Texte intégral
Madame et Monsieur les ministres,
Monsieur le Commissaire européen,
Monsieur le Délégué,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux m'exprimer devant vous après la ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire, Dominique VOYNET, et de conclure aujourd'hui ce colloque consacré aux territoires et au développement durable devant vous, qui représentez les élus, les responsables locaux, les administrations et les associations impliqués dans la conduite et la mise en oeuvre de l'aménagement du territoire.
Le développement durable est une notion parfois encore mal comprise. Voici pourtant plus de dix ans, le rapport de Mme Gro Harlem BRUNDTLAND introduisait cette rupture fondatrice dans notre conception des relations entre l'environnement et les politiques publiques. Au sommet de Rio, en 1992, la communauté internationale s'est approprié cette notion. Elle en a décliné les principes dans une déclaration qui est devenue le socle de droits nouveaux internationalement reconnus. Mais le développement durable n'est pas seulement une innovation conceptuelle ou la source de normes juridiques nouvelles. Il fonde une pratique. Cette pratique, il est essentiel de l'inscrire localement, et notamment dans le cadre de l'aménagement du territoire. Il est, au-delà, indispensable d'en tirer pleinement les conséquences dans l'ensemble des choix que nous faisons.
Le développement durable a été dès l'origine au coeur des orientations de mon Gouvernement.
Ce concept rassemble, réconcilie et renouvelle des valeurs auxquelles nous croyons. Promouvoir un développement durable, c'est considérer que la qualité de la croissance compte autant que son rythme. C'est affirmer que la justice sociale aujourd'hui, la préservation des ressources naturelles pour demain sont, avec l'efficacité économique, des éléments essentiels du développement.
Le développement durable est ainsi une nouvelle manière de gérer et d'organiser les activités humaines.
Promouvoir le développement durable c'est une nouvelle façon de réformer. En fondant sur l'équité la croissance aujourd'hui retrouvée. Non seulement l'équité au sein de chaque génération, pour réduire les inégalités entre les peuples et à l'intérieur de chaque société. Mais aussi l'équité entre les générations, afin de laisser aux générations futures la liberté de choisir leur avenir. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'arbitrer entre des objectifs de court terme tout en ménageant le long terme.
D'autres contradictions peuvent surgir entre les perceptions et les aspirations de chaque individu, celles qui s'expriment localement, et la vision plus globale qui est celle d'institutions, d'organisations internationales, voire de mouvements associatifs agissant à l'échelle de la planète. Il est donc souhaitable de rapprocher ces perceptions en faisant dialoguer ces acteurs. Car ni la logique du marché, ni la rationalité scientifique, ni l'autorité du politique ne peuvent trancher seuls de choix par essence collectifs. C'est pourquoi le développement durable ne se décrète pas, il se négocie. Il est affaire de démocratie.
Il est aussi affaire de volonté.
Car il n'est pas de développement durable sans volontarisme. Cette prise de conscience est née de la mesure de la finitude du monde et de ses ressources, de la fragilité de la Terre. Notre environnement n'est pas une marchandise, un simple stock de matières premières dans lequel on pourrait puiser sans se soucier des générations futures.
C'est d'abord dans l'espace national que doivent s'exercer cette volonté et cette recherche démocratique.
Nous avons pour cela défini de nouvelles priorités. Nous avons dès juin 1997 placé l'emploi au coeur de notre politique. Sachant qu'il n'y a pas de développement durable sans développement tout court, nous devions avant tout faire repartir la croissance et régresser le chômage.
Nous avons voulu mettre le développement au service de la solidarité. C'est ce que nous avons fait avec la loi de lutte contre les exclusions, l'instauration de la Couverture maladie universelle, la baisse des prélèvements que supportent les ménages aux revenus les plus faibles. On oublie parfois que l'équité entre les hommes et les femmes fait partie des principes fondateurs de Rio. En politique, dans le monde du travail, dans la vie quotidienne, nous avons amorcé des réformes pour mieux faire entrer dans les faits l'égalité entre les femmes et les hommes.
