Texte intégral
Madame la Secrétaire d'Etat,
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de m'exprimer devant vous, mais avant tout je voudrais vous remercier de votre présence.
M. Philippe Douste-Blazy est, en ce moment même, avec le président du Parlement et nous rejoindra dans un instant. Vous m'avez invitée à vous parler d'un sujet important, Monsieur le Recteur, la modernisation économique et sociale des pays européens : c'est un sujet d'actualité pour l'Europe et un sujet d'actualité dans chacun de nos pays.
L'Europe, une fois de plus, est à un moment crucial de son histoire, elle qui a déjà tant fait, qui nous a apporté la paix, la stabilité, la prospérité. Elle, qui a consolidé la démocratie dans l'ensemble de notre continent, qui incarne nos valeurs, notre culture, notre identité, doute aujourd'hui d'elle-même. Réfléchissons un instant : quel paradoxe que cette situation ! Cette Europe n'a pas dans l'histoire de précédent, cette Europe qui a tant de succès à son actif comme en témoigne, par exemple, la réussite de l'euro, comme en témoigne aussi la réussite de l'élargissement à vingt-cinq l'an dernier, qui a pu poursuivre son intégration, qui est un modèle attractif aux yeux de beaucoup d'autres pays, elle hésiterait sur son avenir ?
Faut-il s'arrêter là, constater cette difficulté, avoir la nostalgie d'un âge d'or qui n'existerait plus et que l'on regretterait ? Eh bien moi je vous le dis, non certainement pas !
Telle ne doit pas être notre attitude et telle n'est pas, je vous le dis clairement et fermement, l'attitude de la France. La force du projet européen s'est toujours nourrie de la capacité d'hommes et de femmes à être ambitieux, enthousiastes et résolus. Alors continuons à nous inspirer de leur exemple.
S'il est vrai que l'Europe traverse, aujourd'hui, des moments difficiles aussi bien sur le plan institutionnel que sur le plan budgétaire, par exemple, c'est le moment d'être déterminés. Et pour moi, la réponse au doute, c'est l'action.
Dans le contexte actuel, ce dont les citoyens européens ont besoin, c'est d'une Europe concrète qui les aide, qui réponde à leurs attentes et à leurs préoccupations. Ce doit donc être une Europe de projets et de politiques qui marchent, mais dans le cadre d'une ambition politique qui est la nôtre et que nous n'abandonnons pas. Pour être efficaces dans la recherche de cette Europe, il convient d'abord de ne pas se tromper d'enjeux. Nous devons identifier les vrais défis. Et il en est un qui est essentiel aujourd'hui, l'un des plus difficiles à relever pour l'Europe, celui de la modernisation économique et sociale, thème qui nous réunit cet après-midi.
Et si je suis heureuse que nous puissions nous entretenir de cette question, ce n'est pas seulement parce que nous nous trouvons dans une université d'économie où ce thème est adapté. C'est bien plutôt parce qu'aujourd'hui toutes nos sociétés sont confrontées à ce même défi : comment concilier le dynamisme économique qui est nécessaire à la croissance et donc à l'emploi avec une ambition sociale forte ? Comment l'Europe peut-elle nous apporter un surcroît de croissance tout en restant fidèle aux valeurs auxquelles ses peuples sont attachés ? Pour résumer, comment saura-t-elle se réformer sans se renier ?
Vous savez combien cette question a eu une acuité particulière, en France, lors de la campagne référendaire sur le traité constitutionnel. Mais les inquiétudes et les attentes qui se sont exprimées dans la société française révèlent un courant de fond dont on a bien vu qu'il traversait, à des degrés divers, c'est vrai, tous les pays européens. Les besoins de réformes et le rythme de celles-ci se situent au cur du débat politique en Europe et au centre des préoccupations des peuples.
Beaucoup des débats actuels gravitent autour de ces thèmes. C'est vrai de la proposition de directive sur les services, du sujet des délocalisations ou des perspectives financières sur lesquelles nous n'avons pu nous accorder au moment du Conseil européen du mois de juin. L'enjeu de la conciliation de l'économique et du social est au coeur de la stratégie européenne de croissance, celle qui a été décidée à Lisbonne, qui est notre cadre et qui vise à la fois la croissance, l'emploi, le dynamisme économique et le renforcement de la cohésion sociale, dans une approche équilibrée à laquelle nous tenons. Ce sujet sera aussi, à la fin de ce mois, l'un des sujets du Conseil européen informel de Londres. Ces sujets sont donc durablement inscrits dans le débat politique européen.
Dans cette perspective je voudrais vous faire part d'une première remarque : il ne s'agit pas pour les Européens de devoir choisir entre l'économique et le social, mais au contraire de savoir comment mieux les concilier.
L'efficacité économique est nécessaire, tout comme l'est la dimension sociale. Et un bon système social est un facteur de richesse et de croissance. Qui peut penser par exemple qu'une formation professionnelle performante ou une politique exigeante en matière de santé des salariés ne constitue pas un élément au service de l'attractivité et de la compétitivité de nos pays ?
Nous savons tous que nos pays sont différents, que chaque Etat membre a son propre système de sécurité sociale et de droit du travail, en fonction de son histoire, de sa culture et de ses traditions. Mais, au-delà de ces différences, nous partageons de nombreuses valeurs communes, qui nous rassemblent et qui souvent sont des valeurs nées sur ce continent européen : la lutte contre toute forme de discrimination, et notamment l'égalité de traitement entre les sexes, la protection sociale, la solidarité entre les générations, le rôle des partenaires sociaux, l'attachement à la fourniture de services d'intérêt général. Autant de valeurs qui nous sont communes et qui figurent d'ailleurs dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union.
Dans la réflexion que nous mènerons entre pays européens, essayons donc plutôt de voir ce qui nous réunit, ce qui nous rassemble. Réfléchissons ensemble à nos expériences, tirons-en le meilleur. Le choix n'est pas entre immobilisme et dumping social ou fiscal, entre initiative et solidarité, entre protection et audace. Il n'est pas davantage entre libéralisation et harmonisation. Ne nous laissons donc pas entraîner dans une pseudo-querelle entre les anciens et les modernes. Ce n'est pas cela mon but. En réalité, nous poursuivons les mêmes objectifs.
Comment arriver à mieux les atteindre ? Cette remarque préliminaire étant faite, je reviens à la question de fond, comment pouvons-nous agir pour être plus efficaces tout en restant fidèles à nos valeurs ?
La responsabilité première de la politique économique et sociale c'est celle des Etats.
