Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, à RTL le 3 octobre 2005, sur les violences en Corse suite au conflit à la SNCM, la situation de la fonction publique, son refus d'une adhésion de la Turquie à l'UE et la possibilité d'un vote des militants UMP pour départager les candidats aux élections présidentielles de 2007.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE : Depuis ce matin, 7 heures, nous apprenons qu'une nouvelle opération policière est en cours. Elle concerne les milieux islamistes. Y a-t-il un lien entre ce qui se passe ce matin et l'arrestation de quelques terroristes, la semaine dernière à Trappes ?
Nicolas SARKOZY : Oui.
QUESTION : C'est-à-dire, c'est le même réseau ? C'est la poursuite de la même enquête qui vous amène ce matin à faire cette opération dans le Loiret ?
Nicolas SARKOZY : Plus exactement, c'est la poursuite de la même enquête. C'est le même réseau, et il est trop tôt pour le dire. Comme vous le savez, en matière terroriste, les délais de garde à vue sont de quatre jours, en tout cas pour l'instant. On verra d'ailleurs s'il y a lieu de les élargir ces délais de garde à vue, mais c'est dans le cadre de la même enquête. Ce sont des enquêtes au long cours, puisque depuis des mois, voire des années en l'occurrence, un certain nombre d'individus sont surveillés et, au moment où les services spécialisés l'estiment nécessaire, des interpellations ont lieu.
QUESTION : Confirmez-vous que les personnes arrêtées la semaine dernière étaient sur le point de commettre un attentat, ou en tout cas avaient des projets assez avancés en la matière ?
Nicolas SARKOZY : Sur le point, non. Mais qu'ils avaient des mauvaises intentions, oui. Ces faits sont d'ailleurs confirmés par le travail des juges anti-terroristes, qui ont estimé nécessaire d'en mettre quatre sous écrou, ce qui n'est pas rien. Et je voudrais d'ailleurs dire combien le travail qui est fait, à la fois par les services spécialisés de la police et par les juges spécialisés du pôle anti-terroriste, se fait en totale concertation. Je voudrais leur rendre hommage, parce que c'est un travail, pour l'instant, extrêmement efficace.
QUESTION : Beaucoup de personnes sont-elles concernées ce matin par ce coup de filet ?
Nicolas SARKOZY : Beaucoup de personnes, non, mais celles qui sont concernées, ont sans doute des choses à dire.
QUESTION(Alain Duhamel, sur la Corse) : Oui, il y a un autre lieu où il y a, en ce moment, une recrudescence de menaces et de violences, c'est la Corse, avec notamment ce tir de roquette contre la Préfecture, qui aurait pu être dramatique. Qu'est-ce que vous pouvez faire pour essayer d'endiguer l'éternelle rechute de la violence en Corse ?
Nicolas SARKOZY : Il n'y a pas eu cette histoire de roquette. C'est, depuis 1995, la quatorzième fois - si mes comptes sont exacts - qu'il y a ce type d'attaque avec ce qu'on appelle une charge creuse, c'est-à-dire que la roquette transperce mais n'explose pas. Mais il y aussi la scandaleuse agression, inadmissible, contre ce jeune policier, roué de coups. Ce sont des attitudes de sauvages. Les gens qui font çà n'ont plus aucun respect humain. On se cagoule, on est 20-30, et on s'acharne sur un policier !
QUESTION : Alors qu'est-ce qu'on peut faire ?
Nicolas SARKOZY : C'est d'autant plus choquant que le policier en cause - que j'ai eu au téléphone dimanche matin - son père est d'origine corse, il a essayé de s'expliquer. Il a dû se jeter à la mer pour échapper à la meute. Alors, les phénomènes de foule sont toujours préoccupants, mais encore je le dis comme je le pense, ce qui s'est passé, ce sont des actes, j'emploie le mot à dessein : barbares ! On ne s'acharne pas sur un homme sans défense comme cela. Surtout lorsqu'on se prétend dignes et fiers. Et je pense que ces individus qui ont fait çà n'ont rien à voir avec la Corse. Alors, moi je ne connais qu'une seule chose : c'est la fermeté en la matière. Alors, qu'est-ce qu'on a fait ? Lorsque le bateau a été détourné, on a envoyé le G.I.G.N et sans une goutte de sang, les fauteurs ont été arrêtés et le bateau rendu à Toulon.
