Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à Europe 1 le 29 février 2000, sur l'echec de l'accord cadre sur les 35 heures dans la fonction publique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Il n'y a pas d'accord-cadre sur les 35 heures pour 5 millions de fonctionnaires. Des mois de concertation n'ont pas abouti. Pour qui est-ce un échec ?
- "C'est d'abord un échec pour tous les fonctionnaires qui vont devoir attendre la réduction de la durée du travail, parce que contrairement à ce que j'entends dire de la part du ministre et de ce gouvernement, ce n'est pas l'apaisement qu'il faut jouer. Oui, l'absence d'accord est un échec. C'est grave. Parce que cela veut tout simplement dire que là où on pourra négocier, là où on est fort, là où on a l'habitude en particulier dans l'Etat, alors peut-être qu'on s'arrangera, qu'il y aura une réalité aux 35 heures ! Dans les hôpitaux aussi bien évidemment. Mais je pense à tous les fonctionnaires des collectivités territoriales, les communes, les petites communes."
1,5 million.
- "Ce n'est pas rien. Et là, la CFDT fait plus de 30 %. Alors, là, oui, cela nous intéresse : il n'est pas question que les 35 heures ne se fassent pas non plus pour tous ces gens-là. Et je trouve qu'il y a beaucoup de légèreté dans le comportement de l'Etat à considérer que cela n'est pas grave et que finalement il prendra dans l'accord ce qui l'arrange et qu'il laissera ce qui finalement était des contraintes et des engagements pour lui."
Vous faites allusion à la déclaration du ministre négociateur, E. Zucarelli, qui a dit : "Ce n'est pas grave, ce n'est pas un drame ; on pourra négocier ministère par ministère, administration par administration ?
- "C'est ça. Retrouvons les bonnes vieilles méthodes où chaque ministre est maître chez lui, où on s'arrange pour trouver les accords, ou ne pas en trouver d'ailleurs. Surtout, je me demande les raisons pour lesquelles le ministre prend un certain nombre de choses dans l'accord - par exemple, dit-il, des règles communes pour compter le temps de travail. C'est sans doute utile. Mais pourquoi ne prend-il pas à son compte ce qui est aujourd'hui dans l'accord, c'est-à-dire l'engagement de recruter autant de fonctionnaires qu'il y a de départs en retraite, l'engagement d'ores et déjà de faire reculer la précarité, de transformer les heures supplémentaires en emploi. Pourquoi il fait son marché dans cet accord ? Eh bien non ! La CFDT sera là pour être le garant de tous les acquis que cette négociation a apportés."
Vous le critiquez, mais pour la CFDT, vous êtes la seule dirigeante d'un grand syndicat à vouloir signer. Pourquoi seule malgré tous ?
- "Parce que nous avons fait une consultation et que figurez-vous nous avons plus de 68 % de réponses positives. Avouez, franchement, que je serais un peu masochiste à dire : "Les gens en veulent et moi je n'en veux pas.""
Mais est-ce que c'est pour sauver l'accord, pour sauver le Gouvernement malgré lui ou pour le provoquer ?
- "C'est d'abord parce qu'il y a des choses dans cet accord qui doivent être maintenues. C'est ensuite parce que nous ne voulons pas que le Gouvernement maintenant se considère les mains libres au motif qu'il a inventé des règles nouvelles pour pouvoir rendre un accord valide. Nous voulons que le Gouvernement se sente engagé par ce que contient l'accord-cadre. Car on est finalement dans un paradoxe terrible."
Mais c'est un non-accord comme dit Zucarelli ? Et vous vous allez être la seule à le parapher. Avec la signature d'un seul syndicat, même aussi influent que vous, la CFDT, ce n'est pas un accord applicable ?
- "Je voudrais que le ministre m'explique pourquoi ce changement de règles."
Il l'a dit depuis vendredi.
- "Il l'a dit, c'est son avis. Mais aujourd'hui, il n'est écrit nul part qu'un accord n'est valide que s'il est majoritaire. Alors moi, je veux bien que ce soit une orientation qu'on prenne. Sans doute que ce sera souhaitable un jour. Mais il ne faut pas changer les règles du jeu au milieu d'une négociation, encore moins à la fin. Et si on veut un accord majoritaire, on en prend les moyens. Il fallait que ce Gouvernement le dise en tout premier lieu et crée les conditions d'un accord majoritaire."
