Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur les propositions de réforme et les chantiers prioritaires de l'ONU en matière de lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire ainsi que d'aide au développement, New York le 18 septembre 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion plénière de haut niveau de la 60ème session de l'Assemblée générale des Nations unies à New York du 13 au 19 septembre 2005 : déclaration de Ph. Douste-Blazy le 18

Texte intégral

Monsieur le Président,
Prenant la parole pour la première fois à cette tribune, je veux ici réaffirmer l'importance qu'attache la France au système multilatéral. Notre avenir commun ne peut s'envisager sans son renforcement.
La déclaration adoptée avant-hier marque une étape dans ce sens, même si elle ne répond pas à toutes nos attentes.
Le texte comporte des avancées significatives. Je pense en particulier au financement innovant du développement. Je pense aussi à la décision d'établir auprès du Conseil de sécurité une Commission de consolidation de la paix. Je pense enfin à la création d'un Conseil des Droits de l'Homme et à la consécration du principe de la ''responsabilité de protéger''. Il nous revient désormais de mettre en uvre concrètement ces avancées conceptuelles. Je souhaite ici saluer le travail remarquable effectué sous l'autorité de M. Jean Ping.
Mais ne sous-estimons pas l'ampleur de la tâche qui reste à accomplir, qu'il s'agisse de la lutte contre le terrorisme, de la non-prolifération, de la réforme du Conseil de sécurité ou encore de l'aide au développement.
L'Organisation des Nations unies est fondée sur l'élaboration de la règle de droit et la promotion de normes universelles. Celles-ci traduisent nos valeurs communes et notre conviction qu'il ne peut y avoir de sécurité et de développement sans un respect scrupuleux des droits de la personne humaine. Ce n'est pas une question de morale mais de respect de l'identité de chacun. Ce n'est pas une question de dire le bien ou le mal, mais de permettre à tous de vivre dans une liberté plus grande et dans la dignité.
Refusons l'enrôlement des enfants dans les conflits armés, l'utilisation systématique comme arme de guerre des violences sexuelles contre les femmes et les petites filles, le recours à la menace, à la détention arbitraire, à la torture à l'encontre des opposants, des journalistes, des syndicalistes, des défenseurs des Droits de l'Homme. Concluons enfin la négociation de la Convention contre les disparitions forcées.
A cette fin renforçons le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme et créons rapidement le Conseil des Droits de l'Homme.
La communauté Internationale dispose désormais de la légitimité nécessaire pour exercer effectivement sa "responsabilité de protéger" les populations menacées de nettoyage ethnique, de crimes contre l'humanité, de génocide. La France s'en réjouit particulièrement. Elle salue les avancées de la justice pénale internationale, en particulier à travers l'action du Conseil de sécurité.
Que ceux qui croient pouvoir compter sur l'inaction de la communauté internationale pour commettre leurs crimes ne s'y trompent pas : ils devront rendre des comptes.
Soixante ans après la création des Nations unies, le terrorisme figure aujourd'hui au premier rang des atteintes aux Droits de l'Homme. Rien, aucune cause, aucune religion, aucun ordre moral ne justifient que l'on attente à la vie d'innocentes populations civiles. Il nous faut définir une fois pour toute les actes de terrorisme, afin de mieux combattre cette barbarie qui fait reculer l'humanité.
La prolifération des armes de destruction massive constitue une autre menace majeure pour la planète, face à laquelle nous devons rester unis et déterminés.
La France, avec ses partenaires allemand et britannique, a proposé à l'Iran une démarche constructive pour ouvrir la voie à une nouvelle relation entre ce grand pays et la communauté internationale. Cette relation est actuellement compromise par les préoccupations que soulève son programme nucléaire. Nous demandons à l'Iran d'établir la confiance en offrant des garanties objectives sur la nature exclusivement pacifique de son programme. Les déclarations iraniennes faites à cette tribune mettent la communauté internationale devant ses responsabilités, la saisine du Conseil de sécurité étant à l'ordre du jour pour renforcer l'autorité de l'AIEA. C'est l'intégrité du régime de non-prolifération qui est en cause.
Mais travaillons aussi à réduire la prolifération des armes légères et de petit calibre, qui nourrit tant de conflits profondément meurtriers.
Pour mieux servir la paix et assurer la sécurité des populations, le Conseil de sécurité a élargi son champ d'action aux trafics qui financent les conflits, à l'impunité qui les couvrent, en recourant notamment aux sanctions et aux embargos. L'organisation s'est engagée résolument sur le terrain, au cur même des conflits. Plus de 70.000 Casques bleus, soldats et policiers, servent aujourd'hui au sein de 18 opérations de maintien de la paix et des milliers d'autres interviennent sous mandat du Conseil de sécurité.
Les résultats sont là : au Timor Leste, en République démocratique du Congo, au Burundi, au Liberia et au Sierra Leone, notamment.