On a débloqué les ports sans violence. Et je veux rendre hommage aux policiers, lors de la manifestation de samedi, parce qu'ils ont agi avec beaucoup de sang-froid pour que les conditions de cette manifestation puissent se dérouler - mise à part cette agression scandaleuse - dans de bonnes conditions. Aujourd'hui, les ports sont débloqués, les passagers et les touristes peuvent repartir, mais je ferai preuve de la plus extrême fermeté en la matière. La Corse doit redevenir, de ce point de vue, une région comme les autres ! Et je le dis d'autant mieux que c'est moi quand même qui ai conduit l'opération qui avait permis l'arrestation de Colonna. Que, par ailleurs, M. Pieri, dont chacun savait le rôle qu'il jouait en Corse dans la clandestinité, est aujourd'hui sous les verrous, et bien je continuerai ce travail, sur tous les plans !
QUESTION : Mais, Alain Mosconi - qui est le leader du Syndicat des Travailleurs Corses - qui est celui qui avait organisé le détournement du navire, a été remis en liberté. Est-ce que, pour celui qui est responsable du maintien de l'ordre, ce n'est pas un symbole un peu dérangeant ?
Nicolas SARKOZY : Oui, mais enfin, qui a décidé çà ?
QUESTION : La justice.
Nicolas SARKOZY : C'est un magistrat.
QUESTION : Le juge des libertés, oui.
Nicolas SARKOZY : Si je devais critiquer la décision d'un magistrat, je ne doute pas que M. APHATIE, pendant plusieurs jours, mettrait en cause cette déclaration.
QUESTION : L'éditorialiste, c'est Alain, ce n'est pas moi...
Nicolas SARKOZY : Mais justement. Je tiens à avoir de bonnes relations avec RTL. Je ne veux pas céder à la tentation de faire plaisir à l'éditorialiste pour avoir ensuite à régler des problèmes avec l'interviewer.
QUESTION : On disait le courant nationaliste moribond. On a l'impression que cette affaire de la SNCM lui redonne un peu de vigueur. Cela vous inquiète-t-il, Nicolas Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY : Oui. La vérité, c'est qu'on essaye de prendre cette compagnie maritime en otage pour qu'un certain nombre d'autonomistes, qui ont perdu toute crédibilité sur l'Ile...
QUESTION : Mais ils la retrouve là !
Nicolas SARKOZY : Ils ne la retrouvent absolument pas, parce que, qu'est-ce qu'ils font ? Ils font perdre des parts de marché à la compagnie qu'ils prétendent sauver. Ils bloquent un système qui exaspère les touristes, dont la Corse a un absolu besoin. Et au résultat, une fois encore, ces autonomistes, ou ces indépendantistes, travaillent contre la Corse, qu'ils prétendent défendre !
QUESTION : Mais ils étaient soutenus samedi, il y avait du monde dans la manifestation à Bastia. Ils ont quand même retrouvé une audience avec cette affaire !
Nicolas SARKOZY : Je voudrais rappeler qu'il y a eu, au plus gros, 2.400 personnes à la manifestation, et je rappelle qu'en Corse il y a 250.000 habitants.
QUESTION : La SNCM justement, c'est un dossier que vous connaissez bien. Est-ce que, en dehors, ou de l'hypothèse du dépôt de bilan, ou bien du "plan Villepin", enfin du dernier "plan de Villepin", est-ce qu'il y a une autre possibilité ? Est-ce que vous, vous avez des idées différentes ?
Nicolas SARKOZY : Bon, il faut prendre juste un petit peu de temps. Cette compagnie perd, grosso-modo, 30 millions d'euros par an. La question qu'on pose : Est-ce que le contribuable français doit payer le déficit de cette compagnie, alors même qu'il est d'autres compagnies, qui font exactement le même travail, mais elles - la concurrence - en gagnant de l'argent ? Donc, au nom de quoi doit-on solliciter le contribuable français pour compenser le déficit d'une compagnie dont d'autres font exactement le même travail, et apparemment dans les meilleures conditions ? Çà c'est la première remarque. Donc, je soutiens l'idée qu'il fallait que l'Etat se désengage. Entre 2003 et 2005, c'est 70 millions d'euros qui ont été mis de la part du contribuable.
