Point de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et déclaration devant la communauté française, sur les relations franco-chiliennes, les relations entre le Chili et l'UE, le dialogue entre l'Europe et le Mercosur et l'ouverture du marché agricole européen, notamment français, Santiago le 2 février 2004.

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Circonstance : Tournée de Dominique de Villepin en Amérique latine du 2 au 6 février 2004 : le 2 au Chili, le 3 en Argentine, le 4 au Brésil, le 5 au Mexique

Texte intégral

(Point de presse à l'issue de la rencontre avec Mme Maria Soledad Alvear Valenzuela, ministre des relations extérieures, à Santiago, le 2 février 2004) :
Je voudrais remercier Soledad de son accueil, cela fait plusieurs mois que je souhaitais et que je planifiais ce voyage au Chili. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. J'aimerais également saluer, comme l'a fait Soledad, l'excellence de nos relations et en particulier les relations bilatérales entre nos deux pays. Je voudrais surtout saluer le processus démocratique qui a eu lieu au Chili et qui est un véritable succès de même que la politique économique et commerciale du Chili. C'est un grand plaisir pour nous que de voir tout le chemin parcouru par le Chili dans le domaine tant politique qu'économique.
En second lieu, comme l'a fait Soledad, j'aimerais souligner que nous partageons une même vision du monde. Aujourd'hui nous vivons dans un monde dangereux, un monde instable et qui a absolument besoin de se doter de règles, pour qu'il soit un monde d'un véritable multilatéralisme. Nous devons donc travailler ensemble et c'est avec plaisir que je salue le travail effectué par le Chili à la présidence du Conseil de sécurité au cours de ce mois de janvier. Le Chili a pris deux initiatives importantes, l'une portant sur les enfants soldats, l'autre sur la fracture de nos sociétés et il était absolument essentiel de trouver des voies nouvelles, des chemins nouveaux pour sortir de ces crises que rencontre le monde aujourd'hui. Ces crises que l'on trouve un peu partout dans différentes régions : en Irak, en Afrique. Je reviens d'ailleurs de Côte d'Ivoire et nous sommes toujours, après ces crises, confrontés aux mêmes problèmes dans les situations de post conflits : comment aider ces propres pays à trouver des voies nouvelles, des chemins nouveaux pour s'en sortir ? Nous devons, nous qui avons nos expériences, - riches de ces expériences - les partager avec ces pays et bien entendu, le lieu naturel et logique pour le faire ce sont les Nations unies. D'où notre attachement à ce multilatéralisme pour répondre également aux autres défis nouveaux qui se posent à nous : le terrorisme, le problème de la prolifération des armes en Iran, en Corée du Nord par exemple. Et puis, il y a les nouveaux problèmes qui sont aujourd'hui abordés à l'occasion de la visite du président Lagos à Paris puis du voyage à Genève. Ces problèmes dont on ne parle pas suffisamment, qui sont ceux de la misère, de la faim, du sida - avec les médicaments génériques - face auxquels il faut faire preuve de davantage d'imagination et de solidarité car aucun pays ne pourra les résoudre tout seul. Nous devons donc ensemble mettre toute notre énergie pour ce faire et cette rencontre à Genève a été un des éléments exemplaires de ce type de coopération et de solidarité. En ce qui concerne les relations entre le Chili et l'Europe, nous nous réjouissons de l'accord d'association qui a été signé il y a deux ans. Nous pensons que cela a été effectivement une bonne opportunité pour relancer les relations avec l'Union européenne, nous en reparlerons d'ailleurs au Sommet de Guadalajara qui se tiendra au mois de mai au Mexique. Nous pouvons faire plus, nous voulons faire plus. Il est important pour la France également de faire partager son expérience en matière d'intégration régionale à laquelle nous sommes très attachés. L'aventure européenne est une grande aventure pour nous et nous appuyons les processus d'intégration régionale en Amérique latine. Nous pensons que tous les pays doivent unir leurs efforts pour résoudre les problèmes aujourd'hui.
Sur le plan bilatéral, comme l'a dit Soledad, nos relations sont excellentes mais nous pensons que le dialogue politique doit encore s'approfondir. La visite du président Lagos à Paris récemment, la visite de Soledad il y a quelques mois, ma présence ici aujourd'hui, en sont les illustrations. Nous voulons encore intensifier ce dialogue, ce partage, afin de donner une nouvelle dynamique. Par ailleurs la présence du Chili au Conseil de sécurité, en tant que membre non permanent, a été une bonne occasion de partager ces points de vue communs.