Chacun sait la nécessité d'avoir une économie moderne adaptée aux impératifs de la mondialisation, qui est une chance pour la croissance économique mais également une compétition.
Plusieurs Etats européens enregistrent des résultats remarquables sur le plan économique et social. J'étais à Copenhague il y a une semaine pour mieux comprendre le système danois, qui sait concilier compétitivité et justice sociale avec une adaptabilité remarquable, et un taux de chômage proche de 5 %. Je m'étais auparavant rendue en Irlande dans le même esprit.
Ces expériences doivent être une source de réflexion, voire d'inspiration, si nous le pouvons, même s'il est exclu de les transposer telles quelles. La diversité des solutions trouvées par nos pays face à ces enjeux est une chance pour l'Europe et nous pouvons beaucoup apprendre les uns des autres. Aucun pays, en effet, ne détient seul la réponse. J'en suis convaincue. Il ne s'agit pas d'un débat modèle contre modèle que nous devons avoir, mais d'une réflexion à mener en commun.
En tant que nouvel Etat membre, la Slovaquie qui a un regard neuf sur l'Europe, sur ce qu'elle fait et sur la manière dont elle a fait les choses peut nous aider aussi. Alors, faites partager votre propre approche de ces questions à l'ensemble des Etats membres ! C'est tous ensemble que nous parviendrons à essayer de dégager une solution.
Pour sa part, la France a engagé des réformes importantes, elle fait sa part du travail, elle dynamise et modernise son économie tout en préservant le lien social, et cherche à promouvoir ce que le Premier ministre a lui-même récemment appelé la "croissance sociale", c'est-à-dire plus de croissance mais au service de la justice sociale.
Depuis trois ans, cinq domaines ont été concernés par ces réformes en France : les retraites, afin de faire vivre les principes de solidarité entre les générations, la santé, afin d'assurer le financement d'un système juste et efficace, le marché du travail, pour encourager la création d'emplois et favoriser la reprise d'activité. Des premiers signes encourageants sont là, avec une légère baisse du chômage depuis maintenant cinq mois consécutifs. Autre domaine, la fiscalité et les investissements, pour favoriser là aussi la relance de l'économie. Et, enfin, la recherche et l'innovation, domaines sur lesquels je m'attarderai un peu plus longtemps. La France veut encourager les grands projets industriels et les partenariats public-privé, et promouvoir grâce à la nouvelle Agence de l'innovation industrielle les programmes de recherche et développement à moyen et long termes. Elle met également en place des pôles de compétitivité sur tout son territoire, pour réunir en un même lieu des compétences aujourd'hui dispersées.
Cette initiative sera ouverte à nos partenaires européens. Le président de la République a également proposé la création d'une "Agence européenne de l'innovation" à laquelle la France est prête à apporter sa propre agence et ses financements.
Vous le voyez, notre pays est déterminé à relever les défis de la mondialisation grâce à une économie ouverte, dynamique et tournée vers l'avenir. Je suis donc aussi venue vous dire que la France change, qu'elle se transforme, qu'elle se modernise.
Nous ne serons pleinement efficaces qu'en inscrivant nos actions dans le cadre européen.
C'est le deuxième point de la réflexion que je veux vous soumettre avant nos échanges.
Seule l'Union, en effet, à l'heure de la mondialisation, peut aider nos concitoyens à tirer tous les bénéfices de cette dernière et les protéger des effets négatifs. L'Europe nous offre le cadre d'action pertinent pour concilier davantage le dynamisme économique et une ambition sociale forte, et renforcer ainsi l'action menée par ses membres.
En premier lieu, l'Union doit prendre toute sa place pour favoriser la croissance et l'emploi au service de la cohésion sociale. C'est le cur même de la stratégie de Lisbonne, qui constitue notre cadre commun d'action. Nous sommes encore loin de l'objectif visant à faire de l'Union européenne, à l'horizon 2010, la zone la plus compétitive au monde. C'est entendu, nous avons fait des progrès depuis ce temps, il ne nous reste que cinq ans pour atteindre cet objectif. Certes, nous devons chacun décliner cette stratégie dans les programmes nationaux d'ensemble. Nous devons en parallèle davantage promouvoir l'économie européenne en utilisant les outils que nous avons su créer et qui sont à notre disposition, par exemple l'euro. Alors nous ne sommes pas tous entrés dans l'euro, mais réfléchissons aux outils que nous avons.
Avec l'euro, nous avons réussi à nous doter d'une monnaie mondiale et stable, qui protège les membres de la zone euro des chocs extérieurs et des dévaluations compétitives. Mais nous pouvons mieux l'utiliser. La France plaide, depuis longtemps, en faveur de la mise en place d'une meilleure coordination des politiques économiques à 25, mais également en la renforçant dans les pays de l'eurozone. Il faut également développer un dialogue plus exigeant entre l'Eurogroupe et la Banque centrale européenne dans le respect de sa pleine indépendance, mais le président de la République l'a dit encore récemment, développons ce dialogue qui existe et étendons-le, non seulement aux sujets traditionnels qui touchent à la politique des changes, mais aussi aux moyens de dynamiser la croissance et l'emploi. L'harmonisation fiscale est un autre chantier qu'il faudra poursuivre si nous voulons que nos pays se rapprochent et que nos économies aillent dans le même sens, ce qui apportera à tous un surcroît d'efficacité.
Nous devons renforcer à l'échelle de l'Europe nos efforts collectifs en matière de recherche et d'innovation, si nous le faisons au plan national, nous devons le faire également à l'échelon européen, sans oublier la politique industrielle et de grands réseaux. La Commission européenne y revient, c'était une demande que nous faisions, c'était une nécessité. La conquête des emplois de demain passe aussi, bien sûr, par une action plus volontariste de l'Union dans ce domaine.
Ensemble nous avons réussi à mettre en place une industrie aéronautique, avec Airbus, ainsi qu'un lanceur de satellite, avec Ariane. C'est également ensemble que nous sommes à la pointe de la technologie en matière d'énergie du futur, avec le programme ITER. Tous ces succès européens doivent nous permettre d'aller plus loin, de mettre en oeuvre une véritable stratégie économique et industrielle axée sur les secteurs économiques les plus innovants et les plus compétitifs pour faire émerger les grands champions européens de demain, ceux qui, à l'échelle mondiale, seront aptes à la compétition internationale.