Troisième remarque : Bruxelles ne veut plus que l'Etat verse des fonds à fonds perdus. Il fallait donc trouver une solution. Et j'approuve la décision qui a été prise de privatiser la compagnie, et de trouver un repreneur. Un appel d'offres a été fait, et tout le monde, compte tenu du contexte social, n'était pas candidat. Et par conséquent, il n'y a pas d'autre solution. Et ceux qui prétendent qu'il y a une autre solution, qu'est-ce qu'ils veulent ? D'ailleurs, les arrières-pensées des indépendantistes, ils veulent en vérité une compagnie régionale qu'ils contrôleraient. Et c'est pour çà qu'ils veulent tuer la SNCM Et que décide le gouvernement ? Il veut la sauver, sauver cette compagnie.
Et bien moi, je pense qu'on n'est pas si loin d'un accord, sur la base du plan de reprise. Il n'est pas question de remonter à 50 ou à 51 %, parce qu'à partir de ce moment là, ça voudrait dire qu'on ne fait rien et qu'on se met en contradiction avec Bruxelles. Mais enfin, chacun sait bien qu'il y a des seuils de minorité, je passe les 33 %.
QUESTION : Donc, ça veut dire que l'Etat doit monter encore un petit peu plus ?
Nicolas SARKOZY : Je ne suis pas sûr que c'est l'Etat qui doive monter puisque je ne suis pas certain que Bruxelles le permettrait. Mais on peut, il y a un certain nombre de solutions - notamment sur la part des salariés - qui permettraient de monter pour obtenir, entre l'Etat et les salariés, une minorité qui garantirait les intérêts des uns et des autres. Si on veut agir, dans cette affaire, avec un esprit de justice, je suis persuadé qu'on peut trouver une solution.
QUESTION : Vous avez paru regretter de ne pas être consulté sur cette affaire ?
Nicolas SARKOZY : Je n'ai jamais cru qu'il serait possible de passer du 100 % Etat au 100 % privé. Dans un dossier de cette nature - j'ai eu l'occasion dans un dossier comme EDF sur la démarche, rappelez-vous, sur le changement de statut - de voir qu'en France la progressivité de la démarche était une chose qui était comprise des uns comme des autres.
QUESTION : Mais vous pensez qu'à terme, ça peut demeurer viable, la SNCM ?
Nicolas SARKOZY : Je pense que, si chacun y met du sien, dans le "plan", pourquoi ça peut demeurer viable ? Le fonds d'investissements français a la volonté d'investir durablement dans cette société. Véolia - ou plutôt sa filiale Connex - a une expérience dans le transport et une expertise. Troisièmement, la Corse ne reçoit absolument pas le nombre de touristes que la beauté de ses paysages permettrait. La Corse a un potentiel de développement considérable et le bateau a donc de l'avenir, de ce point de vue-là. Si chacun veut bien faire preuve d'esprit de responsabilité, et ne pas casser pour le plaisir de casser, on peut s'en sortir.
QUESTION : Demain, sans doute beaucoup de manifestants dans les rues pour la première grande journée sociale concernant le gouvernement Villepin. Au centre des revendications : du mécontentement, tout ce qui concerne le pouvoir d'achat. Comprenez-vous les français, les gens qui vont aller manifester et qui disent "notre pouvoir d'achat stagne. Il faut faire quelque chose" ?
Nicolas SARKOZY : La question du pouvoir d'achat, nous savons, Dominique de Villepin comme moi, que c'est un problème central. Simplement, comment on répond à ce problème central ?
QUESTION : C'est ça la question !
Nicolas SARKOZY : Bien sûr que c'est ça la question ! Je dis qu'il n'y a qu'une seule réponse. A tous ceux qui veulent gagner plus - et je les comprends parfaitement - et bien, il faut laisser les gens travailler davantage.