Nous avons inscrit la solidarité dans l'aménagement du territoire. Sous l'impulsion de Mme Dominique VOYNET, une loi a été votée - la première en France à porter dans son titre les mots d'"aménagement durable du territoire". Dans ce cadre législatif nouveau, les contrats de plan Etat-régions ont vu leur champ s'élargir aux enjeux de cohésion sociale, d'équilibre entre les territoires et de protection de l'environnement. Ainsi appliquons-nous au niveau national les principales orientations de Rio en particulier pour ce qui concerne la maîtrise de l'effet de serre et le maintien de la diversité biologique. Le développement durable a guidé nombre des choix que nous avons faits : rupture avec la préférence systématique pour les routes, priorité redonnée au rail, encouragement à l'agriculture multifonctionnelle et durable et à l'installation des jeunes agriculteurs sur tout le territoire.
Nous avons également souhaité engager de profonds changements dans les comportements.
Il fallait pour cela faire prendre en compte les coûts et les bénéfices réels de l'activité économique. Pour que les acteurs économiques mesurent aussi leur propre efficacité à l'aune des critères du développement durable. Nous avons jeté les bases d'une vraie fiscalité environnementale avec la création de la taxe générale sur les activités polluantes. Cette réforme fiscale qui s'inspire du principe pollueur-payeur rendra chacun plus conscient du coût de la pollution. Autre exemple : celui du projet de loi sur la forêt qui conditionne les aides publiques et les incitations fiscales à la pratique d'une gestion durable, c'est-à-dire à une gestion qui valorise les autres fonctions de la forêt -protection de la biodiversité, des ressources en eau et des paysages, lutte contre l'effet de serre.
Le développement durable est aussi une manière de réformer le processus de décision publique. Nous avons voulu démocratiser l'aménagement du territoire. Dominique VOYNET vous a exposé les objectifs de la loi sur l'aménagement et le développement durable du territoire. Je voudrais pour ma part insister sur un point essentiel. Cette loi se veut emblématique d'une nouvelle manière de gouverner. Elle inaugure une nouvelle façon de gérer les espaces et d'élaborer les choix collectifs. Les acteurs locaux, les usagers, les associations, les entreprises peuvent désormais participer à la définition de ces choix en les négociant dans le cadre de grandes options nationales. Cela se traduit dans la méthode d'élaboration des schémas de services collectifs. Ces derniers doivent être le cadre cohérent d'une réflexion prospective et d'une négociation sur les besoins en matière de transports, d'école, de santé. La gestion de l'eau a également été réformée. Une place plus large est désormais accordée aux associations de consommateurs ou de protection de l'environnement dans les organes de gestion, comités de bassin ou conseils d'administration des agences de l'eau.
Nos efforts serait vains s'ils ne se prolongeaient sur le plan international. Face au changement climatique, à la dégradation de la couche d'ozone ou à la pollution des mers, aucun État ne peut aujourd'hui agir seul.
Le développement durable inspire notre approche de la régulation mondiale.
Depuis 1992, l'enthousiasme fondateur du Sommet de la Terre est quelque peu retombé. Les crises économiques et financières ont davantage retenu l'attention. Leur résorption a mobilisé l'énergie des gouvernements.
Pourtant, "l'autre crise", celle de la pauvreté et de l'environnement, est en train de s'approfondir. 3 milliards d'hommes doivent se contenter d'un revenu inférieur à deux dollars par jour. Les catastrophes climatiques ont violemment frappé ces quatre dernières années plusieurs continents. Les territoires forestiers continuent de reculer. Les émissions de gaz à effet de serre progressent dans certains pays à des rythmes soutenus. Des millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable.
C'est pourquoi la France plaide pour l'adoption de règles nouvelles.
