Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur la production d'oeuvres audiovisuelles, Sénat le 30 juin 2005.

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Circonstance : Journée de la fiction au Sénat le 30 juin 2005

Texte intégral

Monsieur le Président Directeur Général de Public Sénat, Cher Jean-Pierre Elkabbach
Monsieur le Président de l'Association pour la Promotion de la Production Audiovisuelle, Cher Jean-François Boyer,
Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Je suis très heureux de conclure cette deuxième journée de la fiction, un an après avoir inauguré avec vous, à Versailles, votre premier rendez-vous, qui a rencontré un réel succès et s'est désormais installé dans la grille des réflexions collectives sur notre paysage audiovisuel.
Un paysage qui traverse une phase de mutation intense et profonde, sous l'effet conjugué de plusieurs phénomènes. En premier lieu, l'enrichissement des canaux de diffusion, dû à l'arrivée de la TNT, le 31 mars dernier. Et je me réjouis que, grâce à Public Sénat, cette journée soit diffusée sur la TNT. Il est d'ailleurs très intéressant d'observer, Monsieur le Président, cher Jean-Pierre Elkabbach, que cette chaîne parlementaire, chaîne civique, chaîne de réflexion par excellence, qui partage son antenne entre l'information, l'actualité et le documentaire, l'ouvre à notre réflexion sur la fiction. C'est non seulement légitime, mais aussi révélateur et nécessaire, dans une société où nos concitoyens passent un temps croissant devant la télévision, et en particulier devant les programmes de fiction. Ceux-ci rythment leur vie quotidienne, par des rendez-vous familiers, mais aussi par des rencontres nouvelles et des découvertes, en sollicitant, non seulement leur émotion, mais aussi leur regard sur le monde et leur réflexion sur la société, ou sur des questions qu'ils se posent dans leur vie. La transformation du paysage audiovisuel français, amorcée avec l'arrivée de la TNT, va se poursuivre avec l'amélioration de la qualité technique des programmes et le développement à venir de la haute définition ; mais aussi, la multiplicité des modes de diffusion ; la montée en charge de l'ADSL et de la télévision sur mobile ; et enfin, la professionnalisation des chaînes locales.
Je souhaite que cette mutation ait un impact positif sur les programmes, sur leur enrichissement et sur leur diversité. Et je tiens à ce que les pouvoirs publics continuent à veiller, face à ces développements nouveaux, aux exigences de qualité et de respect du public qui s'imposent, en raison de la place croissante de cette offre accrue dans la vie de nos concitoyens. Je rappelle que ce sont d'abord les programmes, les contenus, qui fédèrent l'adhésion et les choix du public. L'histoire de la télévision nous le montre.
La fiction, comme je vous l'ai dit à Versailles, l'an dernier, est vraiment le programme phare de la télévision, plébiscité par les Français, qui placent régulièrement, depuis plusieurs années, plus de 50 % de fictions en tête des meilleures audiences. Ces programmes sont aussi, je le sais, plus onéreux que d'autres, ce qui explique leurs difficultés à essaimer en dehors des heures de grande écoute, en raison des coûts de fabrication et des difficultés de rediffusion.
Au terme de cette journée de réflexions et de propositions, je tiens à revenir sur l'évolution des conditions de production de la fiction depuis un an, avant de vous proposer de reprendre avec vous des pistes de réflexion pour l'avenir. Je suis très conscient, vous le savez, de vos préoccupations et de vos attentes, et j'examinerai avec attention les propositions précises que vous avez formulées aujourd'hui.
Comme vous, je pense que la production est d'abord le fruit de la passion, de la création, du travail, de l'audace et du risque des hommes et des femmes qui la font. Et en particulier de celles et de ceux qui conçoivent, écrivent, ces histoires, ces récits, ces oeuvres, qui constituent, il faut en avoir conscience, la principale voie d'accès, pour la plupart de nos contemporains, à l'imaginaire, au rêve, au symbolique.
