Interview de M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, à "France 2" le 2 septembre 2005, sur les mesures gouvernementales pour l'emploi et en faveur du pouvoir d'achat, sur la baisse du chômage en juillet, sur les simplifications administratives pour l'embauche.

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Média : Europe 1

Texte intégral

R. Sicard - Vous êtes le ministre des petites et moyennes entreprises, et les entreprises disent souvent que l'école ne prépare pas les élèves à l'entreprise, à trouver un emploi. Est-ce que c'est une chose que peut changer ?
R - Je crois que notre école prépare bien les jeunes français à des métiers, à des savoirs, à des techniques, mais peut-être est-elle encore trop éloignée de la réalité de l'entreprise... Et c'est la raison pour laquelle G. de Robien a décidé de prévoir, en 3ème par exemple, qui est une classe importante, au moment où on choisit son avenir, trois ou quatre heures d'initiation concrète à la vie de l'entreprise. Que les jeunes Français puissent aller voir dans une entreprise, même les toutes petites entreprises, aller voir comment se fait du pain dans une boulangerie, aller voir comment dans une usine aéronautique on fabrique les avions de demain, découvrir la réalité de l'entreprise. C'est souvent fascinant et cela permet d'ailleurs d'éveiller des vocations. Il y a une association remarquable, qui s'appelle "L'Outil en main", avec des artisans à la retraite, qui tous les mercredis, vont prendre des jeunes et leur apprennent les gestes fondamentaux de leur métier. Eh bien, cela éveille des vocations et c'est formidable.
Q - Il y avait eu un sondage, il y a quelques mois, qui disait que le rêve des jeunes était de devenir fonctionnaire. Cela montre bien qu'ils n'ont pas le goût de l'entreprise...
R - Derrière ce sondage, il y a le sentiment que la sécurité, c'est important dans la vie. On peut le comprendre et il est normal que dans notre société, nous puissions apporter à la fois le dynamisme, l'énergie, la vitalité, et en même temps une certaine sécurité. Mais la vraie précarité aujourd'hui, c'est 10 % de chômage. C'est la raison pour laquelle, en faisant de la lutte contre le chômage, de la bataille pour l'emploi, sa priorité, ce Gouvernement répond aussi à l'aspiration des Français à la sécurité.
Q - Justement, D. de Villepin a présenté hier son plan de relance de la croissance. La droite l'a trouvé très bon, la gauche pas bon, et les syndicats disent que finalement, ce sont surtout des cadeaux faits aux plus riches, avec la réforme de l'imposition, et pas de relance du pouvoir d'achat, alors que c'est le moteur de la croissance.
R - Quand on demande aux Français quels sont leurs problèmes, ils disent, premièrement, l'emploi, deuxièmement, le pouvoir d'achat. Eh bien, D. de Villepin, hier, a répondu par des solutions concrètes, c'est ce qui est important. Lorsqu'il dit, "on va mieux rémunérer celui qui travaille par rapport à celui qui vit des revenus d'assistance"...

Q - C'est pour les inciter à trouver un emploi, à chercher un emploi...
R - Oui, c'est très important, parce que c'est aussi du pouvoir d'achat qui est injecté dans l'économie. Chaque fois que quelqu'un retrouve un emploi, c'est plus de pouvoir d'achat dans l'économie. Et puis, c'est aussi la justice. Il n'est pas juste que dans un pays, quand on n'a pas d'activité, on ait les mêmes pouvoirs d'achat que lorsqu'on travaille, qu'on se lève le matin tôt, comme j'en connais du côté de Reims, des gens qui font parfois une heure de train pour aller trouver un emploi. Donc, il faut cette justice. Il y a également cette mesure, qui a été annoncée, de permettre aux employeurs de donner une prime de 1.000 euros, sans charges sociales ni impôts pour l'employeur, et de les distribuer aux salariés...
Q - Pour ceux qui reprennent un emploi...
R - Non, pour tous les salariés français qui seront dans les entreprises. Eh bien, 1.000 euros, si vous voulez, ce n'est pas une petite somme, c'est de l'injection de pouvoir d'achat à travers une revalorisation des salaires. Et le Gouvernement incite les employeurs à mieux payer les salariés, en allégeant, en charges sociales et en impôts, cette distribution de pouvoir d'achat. Donc c'est important.
Q - Mais est-ce que c'est suffisant ? Ne fallait-il pas être contraignant, comme le disent les syndicats, qui pensent que concrètement, en pouvoir d'achat, il n'y aura pas grand-chose ?
R - Non, je crois que la mesure qui a été choisie est bonne, elle va représenter beaucoup d'argent injecté dans notre économie. Et il ne faut pas non plus oublier que le pouvoir d'achat, c'est ce que nous créons tous ensemble, nous les Français, et donc le pouvoir d'achat vient de notre travail, c'est le travail français qui fait le pouvoir d'achat des ménages. Il y a donc un lien très fort entre la lutte contre le chômage et le pouvoir d'achat, et si on veut avoir une croissance forte, il faut d'abord réduire le chômage, ce que nous commençons à faire avec quand même des résultats. Je me souviens du temps où Jospin disait que "l'Etat ne peut pas tout", et où Mitterrand disait que l'on a "tout essayé contre le chômage, il n'y a plus rien à faire". Eh bien, D. de Villepin montre que le fatalisme n'est pas sa philosophie. Et il essaye toutes les solutions qui peuvent marcher.
Q - Mais la baisse du chômage du mois de juillet n'est pas due aux mesures de D. de Villepin, ce sont plutôt les mesures Borloo qui avaient été prises avant...
R - C'est d'abord le sentiment que, enfin, on met en place des mesures qui sont adaptées à notre économie. Je vais vous donner un exemple très simple. Notre droit du travail a été conçu par des syndicalistes de grandes entreprises et des patrons de grandes entreprises. Or, 95 % des entreprises françaises sont toutes petites, mais le droit du travail n'a jamais été conçu pour ces très petites entreprises. Avec le contrat "nouvelles embauches", pour la première fois, on a un droit du travail qui comprend ce que c'est que vivre dans le risque dans une toute petite entreprise. Et c'est la raison pour laquelle nous avons déjà près de 30.000 contrats "nouvelles embauches" qui ont été signés en à peine un mois. Et je suis persuadé que ces centaines de milliers de petits employeurs français, à activité constante, quelle que soit l'activité, qui ont des emplois endormis dans leurs entreprises, ils vont les réveiller, ils vont les proposer et cela fera baisser le chômage.