Nous voulons porter, en Europe, les mêmes priorités. M. le Commissaire européen Michel BARNIER vient d'ailleurs de les évoquer avec pertinence. M. le Professeur KOURILSKY et Mme Geneviève VINET m'ont remis, il y a quelques mois, un important rapport sur l'application du principe de précaution. Ce principe fondamental, que nous mettons en oeuvre en matière de santé publique et de sécurité alimentaire, devrait être consacré plus nettement dans le droit européen, comme dans la loi française. Il sera une priorité de notre Présidence de l'Union européenne. Le groupe que dirige le Président Romano PRODI prépare notamment, à la suite du Conseil européen de Lisbonne, une stratégie européenne de développement durable. Dans ce cadre, le Gouvernement concevra, à partir des contrats de plan, des schémas de services collectifs et des éléments de prospective du Commissariat général au Plan, une stratégie française de développement durable. La Commission interministérielle de l'effet de serre a adopté voici deux mois, sous ma présidence, le programme national de lutte contre l'effet de serre. Le Gouvernement l'appliquera avec une vigilance particulière. Dans le même esprit, nous nous attacherons, sous notre Présidence, à relancer la négociation de la directive relative à la taxation de l'énergie.
Nous agissons également dans les enceintes multilatérales. Dans le domaine du climat, chacun doit prendre ses responsabilités. Notre pays l'a fait. Il a, le premier en Europe, indiqué avec le programme national de lutte contre l'effet de serre comment il comptait tenir les engagements pris à Kyoto. Les règles communes doivent être appliquées par tous. C'est pourquoi nous proposerons un système de surveillance stricte des engagements pris. Seule une attitude rigoureuse nous permettra de convaincre les pays en développement de s'associer à cette démarche. Il conviendra bien sûr de disposer de normes équitables permettant aux pays les plus pauvres d'assurer leur développement.
La question de la propriété du vivant est aujourd'hui débattue dans le cadre de la convention sur la biodiversité. La France défend l'idée que le vivant ne doit pas faire l'objet d'une appropriation abusive. S'il est nécessaire de protéger l'innovation, nous refusons de laisser s'instaurer un monopole sur les ressources génétiques. Et je me suis réjoui de voir les Etats-Unis et la Grande-Bretagne rejoindre les positions de principe que nous avions affirmées sur le génome humain. Dans le domaine de la biosécurité, nous avons obtenu un accord important qui valide au plan international les règles européennes en matière d'OGM. Ainsi le principe de précaution s'affirme-t-il progressivement dans les autres champs de la négociation internationale.
Dans le domaine de l'eau, il nous faut promouvoir un code de conduite des investissements privés. Nous voulons développer les mécanismes de financement existants pour inciter les entreprises -et je n'oublie pas que les opérateurs français ont un savoir-faire reconnu- à mieux intégrer dans leurs offres aux pays en développement les aspects sociaux et environnementaux.
Mais il faut aller au-delà.
Il faut désormais concevoir les moyens d'une maîtrise accrue de la mondialisation. L'idée même de développement durable -je le soulignais tout à l'heure- veut que les nouvelles priorités soient définies de façon négociée, transparente et démocratique. Cette exigence doit bien sûr se concrétiser d'abord dans le cadre des institutions de l'Organisation des Nations Unies. Compte tenu des inégalités de développement, il ne faut pas se cacher que certains Etats pèsent plus que d'autres sur la fixation de l'agenda des négociations. Ainsi le réchauffement climatique est-il apparu comme plus important que les problèmes liés à la désertification, pourtant cruciaux pour les pays les plus pauvres. La négociation sur le climat parvient aujourd'hui à des engagements précis et vérifiables alors que la Convention sur la désertification relève encore de la déclaration d'intentions.