Pour la recherche et le développement, il faut développer le budget européen, en complément des budgets nationaux qui doivent, eux-mêmes, être accrus, comme nous le faisons dans notre pays. La proposition de budget pour 2007-2013 faite par le Luxembourg et acceptée par nos deux pays, comme 18 autres pays - nous étions 20 sur 25 à l'accepter -, permettait de faire le premier pas important en prévoyant 33 % de plus pour la recherche et l'innovation. 33 % de plus dans un budget, c'est un sacré saut ! Nous verrons si cela peut être repris et nous souhaitons que la base de négociation reste cette proposition faite par le Luxembourg puisque c'était une bonne proposition.
Par ailleurs, je pense qu'il nous faut réfléchir à la possibilité de trouver des ressources complémentaires destinées à ces mêmes actions de recherche, d'innovation et de développement, par exemple par le moyen d'un emprunt de la Banque européenne d'investissement. La présidence luxembourgeoise proposait, à hauteur de 10 milliards d'euros, d'utiliser une facilité de la BEI. Alors, il faut que la présidence suivante reprenne cette idée et que l'on puisse même faire davantage en augmentant cette somme.
En deuxième lieu, dans le contexte de la mondialisation, l'Union européenne doit continuer d'affirmer une ambition sociale forte. Y renoncer serait renoncer à l'idée même d'Europe politique.
Cela requiert d'être d'abord vigilants dans l'élaboration des normes nouvelles que nous nous donnons entre Européens. Le projet européen repose sur une exigence d'harmonisation car l'Europe, ce n'est pas la course au moins-disant fiscal ou social. C'est pourquoi la France accorde, par exemple, une grande importance aux négociations relatives à la proposition de directive sur le temps de travail ou à celle sur les services.
Le premier de ces textes doit permettre de fixer des règles minimales pour mieux protéger les salariés des pays qui ne disposent pas, aujourd'hui, d'une telle législation. Le second doit permettre de développer le marché des services, qui sont un moteur important de la croissance et une source de création d'emplois, sans entraîner d'alignement vers le bas sur le droit le moins protecteur. Ceci, nous ne pourrions l'accepter. Nous attendons donc de la Commission qu'elle tienne compte de l'avis que donnera le Parlement européen et qu'elle procède à une remise à plat de ce texte, comme l'a demandé à l'unanimité le Conseil européen au mois de mars dernier.
La politique de cohésion doit aussi jouer pleinement son rôle, favoriser la convergence économique entre les anciens et les nouveaux Etats membres et permettre ainsi à ces derniers de connaître un développement dont toute l'Union bénéficiera. Le coeur du projet européen, c'est aussi une exigence de solidarité entre les uns et les autres, et nous y tenons. Mais pour cela, il faut une aide financière. Nous avons ainsi regretté l'échec des négociations sur le budget européen et souhaitons un accord le plus vite possible, si possible d'ici la fin de l'année et sur la base des propositions de la Présidence luxembourgeoise. Elles répondaient aux besoins de l'Union élargie aussi bien pour permettre le financement des politiques communes que pour développer des politiques nouvelles et pour financer l'élargissement à 25.
Cette ambition sociale forte, nous devons aussi la porter au-delà de nos frontières. Etudions dans ce cadre les idées qui ont été mises sur la table pour que l'Europe reste fidèle à ses valeurs sociales dans la mondialisation. Je pense par exemple à la promotion des normes sociales -comme des normes environnementales- dans les relations commerciales à l'extérieur de l'Union. L'Union européenne doit être ferme, en refusant, par exemple, que l'inadmissible travail des enfants donne des avantages compétitifs à certains pays et en appliquant davantage, si nécessaire, les clauses anti-dumping et les clauses de sauvegarde. Sur toutes ces questions, l'Europe doit être en initiative et faire entendre sa voix.
Mesdames et Messieurs,
Au cours de son histoire l'Europe s'est souvent montrée inventive dans la plupart des domaines y compris dans les domaines de la vie sociale. Je suis confiante dans sa capacité à apporter des réponses aux défis de la mondialisation, à contribuer à l'humaniser tout en en tirant le meilleur, à montrer que dynamisme économique et ambition sociale vont de pair.
Un grand écrivain français du XVIIIe siècle, Beaumarchais, écrivait ceci : "la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre". Je souhaite que cette pensée nous inspire aujourd'hui mais aussi dans les mois et les années qui viennent.
Je vous remercie.
Q - (Sur la perspective de levée par la France des restrictions à la libre-circulation des travailleurs)
R - Merci de votre question, Monsieur. Je crains que vous soyez plus applaudi dans votre question que moi dans ma réponse. Mais on va voir, on va essayer quand même de vous expliquer les choses.
D'abord les échanges, parce que votre question porte d'abord sur l'accroissement des échanges. Les échanges progressent beaucoup. Vous savez bien que les exportations françaises dans vos pays ont progressé, mais cela ne marche pas que dans un sens, et heureusement, parce que sinon, cela n'irait pas tout à fait bien.
Les exportations de vos pays dans les pays plus anciennement membres de l'Union européenne ont également beaucoup progressé. Et, en effet, c'est comme cela qu'il faut faire pour que nous nous rapprochions, pour que nos sociétés se rapprochent, non seulement pour que nos économies se développent, mais aussi pour que nous nous comprenions mieux.
Le véritable fondement de la construction européenne, encore et toujours, c'est un idéal politique, c'est regarder comment nous pouvons en commun dégager un certain nombre de pistes et puis nous apercevoir, tout simplement, que nous nous en sortons mieux ensemble que chacun dans son coin. C'est la paix et la démocratie qui sont la clef de tout. Tout autant que la prospérité économique et sociale, mais qui est présente aussi puisque personne ne peut dire que nos pays n'ont pas profité de la construction européenne.
Alors, vous évoquez ensuite un point plus spécifique, sur lequel je constate que l'on nous pose des questions assez régulièrement quand nous nous déplaçons vers vous - c'est-à-dire quand nous nous déplaçons chez nos nouveaux partenaires au sein de l'Union européenne. C'est normal et nous comprenons tout à fait vos préoccupations. Mais là, il ne s'agit pas d'obstacles, il s'agit d'un calendrier et ce n'est pas la même chose. Un calendrier qui a été prévu, négocié, agréé dans le cadre des traités d'adhésion et ce calendrier prévoit que, dans le domaine de la liberté de circulation des travailleurs qui est un objectif qui sera réalisé qui est au cur même du projet européen - la liberté des échanges entre les uns et les autres - dans la direction de cet objectif prioritaire, il y aura un échéancier.