C'est pourquoi, avant d'aborder l'économie de la production, je tiens à évoquer un problème essentiel à mes yeux : la formation de nos auteurs, de nos scénaristes. Elle requiert des connaissances et des compétences très variées. Je tiens à rendre hommage au travail accompli par le Conservatoire européen d'écriture audiovisuelle (CEEA) qui est financé et soutenu, je le rappelle, par l'ensemble des professionnels de l'audiovisuel.
Ce Conservatoire, qui aura dix ans l'an prochain, vient d'engager une procédure de certification professionnelle, qui lui permettra de délivrer des diplômes reconnus par l'Etat. Je soutiens entièrement cette démarche.
Vous le savez, ma préoccupation première, dès ma prise de fonction, a été d'améliorer les conditions de financement et de tournage des oeuvres de fiction. Nous pouvons nous féliciter, collectivement, que les premiers effets des mesures que j'ai décidées se traduisent par l'accroissement du volume de production, bien sûr - j'y reviendrai dans un instant - mais aussi, et vous savez que j'y tiens beaucoup, par la relocalisation des tournages et des emplois en France. Car dès l'annonce de ces mesures, vous avez anticipé ce mouvement de relocalisation qui se dessine aujourd'hui. En effet, la durée des tournages à l'étranger diminue presque de moitié en 2004 (973 jours de tournage à l'étranger, contre 1816 jours en 2003).
La première de ces mesures, c'est l'extension du crédit d'impôt à l'audiovisuel, que je vous avais annoncée, l'an dernier à Versailles. Le CNC a déjà reçu 150 demandes. C'est dire le succès que rencontre cette mesure.
Vous savez que j'ai tenu à ce que la télévision publique joue un rôle exemplaire dans le financement et le renouvellement de la création. Elle doit constituer une référence. J'ai obtenu que les ressources publiques affectées à la télévision publique en 2005 soient en augmentation de 3,2 %, soit plus de 60 millions d'euros, par rapport à 2004. Ces moyens supplémentaires vont, je vous le rappelle, en priorité, à la production de programmes. Dans le domaine de la fiction, la télévision publique a ainsi pu innover, et je m'en félicite. France 3 a diffusé un feuilleton quotidien, ce qui représentait une réelle prise de risque ; et France 2 a renouvelé la ligne éditoriale des 52 minutes et de la fiction jeunesse. France 2 et France 3 ont accentué leur engagement dans le financement des fictions en 2004, si bien que le volume horaire des fictions cofinancées par les deux chaînes a atteint 460 heures. Je souhaite que ces efforts continuent et s'accentuent, notamment pour la fiction de journée.
La mise en place des fonds régionaux, le fameux 1 de l'Etat pour 2 de la Région, est également déterminante. Depuis que j'ai signé la première convention, avec la région Centre, le 20 septembre dernier, trois mois après Versailles, je suis heureux de vous annoncer que 17 conventions portant sur la période 2004-2006 ont été conclues par l'Etat et le CNC avec 20 collectivités territoriales (17 régions et 3 départements). C'est une dynamique nouvelle qui est lancée. Et je suis heureux de le dire au Sénat, l'assemblée qui représente les collectivités territoriales de la République. Je me réjouis que les régions - mais aussi quelques départements, comme la Charente-Maritime, par exemple - aient répondu aussi favorablement à notre appel et manifestent un tel intérêt pour le soutien à l'audiovisuel.
Vous connaissez ma détermination à décloisonner et à favoriser toutes les passerelles possibles entre la culture et la communication, entre le patrimoine et la création. J'ai souhaité ouvrir les monuments historiques, pour les rendre plus accessibles aux tournages. J'ai souhaité aussi renforcer le rôle de la Commission nationale du film France, et je tiens à rendre hommage à son action très positive.
J'ai été sensible, vous le savez, aux réflexions qui ont animé les professions de l'audiovisuel sur la définition de l'oeuvre audiovisuelle. Aussi ai-je décidé, en accord avec la position prise par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, de confier à l'Observatoire de la production audiovisuelle l'évaluation de l'impact du dispositif réglementaire sur l'économie du secteur. Depuis le mois de janvier 2005, le groupe de travail de l'Observatoire s'est déjà réuni plusieurs fois, en associant, comme j'y tenais, les professionnels concernés aux trois administrations membres de l'Observatoire.