La "mondialisation politique" est donc encore à bâtir. En accord avec les valeurs universelles qu'elle porte, la France peut jouer dans ce processus un rôle plus actif. Nous devons à cet effet réorganiser, pour plus de cohérence, la préparation de ces négociations. Pour les conduire, la France désignera très prochainement un ambassadeur pour l'environnement. Par ailleurs une importante réflexion a été menée au sein du Comité de coordination des sciences de la planète et de l'environnement. Elle a donné une impulsion nouvelle aux recherches sur la biodiversité, le changement climatique et les risques majeurs. Afin de prolonger cette réflexion, je souhaite que soit rapidement lancée une fondation sur le développement durable qui devrait trouver d'emblée une dimension européenne. Cette fondation animerait des réseaux d'experts français et européens qu'elle associerait ainsi plus efficacement aux décisions. Elle permettrait aussi de nouer un dialogue informel entre les associations, les entreprises, les scientifiques et les décideurs publics sur les questions clés du développement durable pour faire émerger des propositions.
Nous devons également nous appuyer davantage sur la prise de conscience collective qui est en train de s'opérer. La société civile et les réseaux internationaux de citoyens réclament vigoureusement la prise en compte de l'environnement et de la justice sociale dans les négociations internationales. Cette conscience nouvelle progresse aussi chez les acteurs économiques. Les coûts des dégradations environnementales commencent à peser lourd dans les comptes des nations. La protection de l'environnement touche désormais des secteurs clés de l'économie. On ne légifère plus seulement sur la protection des espèces sauvages mais sur l'énergie ou les biotechnologies, qui sont au coeur de la croissance mondiale. Enfin les très grands groupes industriels qui planifient leur activité à long terme, les compagnies d'assurance et de réassurance dont le métier est de prévoir commencent à intégrer ces nouvelles dimensions dans leurs stratégies.
Le moment est donc venu, je crois, de donner à la régulation mondiale une nouvelle architecture. Cette architecture doit reposer sur des compromis négociés et équitables. Elle ne sera acceptée que si ses procédures et son fonctionnement sont transparents et démocratiques.
Aujourd'hui, les normes sont élaborées par des instances et mises en oeuvre par des institutions qui, dans le système international, n'ont ni la même force, ni la même autorité. La priorité est donc de mieux articuler l'ensemble de leurs travaux et de rendre plus cohérentes entre elles les règles adoptées. En effet en l'absence d'arbitrage, les institutions qui dominent sont celles qui ont un pouvoir de contrainte pour faire appliquer leur corps de principes et de règles.
Pour bâtir cette architecture globale plusieurs options sont ouvertes. La France entend porter cette question dans le débat international à l'horizon de 2002, dix ans après le Sommet de la Terre. L'idée d'une Organisation Mondiale de l'Environnement lancée lors de la conférence de La Haye en 1990, prendra dans ce contexte une importance renouvelée. Elle pourrait être le lieu de négociation et de production de normes environnementales et se voir doter de moyens pour les faire appliquer. Cette démarche permettrait, parallèlement au renforcement de l'OMC et des institutions de l'Organisation des Nations Unies, de mieux traiter les questions d'intérêt général que sont la santé, l'éducation, l'environnement. Nous devons nous y engager sans tarder.
Mesdames, Messieurs,
Il s'agit aujourd'hui pour nous d'apprendre ensemble à gouverner la mondialisation sans gouvernement mondial. Cette entreprise exigera de tous un engagement tenace et durable. Elle nous demandera en particulier de bâtir patiemment un consensus international. C'est une ambition que l'Europe est à même de porter. Notre vision de la société, les valeurs que nous partageons, la volonté que nous avons d'avancer ensemble nous ont déjà permis de poser, en Europe, les fondations d'une véritable stratégie en ce domaine. La France entend prolonger ces travaux. C'est pourquoi le développement durable inspirera la Présidence française de l'Union européenne. Au-delà, l'expérience et la mobilisation de chacun seront indispensables pour faire progresser l'équité entre les hommes, pour fonder de nouvelles solidarités internationales, pour créer les conditions d'un développement véritablement partagé.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 avril 2000)
Monsieur le Commissaire européen,
Monsieur le Délégué,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux m'exprimer devant vous après la ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire, Dominique VOYNET, et de conclure aujourd'hui ce colloque consacré aux territoires et au développement durable devant vous, qui représentez les élus, les responsables locaux, les administrations et les associations impliqués dans la conduite et la mise en oeuvre de l'aménagement du territoire.