Nous avons, nous, Français, mais aussi la plupart de nos autres pays partenaires, 12 pays sur 15 dans l'Europe des Quinze, fait application des dispositions prévues dans le traité pour faire avancer les choses dans le bon ordre et nous assurer que nous nous rapprochons progressivement sur le marché du travail, progressivement mais pas trop vite. Pourquoi ? Parce qu'il faut que cela se fasse dans la compréhension du rapprochement auquel nous sommes attachés, comme vous, par les uns et par les autres.
Il y a, évidemment, et c'est ce que vous aviez évoqué, la situation du marché du travail chez nous. Mais, aussi, chez la plupart des autres et encore une fois, nous sommes 12 à avoir appliqué ce calendrier : la première étape va de 2004 à 2006 et, en effet, dans les mois qui viennent en amont de cette échéance du 1er mai 2006, nous serons appelés à prendre une décision sur ce que pourra être l'étape suivante.
Il y a en France, comme dans les autres pays, des réflexions internes pour regarder comment nous pouvons progresser en prenant en compte à la fois vos demandes mais aussi nos nécessités et en essayant peut être de continuer cette approche pas à pas. Cela est sans doute la meilleure façon pour que les choses se passent bien.
Je crois que nous atteindrons notre objectif commun d'autant mieux qu'il est compris de part et d'autre. Or il se trouve que, dans nos sociétés, et pas seulement en raison de l'état du marché du travail qui n'est pas aussi bon que nous le voudrions, il y a aussi une sensibilité et, parfois, des incompréhensions dont nous sommes en partie responsables. Je ne le cache pas à l'égard de la réunification européenne, à l'égard de l'élargissement à 25.
Et donc, tant que nous n'avons pas fait en sorte que nos citoyens comprennent bien ce qui est fait, non seulement le comprennent mais y adhèrent, il ne serait pas raisonnable de bousculer les choses. Justement parce que nous voulons réussir ensemble. Je ne vous demande ni patience, ni compréhension particulière mais simplement de voir le raisonnement partagé et par nos partenaires et par les 15 pays qui a été à la base de ces négociations, c'est-à-dire le souci de réussir ensemble.
Je suis convaincue que nous y arriverons. Il ne faut pas se tromper, là comme ailleurs, mais regarder quelles étaient les priorités et essayer de trouver quel est le défi le plus important auquel il faut répondre avant de s'occuper des autres. Faisons les choses dans le bon ordre et c'est comme cela que l'on réussira.
Q - (A propos de l'ouverture du marché du travail)
R - Cela va tout à fait dans le sens de ce que je disais tout à l'heure c'est-à-dire que c'est certainement en continuant à appliquer cette démarche progressive que nous arriverons encore une fois à atteindre l'objectif. Nous songeons à progresser secteur par secteur, avec un certain nombre d'accords particuliers, dans un certain nombre de domaines particuliers. Nous sommes d'ailleurs en train d'y réfléchir avec plusieurs de nos nouveaux partenaires des 10 nouveaux Etats membres et, en particulier, dans tous les nouveaux domaines de coopération.
Il sera plus facile d'échanger non seulement les biens et les services et en l'occurrence les idées et les idées innovantes mais aussi les personnes ! Mais je le redis et je sais bien que vous auriez aimé entendre un langage beaucoup plus facile, positif, d'ouverture, mais nous sommes là pour vous dire aussi les choses comme elles sont : nous parlons de la réalité et pas de choses que nous pourrions envisager dans l'idéal en ne regardant chacun que devant sa porte. C'est par une démarche progressive que nous arriverons à atteindre l'objectif et nous voulons atteindre cet objectif.
Q - Madame la Ministre, je suis un Français, un chef d'entreprise dans ce pays et je voulais juste apporter un petit témoignage. Le témoignage c'est que je travaille ici depuis 4 ans, je suis également père de famille avec des enfants, un garçon et une fille qui ont l'âge des étudiants dans cette salle. Mon témoignage est le suivant : je pense qu'au-delà de tous les aspects réglementaires que vous avez évoqués, toutes ces barrières qui ont été évoquées également par les étudiants, il y a une formidable raison d'être optimiste pour l'avenir dans cette zone d'Europe centrale : c'est cette jeunesse que vous avez autour de vous. J'ai deux enfants, je viens de le dire, j'ai trouvé ici une jeunesse qui est bien formée, qui parle 3, 4, 5 langues couramment et vous en avez eu des exemples tout à l'heure, et qui a surtout un dynamisme et une volonté d'améliorer ses conditions qui est sans commune mesure avec ce que je vois en France et ce que je vois dans ma propre famille. Donc, je pense que vous avez tout pour réussir et je l'ai constaté depuis 4 ans et c'est le constat que font tous les Français qui travaillent dans ce pays. Bravo, allez-y !
R - Merci de votre témoignage Monsieur ; comme je suis convaincue de la même chose et que c'est en partie pour cela que nous sommes ici, je vous remercie de l'avoir dit.
De plus, je fais partie de celles et ceux qui pensent et qui disent que la réunification de l'Europe est une bonne chose, et je fais partie de celles et de ceux qui pensent qu'il est regrettable que nous ne l'ayons pas suffisamment dit dans nos pays et, en particulier, en France. Et croyez bien que partout où je me déplace dans nos régions comme à l'étranger je dis que nous bénéficions de l'élargissement, non seulement tous ensemble Européens pour servir le projet européen, mais aussi dans notre pays s'il faut avoir une approche franco-française que je n'aime pas avoir.
La France bénéficie de l'élargissement. Nos investissements ont crû dans une proportion incroyable et il y encore une marge de progression comme nous ne cessons de le dire. Nos exportations ont quadruplé en dix ans et il faut qu'on réalise ce que cela représente en termes d'activité supplémentaire et donc d'emplois.
Mais on dit aux Français que l'élargissement à 25 cela représentait, peut-être, quand on le cherche à la loupe, quelques plombiers polonais pour faire écho à une polémique malheureuse ; mais cela représente surtout des dizaines de milliers d'emplois gagnés pour la France ! Ce qui est terrible, c'est que les Français ne le savent pas. Je le dis, je le redis, je le répète et je le répèterai : oui l'élargissement est une bonne chose pour toutes les raisons du monde. Les raisons que rappelait Philippe Douste-Blazy : c'était un devoir historique, c'est une chance pour l'Europe car nous faisons la réunification du continent européen - je préfère ce terme à celui d'élargissement. On ne peut pas avoir regretté pendant 40 ans la division en deux de l'Europe, avoir voulu voir tomber le mur de Berlin et regretter que ces pays veuillent nous rejoindre ! Nous en bénéficions économiquement et politiquement. Si on ne l'a pas suffisamment dit, eh bien on va commencer à le dire !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 2005)
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de m'exprimer devant vous, mais avant tout je voudrais vous remercier de votre présence.
