Interview de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, dans "France-Antilles" du 16 juin 2005, sur les dossiers prioritaires du nouveau ministre.

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Média : France Antilles

Texte intégral

France-Antilles : M. le ministre, comment se passe votre prise fonction ?
François Baroin : La première étape a été un entretien avec Brigitte Girardin pour faire le point sur le bilan de son action, notamment sur le plan législatif et constitutionnel, avec un texte important que j'avais eu la chance d'examiner lorsque j'étais vice-président de l'Assemblée nationale, puisque j'ai présidé beaucoup de séances lors de l'examen de la loi-programme.
La nécessité est de faire en sorte que son application sur le terrain soit aussi efficace que ce qui était proposé à l'origine. C'est d'ailleurs, l'une des raisons pour lesquelles nous anticiperons quelques unes des évaluations des applications de la loi-programme en particulier dans le domaine du logement social.
La deuxième étape consiste à rencontrer très rapidement les élus. C'est la raison pour laquelle j'ai organisé un déjeuner républicain il y a quelques jours. Pour beaucoup d'entre eux, je les connais depuis dix ans.
Par ailleurs, un ministre est entouré d'un cabinet. Il y a la constitution d'une équipe et j'ai demandé à ce que les meilleurs puissent m'entourer car l'Outre-mer mérite ce qu'il y a de mieux dans la mesure où la responsabilité du ministre, c'est aussi d'être le porte-parole des intérêts de l'Outre-mer auprès de ses collègues ministres.
Comme vous le savez, l'Outre-mer est interministériel. On touche à l'immigration, à l'économie, à la politique sociale, à la politique sanitaire, à l'ordre public. Il y a des missions régaliennes, des missions de coordination juridique, une responsabilité auprès des représentants de l'Etat. Ce qui marche, c'est l'efficacité dans un esprit d'équipe au service de tous les Ultramarins.
France-Antilles : Quel est l'état d'esprit de votre premier déplacement en Outre-mer ?
François Baroin : Je viens d'être nommé, il est normal que je vienne me présenter à la population, c'est d'abord une marque d'estime. J'ai à la fois beaucoup de considération et beaucoup d'estime pour les élus. Mon souci est d'établir un contact très serein, ce qui n'empêche pas la confrontation des idées.
L'Etat a des priorités dans l'application des textes, dans la négociation des contrats de plan, dans les négociations à l'échelon européen pour que l'ensemble des fonds arrivent en Outre-mer. C'est cet échange qui se placera sous l'auspice d'un climat de confiance, de respect mutuel. Il y a une volonté d'avancer et d'être utile.
Vous connaissez l'attachement profond du Président de la République pour l'outre-mer, c'est une mission de confiance que le Premier ministre et lui même m'ont confié pour aider chacune et chacun à avoir un quotidien meilleur dans une situation difficile. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité organiser ces déplacements dans les meilleurs délais car rien ne remplace les échanges sur le terrain pour avoir des politiques adaptées justes.
France-Antilles : Quels sont vos dossiers prioritaires ?
François Baroin : L'emploi est la priorité de l'Outre-mer. C'est la priorité du Premier ministre, Dominique de Villepin, comme il l'a indiqué dans son discours de politique générale.
Afin de favoriser l'emploi, il existe deux outils importants : la loi-programme que j'évoquais et une déclinaison rapide du Plan Borloo notamment avec pour objectif de passer de 20.000 à 100.000 contrats d'avenir à l'échelle nationale.
La structure économique de l'Outre-mer repose sur beaucoup de PME, de petites entreprises et même de très petites entreprises et aussi sur une modernité souvent remarquable des acteurs économiques. Je pense que nous devrons avoir des contacts importants avec les milieux économiques pour voir de quelle manière les contrats d'embauche avec les nouveaux dispositifs peuvent être utilement et rapidement appliqués.
Bien évidemment, il faut aussi continuer à stimuler la croissance d'un tissu d'entreprises que je sais dynamique, car sans entreprises il n'y a pas d'emplois durables