Sur le plan commercial, comme l'a dit Soledad, la France est devenue aujourd'hui le premier partenaire commercial européen du Chili. Là encore nous voulons faire plus, davantage d'investissements, plus dans le domaine culturel, plus pour ces jeunes Chiliens qui viennent en France étudier ou enseigner l'espagnol. Et puis il y a le centenaire de Pablo Neruda. Nous espérons pouvoir organiser une grande manifestation à Paris à cette occasion et y recevoir Soledad afin de donner à ce centenaire toute l'importance qu'il mérite. En effet Pablo Neruda est non seulement un grand écrivain, un grand poète universel mais c'est également un grand humaniste qui a compris les grands problèmes d'aujourd'hui, qui les a si bien décrits dans "Campo general" ou dans "Presidencia sobre la tierra" . Nous voulons donc partager ces grandes manifestations, il y a d'ailleurs en France de nombreux poètes chiliens, mon ami Luis Mizon et d'autres, et nous voulons donc donner à cet événement toute l'importance qu'il mérite.
Q - Vous avez dit quelques mots, Monsieur le Ministre, sur la transition démocratique au Chili en ce qui concerne ce domaine, il y a le cas de Pinochet ; est-ce que certains juges français pourraient poursuivre Pinochet pour des violations des Droits de l'Homme qui auraient été commises sous son régime à l'encontre de citoyens français ?
R - Comme vous le savez, il y a plusieurs procès qui ont été intentés en France, puisqu'il y a eu des disparus français effectivement ; mais ce sont là des décisions de justice. C'est vrai que ces procès ont été ouverts et que cette possibilité donc existe. C'est ce que j'ai mentionné hier dans la presse.
Q - J'aimerais, Monsieur le Ministre, que vous nous disiez quelques mots sur la question du couloir vers la mer de la Bolivie et quelle est la position de la France ?
R - La France, comme vous le savez, est très attachée au principe du droit international. Nous accordons une importance cruciale à tous ces principes et à celui de l'intangibilité des frontières. Ce différend auquel vous faites référence, entre le Chili et la Bolivie, est un problème bilatéral et qui doit être résolu bilatéralement entre les deux pays ; mais j'insiste sur le fait que la France accorde une grande importance aux principes fondamentaux du droit international.
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Q - Monsieur le Ministre vous avez dit que vous partagez avec le Chili, une vision multilatérale du monde, je voudrais savoir ce qu'il en est dans le domaine économique. Concrètement quand la France va-t-elle ouvrir son marché agricole aux produits chiliens dans le cadre de l'OMC ? Quand la France va-t-elle ouvrir ses portes donc aux importations agricoles chiliennes, étant donné qu'il y a des négociations avec le MERCOSUR ? Qu'en est-t-il pour le Chili et dans quel délai ?
R - En ce qui concerne ce sujet très important, nous avons déjà fait beaucoup au cours des dernières années. Bien entendu, nous travaillons dans le cadre de l'Union européenne puisqu'il s'agit de décisions qui sont prises en commun dans l'Union européenne et nous avons donc décidé de mettre en place une réforme de la Politique agricole commune, qui va amener à un découplage des aides et donc à une diminution des aides directes à l'agriculture, mais bien entendu nous devons poursuivre les discussions. Elles vont d'ailleurs se poursuivre à Cancun, je sais que le représentant de l'Union européenne est toujours disposé à poursuivre ce dialogue, il s'agit de Pascal Lamy, nous nous réjouissons d'ailleurs que ce dialogue avec le Chili et l'Amérique latine soit aujourd'hui d'actualité. Nous nous sommes mobilisés pour faire davantage pour les pays les plus défavorisés, en particulier les pays d'Afrique. La France a fait de nouvelles propositions pour ouvrir le marché européen aux pays les plus défavorisés en particulier en ce qui concerne le coton. Nous avons donc déjà fait des progrès, nous avons avancé. Bien sûr on peut toujours arranger telle ou telle situation particulière, il y a ce dialogue entre le MERCOSUR et l'Union européenne.
