Point de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur le désengagement israélien de Gaza et la relance de la Feuille de route, le programme britannique de la future présidence de l'UE (modernisation de l'Union et budget communautaire), le rôle de la Syrie dans les attentats au Liban, le réchauffement climatique, la réforme de l'Onu et le Kosovo, Londres le 23 juin 2005.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Londres le 23 juin 2005

Texte intégral

Q - Y a-t-il un suivi de la Conférence de Londres du mois de mars ?
R - Non seulement il y a un suivi, mais ce G8 a permis d'inviter l'envoyé spécial du Quartet pour le désengagement, M. Wolfensohn, qui a pu parler de sa vision du sujet et d'ailleurs avec une bonne approche. C'était très intéressant. En réalité, la question est la suivante - en tous cas cela a été le message que j'ai donné : la réussite du désengagement israélien de Gaza dans moins de cent jours est primordiale, et on doit peser de tout notre poids pour que la remise de ce territoire aux Autorités palestiniennes se passe dans les meilleures conditions, à la fois sur le plan économique et sur le plan sécuritaire.
Le plan proposé par M. Wolfensohn, qui est sur trois ans, a notre accord. La seule chose que l'on dise, c'est qu'au moment où l'on présente ce plan, il faut que l'immédiat après-désengagement de Gaza soit visible, qu'il puisse y avoir une sorte d'équilibre entre les intérêts des deux côtés, qu'il puisse y avoir aussi un calendrier, que l'administration palestinienne puisse être aidée. C'est pourquoi le retrait de Gaza va, pour nous, de pair avec une relance de la Feuille de route et l'établissement, à très brève échéance, d'un Etat palestinien viable. Il ne faut pas de vide politique. Car s'il y a un vide politique prolongé après le désengagement, on pourrait voir de graves violences et on pourrait voir le processus en cours menacé.
Q - (Sur les déclarations de Tony Blair au Parlement européen)
R - D'abord, nous avons bien pris note du programme de travail que le Premier ministre britannique vient de présenter devant le Parlement européen. Le rôle d'une Présidence au sein de l'Union est de rassembler et non pas de diviser, évidemment. Nous sommes convaincus que M. Blair aura à cur de remplir cette mission.
Le rôle d'une Présidence est surtout de créer du consensus, d'aboutir à des compromis, de rassembler les Européens. Il a abordé plusieurs choses : le problème de l'Europe politique, et celui de la modernisation de l'Union européenne. Concernant l'Europe politique, il croit - c'est ce qu'il a dit - en l'Europe politique. Je me réjouis du fait qu'il ait dit cela parce que, pour la France, c'est un élément majeur.
Le vrai débat est : voulons-nous plus d'Europe politique ou, au contraire, voulons-nous seulement une zone de libre-échange avec moins de politiques communes ? Pour nous, nous souhaitons qu'il y ait une Europe politique la plus forte possible. D'abord, cela veut dire qu'il faut répondre aux besoins des citoyens, et étudier un peu mieux le résultat du référendum français et hollandais. Mais vous savez, les problèmes ne sont pas cantonnés à la France et aux Pays-Bas parce que, quand on parle avec tous les chefs d'Etat ou de gouvernement, avec tous mes homologues ministres des Affaires étrangères ou européennes, on voit que tous les citoyens européens partagent les mêmes inquiétudes et les mêmes craintes, et qu'elles prennent parfois le pas sur le projet européen. Pour y répondre, cela veut dire : conciliation entre dynamisme économique et protection sociale.
Le grand sujet, c'est la compétitivité de l'Europe. Nous sommes tous pour qu'il y ait une Europe compétitive mais alors, quel est le prix de la protection sociale, de la sécurité, de l'immigration ? Deuxièmement, nous devons mettre en commun nos moyens, pour répondre aux rendez-vous de l'avenir, c'est-à-dire plus de politiques communes en ce qui concerne la recherche, en particulier dans le domaine des biotechnologies, des nanotechnologies, de l'innovation, du développement, de la recherche appliquée.