M. Philippe Douste-Blazy est, en ce moment même, avec le président du Parlement et nous rejoindra dans un instant. Vous m'avez invitée à vous parler d'un sujet important, Monsieur le Recteur, la modernisation économique et sociale des pays européens : c'est un sujet d'actualité pour l'Europe et un sujet d'actualité dans chacun de nos pays.
L'Europe, une fois de plus, est à un moment crucial de son histoire, elle qui a déjà tant fait, qui nous a apporté la paix, la stabilité, la prospérité. Elle, qui a consolidé la démocratie dans l'ensemble de notre continent, qui incarne nos valeurs, notre culture, notre identité, doute aujourd'hui d'elle-même. Réfléchissons un instant : quel paradoxe que cette situation ! Cette Europe n'a pas dans l'histoire de précédent, cette Europe qui a tant de succès à son actif comme en témoigne, par exemple, la réussite de l'euro, comme en témoigne aussi la réussite de l'élargissement à vingt-cinq l'an dernier, qui a pu poursuivre son intégration, qui est un modèle attractif aux yeux de beaucoup d'autres pays, elle hésiterait sur son avenir ?
Faut-il s'arrêter là, constater cette difficulté, avoir la nostalgie d'un âge d'or qui n'existerait plus et que l'on regretterait ? Eh bien moi je vous le dis, non certainement pas !
Telle ne doit pas être notre attitude et telle n'est pas, je vous le dis clairement et fermement, l'attitude de la France. La force du projet européen s'est toujours nourrie de la capacité d'hommes et de femmes à être ambitieux, enthousiastes et résolus. Alors continuons à nous inspirer de leur exemple.
S'il est vrai que l'Europe traverse, aujourd'hui, des moments difficiles aussi bien sur le plan institutionnel que sur le plan budgétaire, par exemple, c'est le moment d'être déterminés. Et pour moi, la réponse au doute, c'est l'action.
Dans le contexte actuel, ce dont les citoyens européens ont besoin, c'est d'une Europe concrète qui les aide, qui réponde à leurs attentes et à leurs préoccupations. Ce doit donc être une Europe de projets et de politiques qui marchent, mais dans le cadre d'une ambition politique qui est la nôtre et que nous n'abandonnons pas. Pour être efficaces dans la recherche de cette Europe, il convient d'abord de ne pas se tromper d'enjeux. Nous devons identifier les vrais défis. Et il en est un qui est essentiel aujourd'hui, l'un des plus difficiles à relever pour l'Europe, celui de la modernisation économique et sociale, thème qui nous réunit cet après-midi.
Et si je suis heureuse que nous puissions nous entretenir de cette question, ce n'est pas seulement parce que nous nous trouvons dans une université d'économie où ce thème est adapté. C'est bien plutôt parce qu'aujourd'hui toutes nos sociétés sont confrontées à ce même défi : comment concilier le dynamisme économique qui est nécessaire à la croissance et donc à l'emploi avec une ambition sociale forte ? Comment l'Europe peut-elle nous apporter un surcroît de croissance tout en restant fidèle aux valeurs auxquelles ses peuples sont attachés ? Pour résumer, comment saura-t-elle se réformer sans se renier ?
Vous savez combien cette question a eu une acuité particulière, en France, lors de la campagne référendaire sur le traité constitutionnel. Mais les inquiétudes et les attentes qui se sont exprimées dans la société française révèlent un courant de fond dont on a bien vu qu'il traversait, à des degrés divers, c'est vrai, tous les pays européens. Les besoins de réformes et le rythme de celles-ci se situent au cur du débat politique en Europe et au centre des préoccupations des peuples.
Beaucoup des débats actuels gravitent autour de ces thèmes. C'est vrai de la proposition de directive sur les services, du sujet des délocalisations ou des perspectives financières sur lesquelles nous n'avons pu nous accorder au moment du Conseil européen du mois de juin. L'enjeu de la conciliation de l'économique et du social est au coeur de la stratégie européenne de croissance, celle qui a été décidée à Lisbonne, qui est notre cadre et qui vise à la fois la croissance, l'emploi, le dynamisme économique et le renforcement de la cohésion sociale, dans une approche équilibrée à laquelle nous tenons. Ce sujet sera aussi, à la fin de ce mois, l'un des sujets du Conseil européen informel de Londres. Ces sujets sont donc durablement inscrits dans le débat politique européen.
Dans cette perspective je voudrais vous faire part d'une première remarque : il ne s'agit pas pour les Européens de devoir choisir entre l'économique et le social, mais au contraire de savoir comment mieux les concilier.
L'efficacité économique est nécessaire, tout comme l'est la dimension sociale. Et un bon système social est un facteur de richesse et de croissance. Qui peut penser par exemple qu'une formation professionnelle performante ou une politique exigeante en matière de santé des salariés ne constitue pas un élément au service de l'attractivité et de la compétitivité de nos pays ?
Nous savons tous que nos pays sont différents, que chaque Etat membre a son propre système de sécurité sociale et de droit du travail, en fonction de son histoire, de sa culture et de ses traditions. Mais, au-delà de ces différences, nous partageons de nombreuses valeurs communes, qui nous rassemblent et qui souvent sont des valeurs nées sur ce continent européen : la lutte contre toute forme de discrimination, et notamment l'égalité de traitement entre les sexes, la protection sociale, la solidarité entre les générations, le rôle des partenaires sociaux, l'attachement à la fourniture de services d'intérêt général. Autant de valeurs qui nous sont communes et qui figurent d'ailleurs dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union.
Dans la réflexion que nous mènerons entre pays européens, essayons donc plutôt de voir ce qui nous réunit, ce qui nous rassemble. Réfléchissons ensemble à nos expériences, tirons-en le meilleur. Le choix n'est pas entre immobilisme et dumping social ou fiscal, entre initiative et solidarité, entre protection et audace. Il n'est pas davantage entre libéralisation et harmonisation. Ne nous laissons donc pas entraîner dans une pseudo-querelle entre les anciens et les modernes. Ce n'est pas cela mon but. En réalité, nous poursuivons les mêmes objectifs.
Comment arriver à mieux les atteindre ? Cette remarque préliminaire étant faite, je reviens à la question de fond, comment pouvons-nous agir pour être plus efficaces tout en restant fidèles à nos valeurs ?
La responsabilité première de la politique économique et sociale c'est celle des Etats.
