Déclaration de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, Paris le 13 septembre 2005.

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Circonstance : Colloque sur la justice des mineurs à Paris le 13 septembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Garde des Sceaux,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Premiers Présidents et Procureurs Généraux,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'intervenir à vos côtés, M. le Garde des Sceaux, Cher Pascal Clément, pour clôturer ce colloque sur la justice des mineurs. Je tiens à vous remercier de cette invitation.
L'année 2005 marque le 60ème anniversaire de l'adoption de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Mais pas seulement.
Cette année est aussi marquée par la remise de nombreux rapports au gouvernement à propos de la protection de l'enfance et des mineurs. La plupart de ces rapports soulignent la nécessité de réformer le dispositif actuel.
J'ai conscience d'intervenir ce soir peut-être un peu en marge du sujet principal de votre colloque. En charge de la famille et de l'enfance, vous ne serez pas étonné que mon attention se porte naturellement, non pas sur l'enfance délinquante ou pré délinquante, ni même sur la prévention de la délinquance, tout en mesurant parfaitement l'intensité des questions que pose aujourd'hui l'application de l'ordonnance de 1945.
Nous sommes en effet confrontés aujourd'hui à des questions qui viennent bien avant ce type de préoccupations, pourtant fondamentales dans une société où les besoins de sécurité demeurent, à l'évidence, essentiels.
Je veux parler bien sûr de l'enfance en difficulté, de l'enfance en danger, de l'enfance victime, victime de la maltraitance sous toutes ses formes, enfants battus, enfants subissant de véritables tortures psychiques, enfants violés victimes des désordres sexuels les plus graves des adultes.
J'ai été, comme tous nos compatriotes et comme chacun d'entre vous, je le sais, épouvanté au cours des dernières années par des affaires criminelles d'une gravité exceptionnelle, dans lesquelles on a vu des parents se livrer à des violences sexuelles inconcevables sur leurs enfants, y compris des bébés, et les livrer à la prostitution. Comment de tels drames ont-ils pu être possibles, se développer sur une si longue durée, passer inaperçus pendant si longtemps dans un pays comme le nôtre et impliquer plusieurs dizaines d'enfants et d'adultes à la fois ?
Je me suis, comme vous tous, beaucoup interrogé. J'ai consulté magistrats, travailleurs sociaux, présidents de Conseil général, experts de l'Office décentralisé de l'action sociale, enseignants éducateurs, médecins. J'ai longuement écouté les Parlementaires qui ont travaillé sur la question de la protection de l'enfance, Mme Valérie PECRESSE, M. Louis de BROISSIA, M. Philippe NOGRIX. J'ai entendu l'appel des " cent " au débat et à l'action. J'ai discuté des conclusions du premier rapport de l'Observatoire de l'Enfance en Danger avec ses auteurs. J'ai aussi eu plusieurs séances de travail avec la défenseure des enfants.
De l'ensemble de ces contacts et de ces entretiens, je retire la conviction que les fondements de notre système de protection de l'enfance restent justes mais que des failles existent. Elles sont lourdes de conséquences. Il est urgent d'y mettre fin. Il est urgent de resserrer les mailles du filet pour mieux prévenir les dangers, et pas seulement ceux qui ont donné lieu aux monstruosités dont nous avons mesuré l'horreur dans une affaire comme celle d'Angers.
Je constate une remarquable convergence des un et des autres dans le diagnostic et dans les propositions.
Cette convergence est fondée sur l'expérience des professionnels, plus que sur des doctrines et des théories. C'est ce qui fait toute sa force au-delà des clivages toujours présents dans notre pays entre institutions. Je souhaite qu'après un temps nécessaire d'approfondissement du débat, le temps de l'action vienne rapidement.
Ce temps de l'action ne doit pas être seulement le temps du législateur.
Beaucoup de solutions passent en effet par la coordination de nos moyens d'action, qu'ils relèvent des départements ou de l'Etat, de la politique de l'enfance, de la justice, de l'éducation, de la santé ou des hôpitaux. Tout concourt aujourd'hui à un renforcement du rôle du président du Conseil général, qui détient déjà depuis 1984 les principales clés de l'aide sociale à l'enfance. C'est vers le président du Conseil général que doivent converger les informations, souvent diverses, qui permettent de mesurer le degré d'exposition d'un enfant ou d'une famille à des risques graves.
