Texte intégral
Je voudrais d'abord vous dire avec Michèle Alliot-Marie tout le plaisir que nous avons d'accueillir aujourd'hui Igor et Sergueï Ivanov pour la troisième session du Conseil de Coopération sur les questions de sécurité.
Cet instrument, ce Conseil de Coopération, témoigne de notre volonté d'entretenir un dialogue régulier, étroit, confiant avec la Russie sur l'ensemble des questions qui touchent à la stabilité de l'Europe et du reste du monde.
Dans la période actuelle, marquée par la persistance des crises régionales et des menaces liées au terrorisme et à la prolifération, ces échanges sont d'autant plus nécessaires. La sécurité européenne a été bien sûr au coeur de nos travaux. Nous partageons une même conviction. Une concertation étroite entre la Russie et l'Union européenne est nécessaire pour mieux comprendre notre environnement de sécurité et formuler, préparer les réponses adéquates.
A cette fin, nous souhaitons que la Russie soit associée plus étroitement aux travaux du Comité Politique et de Sécurité de l'Union européenne, le COPS. Nous proposons donc la création d'un mécanisme institutionnel permanent, Union européenne/Russie, qui passe par le renforcement des consultations existantes entre la Troïka du COPS d'un côté et de l'autre la Russie.
L'adoption d'un concept conjoint Union européenne/Russie en matière de gestion de crises, c'est la deuxième proposition.
Cet instrument doit nous permettre d'engager plus facilement des actions communes dans ce domaine. L'Union européenne et la Russie ont un intérêt commun à assurer la stabilité de leur voisinage. Dans ce cas, nous avons abordé bien sûr la question du Traité sur les forces conventionnelles en Europe, dites FCE. Nous estimons qu'il constitue un pilier essentiel de l'architecture européenne de sécurité. Nous comprenons les préoccupations manifestées par la Russie, à la suite de la décision d'élargissement de l'OTAN qui entrera en vigueur le 1er avril prochain, et c'est pourquoi nous nous mobilisons pour apporter les réponses nécessaires aux questions qui se posent.
La prolifération des armes de destruction massive reste une préoccupation majeure pour la France comme pour la Russie. Nos deux pays se trouvent à proximité d'Etats ou de régions qui présentent une menace en matière de prolifération. Notre détermination à apporter des solutions pacifiques et durables à ce défi est entière.
C'est vrai, premièrement dans le cas de l'Iran. L'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, ont engagé un processus qui a déjà apporté des résultats concrets. Mais nous estimons que le règlement définitif du problème nucléaire iranien suppose une participation de Moscou à notre action. La Russie apporte déjà une contribution essentielle, à travers des démarches coordonnées auprès de Téhéran. Nous voulons travailler ensemble dans le cadre de l'Agence internationale de l'Energie atomique sur les conditions qui permettront d'assurer un fonctionnement transparent et sûr d'un programme nucléaire civil iranien.
C'est vrai aussi dans le cas de la Corée du nord. La Russie est l'un des membres du "processus à 6", du "processus de Pékin", auquel la France apporte tout son soutien. Si ces Etats le jugent utile, une contribution de l'Union européenne est possible et nous nous tenons à la disposition, bien sûr, de l'ensemble des participants.
C'est vrai, enfin, au-delà de l'Iran et de la Corée du Nord, dans le cas du Pakistan. Il existe une vraie préoccupation devant les révélations sur les activités proliférantes auxquelles se sont livrées certaines entités de ce pays. Il y a urgence à faire toute la lumière sur ces activités et à faire sorte qu'elles ne se reproduisent plus. A cette fin, la France a proposé d'ouvrir un dialogue avec Islamabad. J'étais à Islamabad il y a quelques jours. Ce dialogue pourrait se nouer sur les mesures concrètes de non-prolifération que ce pays pourrait prendre. Il pourrait associer les Etats les plus directement concernés en matière de non-prolifération ainsi que l'Agence internationale de l'Energie atomique.
