Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à RMC Info le 6 octobre 2005, sur le conflit du travail à la SNCM et le projet de budget 2006 pour la recherche.

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Média : RMC Info

Texte intégral

Q- La rentrée scolaire, c'était il y a quasiment un mois, jour pour jour...
R- Cela dépend de quelle rentrée. La rentrée scolaire il y a un mois, la rentrée universitaire en ce moment.
Q- Vous êtes ministre de l'Education nationale, mais vous avez été auparavant, dans le gouvernement Raffarin, le ministre des Transports. Il y a une crise en ce moment à la SNCM, vous suivez certainement cela d'un il un peu lointain. Quel est votre avis sur cette crise, faut-il privatiser la compagnie ?
R- Premièrement, T. Breton et D. Perben s'en occupent, et dépensent vraiment beaucoup de temps et de pédagogie pour essayer de résoudre cette crise. Deuxièmement, c'est une entreprise qui en très, très, très mauvaise santé et elle risque d'être moribonde si on ne trouve pas une solution très très vite. Troisièmement, les propositions qui sont faites en ce moment sont des propositions, me semble-t-il, vraiment de la dernière chance, compte tenu de l'état de santé de cette entreprise. Je supplie - je ne suis plus le ministre qui aimerait sauver l'entreprise, je suis un citoyen puisque je suis passé à l'Education nationale - les partenaires sociaux de regarder avec beaucoup d'attention et d'être le plus positifs possible dans ces heures qui sont cruciales pour l'entreprise.
Q- Il y a un vrai cri d'alarme de patrons corses, de patrons marseillais qui ne peuvent pas expédier leurs marchandises, les ports sont bloqués...
R- Evidemment, cela entraîne un tas de désagréments et tout un tas d'inconvénients majeurs pour l'économie et pour l'emploi, en Corse et ailleurs. Mais cette entreprise, qui est une entreprise qui est normalement viable, qui est utile, qui rend un service public, doit être sauvée. Et je supplie encore une fois les partenaires sociaux d'être le plus objectifs possible et le plus ouverts possible sur les propositions du Gouvernement qui, seuls, aujourd'hui et demain, peuvent vraiment sauver cette entreprise et sauver le service qu'elle rend.
Q- Vous avez mis en place le service garanti dans les transports en commun en Ile-de-France, cela a bien fonctionné mardi. Est-ce un succès pour vous, une fierté ?
R- Ce n'est pas un succès pour moi, c'est surtout un succès pour les utilisateurs, pour les usagers. Beaucoup étaient sceptiques sur ma méthode qui consistait à dire aux partenaires sociaux : "rapprochez-vous, essayez de contractualiser au moins un service garanti les jours de grève, sans porter atteinte au droit de grève"qui est inscrit dans la Constitution. Les partenaires sociaux ont réussi à signer quelque chose, notamment entre le Syndicat des transports d'Ile-de-France et la SNCF, entre la RATP et le Syndicat des transports d'Ile-de-France. Je me suis fait critiquer par tout le monde, y compris par le président de région, à l'époque, qui me disait : "Mais vous allez nous transmettre maintenant, à la veille de la décentralisation, une disposition qui est contraire à ce que nous souhaitons". Maintenant, il sait qu'il a reçu en héritage un bon système qui permet à l'Ile-de-France de mieux fonctionner les jours de grève, aux usagers d'être mieux informés. Je crois que c'est un véritable progrès, qui démontre que par la voie contractuelle et par la persuasion, on réussit parfois mieux que par une loi qui est ou qui pourrait apparaître comme autoritaire.
Q- Vivement que cela se mette en place en province...
R- Il y a déjà une région, la région Alsace, sous la présidence d'A. Zeller, qui contractualise le même type de contrat avec la SNCF et qui bénéficiera des mêmes avantages. Je supplie les autres régions aussi d'envisager cela favorablement pour le bonheur des usagers.
Q- L'actualité, c'est aussi la recherche, car c'est aussi votre responsabilité. La recherche était en crise il y a un an et demi, on se souvient de mouvements, de manifestations de chercheurs. Vous avez lancé un plan pour relancer la recherche en France, pour faire revenir les cerveaux. En quoi consiste ce plan, comment sauver la recherche française ?