Le développement durable est une notion parfois encore mal comprise. Voici pourtant plus de dix ans, le rapport de Mme Gro Harlem BRUNDTLAND introduisait cette rupture fondatrice dans notre conception des relations entre l'environnement et les politiques publiques. Au sommet de Rio, en 1992, la communauté internationale s'est approprié cette notion. Elle en a décliné les principes dans une déclaration qui est devenue le socle de droits nouveaux internationalement reconnus. Mais le développement durable n'est pas seulement une innovation conceptuelle ou la source de normes juridiques nouvelles. Il fonde une pratique. Cette pratique, il est essentiel de l'inscrire localement, et notamment dans le cadre de l'aménagement du territoire. Il est, au-delà, indispensable d'en tirer pleinement les conséquences dans l'ensemble des choix que nous faisons.
Le développement durable a été dès l'origine au coeur des orientations de mon Gouvernement.
Ce concept rassemble, réconcilie et renouvelle des valeurs auxquelles nous croyons. Promouvoir un développement durable, c'est considérer que la qualité de la croissance compte autant que son rythme. C'est affirmer que la justice sociale aujourd'hui, la préservation des ressources naturelles pour demain sont, avec l'efficacité économique, des éléments essentiels du développement.
Le développement durable est ainsi une nouvelle manière de gérer et d'organiser les activités humaines.
Promouvoir le développement durable c'est une nouvelle façon de réformer. En fondant sur l'équité la croissance aujourd'hui retrouvée. Non seulement l'équité au sein de chaque génération, pour réduire les inégalités entre les peuples et à l'intérieur de chaque société. Mais aussi l'équité entre les générations, afin de laisser aux générations futures la liberté de choisir leur avenir. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'arbitrer entre des objectifs de court terme tout en ménageant le long terme.
D'autres contradictions peuvent surgir entre les perceptions et les aspirations de chaque individu, celles qui s'expriment localement, et la vision plus globale qui est celle d'institutions, d'organisations internationales, voire de mouvements associatifs agissant à l'échelle de la planète. Il est donc souhaitable de rapprocher ces perceptions en faisant dialoguer ces acteurs. Car ni la logique du marché, ni la rationalité scientifique, ni l'autorité du politique ne peuvent trancher seuls de choix par essence collectifs. C'est pourquoi le développement durable ne se décrète pas, il se négocie. Il est affaire de démocratie.
Il est aussi affaire de volonté.
Car il n'est pas de développement durable sans volontarisme. Cette prise de conscience est née de la mesure de la finitude du monde et de ses ressources, de la fragilité de la Terre. Notre environnement n'est pas une marchandise, un simple stock de matières premières dans lequel on pourrait puiser sans se soucier des générations futures.
C'est d'abord dans l'espace national que doivent s'exercer cette volonté et cette recherche démocratique.
Nous avons pour cela défini de nouvelles priorités. Nous avons dès juin 1997 placé l'emploi au coeur de notre politique. Sachant qu'il n'y a pas de développement durable sans développement tout court, nous devions avant tout faire repartir la croissance et régresser le chômage.
Nous avons voulu mettre le développement au service de la solidarité. C'est ce que nous avons fait avec la loi de lutte contre les exclusions, l'instauration de la Couverture maladie universelle, la baisse des prélèvements que supportent les ménages aux revenus les plus faibles. On oublie parfois que l'équité entre les hommes et les femmes fait partie des principes fondateurs de Rio. En politique, dans le monde du travail, dans la vie quotidienne, nous avons amorcé des réformes pour mieux faire entrer dans les faits l'égalité entre les femmes et les hommes.