Dans le cadre de ce travail, une enquête a été élaborée par les représentants de la production audiovisuelle, afin de mesurer concrètement en quoi les décrets de 2001 ont changé leurs relations avec les chaînes de télévision et l'économie de leur entreprise. Ce questionnaire vient de vous être adressé. Et je souhaite que les premiers résultats nous parviennent pour la fin de l'été.
Il faudra attendre 2006 pour dresser un bilan complet du dispositif. Mais dès l'automne prochain, un premier bilan pourra déterminer dans quelle mesure la réglementation remplit ses trois objectifs :
- renforcer la production et le financement des oeuvres audiovisuelles ;
- améliorer la circulation et l'exposition des oeuvres ;
- et renforcer l'économie des entreprises de production.
La fiction a connu une forte croissance en 2004, 8.4% de volume horaire en plus, selon les chiffres du CNC. Cette croissance s'accompagne d'une diversification des formats, notamment vers les programmes courts, de quelques minutes ou de 26 minutes. Nous verrons si les chiffres de 2005 confirment cette tendance, mais les annonces récentes des intentions des diffuseurs privés et publics confirment cet appétit pour la fiction. Cette diversification répond à de nouvelles attentes du public. Elle permet aussi de révéler de nouveaux talents, de raconter de nouvelles histoires, bref, d'innover dans la création. Et je me réjouis que la fiction, tous formats confondus, ait connu un vrai succès, tout en innovant.
Je citerai quelques exemples qui m'ont marqué depuis ce début d'année : le magnifique film d'Alain Tasma Nuit noire sur Canal +, écrit par Patrick Rotman, a ouvert des perspectives nouvelles dans la façon de raconter l'histoire tragique et jusqu'ici méconnue du 17 octobre 1961 ; Plus Belle la vie, le feuilleton quotidien de France 3, a gagné son pari et conquis le public ; la pétillante Clara Sheller a largement convaincu le public de France 2 et rallié des millions de téléspectateurs dans un format, le 52 minutes, et avec des héros certainement moins classiques que ceux qu'offre habituellement la première partie de soirée ; Kaamelott sur M6 apporte un humour inhabituel dans la fiction française ; Dans la tête d'un tueur sur TF1 donne au fait divers une dimension dramatique bouleversante ; et nous attendons beaucoup de la rencontre de Vénus et Apollon, sur Arte, à la rentrée. Il y a aujourd'hui un véritable élan de la fiction, qui entraîne, tant le public que les chaînes et les auteurs, les réalisateurs et les producteurs. Cela nous permet d'espérer une vraie diversification des récits et des formats, corroborée par les premières constatations de l'observatoire de la production audiovisuelle.
Mais si la vie est " plus belle " à Marseille, ou " sous le soleil " de Saint- Tropez , les nuages qui restent à dissiper, sont encore nombreux.
- Les chiffres du CSA sont éloquents : la journée, comme la deuxième partie de soirée, reste largement occupée par les fictions américaines ou européennes ; seule la jeunesse, avec les fictions de France 2, et des fictions aussi emblématiques que Sous le soleil montrent la voix d'un réel progrès.
- La seconde partie de soirée de fictions françaises, qui recèle un réel potentiel d'écritures innovantes, est encore trop timide.
- Le compte de soutien, auquel vous faites appel pour financer des pilotes, connaît des difficultés de financement, liées au ralentissement de la publicité à la télévision. C'est un grand sujet de préoccupation, alors que les demandes sont toujours plus nombreuses.
- Le deuxième marché de la fiction n'existe pas vraiment en France. Ni d'ailleurs hors de nos frontières, pour la fiction française, et la diffusion à l'export est une préoccupation importante. J'attends prochainement, sur ce sujet, les conclusions de la mission diligentée par le CNC.
