne, c'est être mécontent. Moi, je suis toujours mécontent, je vois toujours des choses à changer, je vois toujours des choses à faire, donc je reste motivé, mobilisé. J'assumerai les responsabilités qu'on me confiera, mais je le fais sans avoir peur de partir et sans avoir peur de rester.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Jean-Pierre RAFFARIN, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 mars 2005)