Q - (sur la position spécifique de la France à l'intérieur de l'Union européenne)
R - Cette position appartient aujourd'hui au passé, nous sommes entrés dans une nouvelle période puisque la France a adopté une position commune avec l'Allemagne et les autres pays et que donc la réforme de la politique agricole est aujourd'hui en cours. C'est une réforme à quinze qui sera demain une réforme à vingt-cinq et donc aujourd'hui les choses changent et bien entendu chacun doit faire un petit effort à son niveau, il faut tenir compte aussi de la concurrence sur la scène internationale, il y a d'autres acteurs : l'Union européenne mais également les Etats-Unis.
Q - Monsieur le Ministre, que pense la France de la Commission indépendante créée récemment par le président nord-américain, M. Bush, sur les armes de destruction massive. Quelle est l'opinion de la France ?
R - Il ne m'appartient pas de commenter une décision américaine, je constate simplement cette volonté aujourd'hui de faire la clarté sur une période qui a été difficile pour la communauté internationale et je crois qu'il est important que chacun d'entre nous essaye de tirer les leçons du passé. Comment faire en sorte que la volonté qui est la nôtre, celle de tous les Etats sur la scène internationale, de mettre au point des mécanismes d'actions collectives, puisse être renforcée ? Comment faire en sorte que les instruments dont nous disposons pour agir ensemble dans le cadre du Conseil de sécurité, dans le cadre de la concertation internationale, puissent être mieux affinés ? C'est vrai dans le domaine du terrorisme, c'est vrai dans le domaine de la prolifération, c'est vrai dans le domaine des crises régionales, nous avons besoin de l'information la plus précise possible, de la concertation la plus étroite possible et c'est pour cela que la France a appuyé le travail des inspecteurs dans le cadre de la résolution 1441. Ces inspecteurs avaient vocation à être l'oeil et la main de la communauté internationale en Irak. Nous avons défendu l'idée qu'à toutes les étapes du débat sur l'Irak, il était important que les inspecteurs puissent apporter au Conseil de sécurité les informations dont nous avons besoin. Nous sommes convaincus que c'est la meilleure façon de pouvoir agir ensemble
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2004)
(Allocution devant la communauté française à Santiago, le 2 février 2004) :
Merci mon cher Alain,
Cela me fait plaisir de retrouver l'ambassadeur et Maria puisque nous avons passé de belles et fortes années ensemble à Washington.
Je suis très heureux aussi de vous rencontrer dans ce pays, le Chili, qui nous offre un chemin tout à fait original et tout à fait exemplaire. Il faut venir ici pour mesurer à quel point les efforts du Chili dans la voie de la transition démocratique, dans le choix d'un modèle de développement économique, d'un modèle de développement social, original, sont importants et intéressants dans le concert latino-américain. Il est aussi très frappant de constater à quel point ce pays, marqué par un espace à la fois étroit et long, est un pays qui affirme une identité marquée sur la scène internationale.
Et la France est fière et soucieuse de maintenir et de développer des liens originaux avec ce pays. L'entretien que nous avons eu avec le président Lagos, comme celui qu'il a eu avec le président de la République il y a quelques jours à l'Elysée, ainsi que l'entretien original avec le président Lula et le Secrétaire général Kofi Annan à Genève, marquent bien cette volonté, cette capacité que nous avons à travailler ensemble avec nos amis chiliens sur des sujets très différents. Et cela, puisque nous partageons une même idée de la vie internationale, de l'exigence multilatérale, une même idée de la force qui doit être donnée aux principes, aux droits. Nous nous sommes retrouvés, vous le savez, dans toute cette longue crise irakienne, dans des positions identiques, courageuses pour le Chili. J'ai tenu ce matin lors de mes entretiens avec le président Lagos, avec Soledad Alvear, à marquer, justement, le courage du Chili qui, sur la scène internationale, a su une fois de plus garder un cap tout à la fois fort et original ; on le voit dans cet équilibre, avec une relation forte avec les Etats-Unis, des relations aussi fortes avec de puissants voisins, qui est original dans ces liens avec le MERCOSUR, original dans ses relations avec l'Union européenne. D'ailleurs, l'accord d'association que nous avons signé, vous savez que la France a beaucoup plaidé dans ce sens, a constitué une étape importante.