Chacun sait la nécessité d'avoir une économie moderne adaptée aux impératifs de la mondialisation, qui est une chance pour la croissance économique mais également une compétition.
Plusieurs Etats européens enregistrent des résultats remarquables sur le plan économique et social. J'étais à Copenhague il y a une semaine pour mieux comprendre le système danois, qui sait concilier compétitivité et justice sociale avec une adaptabilité remarquable, et un taux de chômage proche de 5 %. Je m'étais auparavant rendue en Irlande dans le même esprit.
Ces expériences doivent être une source de réflexion, voire d'inspiration, si nous le pouvons, même s'il est exclu de les transposer telles quelles. La diversité des solutions trouvées par nos pays face à ces enjeux est une chance pour l'Europe et nous pouvons beaucoup apprendre les uns des autres. Aucun pays, en effet, ne détient seul la réponse. J'en suis convaincue. Il ne s'agit pas d'un débat modèle contre modèle que nous devons avoir, mais d'une réflexion à mener en commun.
En tant que nouvel Etat membre, la Slovaquie qui a un regard neuf sur l'Europe, sur ce qu'elle fait et sur la manière dont elle a fait les choses peut nous aider aussi. Alors, faites partager votre propre approche de ces questions à l'ensemble des Etats membres ! C'est tous ensemble que nous parviendrons à essayer de dégager une solution.
Pour sa part, la France a engagé des réformes importantes, elle fait sa part du travail, elle dynamise et modernise son économie tout en préservant le lien social, et cherche à promouvoir ce que le Premier ministre a lui-même récemment appelé la "croissance sociale", c'est-à-dire plus de croissance mais au service de la justice sociale.
Depuis trois ans, cinq domaines ont été concernés par ces réformes en France : les retraites, afin de faire vivre les principes de solidarité entre les générations, la santé, afin d'assurer le financement d'un système juste et efficace, le marché du travail, pour encourager la création d'emplois et favoriser la reprise d'activité. Des premiers signes encourageants sont là, avec une légère baisse du chômage depuis maintenant cinq mois consécutifs. Autre domaine, la fiscalité et les investissements, pour favoriser là aussi la relance de l'économie. Et, enfin, la recherche et l'innovation, domaines sur lesquels je m'attarderai un peu plus longtemps. La France veut encourager les grands projets industriels et les partenariats public-privé, et promouvoir grâce à la nouvelle Agence de l'innovation industrielle les programmes de recherche et développement à moyen et long termes. Elle met également en place des pôles de compétitivité sur tout son territoire, pour réunir en un même lieu des compétences aujourd'hui dispersées.
Cette initiative sera ouverte à nos partenaires européens. Le président de la République a également proposé la création d'une "Agence européenne de l'innovation" à laquelle la France est prête à apporter sa propre agence et ses financements.
Vous le voyez, notre pays est déterminé à relever les défis de la mondialisation grâce à une économie ouverte, dynamique et tournée vers l'avenir. Je suis donc aussi venue vous dire que la France change, qu'elle se transforme, qu'elle se modernise.
Nous ne serons pleinement efficaces qu'en inscrivant nos actions dans le cadre européen.
C'est le deuxième point de la réflexion que je veux vous soumettre avant nos échanges.
Seule l'Union, en effet, à l'heure de la mondialisation, peut aider nos concitoyens à tirer tous les bénéfices de cette dernière et les protéger des effets négatifs. L'Europe nous offre le cadre d'action pertinent pour concilier davantage le dynamisme économique et une ambition sociale forte, et renforcer ainsi l'action menée par ses membres.
En premier lieu, l'Union doit prendre toute sa place pour favoriser la croissance et l'emploi au service de la cohésion sociale. C'est le cur même de la stratégie de Lisbonne, qui constitue notre cadre commun d'action. Nous sommes encore loin de l'objectif visant à faire de l'Union européenne, à l'horizon 2010, la zone la plus compétitive au monde. C'est entendu, nous avons fait des progrès depuis ce temps, il ne nous reste que cinq ans pour atteindre cet objectif. Certes, nous devons chacun décliner cette stratégie dans les programmes nationaux d'ensemble. Nous devons en parallèle davantage promouvoir l'économie européenne en utilisant les outils que nous avons su créer et qui sont à notre disposition, par exemple l'euro. Alors nous ne sommes pas tous entrés dans l'euro, mais réfléchissons aux outils que nous avons.
Avec l'euro, nous avons réussi à nous doter d'une monnaie mondiale et stable, qui protège les membres de la zone euro des chocs extérieurs et des dévaluations compétitives. Mais nous pouvons mieux l'utiliser. La France plaide, depuis longtemps, en faveur de la mise en place d'une meilleure coordination des politiques économiques à 25, mais également en la renforçant dans les pays de l'eurozone. Il faut également développer un dialogue plus exigeant entre l'Eurogroupe et la Banque centrale européenne dans le respect de sa pleine indépendance, mais le président de la République l'a dit encore récemment, développons ce dialogue qui existe et étendons-le, non seulement aux sujets traditionnels qui touchent à la politique des changes, mais aussi aux moyens de dynamiser la croissance et l'emploi. L'harmonisation fiscale est un autre chantier qu'il faudra poursuivre si nous voulons que nos pays se rapprochent et que nos économies aillent dans le même sens, ce qui apportera à tous un surcroît d'efficacité.
Nous devons renforcer à l'échelle de l'Europe nos efforts collectifs en matière de recherche et d'innovation, si nous le faisons au plan national, nous devons le faire également à l'échelon européen, sans oublier la politique industrielle et de grands réseaux. La Commission européenne y revient, c'était une demande que nous faisions, c'était une nécessité. La conquête des emplois de demain passe aussi, bien sûr, par une action plus volontariste de l'Union dans ce domaine.
Ensemble nous avons réussi à mettre en place une industrie aéronautique, avec Airbus, ainsi qu'un lanceur de satellite, avec Ariane. C'est également ensemble que nous sommes à la pointe de la technologie en matière d'énergie du futur, avec le programme ITER. Tous ces succès européens doivent nous permettre d'aller plus loin, de mettre en oeuvre une véritable stratégie économique et industrielle axée sur les secteurs économiques les plus innovants et les plus compétitifs pour faire émerger les grands champions européens de demain, ceux qui, à l'échelle mondiale, seront aptes à la compétition internationale.