QUESTION : Mais l'Etat patron, par exemple, pourrait augmenter le pouvoir d'achat des fonctionnaires, Nicolas Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY : Je pense que la seule façon pour l'Etat patron, l'Etat employeur, plutôt, d'augmenter le pouvoir d'achat - parce que c'est vrai que dans la fonction publique, il y a des petits salaires : personne ne le conteste - c'est de trancher cette question extrêmement difficile : on ne peut pas augmenter les fonctionnaires si on ne pose pas la question des effectifs. Et ça fait bien longtemps que je suis pour une formule qui consiste à dire : on ne remplace pas tous les départs à la retraite, et on partage ainsi les économies réalisées pour moitié par la réduction du déficit de l'Etat, pour moitié, en donnant du pouvoir d'achat aux fonctionnaires.
QUESTION : C'est ce que le budget ne fait pas, cette année.
Nicolas SARKOZY : C'est ce que le budget commence à faire.
QUESTION : Lentement.
QUESTION : Très lentement.
QUESTION : Il y a 60000 départs : il y aura 5000 diminutions d'effectifs.
Nicolas SARKOZY : Enfin, diminutions d'effectifs : non remplacement de départs à la retraite. Non, mais c'est une affaire sensible. Et la question du rythme du changement est une question qui est en débat, et sur laquelle je ne prétends pas avoir la vérité. Je dis simplement une chose - et je le dis à tous les fonctionnaires qui nous écoutent - ceux qui réclament toujours plus d'embauches dans la fonction publique, auront pris la responsabilité de paupériser la fonction publique. La France a, grosso modo, un budget en déficit depuis 23 ans. Nous ne pouvons pas distribuer un argent que nous n'avons pas. Et toute personne qui vous dirait le contraire, ce serait un mensonge. Et c'est manquer de respect aux fonctionnaires.
Donc, la seule façon, pour répondre à Jean-Michel Aphatie, d'augmenter le pouvoir d'achat - car c'est vrai, qu'il y a des besoins de pouvoir d'achat parce que la vie est chère - c'est de permettre aux gens de travailler plus. Je suis de ceux qui pensent qu'on ne remplace pas tout le monde et on partage les gains de pouvoir d'achat. J'ajoute que - de mon point de vue - ce qui a été fait, et bien fait, dans le privé sur les 35h, pourrait l'être utilement dans le public.
QUESTION : En un mot. Demain, il va y avoir de nouveau les transports publics au ralenti, l'éducation nationale aussi. Vous, vous pensez qu'il faut faire quelque chose de plus pour qu'il y ait un service minimum, ou pas ? Ou que ce qui est prévu, finalement, ça colle ?
Nicolas SARKOZY : Vous savez, j'essaie de ne pas trop changer mes convictions. J'ai toujours pensé que le service public, c'était quoi ? Le service public, c'est un monopole. Et c'est un monopole qui fonctionne plutôt bien. Qu'est-ce que ça veut dire un monopole : que les gens n'ont pas d'autre solution. Et bien, les jours de grève - et c'est normal que les gens fassent grève dans une démocratie - il faut qu'il y ait un service minimum pour que, ceux qui ne font pas grève puissent aller au travail et revenir de leur travail. C'est ce que nous avons toujours dit. De mon point de vue, je pense que ce sera nécessaire.
QUESTION : Et une loi donc devrait être prise prochainement. Parce qu'on nous l'annonce au moins depuis le début de 2002. Enfin, depuis le début de la législature ?
Nicolas SARKOZY : Je n'ai jamais pensé autre chose. Par conséquent, je considère que le service minimum est la contrepartie du service public. J'ajoute : comment réclamer le monopole et se mettre en situation de combattre un service minimum ? Mais alors, ça veut donc dire que le jour de grève, ceux qui ne sont pas en grève - et qui n'ont rien à voir avec la grève - ne peuvent pas aller travailler, qu'on paralyse un pays. Et bien, paralyser un pays, c'est le contraire du service public parce que, le service public, c'est la continuité du service. Les jours de grève, il faut que, pendant quelques heures, le service marche.
