Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, sur LCI le 16 mai 2005, sur la position de FO concernant le mode de financement de la longévité dans la vieillesse et du handicap, et la notion de service public tel qu'envisagée par le traité constitutionnel européen.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

J.-C. Mailly - Si aujourd'hui vous aviez 90 ans, et que vous aviez travaillé pendant toute votre vie active 40 heures par semaine, est-ce que vous ne seriez pas un peu ulcéré de voir les actifs refuser de travailler 7 heures de plus dans l'année, alors même qu'à travers les 35 heures, en moyenne, ils sont gagner 190 heures ?
P.-L. Séguillon - Non, je ne crois pas. Il suffit de lire certains journaux qui font écho des réactions des personnes âgées en maison de retraite. Elles considèrent elles aussi que le lundi de Pentecôte - ou un autre jour d'ailleurs -, qu'il ne faut pas augmenter la durée du travail. Qu'il y ait un problème sur le financement de la dépendance des personnes âgées pu handicapées, c'est une évidence, mais l'outil utilisé ne convient pas, y compris pour la majorité de ce que l'on peut voir des personnes âgées. Non, je ne serais pas scandalisé, au contraire, je crois que je serais solidaire de ceux qui ne veulent pas travailler aujourd'hui.
Q- N'avez-vous pas le sentiment que les moyens utilisés pour contester ce lundi de Pentecôte férié supprimé ne sont pas disproportionnés ? D'un côté la grève, de l'autre, la désobéissance civile ?
R- Contrairement à ce que l'on entend, depuis le début, nous avions dit que nous n'étions pas d'accord avec la mesure. Cela monte depuis quelques semaines parce que cela approche du lundi de Pentecôte, tout simplement. Donc, quand le Gouvernement ne nous entend pas, n'entend pas les syndicats, quels moyens d'action voulez-vous qu'il reste ? Il y a des gens qui sont en RTT aujourd'hui ; il y a aussi des gens qui sont en arrêt de travail et en grève. Désobéissance civile ? Non, ce n'est pas de la désobéissance civile...
Q- Mais récuser une loi qui a été votée par les représentants de la Nation...
R- Une loi, ça se bouge, les 35 heures ont bougé !
Q- Mais attendez : vous n'êtes pas choqué quand vous entendez un élu - je pense à monsieur Morin - qui explique qu'il n'envoie pas ses enfants à l'école aujourd'hui ; [c'est] une loi qui a été votée par le Parlement. C'est quand même étonnant, non ?!
R- Mais quand une loi ne convient pas, qu'est-ce qui se passe ? On la modifie. La loi sur les 35 heures, elle nous convenait d'une certaine manière, même si on avait été critiques dans la manière dont cela s'est mis en place. Le Gouvernement n'en était pas satisfait, le Parlement l'a modifié. Là, ce que l'on dit, c'est "modifiez la loi !". Cela ne marche pas, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ! C'est comme les gens qui sont en grève mais qui n'ont pas le droit d'être en grève. Eh bien ils sont en grève, qu'est-ce que l'on fait ? Là, les gens ne veulent pas de ce lundi de Pentecôte, donc qu'est-ce qu'on fait ? Donc, au Gouvernement, maintenant, puisqu'il a mis en place un comité d'évaluation, de tirer les conséquences d'un outil qu'ils ont mis en place et qui ne fonctionne pas. Donc, il faut trouver autre chose.
Q- Quelles conséquences allez-vous en tirer ? D'abord, est-ce que c'est pour vous un test social ?
R- En même temps, oui. Cela fait quand même quelques mois, même si ce n'est pas de la même nature que le mouvement qu'on a eu le 10 mars, mais en même temps, aujourd'hui, il y aussi la revendication sur les salaires, par exemple. On est dans une période où, depuis quelques mois, il y a un malaise, cela personne ne le conteste. Un malaise social qui porte sur les questions d'emploi, sur les questions de chômage et qui porte - tout est lié d'ailleurs - sur les questions de salaire. Il est évident que cette grogne qui persiste alimente le lundi de Pentecôte, c'est évident.
Q- Ce test, s'il est réussi, quelles conséquences allez-vous en tirer pour les mouvements à venir, notamment le mouvement des cheminots, voire le mouvement dans les hôpitaux, allez-vous chercher d'ici à l'été, à élargir cette protestation sociale ?
R- Ce n'est pas à exclure, il y a des tensions chez les cheminots. De même, FO, dans les hôpitaux va faire état des revendications, nous allons expliquer tous les budgets hospitaliers qui sont, la plupart du temps, en régression cette année, tous les problèmes que cela pose. Il y a un mouvement qui est en train de monter à l'hôpital public. Ce n'est pas nouveau, mais l'exaspération monte. Il n'est pas exclu - mais je ne lis pas dans la boule de cristal - qu'avant l'été les revendications... Vous savez, elles existaient depuis quelques temps, elles existent aujourd'hui, elles existeront le 28 mai et qui existeront le 30 mai, c'est évident. La revendication, notamment sur les salaires, persistera après le 29 mai, quel que soit le résultat du 29 mai, c'est évident. Il n'est pas à exclure, a priori, qu'il n'y aura rien avant l'été. Mais pour le moment, il n'y a rien de programmé.