Le problème de l'information est en effet crucial. Aujourd'hui, un enseignant, une infirmière scolaire, un travailleur social ou familial peuvent chacun détenir une bribe d'information qui, à elle seule, ne dit pas assez sur le danger auquel un enfant peut être confronté. C'est en mettant en commun régulièrement, par un dialogue confiant et naturel, les éléments épars réunis sur un même enfant qu'une situation d'urgence peut apparaître avec la force de l'évidence.
Je suis également convaincu de la nécessité d'offrir à tous les étudiants puis à tous les professionnels qui seront en contact fréquent avec des enfants un module commun de formation pour aiguiser leur vigilance, mieux repérer les signes de la maltraitance, y compris dans ses formes les plus sournoises, celle qui ne laissent aucune trace sur le corps de l'enfant. Il faut aussi que ces professionnels sachent quoi faire quand ils ont un doute sérieux, à qui le dire, comment s'y prendre avec l'enfant.
Enfin je suis persuadé que nous avons un grand travail devant nous pour diversifier nos modes d'intervention et les personnaliser davantage, en fonction de l'enfant et de la situation familiale. Cela demande une vraie réflexion sur l'articulation des rôles entre la justice et l'aide sociale à l'enfance, sur la continuité du suivi de l'enfant entre les différents intervenants qui vont se succéder auprès de lui. Cela demande aussi que nous ayons entre nos mains des possibilités d'actions plus nombreuses, entre le maintien de l'enfant au domicile de ses parents et son accueil en établissement ou dans une famille tierce : beaucoup d'avancées sont à relever dans ce domaine. L'Etat, les Conseils Généraux, les associations et tous les acteurs qui interviennent à un titre ou à un autre, se mobilisent depuis bien des années et contribuent à améliorer la prise en charge des enfants et des mineurs en danger, faisant en sorte que des réponses adaptées soient apportées.
Protéger les enfants, c'est devoir parfois les soustraire à leur famille. Si le placement apparaît inévitable, pour les mettre hors de danger. Le juge des enfants peut en décider ainsi parce qu'il n'entrevoit pas d'autres réponses pour protéger le mineur.
Mais le juge peut aussi décider de le maintenir sous le toit familial. C'est ce qui est souhaitable à chaque fois que cela est possible, et c'est bien en ce sens que nous devons travailler, mettre tout en uvre pour que l'enfant puisse demeurer ou revenir chez lui, dès lors que c'est compatible avec son intérêt.
Les mesures d'assistance éducative, qu'elles soient décidées par les Conseils généraux ou par le juge des enfants, qu'elles soient exercées par les éducateurs des services départementaux, ou par ceux de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou encore par les associations habilitées, toutes doivent tendre, et c'est ma conviction, vers ce même objectif, à chaque fois qu'il peut être recherché.
Je suis bien sûr attentif aux critiques qui se sont exprimées sur la manière dont s'organise aujourd'hui notre dispositif national de protection de l'enfance.
Le cloisonnement des services, le manque de concertation et de coordination entre les acteurs, l'insuffisance des évaluations à propos des mesures, les parcours chaotiques des mineurs, l'accompagnement inadapté des parents, la transgression quelquefois des droits de l'enfant et de sa famille, le manque d'alternatives et bien d'autres points, sont mis en exergue dans de nombreux rapports.
En matière de protection de l'enfance et de protection des mineurs, nous nous devons d'être exigeants.
La justice et les Conseils généraux sont au cur du dispositif de la prévention et de la protection de l'enfance des mineurs. Mais il y a de nombreux autres acteurs, l'Education Nationale, la Santé, les communes, les associations, pour ne citer que ceux-ci.
Je souhaite, qu'au cours des mois qui viennent, chaque acteur concerné par l'enfance et l'adolescence s'implique dans une large concertation, qui engage un débat actif et constructif pour aboutir rapidement à une réforme de la protection de l'enfance tant attendue ; que cette rénovation soit à la hauteur des enjeux qu'elle pose. Il s'agit de nos enfants et de leur devenir. Je compte sur la mobilisation de tous pour y parvenir.
Je vous remercie.

(Source http://www.famille.gouv.fr, le 5 octobre 2005)