Et puis enfin, il faut permettre à l'Union européenne de peser dans le monde, en assumant ses responsabilités.
S'agissant du Proche-Orient, je pars du principe que l'Union européenne doit être présente, visible, et lisible aussi, dans cet endroit du monde, aux côtés des Américains, en association, en complémentarité avec eux. Cela s'appelle une union politique.
Concernant les Balkans et l'aide au développement, nous allons y consacrer le G8 des chefs d'Etat ou de gouvernement au mois de juillet, ainsi qu'au climat. On va voir d'ailleurs, et c'est intéressant, la vision américaine et la vision européenne. La Présidence britannique aura d'ailleurs à dire ce qu'elle souhaite, quel côté elle préfère.
S'agissant de la modernisation de l'Union européenne, c'est un faux débat de faire croire qu'il y a d'un côté les "modernes", qui seraient pour la politique de la recherche, et de l'autre les "anciens", ou ceux qui sont dépassés, qui seraient pour une Politique agricole commune. C'est un faux raisonnement, parce que nous sommes tous pour l'innovation et pour la recherche. Quel est le pays qui n'est pas pour préparer l'avenir de l'Union européenne ? Mais nous ne pensons pas que dépenser 0,4 % du PIB européen pour assurer l'indépendance et la sécurité alimentaire des Européens, et pour nous permettre d'être un grand exportateur mondial, soit une politique du passé. Nous ne laisserons jamais dire qu'être indépendant sur le plan alimentaire, être sûr d'avoir une sécurité alimentaire, être le premier exportateur au monde de produits transformés, c'est du passé. Au contraire, cela fait partie de la force politique et géostratégique d'un continent. Les Etats-Unis dépensent d'ailleurs le double et n'ont pas honte de soutenir leur agriculture. Etre moderne aujourd'hui, vous le voyez, c'est vouloir plus d'Europe.
Enfin, je termine sur le budget. La question est de savoir s'il s'agit pour chacun de nos pays de payer de manière équitable le coût financier de l'élargissement historique à dix nouveaux pays de l'Est qui sont venus nous retrouver, ou alors s'il s'agit de remettre en cause la structure même de ce budget en rouvrant l'accord conclu entre nous tous en 2002 sur la Politique agricole commune pour faire le paquet 2007-2013. En octobre 2002, le débat a été tranché à l'unanimité. Cela a été voté à l'unanimité, y compris par les Britanniques ! Il a été accepté que l'augmentation des dépenses agricoles soit de 1 % par an entre 2007 et 2013. Ce qui signifie que les dépenses agricoles baissent dans l'Union européenne, qu'elles passent de 70 % il y a trente ans, à 40 % actuellement, et à 33 % dans le paquet 2007-2013. Ce sont des engagements, et l'Europe s'est toujours construite en respectant ses engagements. Et donc, il n'est pas question pour la France de remettre en cause ces engagements.
Q - Est-ce une concertation franco-américaine qui se partage les rôles, les Américains garantissant qu'il n'y a pas de changement de régime en Syrie, si vous montez le ton en faisant preuve de fermeté sur la Syrie. Est-ce cela ou est-ce le nouveau style de diplomatie ?
R - Non, ce n'est pas un nouveau style, c'est tout simplement que la communauté internationale ne peut pas tolérer les attentats contre des personnalités politiques ou des journalistes comme vous. Je pense à Samir Kassir ou à d'autres, tout simplement à des membres de la société civile. On ne peut accepter qu'il y ait des attentats, des assassinats qui se perpétuent au Liban. Et donc, je crois qu'il faut à la fois saluer le bon déroulement des élections législatives, saluer ce réveil politique remarquable, et remarqué par la communauté internationale, et qu'il faut respecter la souveraineté territoriale du Liban, ne pas souhaiter qu'une nation vienne se substituer à une autre, mais aussi être fermes par rapport à un pays qui pourrait ne pas retirer ses forces de renseignements.