La question de l'immigration retient naturellement mon attention et je souhaite avoir un discours à la fois fort et musclé sur ce sujet tout en ayant à l'esprit la nécessaire dignité de l'Homme. En même temps, je prendrai attache dans les meilleurs délais avec mon collègue de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, pour voir de quelle façon nous pouvons rendre plus efficaces les actions des forces de l'Ordre et des autorités judiciaires. Nous avons des territoires qui sont très concernés par l'immigration notamment du Surinam ou d'Haïti. Il est nécessaire de développer une coopération bilatérale et aussi de renforcer la coopération régionale avec les pays qui sont source d'immigration sur nos territoires. Il existe un risque pour la cohésion sociale, mais aussi pour la cohésion des pays éméteurs de cette immigration. C'est une situation qui n'est pas tenable. Cela nécessite aussi bien des échanges par la voie diplomatique avec éventuellement des accords de réadmission, qu'une très grande fermeté pour les demandes d'asiles politiques qui ne doivent pas être une facilité.
Il y a également beaucoup de travail à faire en matière de santé publique et pour le développement des infrastructures qui ont grandement d'ailleurs progressé ces dernières années.
Cela dit, l'Outre-mer n'est pas une globalité. Chaque collectivité, chaque région monodépartementale a sa spécificité. Un traitement global dans la continuité territoriale est certes essentiel, un traitement spécifique adapté aux contraintes de chaque collectivité est également une nécessité.
France-Antilles : Justement, sur ce sujet de l'immigration clandestine, qui est un réel problème surtout en Guadeloupe et en Guyane, que pensez-vous de l'élargissement des compétences aux régions en matière d'immigration ?
François Baroin : En matière de sécurité, nous sommes dans le régalien. Dans ces grands sujets, on ne pourra gagner que si nous sommes tous ensemble, dans le respect des compétences des uns et des autres, et dans la définition d'objectifs communs au delà de la loi, il y a le vouloir ensemble.
France-Antilles : Vous arrivez dans un contexte qui est celui de l'après-référendum, où l'Outre-mer a voté majoritairement oui et la métropole majoritairement non. Peut-on parler de rupture ?
François Baroin : Je ne crois pas qu'on puisse parler de rupture. Le choix des citoyens s'impose naturellement aux dirigeants politiques. Il y a beaucoup d'explications. L'élargissement était une source d'inquiétude et d'interrogations. En Outre-mer, l'impact de l'intégration de la Pologne est peut-être moins pertinent que pour les industriels du textile du côté de Troyes. La réforme de la Politique Agricole Commune n'a pas eu les mêmes effets secondaires auprès des agriculteurs de Champagne-Ardenne avec les grandes plaines de colza que pour les producteurs de la banane aux Antilles. Les départements français d'amérique et les COM en cette circonstance ont fait preuve de responsabilité, d'une grande sagesse et d'une vision d'avenir.
France-Antilles : Les filières bananes, encore récemment en Guadeloupe, connaissent de graves difficultés. Comment atténuer l'impact du non au référendum qui risque de modifier la dynamique actuelle ?
François Baroin : L'année 2005 est l'année où le dossier de l'avenir de la banane antillaise se joue, et ce à tous les niveaux : local, national, communautaire et international.
Sur les plans local et national, la mise en oeuvre du Contrat de progrès est parfaitement lancée. Les professionnels poursuivent la restructuration de la production et de la commercialisation, et l'Etat maintient ses efforts de soutien à la filière en travaillant plus particulièrement à résoudre le cas des planteurs les plus endettés. La campagne de promotion de la banane antillaise commencera à la rentrée prochaine grâce à un financement conjoint de l'Union européenne, de l'Etat et surtout des planteurs eux-mêmes.
Au plan international, la décision de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) quant au niveau du tarif que l'Union européenne pourra appliquer aux bananes étrangères (hors banane des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) est attendue pour la fin du mois d'août. De cette décision dépendra le niveau de protection de nos bananes communautaires (antillaises et canariennes essentiellement). La France défendra une réforme du soutien communautaire à la filière antillaise (volet interne de l'Organisation commune des marchés de la banane [OCM]) adaptée à ce niveau de protection. C'est pourquoi, avec les professionnels, l'Etat prépare un mémorandum dans ce sens qui sera remis à la Commission européenne dans les meilleurs délais. L'enjeu communautaire primordial réside dans la réforme du volet interne de l'OCM en tenant compte des résultats de l'arbitrage de l'OMC.
Le premier semestre de 2005 a présenté un marché soutenu en France avec des prix qui n'avaient pas été atteints depuis de nombreuses années. Il faut profiter de cette conjoncture plutôt favorable pour préparer l'avenir. Je m'impliquerai bien sûr particulièrement pour la défense de ce secteur essentiel, garant de qualité. Je sais combien il est prépondérant pour l'économie et la culture antillaises.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 juin 2005)