Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les relations euro-américaines et la construction européenne, Bruxelles, le 12 février 2004.

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Circonstance : Inauguration de l'Institut transatlantique, à Bruxelles le 12 février 2004

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Haut représentant de l'UE,
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je prends part à l'inauguration de l'Institut transatlantique, ici à Bruxelles. Je me félicite en effet de la création de cet institut, à l'initiative du Comité juif américain. Et si je devais formuler un voeu au-dessus du berceau de ce nouveau-né, ce serait qu'il constitue une force convaincante capable de dissiper les malentendus. Il reste en effet beaucoup à faire à cet égard ; c'est pourquoi je compte d'ailleurs me rendre aux Etats-Unis à la fin du mois.
Comme vous le savez, l'Europe offre une forme unique d'intégration et de coopération entre Etats nations. L'objectif d'unir les forces de tout un continent constitue un défi, pour les Européens eux-mêmes au premier chef, mais aussi pour nos partenaires internationaux. Ce défi n'est toutefois pas une menace. Je soulignerai d'abord que l'Europe doit avant tout renforcer ses partenariats vitaux avec d'autres acteurs internationaux. En second lieu, je montrerai que, pour atteindre cet objectif, nous nous efforçons d'unir les forces non seulement de nos pays, mais aussi de nos peuples.
La création de l'Union européenne vise à renforcer les partenariats vitaux de nos nations avec nos partenaires essentiels.
Les relations internationales ont toujours été confrontées à ce dilemme : chaque fois qu'un pays ou un groupe de pays gagne en puissance, les pays qui l'entourent s'inquiètent de l'objectif que poursuivra cette nouvelle puissance.
J'espère que votre institut contribuera à convaincre les Américains, les Européens et les autres que l'Europe ne se construit pas contre quiconque. Elle vise à promouvoir " un monde plus équitable, plus sûr et plus uni ", pour citer la stratégie de sécurité européenne proposée par Javier Solana et adoptée lors du dernier Conseil européen.
L'Europe ne se construit pas, par exemple, contre une culture ou une religion. Je mentionne ce point pour des raisons historiques : comme vous le savez peut-être, le mot " Européen " a été utilisé pour la première fois pour désigner un groupe de combattants unis dans leur lutte contre les Maures au VIIIè siècle. Aujourd'hui, l'objectif de l'Europe consiste au contraire à s'ouvrir à ses voisins du Sud, pour les mêmes raisons que l'Amérique se tourne vers ses propres voisins du Sud par le biais de l'ALENA.
Tel est l'enjeu d'une politique que la France considère comme cruciale : le partenariat euro-méditerranéen. Grâce au gouvernement espagnol puis aux présidences grecque et italienne de l'Union européenne, une nouvelle impulsion a été donnée à ce processus, avec la création d'une Fondation euro-méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures et les civilisations, le renforcement de la coopération financière et la mise en place d'une assemblée parlementaire consultative. C'est une réussite, mais nous devons aller plus loin encore.
Pour revenir à une question plus au cur des préoccupations de cet institut, je souhaiterais souligner que l'Europe ne se construit pas contre l'Amérique. Une telle analyse serait absurde. Considérant nos liens historiques, les valeurs que nous partageons et nos intérêts largement communs, il est clair qu'une Europe forte représente un atout pour les intérêts américains.
Evoquons par exemple la défense européenne. Après des décennies de débats sur " le partage du fardeau ", qui pourrait objecter à ce que l'Europe se penche sérieusement sur le sujet de la défense ? D'autant plus que, ce faisant, l'Europe peut apporter sa contribution à la stabilisation des Balkans, permettant ainsi à l'OTAN de se consacrer à d'autres tâches. Qui pourrait reprocher à l'Union européenne de déployer des troupes pour appuyer les efforts de maintien de la paix, comme elle l'a fait récemment en Afrique ? Qu'on considère les avancées obtenues lors du dernier Conseil européen : la création d'une cellule opérationnelle au sein de l'état-major de l'Union européenne ainsi que d'une cellule de l'Union européenne au Commandement suprême des forces alliées en Europe d'une part, et la rédaction du chapitre sur la défense dans les négociations sur la future Constitution européenne d'autre part. Ces avancées devraient être saluées comme autant de preuves de la vitalité de notre dialogue transatlantique sur la sécurité.
Cependant, il ne suffit pas d'indiquer ce que l'Europe n'est pas. Je souhaiterais maintenant évoquer ce qu'elle est.
La création de l'Union européenne vise à mettre en place une Europe politique par et pour ses citoyens.
