Texte intégral
Bernard Thomasson : Bonsoir Jean-Pierre Chevènement.
Jean-Pierre Chevènement : Bonsoir.
B. T : Vous êtes président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen et toujours fervent défenseur du Non au référendum, peut être même plus encore après les péripéties gouvernementales de ce début de semaine ?
J.-P. C. : Non, ça n'a rien changé à mes positions de fond, qui sont des positions argumentées. Disons que j'ai lu avec attention cette " Constitution ", puisque c'est ainsi qu'elle s 'appelle, et j'observe que les propagandistes du Oui veulent nous faire oublier aujourd'hui qu'il s'agit d'une Constitution...
B. T. : ...Traité établissant une Constitution pour l'Europe !
J.-P. C. : Oui, mais article I-1 : la présente Constitution établit l'Union européenne. Article I-6 : la Constitution et le droit européen priment le droit des pays membres. Donc, c'est bien une " Constitution " !
Je pense que nous avons aujourd'hui une situation tout à fait originale, un mouvement d'en bas qui semble être majoritaire, selon les sondages, dans toutes les catégories socio-professionnelles, sauf les cadres.
B. T. : Je vous posais la question par rapport au gouvernement, parce que cette agitation, au plus haut niveau de l'Etat, doit-elle laisser comprendre une panique chez les partisans du Oui et notamment à droite ?
J.-P. C. : Ecoutez, on l'observe à droite et on commence à l'observer aussi au sein du PS. Effectivement, il y a un mouvement d'en bas extrêmement puissant qui exprime une expérience que les gens ont fait des textes européens tels qu'ils s'appliquent et qu'ils ne veulent pas voir constitutionnalisés. C'est de cela qu'il s'agit. 325 articles sur 448 ont trait à des politiques principalement économiques et sociales. Chacun comprend qu'une constitution ne se révise pas facilement, et même que ça ne se révise pas du tout quand on est 25 ou 30 avec des niveaux de vie très différents, des cultures et des histoires qui ne sont pas les mêmes.
B. T. : Vous ne faites pas partie de ces gens qui disent que le Non permettra de retravailler le texte et de le réviser ?...si je vous entends bien !
J.-P. C. : Je dirai que le Non permettra de ne pas avoir de constitution, mais...
B. T. : ... Qu'est-ce que vous allez faire de cette victoire éventuelle du Non, Jean-Pierre Chevènement, aux côtés de gens comme Philippe de Villiers, Olivier Besancenot, Nicolas Dupont-Aignan ?
J.-P. C. : Chacun a ses motivations. Mais en ce qui le concerne, le Non républicain articule deux critiques : la critique sociale, celle d'un carcan de règles libérales récessionnistes qui ont installé un chômage de masse à hauteur de près de 10% dans l'Union européenne, précipitant les délocalisations avec un euro asphyxiant dépendant d'une Banque centrale indépendante - il n'y a pas d'exemple dans le monde d'un pareil statut - et une critique du déficit démocratique liée à l'abandon de la souveraineté populaire, dont le transfert à Bruxelles revient en réalité à confier au marché le soin de faire les arbitrages. Voilà, notre Non républicain articule deux idées qui sont des idées fortes.
B. T. : Vous parlez de souveraineté populaire mais, dans le fond, il y a quand même certaines choses qui peuvent être positives ! Vous ne trouvez pas que c'est une bonne idée de permettre aux citoyens de soumettre des propositions à la Commission : cette fameuse initiative citoyenne de démocratie participative ?
J.-P. C. : Parlons de choses sérieuses ! Ce droit de pétition débouche sur la possibilité donnée à la Commission de ne pas en tenir compte. Il suffit que la Commission le motive. Lisez la " Constitution ", la Commission n'est tenue qu'à une obligation de motivation. C'est tout !
B. T. : Mais le citoyen peut s'exprimer et au moins proposer des choses.
J.-P. C. : Oui, mais vous savez, transformer le citoyen en plaignant ou en quémandeur...
B. T. : ...Allons plus loin, le président du Parlement européen, Josep Borell - assis à votre place d'ailleurs, avant hier - qui est un élu du peuple, affirmait que le Parlement allait avoir, avec cette nouvelle Constitution, le même poids que la Commission et le Conseil des chefs d'Etats ! N'est-ce pas ce que dit le texte ?
J.-P. C. : C'est tout à fait faux. La Commission a le monopole de l'initiative. Qu'est-ce que ce Parlement européen qui n'a aucun droit d'initiative ? Qu'est-ce qu'un Parlement qui juxtapose des députés représentant vingt-cinq peuples qui doivent parler 21 langues ? Où chaque député a une minute de temps de parole ? Où ils n'ont pas de droit d'initiative ?
