Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Au terme de votre séminaire, il me revient de conclure cette après-midi de réflexion et d'échanges sur "les Droits de l'Homme, facteur de performance pour l'entreprise à l'international ?". J'y vois là une occasion privilégiée de vous dire l'importance que j'attache au rôle que vos entreprises peuvent avoir dans la promotion des Droits de l'Homme, qui sont au coeur de l'action diplomatique de notre pays. Je tiens donc à remercier le MEDEF et sa présidente, Laurence Parisot, pour l'organisation de cette rencontre, et pour cette invitation à m'exprimer aujourd'hui devant vous.
Permettez-moi d'abord de vous dire combien votre concours m'est précieux dans le combat que je mène à la tête du ministère en charge de la Coopération, du Développement et de la Francophonie : notre politique de coopération vise en effet à organiser les conditions du développement des pays les plus pauvres, et ce développement passe aussi - et peut-être même surtout - par les investissements directs étrangers qui y sont réalisés par vos entreprises. Chefs d'entreprises, vous êtes des acteurs essentiels de la mondialisation et les premiers contributeurs au développement économique. Cela vous confère aussi une responsabilité particulière.
Comme le rappelle le président de la République, la course au moins-disant social, au moins-disant environnemental, même si elle peut apporter un profit illusoire à court terme, est une course à l'abîme. Une course qui compromet l'avenir même de l'humanité par le gaspillage des biens publics mondiaux, la destruction de la biodiversité ou le réchauffement du climat. Une course qui rejette dans l'exclusion des centaines de millions de femmes et d'hommes.
Il est une alternative à cette course folle : compléter la mondialisation de l'économie par une mondialisation de la solidarité et de la responsabilité. C'est ainsi en effet que nous établirons les fondations d'un véritable développement durable. Et je veux vous dire à cet égard ma conviction que nos efforts convergents en matière de développement peuvent aussi concerner la promotion des Droits de l'Homme : l'Etat, c'est sa responsabilité première, y veille dans l'octroi de ses aides, clairement conditionnées au respect des règles de bonne gouvernance et de garantie des Droits de l'Homme par les pays bénéficiaires ; mais le secteur privé y a aussi son rôle à jouer, d'abord et avant tout parce que c'est son intérêt bien compris. C'est ce point de vue que je souhaite vous exprimer ce soir, en vous montrant qu'il ne nous faut pas seulement accompagner le mouvement en faveur des Droits de l'Homme, mais plutôt le stimuler et l'anticiper.
D'abord, il faut bien se convaincre qu'il existe depuis la seconde moitié du XXème siècle un mouvement international qui pousse les entreprises à assumer des responsabilités croissantes en matière environnementale et sociale ainsi qu'en matière de Droits de l'Homme. Ce n'est pas un souhait que j'exprime-là mais bien un constat, et je pense que rien n'arrêtera ce mouvement de fond parce qu'il est la conséquence logique de l'évolution qui, depuis les années 1970, a vu se réduire le rôle des Etats dans les économies et plus généralement dans les sociétés. Il ne s'agit pas pour moi de chercher ici à minimiser le rôle des Etats, qui conservent au contraire à mon sens la responsabilité première de protéger et faire respecter les Droits de l'Homme. C'est également à l'Etat qu'il revient d'assurer la sécurité juridique propice à la garantie des investissements et au développement des échanges commerciaux.
Mais le monde de l'entreprise est désormais de plus en plus impliqué dans toutes ces questions de gouvernance mondiale. Ces mêmes années ont en effet vu croître le pouvoir des grandes entreprises multinationales, dont les flux internes représentent aujourd'hui un tiers du commerce mondial.
Ressenti et exprimé tout d'abord par les organisations de la société civile, les syndicats de travailleurs, les ONG, mais aussi par certaines branches du patronat, un besoin de régulation est progressivement apparu. Ce besoin nouveau s'est d'abord traduit par une série d'initiatives volontaires et privées - codes de conduite et conventions-cadres dans certains secteurs économiques -, puis par l'élaboration de normes volontaires issues des concertations entre Etats, dans le cadre de l'OCDE et du G8 en particulier ; l'étape la plus récente est l'apparition de normes internationales et nationales obligatoires : la convention de Mérida pour la lutte contre la corruption et notre loi dite NRE sur les nouvelles régulations économiques en sont deux exemples particulièrement édifiants.