QUESTION : Ça, c'est le principe. Mais on a du mal à l'organiser. Souhaitez-vous que la majorité, dans les semaines qui viennent, le fasse ?
Nicolas SARKOZY : La réponse est "oui". Je vais même vous dire autre chose : j'ai du mal à avoir un argument qui pourrait justifier qu'on ne le fasse pas.
QUESTION : La peur ? La peur de la grève ?
Nicolas SARKOZY : La peur est souvent mauvaise conseillère.
QUESTION : Alors, tout autre chose. La Turquie. Les négociations ont l'air de commencer difficilement et il y a un pays, l'Autriche, qui souhaite que, à côté de l'objectif de l'adhésion, il puisse y avoir une alternative qui soit un partenariat privilégié. Vous, théoriquement, c'était votre thèse. Alors, vous vous sentez, au fond, plutôt autrichien que français, ce matin ?
Nicolas SARKOZY : Le choix que vous me laissez, c'est d'être soit autrichien, soit turc.
QUESTION : Ou français, comme vous voulez !
Nicolas SARKOZY : Sans insulter personne, c'est un drôle de choix. ! Qu'est-ce qui est en cause ? Des négociations vont s'ouvrir. Je ne suis pas contre le principe d'ouverture de négociations. Mais c'est quand même curieux de la part de nos amis turcs de dire "vous ouvrez les négociations, mais permettez de dire : la négociation ne peut servir qu'à une seule chose : nous faire adhérer". Autant ne pas ouvrir, alors.
QUESTION : Enfin, ce n'est pas toujours ce qu'on leur a dit dans le passé.
Nicolas SARKOZY : Je suis tout à fait prêt à en parler. D'ailleurs, ça fait 40 ans que ça dure. Si c'était si simple, pourquoi mettre 40 ans ?
QUESTION : Que pensez-vous de la phrase de Valery Giscard d'Estaing - c'était hier dans le "Journal du Dimanche" : "la volonté démocratique des français a été ignorée". Vous le ressentez comme ça, Nicolas Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY : C'est un dossier où chacun sait qu'il y a des désaccords. Pour ma part, dès le mois de mai 2004 - comme Alain Juppé, d'ailleurs - j'ai dit combien j'étais réservé à l'idée d'une adhésion de la Turquie, pour tout un tas de raisons, à l'Europe. C'est d'ailleurs la position de l'UMP quasi unanime. Mais si on interrogeait le pays pour savoir quel est son sentiment, son sentiment serait extrêmement réservé. Il serait plus pour un partenariat que pour une adhésion.
QUESTION : Pour dire les choses clairement : à part Jacques Chirac, qui est pour l'adhésion de la Turquie, Nicolas Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY : Mais c'est déjà pas mal !
QUESTION : Est-ce que vous trouvez que, en matière de politique étrangère quand il y a des choix importants - c'est un choix important la Turquie - est-ce que vous trouvez normal que le président de la République ait les mains complètement libres pour faire ce qu'il juge, en conscience, nécessaire et utile ? Ou bien, est-ce que vous considérez qu'en démocratie, il devrait tenir compte de l'opinion, du Parlement, des partis, de l'UMP, du ministre de l'Intérieur ?
Nicolas SARKOZY : Dans votre question, il n'y a pas que des considérants de politique étrangère et chacun l'a bien compris. J'essaie de ne pas dramatiser les choses. La constitution prévoit que la définition de la politique étrangère - et de la politique européenne, si tant est d'ailleurs que la politique européenne soit de la politique étrangère : il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Ca fait partie des compétences du président de la république. Et à ce titre, bien sûr, je les respecte. Mais en démocratie, chacun a le droit de donner son opinion. Je l'ai donnée en son temps. Le mouvement que je préside a voté et, de toutes manières, le président de la république a mis un cliquet - qui n'est pas n'importe lequel - c'est le référendum puisqu'il s'agira de demander aux français, le moment venu, s'ils sont "pour" ou s'ils sont "contre" l'adhésion de la Turquie. Comme l'adhésion à l'Union Européenne se fait à l'unanimité, si les français disent "non", il n'y aura pas d'adhésion de la Turquie.