Mais est-ce qu'il voulait un accord d'ensemble sur les 35 heures de la fonction publique finalement ?
- "Aujourd'hui, j'en doute. Je doute que le Gouvernement ait véritablement envie d'un accord qui réduise les disparités entre les fonctionnaires, qui réduise les tendances corporatistes qui peuvent arriver là. Et puis finalement, vous savez cet accord, je disais que c'est un paradoxe parce que personne ne conteste ce qu'il y a dedans mais beaucoup regrettent qu'il n'y ait pas plus en particulier sur l'emploi."
Quand vous dites beaucoup, vous parlez de vos amis des autres syndicats ?
- "Les autres syndicats, et même les gens chez nous qui ont été très critiques sur cet accord, c'est parce qu'il n'a pas été assez fort sur l'emploi. Mais moi, je leur dis : dans notre esprit l'accord et la signature de la CFDT, c'est un point de départ, ce n'est pas un point d'arrivée. Et dans les endroits où on se bat aujourd'hui pour l'emploi - je pense à l'Education nationale, je pense aux Finances - les négociations sont là, l'action est là pour aller plus loin demain. Donc prenons déjà le socle de base et faisons mieux ensuite."
Ils ont dit : non. Ils ne le signeront pas. Que voulez-vous que fasse M. Zucarelli ? Pour ne pas tourner simplement autour du ministre, vous les syndicats, face au Medef, vous réalisera votre unité et face à l'Etat employeur vous réussissez une chose : votre division ?
- "Oui il y a de la divisions côté syndical. Là aussi je pense que les règles n'étant pas claires, chacun a fonctionné selon les idées et la manière dont cela fonctionne dans la fonction publique. Vous savez très bien que l'Etat n'est pas très exemplaire en matière de relations sociales. Là encore, je veux dire qu'il y a un signataire qui est minoritaire, c'est vrai. Dans le privé, quand ces choses-là arrivent, l'accord est valide. Simplement, si les non signataires veulent s'opposer à l'accord, ils le peuvent. Qu'au moins cette procédure vaille dans le public, si on veut maintenant faire des comparaisons avec le privé."
Ce matin, ici, vous demandez, parce que vous voulez le signer que ce non-accord, selon M. Zucarelli, ou cet accord-cadre soit signé et appliqué ?
- "Oui, nous, nous signerons l'accord. Si on nous demande de ne pas le signer, nous aviserons. Nous signerons l'accord et je le redis, nous le faisons en souhaitant être garants que tout ce qu'il contient concerne la totalité des fonctionnaires, que personne ne passe entre les mailles du filet, que la logique de cohérence l'emporte sur une logique sectorielle et de corporatisme. Voilà, le sens de la signature CFDT."
Parce que maintenant on va négocier administration par administration. Cela veut dire qu'on va pouvoir recruter en catimini ? Chacun fera ce qu'il voudra ?
- "On va négocier administration par administration. Le Gouvernement dit : "Nous voulons geler l'emploi public." Dans l'accord, nous avons mis une brèche à ce dogme et finalement, regardez dans l'Education nationale : on dit "gel de l'emploi public" mais en même temps, Allègre crée des postes en surnombre. Alors ce ne sont pas des postes statutaires. Ce sont des postes en surnombre. C'est quand même de la création d'emploi. Il crée des contractuels pour enseigner les langues dans le premier degré. Franchement, on nage dans un paradoxe de contradictions. Et puis surtout, je pense et je le redis à tous les fonctionnaires des collectivités territoriales : je me demande si l'Etat n'est pas devenu le patron des seuls fonctionnaires de l'Etat. Et cela est un scandale."
Par exemple, aujourd'hui, M. Aubry va achever, je pense, une négociation entamée depuis longtemps sur les hôpitaux. Est-ce que la CFDT, là, signera aussi ?
- "La CFDT est engagée dans ce conflit, elle est engagée dans ces négociations bien sûr pour aboutir et avoir des résultats. Si le compte y est, si les problèmes qu'elle a soulevés sont pris en compte - et j'ai bon espoir ce matin - bien sûr que la CFDT saura s'engager."
Et la réforme de Bercy lancée par C. Sautter et avant lui D. Strauss-Kahn, est-ce que la CFDT l'approuve ? Est-ce qu'elle est bonne ou elle sera bonne si elle est appliquée pour l'usager ?