Pour la recherche et le développement, il faut développer le budget européen, en complément des budgets nationaux qui doivent, eux-mêmes, être accrus, comme nous le faisons dans notre pays. La proposition de budget pour 2007-2013 faite par le Luxembourg et acceptée par nos deux pays, comme 18 autres pays - nous étions 20 sur 25 à l'accepter -, permettait de faire le premier pas important en prévoyant 33 % de plus pour la recherche et l'innovation. 33 % de plus dans un budget, c'est un sacré saut ! Nous verrons si cela peut être repris et nous souhaitons que la base de négociation reste cette proposition faite par le Luxembourg puisque c'était une bonne proposition.
Par ailleurs, je pense qu'il nous faut réfléchir à la possibilité de trouver des ressources complémentaires destinées à ces mêmes actions de recherche, d'innovation et de développement, par exemple par le moyen d'un emprunt de la Banque européenne d'investissement. La présidence luxembourgeoise proposait, à hauteur de 10 milliards d'euros, d'utiliser une facilité de la BEI. Alors, il faut que la présidence suivante reprenne cette idée et que l'on puisse même faire davantage en augmentant cette somme.
En deuxième lieu, dans le contexte de la mondialisation, l'Union européenne doit continuer d'affirmer une ambition sociale forte. Y renoncer serait renoncer à l'idée même d'Europe politique.
Cela requiert d'être d'abord vigilants dans l'élaboration des normes nouvelles que nous nous donnons entre Européens. Le projet européen repose sur une exigence d'harmonisation car l'Europe, ce n'est pas la course au moins-disant fiscal ou social. C'est pourquoi la France accorde, par exemple, une grande importance aux négociations relatives à la proposition de directive sur le temps de travail ou à celle sur les services.
Le premier de ces textes doit permettre de fixer des règles minimales pour mieux protéger les salariés des pays qui ne disposent pas, aujourd'hui, d'une telle législation. Le second doit permettre de développer le marché des services, qui sont un moteur important de la croissance et une source de création d'emplois, sans entraîner d'alignement vers le bas sur le droit le moins protecteur. Ceci, nous ne pourrions l'accepter. Nous attendons donc de la Commission qu'elle tienne compte de l'avis que donnera le Parlement européen et qu'elle procède à une remise à plat de ce texte, comme l'a demandé à l'unanimité le Conseil européen au mois de mars dernier.
La politique de cohésion doit aussi jouer pleinement son rôle, favoriser la convergence économique entre les anciens et les nouveaux Etats membres et permettre ainsi à ces derniers de connaître un développement dont toute l'Union bénéficiera. Le coeur du projet européen, c'est aussi une exigence de solidarité entre les uns et les autres, et nous y tenons. Mais pour cela, il faut une aide financière. Nous avons ainsi regretté l'échec des négociations sur le budget européen et souhaitons un accord le plus vite possible, si possible d'ici la fin de l'année et sur la base des propositions de la Présidence luxembourgeoise. Elles répondaient aux besoins de l'Union élargie aussi bien pour permettre le financement des politiques communes que pour développer des politiques nouvelles et pour financer l'élargissement à 25.
Cette ambition sociale forte, nous devons aussi la porter au-delà de nos frontières. Etudions dans ce cadre les idées qui ont été mises sur la table pour que l'Europe reste fidèle à ses valeurs sociales dans la mondialisation. Je pense par exemple à la promotion des normes sociales -comme des normes environnementales- dans les relations commerciales à l'extérieur de l'Union. L'Union européenne doit être ferme, en refusant, par exemple, que l'inadmissible travail des enfants donne des avantages compétitifs à certains pays et en appliquant davantage, si nécessaire, les clauses anti-dumping et les clauses de sauvegarde. Sur toutes ces questions, l'Europe doit être en initiative et faire entendre sa voix.
Mesdames et Messieurs,
Au cours de son histoire l'Europe s'est souvent montrée inventive dans la plupart des domaines y compris dans les domaines de la vie sociale. Je suis confiante dans sa capacité à apporter des réponses aux défis de la mondialisation, à contribuer à l'humaniser tout en en tirant le meilleur, à montrer que dynamisme économique et ambition sociale vont de pair.
Un grand écrivain français du XVIIIe siècle, Beaumarchais, écrivait ceci : "la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre". Je souhaite que cette pensée nous inspire aujourd'hui mais aussi dans les mois et les années qui viennent.
Je vous remercie.
Q - (Sur la perspective de levée par la France des restrictions à la libre-circulation des travailleurs)
R - Merci de votre question, Monsieur. Je crains que vous soyez plus applaudi dans votre question que moi dans ma réponse. Mais on va voir, on va essayer quand même de vous expliquer les choses.
D'abord les échanges, parce que votre question porte d'abord sur l'accroissement des échanges. Les échanges progressent beaucoup. Vous savez bien que les exportations françaises dans vos pays ont progressé, mais cela ne marche pas que dans un sens, et heureusement, parce que sinon, cela n'irait pas tout à fait bien.
Les exportations de vos pays dans les pays plus anciennement membres de l'Union européenne ont également beaucoup progressé. Et, en effet, c'est comme cela qu'il faut faire pour que nous nous rapprochions, pour que nos sociétés se rapprochent, non seulement pour que nos économies se développent, mais aussi pour que nous nous comprenions mieux.
Le véritable fondement de la construction européenne, encore et toujours, c'est un idéal politique, c'est regarder comment nous pouvons en commun dégager un certain nombre de pistes et puis nous apercevoir, tout simplement, que nous nous en sortons mieux ensemble que chacun dans son coin. C'est la paix et la démocratie qui sont la clef de tout. Tout autant que la prospérité économique et sociale, mais qui est présente aussi puisque personne ne peut dire que nos pays n'ont pas profité de la construction européenne.
Alors, vous évoquez ensuite un point plus spécifique, sur lequel je constate que l'on nous pose des questions assez régulièrement quand nous nous déplaçons vers vous - c'est-à-dire quand nous nous déplaçons chez nos nouveaux partenaires au sein de l'Union européenne. C'est normal et nous comprenons tout à fait vos préoccupations. Mais là, il ne s'agit pas d'obstacles, il s'agit d'un calendrier et ce n'est pas la même chose. Un calendrier qui a été prévu, négocié, agréé dans le cadre des traités d'adhésion et ce calendrier prévoit que, dans le domaine de la liberté de circulation des travailleurs qui est un objectif qui sera réalisé qui est au cur même du projet européen - la liberté des échanges entre les uns et les autres - dans la direction de cet objectif prioritaire, il y aura un échéancier.