Il faut retrouver avec le Pakistan le chemin de la pleine légalité internationale, c'est l'intérêt de tous.
Au-delà de ces initiatives particulières, il est nécessaire de renforcer le cadre politique dans lequel s'inscrit notre action. C'est l'objet du projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la non-prolifération, comme d'ailleurs de notre proposition d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du Conseil de sécurité sur ce même sujet.
Les crises régionales au-delà de ces questions de prolifération appellent, enfin, des réponses de la part de nos deux pays. En Irak, la France et la Russie sont convaincues que seul le retour rapide à la souveraineté pleine et entière du peuple irakien, reconnue par la communauté internationale, permettra de progresser dans la voie de la reconstruction et de la stabilité. C'est pourquoi nous souhaitons que tous les efforts soient faits pour que le calendrier de la transition soit respecté. Nous espérons que l'adoption de la loi fondamentale provisoire dont la signature est prévue aujourd'hui même à Bagdad, contribuera à consolider le processus de restauration de la souveraineté de l'Irak.
Nous estimons que pour être efficace, le réengagement des Nations unies doit être progressif. Nous continuons de penser qu'une conférence internationale serait utile le moment venu, pour manifester le soutien de la communauté internationale tout entière et faciliter la réintégration de l'Irak dans son environnement régional et international.
Cette conférence devrait également être l'occasion d'aborder les questions de sécurité de l'ensemble de la région.
En Afghanistan, après l'adoption d'une nouvelle Constitution, un véritable sentiment national est en train d'émerger. La tenue d'élections dans le courant de l'année 2004 devrait confirmer ce progrès. Cela suppose néanmoins que l'engagement militaire, politique et financier de la communauté internationale en faveur de ce pays, se maintienne. C'est essentiel. En particulier en matière de lutte contre la culture du pavot et le trafic de drogue. Cela pourrait être un thème du dialogue entre l'Union européenne et la Russie.
La France et la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité, Etats dotés de l'arme nucléaire, ont des responsabilités particulières à exercer pour renforcer la stabilité du monde.
L'approfondissement de leurs échanges sur les questions stratégiques ne peut que servir cette ambition qui est celle de la communauté internationale tout entière.
Nous sommes maintenant prêts, les uns et les autres, à répondre à vos questions.
Q - Monsieur le ministre, vous avez développé cette idée lors de votre voyage dans le Golfe et après dans le cadre de contacts avec beaucoup d'homologues européens et autres. Avez-vous commencé à avoir des réactions sur cette proposition de tenir une conférence internationale sur l'Irak ? Et quelle est la position de deux pays, la Russie et la France, après des plans américains pour le Grand Moyen-Orient ? Est-ce que vous vous trouvez dedans ? Est-ce qu'il y a des choses en commun avec les Américains ? Ou faut-il retravailler la question ? Quelle est la situation avec les pays arabes sur ce thème-là ? Paris reçoit beaucoup de dirigeants de la région en ce moment.
R - Nous partageons avec nos amis russes une même approche sur ces questions ; une même conviction de la nécessité d'être en initiative pour répondre aux problèmes de cette région. Concernant l'Irak, on voit bien qu'aujourd'hui, il nous faut réaliser un pari difficile. Et c'est pour cela que nous voulons proposer une conférence internationale. C'est un pari difficile qui suppose un certain nombre de conditions préalables.
La première c'est que le processus politique puisse être le plus légitime possible puisqu'il s'agit d'avancer d'ici à la date du 30 juin vers la formation d'un gouvernement provisoire. Il faut donc pour que ce gouvernement provisoire puisse véritablement fonctionner, qu'il puisse être légitime. Il faut que le retour de l'Irak à la pleine souveraineté se fasse selon un processus politique légitime. Or pour qu'il soit légitime, il faut que l'ensemble des forces politiques irakiennes puissent y être associées, puissent être incluses dans ce processus. Nous nous réjouissons de voir les Nations unies, à nouveau, pleinement impliquées dans ce processus politique. Elles ont un savoir-faire, une expérience et un certain nombre de propositions ont été faites par M. Brahimi à la suite de sa première tournée dans ce pays.