D'une manière générale, les séries françaises sont conçues (par leurs thèmes, leur écriture, leur distribution, leur financement) dans une logique de propriétaire et pas suffisamment dans une logique de circulation. Et tous les efforts des acteurs économiques comme de la réglementation se concentrent sur les heures de forte écoute. Je pense par exemple à l'obligation de diffusion d'oeuvres inédites.
Il est vrai que le coût très élevé de la fiction française, notamment en raison de la distribution, conduit naturellement les chaînes à privilégier les heures de forte écoute, y compris pour la rediffusion. Et les succès d'audience des rediffusions d'épisodes de séries récurrentes n'incitent pas les diffuseurs à choisir d'autres cases de programmation. La diversité n'en sort pas gagnante.
- A ces obstacles structurels s'ajoutent les difficultés liées aux rediffusions de journée. Vous les connaissez mieux que personne.
Sur la base de ce constat, et en vous remerciant une fois de plus pour vos propositions, je tiens à ouvrir dès à présent quelques pistes de réflexion et d'action.
Sur la diversité des cases, je vous propose d'explorer deux pistes de réflexion : d'abord, une écriture adaptée ; le ministère de la culture et le CNC contribuent à cette recherche, grâce au fonds d'innovation audiovisuelle, destiné à financer des écritures innovantes, dont le premier appel à projet a été lancé le 10 juin dernier. Une incitation réglementaire est également possible. Les contraintes pesant sur les diffuseurs sont nombreuses, il n'est pas question d'en rajouter. Mais il s'agit de les rendre plus incitatives, pour diversifier les cases de programmation en journée, ou en deuxième partie de soirée. Je note d'ailleurs que TF1 a obtenu un résultat d'audience remarquable samedi dernier, avec une série américaine inédite et, il faut le reconnaître, de qualité. Ce score s'est maintenu, et même légèrement amélioré, en deuxième partie de soirée. J'y vois un signe extrêmement encourageant. France Télévisions avait montré l'exemple, avec ses cases du vendredi soir, consacrées à la série française de qualité. Il faut poursuivre dans cette voie. C'est pourquoi je propose d'engager une discussion sur la fiction, à l'occasion du futur contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions.
Sur le compte de soutien, le système de financement a pour mission d'accompagner le financement des oeuvres d'intérêt culturel à vocation patrimoniale. La fiction est évidemment au coeur de cette mission et je souhaite que le CNC entame un vraie réflexion sur ce sujet avec les professionnels.
L'inclusion dans l'assiette des versements au COSIP des recettes issues des appels téléphoniques surtaxés et mini-messages portera ses fruits en 2006.
Sur la présence des marques à l'image et le placement de produits, afin de répondre aux préoccupations des professionnels, qui l'ont alertée sur ce sujet, la Direction du développement des médias a rappelé le régime juridique applicable, dans le cadre de l'Observatoire de la production audiovisuelle.
Par ailleurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a précisé aux professionnels sa doctrine sur cette question : lorsque la visualisation du produit est introduite pour des raisons tenant au réalisme et à la crédibilité du scénario, et si sa présence est mesurée, le CSA ne considère pas qu'il y a publicité clandestine.
La publicité évolue à la télévision. Il faut prendre le temps de l'analyse et de la réflexion. Car les sujets ne manquent pas et l'arrivée de la distribution - après-demain - nous incite à une vision globale sur ce thème, afin de trouver les ressources dont notre télévision, publique comme privée, a besoin. N'oublions pas que la publicité, c'est aussi de l'activité, de l'emploi, et de la production !
L'ouverture de discussions avec les artistes interprètes et leurs agents, sur la modération salariale et les conditions de rediffusion, fera l'objet d'un groupe de travail qui doit démarrer bientôt.
Enfin je souhaite conclure sur les promesses que représente, pour l'avenir de la création et de la diversité des programmes de fiction, le développement de la télévision en haute définition, notamment sur la TNT.
Je veillerai à ce que vous soyez étroitement associés à ces nouvelles perspectives, comme à toutes les mesures qui vous concernent.
Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 4 juillet 2005)