Nous avons inscrit la solidarité dans l'aménagement du territoire. Sous l'impulsion de Mme Dominique VOYNET, une loi a été votée - la première en France à porter dans son titre les mots d'"aménagement durable du territoire". Dans ce cadre législatif nouveau, les contrats de plan Etat-régions ont vu leur champ s'élargir aux enjeux de cohésion sociale, d'équilibre entre les territoires et de protection de l'environnement. Ainsi appliquons-nous au niveau national les principales orientations de Rio en particulier pour ce qui concerne la maîtrise de l'effet de serre et le maintien de la diversité biologique. Le développement durable a guidé nombre des choix que nous avons faits : rupture avec la préférence systématique pour les routes, priorité redonnée au rail, encouragement à l'agriculture multifonctionnelle et durable et à l'installation des jeunes agriculteurs sur tout le territoire.
Nous avons également souhaité engager de profonds changements dans les comportements.
Il fallait pour cela faire prendre en compte les coûts et les bénéfices réels de l'activité économique. Pour que les acteurs économiques mesurent aussi leur propre efficacité à l'aune des critères du développement durable. Nous avons jeté les bases d'une vraie fiscalité environnementale avec la création de la taxe générale sur les activités polluantes. Cette réforme fiscale qui s'inspire du principe pollueur-payeur rendra chacun plus conscient du coût de la pollution. Autre exemple : celui du projet de loi sur la forêt qui conditionne les aides publiques et les incitations fiscales à la pratique d'une gestion durable, c'est-à-dire à une gestion qui valorise les autres fonctions de la forêt -protection de la biodiversité, des ressources en eau et des paysages, lutte contre l'effet de serre.
Le développement durable est aussi une manière de réformer le processus de décision publique. Nous avons voulu démocratiser l'aménagement du territoire. Dominique VOYNET vous a exposé les objectifs de la loi sur l'aménagement et le développement durable du territoire. Je voudrais pour ma part insister sur un point essentiel. Cette loi se veut emblématique d'une nouvelle manière de gouverner. Elle inaugure une nouvelle façon de gérer les espaces et d'élaborer les choix collectifs. Les acteurs locaux, les usagers, les associations, les entreprises peuvent désormais participer à la définition de ces choix en les négociant dans le cadre de grandes options nationales. Cela se traduit dans la méthode d'élaboration des schémas de services collectifs. Ces derniers doivent être le cadre cohérent d'une réflexion prospective et d'une négociation sur les besoins en matière de transports, d'école, de santé. La gestion de l'eau a également été réformée. Une place plus large est désormais accordée aux associations de consommateurs ou de protection de l'environnement dans les organes de gestion, comités de bassin ou conseils d'administration des agences de l'eau.
Nos efforts serait vains s'ils ne se prolongeaient sur le plan international. Face au changement climatique, à la dégradation de la couche d'ozone ou à la pollution des mers, aucun État ne peut aujourd'hui agir seul.
Le développement durable inspire notre approche de la régulation mondiale.
Depuis 1992, l'enthousiasme fondateur du Sommet de la Terre est quelque peu retombé. Les crises économiques et financières ont davantage retenu l'attention. Leur résorption a mobilisé l'énergie des gouvernements.
Pourtant, "l'autre crise", celle de la pauvreté et de l'environnement, est en train de s'approfondir. 3 milliards d'hommes doivent se contenter d'un revenu inférieur à deux dollars par jour. Les catastrophes climatiques ont violemment frappé ces quatre dernières années plusieurs continents. Les territoires forestiers continuent de reculer. Les émissions de gaz à effet de serre progressent dans certains pays à des rythmes soutenus. Des millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable.
C'est pourquoi la France plaide pour l'adoption de règles nouvelles.