Q - Pour les petites entreprises, il y a aussi une nouveauté depuis hier, c'est le Chèque emploi que vous avez lancé. A quoi cela sert-il ?
R - Là aussi, c'est simplifier la vie des Français. Un tout petit employeur, un artisan, un commerçant, un professionnel libéral, il s'intéresse à quoi ? A son métier et à ses clients. Mais la paperasse, "l'impôt de papiers", ça, il en a par-dessus la tête. Et donc, l'Etat, lui aussi, doit avoir cette approche "client" qui fait qu'il se met à la place des autres et qu'il essaye de lui simplifier la vie. Donc, nous lançons aujourd'hui des simplifications sur l'acte essentiel d'une entreprise : embaucher. Il faut que ce soit simple d'embaucher, donc on aura par exemple ce Chèque emploi qui permettra de résumer très simplement...
Q - Le petit patron fait un chèque et l'administration s'occupe de tout le reste ?
R - Alors, c'est un peu plus compliqué que ça...
Q - Ah, quand même !
R - Mais cela va être formidablement simplifié par rapport à ce qui existe aujourd'hui, sur la feuille de paye, sur le contrat de travail, sur la déclaration unique d'embauche, sur tout ce qu'il faut déclarer chaque mois pour les cotisations sociales, cela va vraiment être très simple. Et en plus, on dématérialise, c'est-à-dire qu'il faut utiliser aussi Internet. Je pense que c'est un grand service à rendre aux petites entreprises...
Q - Ces emplois ne sont-ils pas des emplois au rabais ?
R - Il ne s'agit pas d'emplois, il s'agit de simplifier la paperasse française. On est un pays qui, trop souvent, a fait un excès de bureaucratie. Il s'agit donc de pouvoir simplifier la vie de tous les Français. Il s'agit des ménages français, lorsqu'ils font un changement d'adresse par exemple, comme ce que nous avons mis en place, ou lorsqu'il s'agit de simplifier l'envie d'embaucher, eh bien ça, ça fait partie aussi de la modernisation de l'Etat. Et l'Etat doit aussi donner l'exemple en matière de simplification.
Q - D. de Villepin a eu aussi une petite phrase, hier, que tout le monde a remarqué : il a dit qu'il n'avait aucune ambition présidentielle. J'ai lu toute la presse de ce matin, personne n'y croit. Est-ce qu'en fait on n'est pas déjà en campagne présidentielle avec, à terme, un affrontement entre D. de Villepin et N. Sarkozy ?
R - Dans la vie politique, il y a des candidats qui disent "un jour on va faire", avec des promesses ou des engagements", et puis il y a les responsables politiques qui, eux, font, ce n'est pas "on va faire", c'est "on fait". D. de Villepin est un responsable politique, c'est le premier responsable politique, sous l'autorité du président de la République, qui est chargé de régler les problèmes concrets des français. Et donc, quand il dit "je suis tout à ma mission", eh bien, c'est non seulement ce que les Français attendent, mais c'est aussi une forme d'éthique politique. Je la salue...

Q - Mais vous croyez que les Français se disent qu'il ne pense pas du tout à la présidentielle, franchement ?
R - Mais chacun peut penser à son avenir et c'est tout à fait normal. Vous, vous y pensez, moi j'y pense, on y pense tous. Mais quand on a une mission, on doit être tout entier à sa mission. Et je crois que D. de Villepin montre, par son énergie inlassable à trouver les solutions nouvelles, par sa rapidité - parce que l'Etat est trop souvent très long -, qu'il veut réussir sa mission. Et puis après, c'est après.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 6 septembre 2005)