Q- Si on en revient au problème du financement de la longévité dans la vieillesse et du handicap, vous dites que le Gouvernement va faire une journée d'évaluation ; vous, de votre point de vu, comment faut-il financer cette vieillesse de plus en plus longue et dépendante et le handicap. Le ministre de la Santé disait hier qu'il ne faudrait pas seulement 2 milliards d'euros, c'est peut-être 6, peut-être davantage.
R- Oui, il n'a pas tort d'ailleurs. Je ferais simplement remarquer qu'on a deux fois moins de salariés par personnes âgées qu'en Allemagne, par exemple, qui a pris le problème beaucoup plus tôt. Je crois qu'il y a deux problèmes, il y a d'abord le statut de la caisse qui vient d'être créée. Nous, on aurait souhaité que ce soit une vraie caisse de Sécurité sociale, c'est-à-dire intégrée dans le régime général de Sécurité sociale, et non pas une caisse à part pour les dépendants, d'une certaine manière, même si le Gouvernement dit qu'il y a un financement pérenne, on peut toujours en douter. Le Gouvernement fait de la désobéissance civile, puisqu'il devait rembourser l'intégralité des exonérations de cotisations patronale et il ne le fait pas. Il ne respecte pas lui-même la loi. Ensuite, si c'est une question de solidarité - et c'est une question de solidarité, comme tout système de sécurité sociale, il y a la part cotisation patronale - les 0,3 %, ils existent aujourd'hui, les entreprises vont payer les 0,3 - et il y a une part solidarité nationale par l'impôt, y compris l'impôt sur les revenus financiers qui pourraient être sollicités. Je ne voudrais pas faire de démagogie, mais juste un petit calcul pour que les gens comprennent : l'ancien PDG de Carrefour, 50 personnes comme ça, cela fait deux milliards d'euros.
Q- Autre chose, puisqu'on arrive tout près du référendum : il y a encore aujourd'hui des perturbations, des grèves dans les services publics. Peut-on à la fois avoir des services publics qui sont sans cesse perturbés par des arrêts de travail et, d'autre part, regretter que la Constitution porte atteinte au service public ? N'est-ce pas un peu contradictoire ?
R- Non. Cela montre bien, d'ailleurs, qu'il y a un attachement...
Q- Mais est-ce que le seul moyen, ce n'est pas précisément de les mettre en concurrence ?
R- Non, si c'est mis en concurrence, ce n'est plus du service public.
Q- Pourquoi ? On peut avoir un service public et puis...
R- Non, ce n'est pas la même chose. Si c'est une notion de service, avec un cahier des charges, une entreprise privée peut y répondre comme une entreprise publique... Ce n'est pas du service public. Le service public suppose qu'il y ait une situation de monopole sur le secteur concerné. Regardez EDF-GDF : quand EDG-GDF achètent en Italie, la contrepartie c'est que les Italiens disent "ouvrez votre marché !". Il y a une forme de concurrence et de privatisation. La situation de service public suppose l'existence d'un monopole, sinon, si on est en concurrence, cela suppose qu'il y a des modes de gestion qui sont différents. Et ce que l'on voit d'ailleurs dans différents secteurs. Donc, non, il n'y pas de contradiction. Le projet de Constitution ne garantit pas le service public. La notion de service d'intérêt économique général, ce n'est pas exactement la même chose que la notion de service public.
Q- Ça peut être des services marchands...
R- Oui, cela peut-être du service marchand, puisqu'il y a concurrence,bien entendu.
Q- Force ouvrière n'a pas donné de consigne de vote pour le référendum. En revanche, A. Bergeron, l'ancien dirigeant de FO a expliqué que FO s'était toujours prononcé pour l'Europe, et que la Constitution - je le cite - ne contient rien qui mette en cause le consensus social.
R- C'est une position personnelle d'A. Bergeron, ce n'est pas la position de FO. Je lui ai d'ailleurs écrit pour lui rappeler que la position de l'organisation syndicale, c'était d'être critique sur le Pacte de stabilité et de croissance d'une part, et d'autre part, de ne pas donner de consigne de vote. En même temps, on ne peut pas raisonner aujourd'hui, en 2005, sur la construction européenne comme on raisonnait en 1957. Le monde a changé depuis 50 ans.
Q- Que pensez-vous de la probable nomination de P. Lamy a la tête de l'OMC ?
R- C'est logique, c'est un libéral.
Q- Quel est votre choix, si vous en avez un, parmi tous les candidats au Medef ? Quel est le meilleur ou le moins pire, de votre point de vue ?
R- Je ne veux pas me prononcer. A la limite, si je me prononçais, cela ne pourrait peut-être pas leur servir. C'est à eux de désigner leurs représentants. Ce qui m'apparaît important, c'est que le futur président du Medef soit quelqu'un qui soit attaché à la négociation interprofessionnelle et à la négociation nationale, que ce ne soit pas uniquement le dynamitage de la négociation la plus solidaire au nouveau les plus élevés pour faciliter l'entreprise.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mai 2005)