- "La finalité de la méthode telle qu'elle est présentée, je l'ai dis, va dans le bon sens. Il s'agit de rendre plus facile la vie de usagers vis-à-vis du fisc. C'est bon. Là encore, sur la méthode, je crois que ce n'est pas le top et qu'on ferait bien d'entendre ce qui peut accompagner positivement une telle réforme pour les agents de l'Etat et pour l'emploi."
On promettait de dégraisser le mammouth - je n'aime pas la formule mais on l'a répétée. Au final comme dirait C. Nay : on est en train d'engraisser tous les mammouths ou presque tous.
- "Je n'aime pas cette formule."
Moi, non plus.
- "Parce que la question n'est pas de savoir s'il faut engraisser ou dégraisser. La question est de savoir si aujourd'hui les missions de service public qui deviennent des missions de plus en plus essentielles, dont il faut garantir l'effectivité, la qualité, l'efficacité, partout où il y a une mission de service public, franchement il y a tellement de belles choses à faire pour que l'usager trouve que les fonctions publiques en France, oui c'est une belle et bonne chose."
Il y a quand même de bonnes nouvelles : dans quelques minutes, M. Aubry va annoncer pour janvier une nouvelle baisse du chômage : moins 18 700 en janvier ; la baisse continue. Et depuis juin 1997, il y a moins 572 000 chômeurs. C'est bon ou ce n'est pas bon ?
- "Bien sûr que c'est bon. Et c'est le signe, je crois, qu'on est effectivement engagé dans une nouvelle période. Mais là aussi, je vais dire : "attention, ne vendons pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué." Il y a encore des chômeurs, il y a surtout des chômeurs de longue durée dont on sait bien que même s'il y a beaucoup d'offres d'emploi, ce ne seront pas eux qui en bénéficieront en premier."
Donc, aujourd'hui c'est bon mais il faut continuer.
- "Ne pas relâcher l'effort."
Et profiter qu'il y a une bonne croissance et apparemment durable.
- "Bien sûr."
Sur les retraites, j'ai envie de vous dire : est-ce que l'échec ou le demi-échec ou le demi-succès à propos de la fonction publique est de bon augure avant le mois de mars qui est un mois décisif pour les grandes décisions que prendra L. Jospin sur les retraites ?
- "Je ne veux pas à ce stade faire de relations entre les différents dossiers sociaux. Mais c'est évident que la réforme des retraites, nous l'attendons. Il faut maintenant que l'on ait des assurances pour que les retraites de demain, des fonctionnaires d'ailleurs comme ceux des gens du privé, soient véritablement garanties. Nous attendons que cette réforme soit crédible. Du côté des fonctionnaires CFDT, je ne vous cache pas que si on les largue en rase campagne sur la réduction de la durée du travail, ils vont avoir les yeux d'autant plus ouverts sur les questions de retraite."
Je voudrais vous poser une question sur le voyage de L. Jospin et ses conséquences. Je ne sais pas si une grande syndicaliste peut aussi se prononcer là-dessus. L'opposition disait ces derniers jours que L. Jospin cesse de voyager, qu'il occupe des impôts, des retraites. Est-ce que le Premier ministre doit rester à la maison ?
- "Bien sûr que non. Conduire les affaires du pays et les affaires du gouvernement, c'est bien évidemment agir aussi sur le terrain de la politique étrangère et donc aller à l'étranger."
La cohabitation prend la forme d'une coexistence belliqueuse, non pacifique. Que dit N. Notat d'abord à J. Chirac puis à L. Jospin, ce matin ?
- "A la CFDT, on a aujourd'hui le sentiment que si tout doit maintenant se lire à travers le prisme des motivations individuelles ou électorales dans les deux ans qui vont venir, cela ne va pas aller loin et en tout cas nous nous disons : il y a assez de sujets de sérieux en France ; utilisons la période que l'on a et que personne n'a peut-être choisie mais qui c'est celle-là qui est dans la cohabitation. Alors n'en faisons pas un handicap, en tout cas pas avant l'heure, ce n'est pas la peine. Et prenons, prenez les décisions qui s'imposent. C'est finalement peut-être au regard de l'efficacité que chacun aura dans sa fonction qu'il sera le mieux gratifié pour la suite."
Et vous le dites à l'un comme à l'autre ?
- "Bien sûr"
(Source http://www.cfdt.fr, le 15 janvier 2003)