Nous nous retrouvons avec nos amis chiliens dans quelques mois à Guadalajara au Mexique et ce sera là encore une occasion d'échanges importante. Il faut que vous ayez conscience que, pour nous, en Amérique latine, cet ancrage chilien, ce dialogue avec le Chili est un dialogue tout à fait essentiel. Alors, il y a beaucoup de raisons à cela et vous êtes les témoins, les acteurs privilégiés de cette relation entre le Chili et la France. Que l'on parle de Claude Gay, que l'on parle des Saint Simoniens, que l'on parle des pionniers dans le domaine du chemin de fer, c'est vrai que la présence française est une présence ancienne, une présence respectée et quand on parle avec nos amis chiliens, on le sent tout de suite sur le plan politique. Il y a une relation de proximité, une relation d'estime et de solidarité qui est extrêmement forte et qui s'exprime quels que soient les sujets que l'on aborde. Que l'on parle de culture, de politique, des grands événements internationaux, il y a immédiatement ce lien très étroit qui vibre. L'exemple d'un Pablo Neruda, que je citais il y a quelques instants, l'exemple de sa maison à côté de Valparaiso, la Sebastiana, l'illustre bien : combien de gravures françaises, de cartes françaises, ou bien d'objets ramenés de France par cet homme qui a été consul en France au moment difficile de la fin de la guerre d'Espagne, qui a été ambassadeur en France au moment même où il a été consacré comme une gloire littéraire internationale et a reçu son prix Nobel ! On sent cet attachement, cette proximité culturelle y compris aujourd'hui quand on parcourt les uvres de grands poètes, de grands hommes de littérature ou de grands peintres chiliens. Cette proximité est un atout pour vous qui êtes les représentants de la France dans des domaines extrêmement divers.
Que l'on parle de l'agro-alimentaire, de la construction navale ou de secteurs plus traditionnels comme le secteur du vin, dans tous ces domaines, je crois que cette présence française est fortement appréciée au point que nos interlocuteurs nous demandent plus de France, plus de France dans les écoles, plus d'étudiants chiliens en Europe, en France, plus d'échanges scientifiques, même si, dès aujourd'hui, cette présence française est extrêmement forte ; ici, au Chili, un quart des jeunes Chiliens qui font un doctorat scientifique sont formés en France. Nous avons donc un acquis mais nous voulons encore faire davantage. Et, je crois que le fait que la France soit le premier partenaire commercial du Chili en Europe est un point de départ pour nous, mais pas un point d'arrivée. Je me félicite que dans ce pays nos représentants français, tous ceux qui travaillent dans le domaine commercial, dans le domaine industriel, dans le domaine culturel, aient à coeur de développer cette présence française, ces liens si forts qui existent, ces liens de coeur, ces liens d'esprit avec nos amis chiliens.
C'est donc un pays ami que vous habitez mais je n'ignore pas que l'éloignement est une difficulté, je sais qu'un certain nombre d'entre vous en souffraient, je sais aussi que parfois cette communauté se retrouve confrontée à des situations sociales difficiles et c'est pour cela que dans ce domaine de l'aide sociale nous avons voulu et voulons continuer, au ministère des Affaires étrangères, à faire un effort particulier, un effort aussi dans le domaine de l'éducation même si le lycée Saint-Exupéry se porte bien ; effort dans le domaine culturel, j'ai visité aujourd'hui l'Institut culturel dont on m'a dit qu'il était vétuste, je dois dire que, le comparant à d'autres institutions à travers le monde, je l'ai trouvé, au contraire, faisant belle figure, un bel emblème de la présence française ; mais enfin, nous allons faire mieux, je vous le promets. Nous avons déjà pris des décisions dans ce sens, donc nous avons vocation à moderniser et à améliorer, justement pour répondre à la demande de nos amis chiliens.
Une fois de plus, je suis doublement heureux d'être ici, heureux parce je sens bien à quel point cette présence française au Chili est entendue et attendue par nos amis chiliens. Heureux que mon ami Alain Le Gourriérec et Maria, qui sont des amis très chers, aient à coeur de maintenir et de développer les liens au sein de cette communauté française et le meilleur gage pour une communauté c'est ce lien humain que l'on parvient à cultiver, c'est cette proximité qui fait que dans la difficulté à côté d'un Français, il y a toujours un autre Français pour lui tendre la main.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2004)