Mais au sortir de la crise, il reste essentiel que ces pays continuent de bénéficier de toute notre attention et de tout notre appui. Dans le processus de transition, il revient aux Nations unies de jouer un rôle central, à travers la Commission de consolidation de la paix.
D'autres situations exigent encore une grande vigilance et une forte mobilisation.
Ainsi, en Haïti, la présence de forts contingents de soldats et de policiers des Nations unies doit permettre de conforter le processus politique associant sans exclusive toutes les forces pacifiques. La préparation des élections doit être accélérée. Comme tout autre, le peuple haïtien, qui a trop longtemps souffert, a droit au respect et à la liberté.
En Côte d'Ivoire, la présence de l'ONUCI et la mise en place d'un représentant du Secrétaire général chargé des élections doivent contribuer également à conforter la mise en uvre du processus défini à Marcoussis et Pretoria.
Mais, en Côte d'Ivoire comme en Haïti, l'action déterminée de la communauté internationale rassemblée ne portera aucun fruit sans la coopération de bonne foi et le sens des responsabilités de toutes les parties. A Abidjan comme à Bouaké, chacun doit respecter les engagements qu'il a pris afin que des élections libres et transparentes puissent se tenir partout à travers le pays. Aucune autre solution n'est possible. C'est pourquoi il faut appuyer résolument le processus électoral qui s'amorce, tout comme les programmes de démobilisation, de désarmement et de réinsertion. Toutes les parties ivoiriennes doivent comprendre qu'elles ne sauraient impunément faire obstacle aux efforts de paix par une attitude d'obstruction, des discours de haine, ou une remise en cause des règles démocratiques. Le Conseil de sécurité prendra ses responsabilités.
La situation du Liban illustre ce que peut produire une mobilisation internationale résolue, appuyée sur la volonté courageuse d'un peuple. L'essentiel des forces syriennes a désormais quitté le Liban. Des élections se sont tenues. Un gouvernement représentatif a été constitué. Notre organisation doit continuer à soutenir les efforts du gouvernement libanais afin de recouvrer pleinement sa souveraineté et d'exercer son autorité sur l'ensemble du territoire. Dans le même temps, nous devons continuer à appuyer les travaux de la commission d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri. Nous sommes déterminés à ce que justice soit rendue.
Au Proche-Orient toujours, une dynamique d'espoir, qui pourrait concerner tous les Etats de la région, s'esquisse avec le retrait israélien de Gaza. La France, avec ses partenaires européens, se tient aux côtés des Palestiniens pour reconstruire et développer ce territoire, pour que ses habitants puissent circuler, avoir accès à l'emploi et à des conditions de vie décentes.
Mais on se saurait en rester là. Il faut ouvrir une perspective politique pour relancer la mise en uvre de la Feuille de route en incitant d'un côté les Palestiniens à redoubler d'efforts en matière de sécurité et de l'autre les Israéliens à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la colonisation et respecter le droit international dans leur lutte pour la sécurité. La paix ne peut que passer par l'existence de deux Etats pacifiques et démocratiques vivant côte à côte dans la paix et la sécurité.
En Irak, enfin, la France reste engagée, pour qu'avec l'aide des Nations unies notamment, le peuple irakien puisse se doter d'institutions démocratiques, dans lesquelles tous les Irakiens pourront se reconnaître. Il est clair qu'une politique exclusivement sécuritaire conduit à un repli communautaire mettant en péril la cohésion de la société irakienne et l'unité du pays. Là encore, le processus politique ne doit tenir à l'écart aucune force représentative et pacifique et dégager pour l'Irak l'horizon du rétablissement de sa pleine souveraineté.
A travers toutes ces crises, le Conseil de sécurité a imposé progressivement l'autorité des Nations unies au service de la paix et de la sécurité internationales. Son action est légitime. Son autorité sera davantage encore renforcée lorsque nous serons parvenus à un accord sur son élargissement qui permette de prendre en compte l'émergence de nouvelles puissances et de donner une place plus équitable à tous les continents.
Dans le même temps il faut opérer les réformes profondes de gestion dont a besoin notre organisation. Dans son rapport "Vers une liberté plus grande", le Secrétaire général a proposé les éléments d'un plan d'action et entamé les premières réformes. Je salue sa volonté et réaffirme la détermination de la France à le soutenir dans sa démarche.
Monsieur le Président,
Nous le savons tous, sécurité et développement sont indissociables.
Cinq ans après le Sommet du Millénaire, les chefs d'Etat et de gouvernement viennent de dresser un bilan inquiétant de la mise en uvre des Objectifs du Millénaire pour le développement.
Le document final qu'ils ont adopté établit clairement les priorités sur lesquelles nous devons nous mobiliser. La première d'entre elles reste hélas la sécurité alimentaire car, comme le soulignait la déclaration adoptée en 2004 à l'initiative des présidents Lula et Chirac, la faim reste la pire des armes de destruction massive.