R- D'abord, pourquoi sauver la recherche française ?
Q- Faut-il la sauver d'ailleurs, est-elle vraiment si malade ?
R- Indispensable, non pas de la sauver mais de la dynamiser, de lui donner des moyens et de faire de la recherche française, qui est quand même la cinquième du monde, ne l'oublions pas, de lui permettre d'aborder ce nouveau siècle pour être peut-être la première ou la deuxième recherche du monde. Parce que la recherche, c'est ce qui peut permettre à un pays d'évoluer, de créer des emplois. Et plutôt que d'avoir de bons chercheurs - on a en France d'excellents chercheurs - qui, souvent, se font récupérer leur recherche ou le produit de leur recherche par des pays étrangers, puissants et riches, plutôt que de voir nos chercheurs partir ailleurs pour des carrières qui sont plus attrayantes, nous voulons une grande recherche en France, de façon à préparer l'avenir. La recherche, c'est la préparation de l'avenir.
Q- Donc, des budgets supplémentaires ? C'était la demande principale...
R- A la fois, il faut qu'une recherche soit bien dirigée, il faut qu'elle soit bien évaluée et il faut que les chercheurs aient à la fois des moyens, et il faut que leurs carrières soient les plus dynamiques possibles.
Q- Le budget augmente de 26 %, il va aussi y avoir des recrutements, 3.000 chercheurs-enseignants, c'est ça ?
R- Cette année, et cela va continuer pour les années qui viennent, et on va pousser le budget de la recherche jusqu'à 2010. Nos prévisions pour 2006-2007 et la tendance va amener un budget recherche de 24 milliards en 2010. Les objectifs fixés, même au niveau européen, de porter la recherche à 3 % du PIB, recherche publique et recherche privée, doivent être atteints.
Q- Au-delà de la crainte du manque de moyens - vous avez répondu à cette crainte avec le budget qui augmente de 26 % -, il y a une autre grande inquiétude des chercheurs, c'est d'être obligé faire de la recherche pour répondre à une demande économique et marchande, c'est-à-dire de ne plus pouvoir chercher dans les directions qu'ils souhaitent, de devoir répondre, par exemple, à une demande d'une grande entreprise...
R- Il ne faut pas que les chercheurs soient inquiets pour cela. La recherche a deux volets, et ce sont deux volets qu'il ne faut même pas séparer et même pas cloisonner, qui sont souvent complémentaires. Mais en aucun cas, en tout cas, on cherche à décourager l'un plutôt que l'autre, il faut encourager les deux : la recherche fondamentale qui, peut-être, ne sert pas aujourd'hui mais servira dans 100 ans ou dans 150 ans, et la recherche appliquée dont on a besoin dans les entreprises pour fabriquer les meilleurs produits du monde. Si on ne les fabrique pas en France, ils seront fabriqués ailleurs et les emplois se créeront ailleurs. Pour cela, ce que l'on veut comme outil ou comme novation majeure du Gouvernement - vraiment, c'est un pacte pour la recherche -, c'est d'abord fédérer des énergies. On voit d'excellentes universités, d'excellents laboratoires, d'excellents instituts de recherche qui travaillent aujourd'hui de façon un peu cloisonnée, un peu indépendante et on veut fédérer, on veut les réunir à travers ce que l'on appelle des "PRES", c'est-à-dire des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, autour des universités...
Q- Avec des entreprises aussi, des laboratoires privés ?
R- Avec, le cas échéant, des laboratoires dans les universités. Mais s'il y a des laboratoires privés qui veulent apporter ou qui veulent travailler avec les laboratoires des universités, ils pourront. Mais ce qui est intéressant c'est, à travers ces PRES, voir que les universités qui, en France, sont excellentes mais sont trop dispersées - elles ne sont pas à l'échelle des universités américaines, anglo-saxonnes, allemandes, japonaises, et même chinoises maintenant -, obtiendront cette masse critique. Deuxièmement, il faut créer des campus, et les campus de recherche, c'est pour faire émerger dans cette masse critique mais d'envergure mondiale sur des thèmes qui sont indispensables pour préparer l'avenir de la France. Par exemple, l'économie, et le Premier ministre a déjà annoncé qu'il y aurait un campus sur l'économie à Paris, qui serait d'ailleurs dirigé par monsieur Piquetti.