Pour le reste, ma position très réservée sur l'adhésion de la Turquie ne vient pas d'un quelconque refus des turcs, mais de la conception que j'ai d'une Europe politique. C'est-à-dire d'une Europe intégrée où l'on partage davantage de compétences ensemble. Or, qui ne voit que, plus nous serons nombreux, moins on pourra intégrer l'Europe.
QUESTION : Vous êtes - on l'entend encore ce matin - prudent sur la question turque et vous ne voulez pas la dramatiser. Est-il vrai, Nicolas Sarkozy, qu'il y a dix jours, lors de la convention de l'UMP, entre Jacques Chirac et vous, il y a eu une explication sérieuse sur, précisément, la tonalité de votre discours sur la Turquie ?
Nicolas SARKOZY : Est-ce qu'il est vrai qu'on en a parlé ? la réponse est oui. Est-ce que cette discussion était sérieuse ? Par construction, quand je discute avec le président de la République, ça ne peut être que sérieux.
QUESTION : Mais "sérieuse", c'est un terme diplomatique pour dire qu'elle était vive ?
QUESTION : Elle était âpre !
Nicolas SARKOZY : Compte tenu de ce que vous connaissez de mon tempérament, vous pouvez le suggérez. Mais quand je dis une chose - quand je dis que je suis prudent, je crois que, sur le fond, j'ai dit les choses clairement. Quand on dit les choses clairement sur le fond, pourquoi avoir besoin d'en rajouter sur la forme ?
QUESTION : Donc, c'est une période de modération sur cette question turque, pour vous, Nicolas Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY : Mais il y a eu un vote. Nous sommes contre l'adhésion de la Turquie. Point. Il n'y a pas besoin de s'agiter pour en dire plus.
QUESTION : Il y a un sondage qui a été publié samedi, qui est celui du "Figaro Magazine" - SOFRES Figaro Magazine - et, pour la première fois, quand on interroge les français sur le souhait de rôle dans l'avenir des personnalités politiques, Dominique de Villepin vous précède d'un point. Alors, vous avez le sentiment de vous trouver avec un rival que vous n'auriez pas imaginé il y a quelques mois ?
Nicolas SARKOZY : Je vais essayer de vous répondre le plus librement, le plus franchement possible. Qu'est-ce que je fais et qu'est-ce que j'essaie de faire ? Je pense que le premier problème de la vie politique, c'est un déficit d'authenticité. Les gens se demandent si nous, les responsables politiques, on croit même à ce qu'on dit. Il faut dire les choses comme elle sont. Il ne faut pas prendre de périphrases.
Et j'essaie, depuis trois ans et demi, au gouvernement ou dans mes responsabilités de président de l'UMP - j'essaie : je ne dis pas que je fais bien, j'essaie - de dire ce que je pense et pire - plus grave encore - de faire ce que je dis. Et de le faire sans calculs excessifs. Quand je dis : "la responsabilité des magistrats doit être mise en cause". Quand je dis : "il faut nettoyer". C'est ce que je pense. Et je ne dis pas que ça rencontre l'adhésion populaire ou le consensus immédiatement. Je ne suis pas dans cette démarche. Je pense que la France ne craint pas le changement : qu'elle l'attend. Et je pense que la vie politique a besoin profondément d'être renouvelée avec des gens qui ont le courage de dire ce qu'ils pensent.
Alors, un moment, ça passe bien : ça fait trois ans et demi. Et puis là, il y a un sondage où ça passe moins bien. Il faut que j'ai la souplesse et la sérénité de l'accepter. On ne peut pas vouloir - comme je le dis - dire ce que l'on pense et s'étonner de ne pas toujours être consensuel.
QUESTION : Mais comment expliquez-vous que, dans les sondages, vous avez surplombé la droite pendant presque 3 ans.
Nicolas SARKOZY : Pourquoi prenez-vous l'imparfait ?
QUESTION : Parce que vous n'avez pas entendu la fin de la question !
Nicolas SARKOZY : Pardon. Excusez-moi.
QUESTION : La fin de la question, c'est : comment expliquez-vous votre trou d'air dans le sondage ?