Qu'il s'agisse d'élargir les organes existants, qu'il s'agisse d'une conférence nationale pouvant conduire à la formation de ce gouvernement, en tout état de cause, cela doit englober toutes les forces politiques qui aujourd'hui sont prêtes à renoncer à la violence. La conférence nationale doit être l'occasion de mobiliser, non seulement bien sûr, l'ensemble des parties irakiennes, mais aussi l'ensemble des pays de la région, dont nous souhaiterions et dont nous pensons qu'ils doivent être davantage associés à un règlement de la crise. On ne peut pas faire la paix en Irak, on ne peut pas réconcilier l'Irak, si l'ensemble de ces pays ne sont pas pleinement associés. Ils sont partenaires de la paix.
On voit bien aujourd'hui, encore, la porosité des frontières qui permet un certain nombre d'actions terroristes à l'intérieur de l'Irak. Si l'on veut être efficace, faisons en sorte que cette dynamique régionale soit à nouveau engagée. Et puis il faut une dynamique internationale. D'où l'intérêt donc de la conférence internationale, qui est de mettre ensemble cette dynamique nationale, cette dynamique régionale et cette dynamique internationale, de mobiliser toutes les énergies et de marquer clairement le passage d'un régime d'occupation avant le 30 juin, un régime de pleine souveraineté, qui doit être parfaitement légitime avec un gouvernement totalement reconnu et opérationnel, si l'on veut que la paix, la stabilité, puissent à nouveau exister en Irak.
Donc, c'est un processus difficile et pour cela nous pensons qu'effectivement une conférence internationale traitant de l'ensemble des problèmes de cette région sera une étape importante. La sécurité et les relations entre les pays voisins de l'Irak et l'Irak lui-même ont toujours été des questions délicates. Il y a toujours eu une suspicion à l'endroit de l'Irak. Il importe donc de faciliter cette pleine réinsertion de l'Irak dans son milieu régional.
A côté de cela, la question du Moyen-Orient. L'avenir du Moyen-Orient : projet américain, projet européen ou autre vision ? Je crois que de ce point de vue, nous avons une même exigence avec nos amis russes, c'est de partir de la réalité de cette région, de partir de la réalité des besoins des pays de cette région. Nous ne pouvons dicter leur avenir aux pays du Moyen-Orient. Nous devons dans un dialogue, dans un partenariat, essayer ensemble de traiter les questions qu'il s'agisse du développement économique et du développement social, qu'il s'agisse des réformes économiques ou politiques, ou des questions de sécurité.
Et il y a un préalable essentiel : c'est qu'on ne peut pas parler de l'avenir d'une région si l'on contourne ou si l'on occulte les problèmes fondamentaux d'une région. Aujourd'hui, les problèmes de cette région, ce sont des problèmes de guerre et de paix. C'est la question israélo-palestinienne. C'est la question de l'Irak et cela suppose, bien évidemment, que nous fassions le nécessaire pour reprendre l'initiative sur l'ensemble de ces dossiers et au premier chef, bien sûr, sur cette question israélo-palestinienne, ou israélo-arabe, qui implique que la communauté internationale accepte, une nouvelle fois, de prendre le risque de la paix. Pour nous, c'est une dimension essentielle.
Il faut donc répondre aux aspirations de cette région. Le faire dans un partenariat, dans un dialogue. Il faut aussi engager à nouveau des initiatives visant à traiter ces questions de guerre et de paix, permettre d'avancer vers la création d'un Etat palestinien. Nous sommes convaincus qu'un Etat palestinien en paix et en sécurité aux côtés d'Israël constitue véritablement une condition pour la stabilité même de l'ensemble de cette région. Donc, vous voyez c'est un sujet difficile.