Des députés que d'ailleurs personne ne connaît, élus qu'ils sont dans des circonscriptions qui ressemblent à s'y méprendre à des circonscriptions téléphoniques : 01, 02, 03 Chez moi, c'est 03 ! Je peux vous assurer que personne ne connaît son député européen.
C'est triste à dire, parce qu'en réalité, tout le pouvoir est donné à la Commission, c'est-à-dire aux technocrates et aux juges à travers la Cour de justice de l'Union européenne qui sera bâtie comme une vraie Cour suprême fédérale. Les peuples n'auront aucun recours contre ses décisions.
B. T. : Je ne veux pas me faire l'avocat du Diable, mais quand je lis l'article qui parle justement du Parlement européen, il est précisé qu'il exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il y a bien une égalité de poids... que vous niez.
J.-P. C. : Oui, dans les domaines où effectivement il y a des lois à prendre... mais la Commission a par ailleurs un immense pouvoir réglementaire. Elle seule est chargée de veiller à l'application du traité. Elle seule a, encore une fois, le monopole de l'initiative. Nous avons vingt-cinq commissaires, que personne ne connaît, qui concentrent toute la puissance.
Je dis cela parce que ce sont des arguments raisonnables qu'on peut écouter malgré l'avalanche de propagande que les partisans du Oui font déferler sur le pays. Quarante jours encore, quarante jours qui vont ébranler sinon l'Occident du moins les consciences.
B. T. : Votre présence ici prouve que la voix du Non peut se faire entendre également Jean-Pierre Chevènement.
Mais vous nous dites qu'il ne faut pas finalement renégocier le texte ; qu'il faut rester en l'état des choses. Est-ce qu'on ne va pas s'enfoncer dans une crise non constructive si nous restons sur le fonctionnement actuel ?
J.-P. C. : Non.
B. T. : C'est ce que vous nous avez dit tout à l'heure !
J.-P.C. : Je pense que le traité de Nice n'est pas bon, mais il est beaucoup moins mauvais que la " Constitution ".
D'abord ce n'est pas une constitution.
Ensuite il n'étend pas excessivement les pouvoirs de la Commission.
Il maintient une raisonnable parité entre les grands pays, notamment entre la France et l'Allemagne ; et pour le partenariat franco-allemand, je pense qu'il était raisonnable - les pères fondateurs l'avaient d'ailleurs prévus - de maintenir cette égalité.
Le traité de Nice maintien l'exception culturelle que la " Constitution " supprime.
Il maintient la clause de sauvegarde de Schengen que j'ai utilisé comme ministre de l'Intérieur pour arrêter les casseurs pendant la coupe du monde de football.
Il ne comporte donc pas par rapport à la " Constitution " des reculs gravissimes. Et je suis partisan de renégocier sur un certain nombre de points le traité. Par exemple, les statuts de la Banque centrale pour qu'elle veille à la croissance ; le pacte de stabilité budgétaire pour qu'on puisse faire une relance par l'investissement public ; et puis le dogme de la concurrence qui doit être assouplit pour permettre le développement d'une politique industrielle.
B. T. : Jean-Pierre Chevènement, si le Non l'emporte le 29 mai, Jacques Chirac doit-il quitter l'Elysée ?
J.-P. C. : Non, la Constitution précise que son mandat va jusqu'en 2007.
Mais le Non sera communicatif. Les autres peuples se saisiront du débat - ce qu'ils n'ont pas encore fait jusqu'à présent, sauf peut-être la Belgique - et naturellement, il y aura une dynamique qui va se manifester, à droite comme à gauche, pour s'adapter à la nouvelle situation. Nos hommes politiques obéiront au souffle puissant du Non. L'erreur serait de croire que si ce souffle devait en quelque sorte s'essouffler - si je puis dire - les choses changeraient. Non, il faut qu'il se maintienne.
B. T. : Nous n'avons pas évoqué une question, et d'ailleurs la classe politique française garde une réserve prudente sur cette question : le républicain que vous êtes souhaite-t-il réagir à l'élection d'un pape annoncé comme conservateur et suggéré même comme un possible réformateur (on ne sait plus très bien où on en est, pape de transition en tout cas) ?
J.-P. C. : Ecoutez, je n'ai rien à dire en tant que laïc. Disons que naturellement je forme des vux pour qu'il puisse exercer son pontificat d'une manière peut être moins conservatrice sur des positions comme notamment la contraception, prises par le cardinal Ratzinger. J'ai confiance, par ailleurs, sur le fait qu'il poursuivra le dialogue avec les autres religions et je pense que c'est un élément qui peut être positif.
B. T. : Merci Jean-Pierre Chevènement, président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen.
(Source http://www.chevenement-referendum.org, le 22 avril 2005)