Q - (Sur le réchauffement climatique)
R - Comme vous le savez, l'ordre du jour du G8 des ministres des Affaires étrangères n'est pas exactement le même que celui qu'il y aura au niveau des chefs d'Etat. Donc, il n'y a pas eu ce matin de débat sur le climat.
Un mot plus personnel si vous le voulez, puisque cela n'a pas été abordé. Je pense qu'il est absolument fondamental de défendre une vision très européenne, le président de la République l'a fait à plusieurs reprises, concernant le Protocole de Kyoto et le développement durable. Je pense que les dernières évolutions, à la fois du réchauffement climatique mais aussi des problèmes de déforestation et de tous les sujets actuels sur la table, font qu'on est obligé de réagir, et c'est un vrai sujet du G8. Le fait de l'inclure dans le G8, c'est aussi l'occasion de prendre l'opinion publique à témoin. Ce sont des situations tellement lourdes, avec aussi des conséquences économiques tellement fortes, qu'il est normal qu'on en parle au sein du G8. On verra ce jour-là quelles seront les positions de chacun. En tout cas, la France compte bien continuer à jouer tout son rôle dans ce débat.
Q - (Sur la réforme de l'ONU)
R - Sur la réforme de l'ONU, il y a deux éléments différents.
Le premier concerne le Conseil de sécurité et puis, il y a aussi la réforme plus générale, qui est un enjeu majeur pour 2005. Je vais aborder devant vous les deux, mais il a été essentiellement question de la réforme générale et l'on n'est pas allé, vous le savez et vous en connaissez les raisons, tout à fait au fond des problèmes du Conseil de sécurité.
C'est vrai que c'est un enjeu majeur, parce que la réforme de l'ONU est indispensable pour renforcer la légitimité et l'autorité, sans parler de l'efficacité, de l'organisation elle-même, et le G8 doit marquer son appui au processus engagé par le Secrétaire général des Nations unies que nous avons reçus, le président de la République puis moi-même, à Paris, il y a maintenant huit jours.
Le G8 n'a pas pris position aujourd'hui là-dessus, mais la France co-parrainera le projet du G4. Nous avons devant nous un certain nombre de pays qui sont pour, d'autres pays qui sont contre. Le G8 n'a pas, dans ses conclusions, abordé ce sujet.
Q - (Sur le Kosovo)
R - Cela n'a pratiquement pas - ou très peu - été abordé. Il n'y a pas d'évolution particulière dans la discussion informelle que nous avons eue sur le Kosovo.
Je l'ai dit au Conseil Affaires générales, nous sommes satisfaits de l'amélioration sensible de la situation sécuritaire, nous saluons les efforts réalisés par la KFOR et la MINUK, nous estimons que le maintien de la KFOR à son niveau actuel, pendant les négociations, est nécessaire parce qu'on sait très bien qu'il y a un risque de dérapage important. Il n'y avait donc rien de nouveau sur ce sujet. Simplement, si l'évaluation des progrès, - cela a été dit là aussi au Luxembourg la semaine dernière -, sur les normes que mène actuellement l'envoyé spécial de M. Kofi Annan, M. Kai Eide, est positive, nous soutiendrons l'ouverture des négociations.
Il y a une chose à laquelle la France est très attachée concernant le futur statut du Kosovo : il devra offrir des garanties fortes vis-à-vis de la minorité serbe, notamment par une présence durable de la communauté internationale. Nous ne voulons pas un retour au statut de 1999 ni une partition du Kosovo, ni un rattachement à un pays tiers. Nous voulons simplement garantir la multiethnicité, la protection des minorités et de leur patrimoine, la stabilité régionale et puis - pourquoi ne pas le dire - la lutte contre la criminalité. Mais pour reprendre ce que je disais au début, il n'y a rien de nouveau sur ce sujet à ce G8.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 juin 2005)