Nous avançons dans le dialogue avec nos partenaires européens. Nous avançons dans le dialogue avec nos amis russes. Nous avançons en liaison avec nos amis américains et nous avons bon espoir que la communauté internationale pourra trouver le meilleur projet possible au terme d'un vrai travail de concertation qui doit être prêt d'ici le sommet Union européenne-Russie, d'ici le sommet d'Istanbul. Nous avons un certain nombre d'échéances d'ici le G8 qui nous rassemblera tous. Je crois que ce sera alors l'occasion véritablement de proposer un projet, non pas unilatéralement, aux pays du Moyen-Orient mais au terme d'un véritable dialogue nourri avec eux. Nous avons commencé à le faire avec nos amis égyptiens - le président Moubarak est là aujourd'hui -, avec nos amis saoudiens, jordaniens, l'ensemble des pays de cette région qui doivent être associés, bien sûr, à la définition de ce projet.
Q - A propos de la stabilité du Proche-Orient et la paix entre les Arabes et Israël. Quelles sont les idées franco-russes pour démanteler les armes de destruction massive israéliennes pour avoir la stabilité et la sécurité et l'équilibre stratégique entre les pays de région ?
R - Vous savez que les questions de sécurité qui se posent dans le cadre régional méritent justement de pouvoir être traitées globalement et c'est le cas du Moyen-Orient, comme nous en parlons en Asie du Sud ou en Asie du Nord. Il faut avoir une approche globale. Un certain nombre d'idées ont été proposées pour la région du Moyen-Orient, prévoyant une démilitarisation, pour faire en sorte que ces zones puissent être dépourvues, débarrassées de toute arme de destruction massive. Cela doit faire partie d'un processus de dialogue régional. Il y a bien une priorité aujourd'hui. C'est de faire en sorte que le dialogue entre Israël, les Palestiniens, le monde arabe, puisse reprendre. Et c'est dans ce sens que nous travaillons.
Il y a aujourd'hui de nouvelles propositions qui vont être précisées au cours des prochains jours à l'occasion de la visite de M. Sharon aux Etats-Unis. Nous souhaitons que les propositions d'un retrait de Gaza, telles que présentées par le Premier ministre israélien, puissent s'inscrire dans le cadre d'un plan de règlement négocié. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'alternatives à la Feuille de route. La Feuille de route doit bien être l'instrument de la communauté internationale. Et partant de ce retrait de Gaza, s'assurant qu'une fois démantelées, ces colonies ne soient pas transportées ailleurs, en Cisjordanie par exemple, mais bien rapatriées du côté d'Israël, nous sommes convaincus qu'il y aurait là une dynamique de paix qui pourrait être enclenchée. Ce qui est important, c'est que nous restions donc les uns et les autres extrêmement actifs et nous partageons avec nos amis russes la conviction que le Quartet doit bien être l'instrument de la communauté internationale. Et nous nous réjouissons du fait que celui-ci puisse se réunir prochainement. Il s'agit bien de faire en sorte que la dynamique politique retrouve ses droits. C'est l'intérêt de tous. Il faut offrir aux Palestiniens une alternative à la situation actuelle. Il faut offrir aux Israéliens une alternative à la situation d'insécurité actuelle. Je crois que l'intérêt commun, c'est bien d'avancer dans le sens de la paix. D'autant plus que nous le savons, ni la paix, ni la justice ne sont divisibles et nous ne pouvons pas espérer avancer en Irak en négligeant la situation au Proche-Orient. Donc, je crois que cet objectif de dynamique de paix est essentiel, pour que les questions de sécurité puissent par la suite être traitées dans un cadre où le dialogue aura repris ses droits, où la paix sera en marche. C'est, je crois, quelque chose d'utile et nous aspirons tous à ce que cette sécurité puisse s'inscrire durablement dans la région comme une exigence fondamentale. Evidemment la communauté internationale a des devoirs vis-à-vis de cette sécurité régionale. Mais une fois de plus, avançons d'abord dans le domaine du dialogue politique et dans le domaine de la paix entre Israël et l'ensemble des pays arabes.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2004)