Nous voulons porter, en Europe, les mêmes priorités. M. le Commissaire européen Michel BARNIER vient d'ailleurs de les évoquer avec pertinence. M. le Professeur KOURILSKY et Mme Geneviève VINET m'ont remis, il y a quelques mois, un important rapport sur l'application du principe de précaution. Ce principe fondamental, que nous mettons en oeuvre en matière de santé publique et de sécurité alimentaire, devrait être consacré plus nettement dans le droit européen, comme dans la loi française. Il sera une priorité de notre Présidence de l'Union européenne. Le groupe que dirige le Président Romano PRODI prépare notamment, à la suite du Conseil européen de Lisbonne, une stratégie européenne de développement durable. Dans ce cadre, le Gouvernement concevra, à partir des contrats de plan, des schémas de services collectifs et des éléments de prospective du Commissariat général au Plan, une stratégie française de développement durable. La Commission interministérielle de l'effet de serre a adopté voici deux mois, sous ma présidence, le programme national de lutte contre l'effet de serre. Le Gouvernement l'appliquera avec une vigilance particulière. Dans le même esprit, nous nous attacherons, sous notre Présidence, à relancer la négociation de la directive relative à la taxation de l'énergie.
Nous agissons également dans les enceintes multilatérales. Dans le domaine du climat, chacun doit prendre ses responsabilités. Notre pays l'a fait. Il a, le premier en Europe, indiqué avec le programme national de lutte contre l'effet de serre comment il comptait tenir les engagements pris à Kyoto. Les règles communes doivent être appliquées par tous. C'est pourquoi nous proposerons un système de surveillance stricte des engagements pris. Seule une attitude rigoureuse nous permettra de convaincre les pays en développement de s'associer à cette démarche. Il conviendra bien sûr de disposer de normes équitables permettant aux pays les plus pauvres d'assurer leur développement.
La question de la propriété du vivant est aujourd'hui débattue dans le cadre de la convention sur la biodiversité. La France défend l'idée que le vivant ne doit pas faire l'objet d'une appropriation abusive. S'il est nécessaire de protéger l'innovation, nous refusons de laisser s'instaurer un monopole sur les ressources génétiques. Et je me suis réjoui de voir les Etats-Unis et la Grande-Bretagne rejoindre les positions de principe que nous avions affirmées sur le génome humain. Dans le domaine de la biosécurité, nous avons obtenu un accord important qui valide au plan international les règles européennes en matière d'OGM. Ainsi le principe de précaution s'affirme-t-il progressivement dans les autres champs de la négociation internationale.
Dans le domaine de l'eau, il nous faut promouvoir un code de conduite des investissements privés. Nous voulons développer les mécanismes de financement existants pour inciter les entreprises -et je n'oublie pas que les opérateurs français ont un savoir-faire reconnu- à mieux intégrer dans leurs offres aux pays en développement les aspects sociaux et environnementaux.
Mais il faut aller au-delà.
Il faut désormais concevoir les moyens d'une maîtrise accrue de la mondialisation. L'idée même de développement durable -je le soulignais tout à l'heure- veut que les nouvelles priorités soient définies de façon négociée, transparente et démocratique. Cette exigence doit bien sûr se concrétiser d'abord dans le cadre des institutions de l'Organisation des Nations Unies. Compte tenu des inégalités de développement, il ne faut pas se cacher que certains Etats pèsent plus que d'autres sur la fixation de l'agenda des négociations. Ainsi le réchauffement climatique est-il apparu comme plus important que les problèmes liés à la désertification, pourtant cruciaux pour les pays les plus pauvres. La négociation sur le climat parvient aujourd'hui à des engagements précis et vérifiables alors que la Convention sur la désertification relève encore de la déclaration d'intentions.