Si la plupart des organisations internationales sont importantes, ce sont essentiellement des "constructions diplomatiques" officielles. L'Union européenne est différente : elle place la participation de ses citoyens au coeur de son projet. Pour parler en termes directs, on pourrait dire que le but de l'Union européenne est un rapprochement entre les peuples tel que les gouvernements ne puissent plus jamais envisager de se faire la guerre. L'intégration des citoyens dans les desseins diplomatiques est une approche nouvelle en matière de relations internationales. Elle est demeurée virtuelle pendant un certain temps, l'ouverture des frontières internes concernant essentiellement la libre circulation des marchandises et des capitaux. Toutefois, les choses sont actuellement en train de changer, avec la création de l'euro et la prise en charge par l'Europe de questions telles que le développement durable, la sécurité et la justice, la défense et les affaires étrangères.
Si le défi à relever aujourd'hui est celui de la construction d'une Europe des citoyens, l'Amérique peut constituer une source d'inspiration. Elle n'est pas vraiment un modèle, puisque l'Europe, par la vigueur de ses Etats nations, diffère par essence du fédéralisme américain. On peut se sentir texan et américain comme on peut se sentir français ou espagnol et européen, mais l'équilibre entre ces identités est loin d'être similaire. Pourtant, nous pouvons nous inspirer de l'Amérique pour faire souffler le vent d'un patriotisme continental dans le cur des Européens. Tel est l'objet de la future Constitution européenne, également préparée par une convention, mais ici à Bruxelles et non à Philadelphie !
En ce qui concerne la France, en tant que ministre des Affaires européennes, je m'efforce de renforcer le sentiment " d'Européanité " en m'appuyant sur la recette des Etats-Unis pour donner à leurs citoyens le sentiment d'être profondément américains : le système éducatif, la mobilité interne, les drapeaux et d'autres symboles.
Ces éléments seront-ils suffisants pour faire accepter aux Européens l'idée qu'ils sont tous citoyens d'une entité politique ? Certainement pas. Nous devons également leur garantir le respect de leur diversité, et même mieux protéger et entretenir celle-ci au sein de l'Europe. Le principe de la diversité des cultures et des langues est donc proclamé à juste titre au début de notre future Constitution européenne.
A ce propos, j'aimerais dire quelques mots sur la question de la laïcité. Je sais que ce sujet suscite des débats passionnés. La controverse a tout d'abord porté sur l'opportunité pour l'Europe de mentionner ses racines chrétiennes dans sa Constitution. La plupart des Français jugent cette mention inappropriée. Puis, la question du voile islamique et de son interdiction à l'école est venue au premier plan des débats en France. Je souhaite souligner que, dans le feu des arguments échangés, de nombreux commentateurs ont confondu la question générale de la laïcité et son application particulière à l'école.
Je rappelle que le voile et les autres signes religieux dits " ostensibles " ne font l'objet d'une loi que dans les écoles primaires et secondaires publiques ; la loi ne touche donc que les jeunes élèves, en particuliers les filles, qu'il nous semble nécessaire de protéger. Il s'agit pour nous de concilier la libre expression de la foi privée et la neutralité requise dans le système éducatif français. La loi votée cette semaine a été largement soutenue par les partis de la majorité comme ceux de l'opposition, du fait de ses prescriptions modérées et raisonnables. Nous ne prétendons pas détenir le meilleur système ; néanmoins l'usage en France est de demander au législateur de clarifier les valeurs fondamentales.
La laïcité est un principe qui dépasse largement le cas particulier du voile à l'école. C'est de ce même principe que découle la récente réponse du législateur français au fléau de l'antisémitisme, malheureusement toujours présent, une réponse vigoureuse qui se traduit notamment par une législation plus sévère en matière pénale.
Je me réjouis de la création de ce lieu où les intellectuels, les commentateurs, les diplomates, les savants et même les hommes politiques pourront confronter leurs analyses et points de vue sur cette question et sur de nombreux autres sujets, contribuant ainsi à promouvoir une meilleure compréhension entre nos deux continents. Jour après jour, nous devons construire l'Europe élargie et nouer des liens transatlantiques solides. Tout comme l'Amérique est née de la difficile mais saine expérience de la Frontière, nous autres Européens sommes maîtres de notre destinée. Je conclurai en citant John Steinbeck dans A l'est d'Eden. Faisant allusion à Caïn et Abel, Steinbeck emploie le mot hébreu " timshel ", qui signifie " tu peux " (dominer le péché). Steinbeck souhaite ainsi placer la volonté de l'homme au coeur de l'expérience humaine. De la même manière, nous devons bâtir une Europe forte et démocratique, qui est indissociable d'une relation transatlantique solide et confiante.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 février 2004)