Nous avons, nous, Français, mais aussi la plupart de nos autres pays partenaires, 12 pays sur 15 dans l'Europe des Quinze, fait application des dispositions prévues dans le traité pour faire avancer les choses dans le bon ordre et nous assurer que nous nous rapprochons progressivement sur le marché du travail, progressivement mais pas trop vite. Pourquoi ? Parce qu'il faut que cela se fasse dans la compréhension du rapprochement auquel nous sommes attachés, comme vous, par les uns et par les autres.
Il y a, évidemment, et c'est ce que vous aviez évoqué, la situation du marché du travail chez nous. Mais, aussi, chez la plupart des autres et encore une fois, nous sommes 12 à avoir appliqué ce calendrier : la première étape va de 2004 à 2006 et, en effet, dans les mois qui viennent en amont de cette échéance du 1er mai 2006, nous serons appelés à prendre une décision sur ce que pourra être l'étape suivante.
Il y a en France, comme dans les autres pays, des réflexions internes pour regarder comment nous pouvons progresser en prenant en compte à la fois vos demandes mais aussi nos nécessités et en essayant peut être de continuer cette approche pas à pas. Cela est sans doute la meilleure façon pour que les choses se passent bien.
Je crois que nous atteindrons notre objectif commun d'autant mieux qu'il est compris de part et d'autre. Or il se trouve que, dans nos sociétés, et pas seulement en raison de l'état du marché du travail qui n'est pas aussi bon que nous le voudrions, il y a aussi une sensibilité et, parfois, des incompréhensions dont nous sommes en partie responsables. Je ne le cache pas à l'égard de la réunification européenne, à l'égard de l'élargissement à 25.
Et donc, tant que nous n'avons pas fait en sorte que nos citoyens comprennent bien ce qui est fait, non seulement le comprennent mais y adhèrent, il ne serait pas raisonnable de bousculer les choses. Justement parce que nous voulons réussir ensemble. Je ne vous demande ni patience, ni compréhension particulière mais simplement de voir le raisonnement partagé et par nos partenaires et par les 15 pays qui a été à la base de ces négociations, c'est-à-dire le souci de réussir ensemble.
Je suis convaincue que nous y arriverons. Il ne faut pas se tromper, là comme ailleurs, mais regarder quelles étaient les priorités et essayer de trouver quel est le défi le plus important auquel il faut répondre avant de s'occuper des autres. Faisons les choses dans le bon ordre et c'est comme cela que l'on réussira.
Q - (A propos de l'ouverture du marché du travail)
R - Cela va tout à fait dans le sens de ce que je disais tout à l'heure c'est-à-dire que c'est certainement en continuant à appliquer cette démarche progressive que nous arriverons encore une fois à atteindre l'objectif. Nous songeons à progresser secteur par secteur, avec un certain nombre d'accords particuliers, dans un certain nombre de domaines particuliers. Nous sommes d'ailleurs en train d'y réfléchir avec plusieurs de nos nouveaux partenaires des 10 nouveaux Etats membres et, en particulier, dans tous les nouveaux domaines de coopération.
Il sera plus facile d'échanger non seulement les biens et les services et en l'occurrence les idées et les idées innovantes mais aussi les personnes ! Mais je le redis et je sais bien que vous auriez aimé entendre un langage beaucoup plus facile, positif, d'ouverture, mais nous sommes là pour vous dire aussi les choses comme elles sont : nous parlons de la réalité et pas de choses que nous pourrions envisager dans l'idéal en ne regardant chacun que devant sa porte. C'est par une démarche progressive que nous arriverons à atteindre l'objectif et nous voulons atteindre cet objectif.
Q - Madame la Ministre, je suis un Français, un chef d'entreprise dans ce pays et je voulais juste apporter un petit témoignage. Le témoignage c'est que je travaille ici depuis 4 ans, je suis également père de famille avec des enfants, un garçon et une fille qui ont l'âge des étudiants dans cette salle. Mon témoignage est le suivant : je pense qu'au-delà de tous les aspects réglementaires que vous avez évoqués, toutes ces barrières qui ont été évoquées également par les étudiants, il y a une formidable raison d'être optimiste pour l'avenir dans cette zone d'Europe centrale : c'est cette jeunesse que vous avez autour de vous. J'ai deux enfants, je viens de le dire, j'ai trouvé ici une jeunesse qui est bien formée, qui parle 3, 4, 5 langues couramment et vous en avez eu des exemples tout à l'heure, et qui a surtout un dynamisme et une volonté d'améliorer ses conditions qui est sans commune mesure avec ce que je vois en France et ce que je vois dans ma propre famille. Donc, je pense que vous avez tout pour réussir et je l'ai constaté depuis 4 ans et c'est le constat que font tous les Français qui travaillent dans ce pays. Bravo, allez-y !
R - Merci de votre témoignage Monsieur ; comme je suis convaincue de la même chose et que c'est en partie pour cela que nous sommes ici, je vous remercie de l'avoir dit.
De plus, je fais partie de celles et ceux qui pensent et qui disent que la réunification de l'Europe est une bonne chose, et je fais partie de celles et de ceux qui pensent qu'il est regrettable que nous ne l'ayons pas suffisamment dit dans nos pays et, en particulier, en France. Et croyez bien que partout où je me déplace dans nos régions comme à l'étranger je dis que nous bénéficions de l'élargissement, non seulement tous ensemble Européens pour servir le projet européen, mais aussi dans notre pays s'il faut avoir une approche franco-française que je n'aime pas avoir.
La France bénéficie de l'élargissement. Nos investissements ont crû dans une proportion incroyable et il y encore une marge de progression comme nous ne cessons de le dire. Nos exportations ont quadruplé en dix ans et il faut qu'on réalise ce que cela représente en termes d'activité supplémentaire et donc d'emplois.
Mais on dit aux Français que l'élargissement à 25 cela représentait, peut-être, quand on le cherche à la loupe, quelques plombiers polonais pour faire écho à une polémique malheureuse ; mais cela représente surtout des dizaines de milliers d'emplois gagnés pour la France ! Ce qui est terrible, c'est que les Français ne le savent pas. Je le dis, je le redis, je le répète et je le répèterai : oui l'élargissement est une bonne chose pour toutes les raisons du monde. Les raisons que rappelait Philippe Douste-Blazy : c'était un devoir historique, c'est une chance pour l'Europe car nous faisons la réunification du continent européen - je préfère ce terme à celui d'élargissement. On ne peut pas avoir regretté pendant 40 ans la division en deux de l'Europe, avoir voulu voir tomber le mur de Berlin et regretter que ces pays veuillent nous rejoindre ! Nous en bénéficions économiquement et politiquement. Si on ne l'a pas suffisamment dit, eh bien on va commencer à le dire !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 2005)