Elle tue encore plusieurs centaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants à travers la planète. Nous le voyons en ce moment même au Sahel et en Afrique australe. Ce fléau d'un autre âge doit et peut être combattu.
Bien sûr il faut apporter une aide humanitaire d'urgence aux populations en détresse. Cela suppose un renforcement de la coordination des interventions par les Nations unies et la mise en place d'une force humanitaire internationale, comme l'a proposé la France.
Mais au-delà, il faut doter toutes les zones à risques de moyens techniques de prévention et d'alerte précoce. Il faut surtout créer les conditions d'un développement durable au bénéfice de tous : voilà bien l'ambition des Objectifs du Millénaire pour le développement, dont la réalisation passe par la mise en place dans la durée de financements importants. Au premier rang figure pour longtemps encore l'aide publique au développement. Le document final du Sommet rappelle les engagements internationaux à cet égard, que la France et l'Union européenne entendent respecter.
Il est urgent que les autres pays développés prennent les mêmes engagements.
Mais nous le savons bien, cela ne suffira pas. Il faut dégager des ressources additionnelles pérennes à travers des mécanismes innovants de financement.
La France défend la mise en place de contributions internationales de solidarité. Plus de 66 pays ont apporté leur soutien au projet pilote de contribution sur les billets d'avion et nous nous en réjouissons. La France accueillera en février prochain une conférence ministérielle sur cette initiative afin d'en assurer la sa mise en uvre concrète et rapide.
En consacrant 3 objectifs sur 8 à la santé, la Déclaration du Millénaire a replacé la santé publique au cur du développement durable.
Par son ampleur et ses conséquences économiques et sociales, la pandémie de sida nous concerne tous. C'est ensemble seulement que nous y ferons face, par une action qui intègre la prévention, les traitements, les soins, la vulnérabilité médicale et sociale des personnes infectées. La France veut travailler à cette approche intégrée avec ses partenaires européens, l'Organisation mondiale de la Santé, l'Onusida et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Tout doit être fait pour aboutir d'ici 2010 à un accès universel aux traitements, en mettant en uvre le cas échéant les flexibilités en matière de droits de propriété intellectuelle prévues dans les accords commerciaux internationaux de Doha.
La lutte contre le sida exige la mobilisation de tous. Pour sa part, la France s'est engagée à doubler sa contribution au Fonds mondial, qui atteindra 300 millions d'euros d'ici 2007.
Dans le même temps, la coopération internationale doit prendre en compte les difficultés particulières de certaines catégories de personnes : victimes de l'extrême pauvreté en état d'exclusion, jeunes filles qui se voient refuser le droit à la santé sexuelle et reproductive, handicapés marginalisés par la société.
Monsieur le Président,
De l'océan Indien au Golfe du Mexique, du Japon à l'Antarctique, l'homme est aujourd'hui confronté à une montée sans précédent des menaces environnementales qu'il a lui-même provoquées.
Les preuves scientifiques de la réalité du changement climatique et de son origine humaine sont irréfutables. Toute initiative doit rester compatible avec le Protocole de Kyoto ; des perspectives doivent être tracées sur l'avenir du régime multilatéral climat post 2012. La France souhaite des engagements plus forts concernant notamment les transferts de technologies en faveur des pays émergents.
Pour répondre à la menace et mobiliser plus efficacement les énergies et les ressources, la France et l'Europe ont proposé que soit créée, à partir du programme des Nations unies pour l'environnement, une institution spécialisée, ayant vocation à coordonner l'action internationale. Cette idée est évoquée dans le document final du Sommet, il faut maintenant la traduire dans les faits.
Monsieur le Président,
L'Organisation des Nations unies fête cette année son soixantième anniversaire. Le monde a profondément changé depuis 1945. Des millions d'hommes et de femmes ont accédé à la liberté et sont sortis du sous-développement. Le progrès technologique a été fulgurant et a bouleversé la vie des sociétés comme les relations entre les Etats.
Les défis et les menaces ont évolué. Elles sont aujourd'hui à l'échelle de la planète et mettent en péril l'humanité entière.
Pourtant, nous devons rester optimistes. Il n'est pas trop tard pourvu que nous comprenions les enjeux et que nous nous mobilisions collectivement.
L'Organisation des Nations unies retrouve le sens que lui avaient donné les pères fondateurs : aider à la résolution pacifique des conflits, construire la coopération internationale au service du développement, promouvoir les Droits de l'Homme.
Plus que jamais, nous avons besoin des Nations unies qui offrent le seul cadre d'action universel et global, légitime et reconnu comme tel par tous les Etats. Ne lui ménageons pas notre appui. La France pour sa part s'y engage.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2005)