La "mondialisation politique" est donc encore à bâtir. En accord avec les valeurs universelles qu'elle porte, la France peut jouer dans ce processus un rôle plus actif. Nous devons à cet effet réorganiser, pour plus de cohérence, la préparation de ces négociations. Pour les conduire, la France désignera très prochainement un ambassadeur pour l'environnement. Par ailleurs une importante réflexion a été menée au sein du Comité de coordination des sciences de la planète et de l'environnement. Elle a donné une impulsion nouvelle aux recherches sur la biodiversité, le changement climatique et les risques majeurs. Afin de prolonger cette réflexion, je souhaite que soit rapidement lancée une fondation sur le développement durable qui devrait trouver d'emblée une dimension européenne. Cette fondation animerait des réseaux d'experts français et européens qu'elle associerait ainsi plus efficacement aux décisions. Elle permettrait aussi de nouer un dialogue informel entre les associations, les entreprises, les scientifiques et les décideurs publics sur les questions clés du développement durable pour faire émerger des propositions.
Nous devons également nous appuyer davantage sur la prise de conscience collective qui est en train de s'opérer. La société civile et les réseaux internationaux de citoyens réclament vigoureusement la prise en compte de l'environnement et de la justice sociale dans les négociations internationales. Cette conscience nouvelle progresse aussi chez les acteurs économiques. Les coûts des dégradations environnementales commencent à peser lourd dans les comptes des nations. La protection de l'environnement touche désormais des secteurs clés de l'économie. On ne légifère plus seulement sur la protection des espèces sauvages mais sur l'énergie ou les biotechnologies, qui sont au coeur de la croissance mondiale. Enfin les très grands groupes industriels qui planifient leur activité à long terme, les compagnies d'assurance et de réassurance dont le métier est de prévoir commencent à intégrer ces nouvelles dimensions dans leurs stratégies.
Le moment est donc venu, je crois, de donner à la régulation mondiale une nouvelle architecture. Cette architecture doit reposer sur des compromis négociés et équitables. Elle ne sera acceptée que si ses procédures et son fonctionnement sont transparents et démocratiques.
Aujourd'hui, les normes sont élaborées par des instances et mises en oeuvre par des institutions qui, dans le système international, n'ont ni la même force, ni la même autorité. La priorité est donc de mieux articuler l'ensemble de leurs travaux et de rendre plus cohérentes entre elles les règles adoptées. En effet en l'absence d'arbitrage, les institutions qui dominent sont celles qui ont un pouvoir de contrainte pour faire appliquer leur corps de principes et de règles.
Pour bâtir cette architecture globale plusieurs options sont ouvertes. La France entend porter cette question dans le débat international à l'horizon de 2002, dix ans après le Sommet de la Terre. L'idée d'une Organisation Mondiale de l'Environnement lancée lors de la conférence de La Haye en 1990, prendra dans ce contexte une importance renouvelée. Elle pourrait être le lieu de négociation et de production de normes environnementales et se voir doter de moyens pour les faire appliquer. Cette démarche permettrait, parallèlement au renforcement de l'OMC et des institutions de l'Organisation des Nations Unies, de mieux traiter les questions d'intérêt général que sont la santé, l'éducation, l'environnement. Nous devons nous y engager sans tarder.
Mesdames, Messieurs,
Il s'agit aujourd'hui pour nous d'apprendre ensemble à gouverner la mondialisation sans gouvernement mondial. Cette entreprise exigera de tous un engagement tenace et durable. Elle nous demandera en particulier de bâtir patiemment un consensus international. C'est une ambition que l'Europe est à même de porter. Notre vision de la société, les valeurs que nous partageons, la volonté que nous avons d'avancer ensemble nous ont déjà permis de poser, en Europe, les fondations d'une véritable stratégie en ce domaine. La France entend prolonger ces travaux. C'est pourquoi le développement durable inspirera la Présidence française de l'Union européenne. Au-delà, l'expérience et la mobilisation de chacun seront indispensables pour faire progresser l'équité entre les hommes, pour fonder de nouvelles solidarités internationales, pour créer les conditions d'un développement véritablement partagé.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 avril 2000)