Q- Question d'une auditrice : Le fait de faire remplacer les enseignants absents par d'autres enseignants du même établissement, n'est-ce pas une façon, finalement, de réaliser des économies à terme en augmentant le nombre d'heures de travail des enseignants ?
G. Cahour : C'est une mesure qui n'a pas satisfait tout le monde en cette rentrée, et qui sera obligatoire. C'est sur la base du volontariat jusqu'en décembre, ensuite ce sera obligatoire
R- Essayons déjà de voir les points sur lesquels nous sommes d'accord, les constats que nous faisons ensemble, que l'on soit professeur, parents d'élèves ou ministre. Il n'est pas concevable, il n'est pas admissible - et personne ne l'admet, ni vous ni nous -, que des enfants, parce que leur professeur est absent et il est légitimement absent - et on connaît dans 90 % des cas, d'ailleurs, huit ou quinze jours avant cette absence, parce que l'on a besoin d'une formation quand on est professeur, parce que l'on doit peut-être subir une petite intervention chirurgicale, ou d'autres raisons -, il est évidemment inacceptable, pour les uns et pour les autres, de laisser des enfants sans professeur et de voir les programmes prendre du retard. Est-on d'accord sur le constat ?
Q- L'auditrice : Je suis tout à fait d'accord avec vous, je ne suis pas du tout contre cette mesure. Simplement, je trouve que lorsqu'un professeur est absent et que l'absence est prévisible, ne pourrait-il pas être remplacé par un contractuel, quand on connaît justement la difficulté de ces personnels. Et lorsque nous partons en formation continue, j'ai un peu peur quand même que les enseignants, nos collègues, nous regardent un peu du coin de l'il en disant : "Celui-ci part encore en formation, il va falloir encore qu'on le remplace !". J'ai peur, à terme, que cela crée des petits conflits. Et vous savez quelle est l'importance fondamentale du dialogue et de la compréhension au sein d'une équipe pédagogique.
R- Nous venons de constater que sur l'état des lieux, on a accord. Mais comment parvenir à remplacer ? On se met autour d'une table dans un établissement scolaire, dans un collège ou dans un lycée, et puis l'on prend une sorte de protocole pour dire : "Moi, je suis volontaire pour faire une heure ou deux ou trois..."
Q- G. Cahour : Et s'il n'y a pas de volontaires ?
R- ...Evidemment, pour enseigner dans la discipline que j'enseigne habituellement, parce que je sais que le bruit a couru que...
Q- G. Cahour : Ce n'est pas le prof de sport qui va remplacer le prof de mathématique...
R- Ce serait complètement ridicule !
Q- G. Cahour : Et s'il n'y a pas de volontaires ?
R- Je pense qu'il y aura des volontaires parce que tout le monde est gagnant. D'abord les syndicats, car ce sont eux qui m'ont proposé cette méthode. Ils m'ont dit : "laissez-nous faire, cela marche déjà bien dans beaucoup d'établissements, si vous nous laissez faire, cela va marcher". Je leur ai dit : "Je suis tout à fait preneur de cette méthode volontaire. Puisque vous dites que cela va marcher, donnons-nous quatre mois pour que cela marche, et puis au mois de décembre, on fera le point". Eventuellement, là où cela ne marcherait pas, ce sera le chef d'établissement qui interrogera tel ou tel professeur pour lui demander si cela ne le dérange pas trop de remplacer le professeur qui est absent, évidemment, dans la discipline habituelle de son enseignement. Et puis le "tous gagnant", c'est que le professeur qui remplacera sera justement rémunéré avec des heures supplémentaires largement majorées. Je rappelle que le niveau de l'heure n'est pas tout à fait négligeable, même si on ne fait pas un remplacement pour l'argent. Il est normal qu'il y ait une certaine reconnaissance. Et l'heure payée selon le niveau du professeur, variera entre 35,58 euros et 55,99 euros. Vous voyez que tout le monde est gagnant."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 octobre 2005)