Nicolas SARKOZY : D'abord, si je savais expliquer tout ça, je serai bien plus savant. Quand vous pensez qu'un observateur comme vous ne sait pas toujours l'expliquer. Comment voulez-vous qu'un acteur comme moi ?
QUESTION : C'est parce que les observateurs sont modestes, c'est bien connu !
Nicolas SARKOZY : Ça veut dire que les acteurs ne le sont pas !
QUESTION : Quelquefois moins !
Nicolas SARKOZY : J'essaie d'avoir la modestie d'un acteur. Vous savez tout ça, c'est une longue route, c'est un grand travail. C'est quelque chose d'extrêmement difficile, la politique. La politique, c'est quoi ? C'est essayer de donner une cohérence aux aspirations souvent contradictoires d'un peuple. Et c'est un chemin très long dont un premier rendez-vous aura lieu en 2007. Je n'ai jamais pensé que c'était une course solitaire. Je n'ai jamais imaginé que l'expérience qui est grande - et qui est la mienne - que c'était facile. Et, par ailleurs, je suis de ceux qui pensent que la concurrence est le seul moyen d'étalonner une valeur. Alors, à moi d'essayer d'être en tête.
QUESTION : Conviendriez-vous, ce matin, Nicolas Sarkozy, simplement avec franchise, d'une compétition avec Dominique de Villepin pour 2007, justement, puisque vous en parlez ?
Nicolas SARKOZY : D'une compétition, pas simplement avec Dominique de Villepin qui est le chef du gouvernement.
QUESTION : Ma question porte sur Dominique de Villepin.
Nicolas SARKOZY : Je suis de ceux qui pensent, à la tête de l'UMP, qu'il n'y a pas de candidat obligatoire. Pour être candidat à la candidature à la présidentielle, il faut le mériter. Et je suis persuadé que sur la ligne de départ, il y aura plusieurs candidats.
QUESTION : Et pour le mériter, il faut, bien entendu, que l'UMP désigne son candidat ?
Nicolas SARKOZY : Mais c'est quelque chose à laquelle je ne cèderai pas. Parce que, s'il y a plusieurs candidats de notre famille, j'aimerais qu'on m'explique comment on tranche entre ces plusieurs candidats. Ca n'a rien avoir - contrairement à ce que j'ai entendu dire - avec la primaire. Mais s'il y a plusieurs candidats de notre famille, on décide comment le candidat qui soutiendra le mouvement que je préside ?
Et bien, je ferai voter les adhérents. Parce qu'en 2005, je ne connais qu'une méthode : la démocratie et la transparence. Je n'ai pas de conseiller occulte. Il n'y aura pas d'arrangements entre trop bons amis. Il y aura la concurrence devant les adhérents. Et ce sera d'ailleurs un puissant mouvement pour multiplier les adhésions. Et ce n'est peut-être pas un hasard que l'UMP aujourd'hui, c'est 170.000 adhérents à jour de cotisations et ce n'est peut-être pas un hasard - vous ne l'avez pas dit par pudeur - que sur les 10 partielles on en a gagné 9. Voilà le résultat de l'UMP d'aujourd'hui.
QUESTION : Mais si les choses se passaient comme c'est aujourd'hui, il y aurait un vote - de la part des militants UMP - entre Dominique de Villepin et vous ?
Nicolas SARKOZY : Et bien, ça ne serait pas un drame.
QUESTION : En mai dernier - une question personnelle pour terminer, Nicolas Sarkozy - vous conveniez que votre famille traversait des turbulences et vous disiez que vous en informeriez les français, le moment venu. Le moment est-il venu ? Approche-t-il, Nicolas Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY : Je pense qu'on a assez parlé - contre mon gré, d'ailleurs - de ma vie personnelle. Que ça a fait assez de dégâts pour que vous m'autorisiez, ce matin à RTL, à être le seul à ne pas en parler.
QUESTION : Et vous comptez en parler prochainement ?
Nicolas SARKOZY : Je vous ai répondu...
QUESTION : Pas ce matin, en tout cas.
Nicolas SARKOZY : Certainement pas.
Jean-Michel APHATIE : Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, était l'invité de RTL, ce matin.
(Source http://www.u-m-p.org, le 3 octobre 2005)