Cette évolution est, je le crois, inéluctable, même si elle n'est pas sans poser quelques questions. Certains pays créateurs de normes sectorielles peuvent ainsi avoir des intentions inavouées, comme par exemple de fausser à leur avantage les règles de la concurrence internationale. Le fait est que ce mouvement d'édiction de normes reste inégalement réparti, car il privilégie certains secteurs et continents et demeure très timide par rapport à d'autres. C'est donc loin d'être satisfaisant.
C'est bien pourquoi la France agit aujourd'hui avec détermination sur le thème des Droits de l'Homme. Ainsi notre pays milite sur la scène internationale pour la mise en place de normes universelles contraignantes mais réalistes qui permettront d'homogénéiser des exigences actuellement trop disparates pour être justes. C'est, comme vous le savez, une conviction forte du président de la République qui a engagé la France dans une attitude beaucoup plus active sur ce sujet que par le passé.
Une enquête menée par notre Centre d'analyse et de prévision (CAP), montre que notre pays, dont l'image est très forte quand il s'agit de défense des Droits de l'Homme, est l'objet d'une attente véritable de la part d'un grand nombre d'Etats, et plus largement des opinions publiques, dans le domaine des régulations internationales. Nous entendons donc répondre à cette demande.
L'ambition française est que ces normes concourent à la promotion de l'ensemble des Droits de l'Homme, c'est-à-dire aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels. Dans cette seconde catégorie se trouvent les droits qui résultent du développement économique et social, je pense notamment au droit à l'alimentation, au droit à l'éducation, au droit à la santé, ou encore au droit à une juste rétribution du travail.
Le moment est donc venu d'approfondir le dialogue avec les pays émergents sur le respect effectif des normes fondamentales du travail, reconnues dans les conventions de l'OIT. Le moment est venu de relancer les propositions sur une convention internationale relative à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Le moment est venu également d'avancer dans les grandes enceintes internationales, et notamment au G8, au FMI et à la Banque mondiale, dans la recherche des moyens d'aider les pays du Sud à instaurer des filets de protection sociale minimum.
Mais il faut aussi pouvoir se doter d'enceintes appropriées pour traiter de ces questions. Au sein de l'ONU, j'ai donc plaidé début septembre à New York en faveur des propositions de réforme qui visent à placer institutionnellement les Droits de l'Homme au centre du système des Nations unies, aux côtés du développement et de la sécurité. La déclaration adoptée à cette occasion par les chefs d'Etat valide le principe de création d'un nouvel organe qui remplacera l'actuelle Commission des Droits de l'Homme. Les paramètres de ce nouvel organe restent néanmoins à définir, et j'ai fait valoir que celui-ci ne marquera un réel progrès que sous certaines conditions :
- d'abord, il devra pouvoir se réunir tout au long de l'année pour pouvoir mener un travail de fond, mais aussi réagir sans délai en cas d'urgence ;
- il devra être relié à l'Assemblée générale, gage d'universalité et d'autorité de ses décisions ;
- il devra aussi disposer d'un mandat robuste lui permettant de traiter efficacement de toutes les situations graves de violation des Droits de l'Homme ;
- il devra enfin concilier une exigence de représentativité, qui suppose une composition suffisamment large, avec une exigence de crédibilité, qui passerait par exemple par une soumission des nouveaux membres à la procédure de revue par les pairs.
Mais la France entend aussi agir au niveau de l'Union européenne. Nous sommes ainsi favorables à l'idée d'une charte de bonne conduite pour les entreprises répondant à des appels d'offre sur l'aide européenne, afin de veiller au respect des normes sociales et environnementales. Il s'agit concrètement d'éviter que des groupes, souvent venus d'autres continents, ne raflent des contrats en faisant fi des normes les plus élémentaires, notamment en matière de Droits de l'Homme.
Au total, cette action diplomatique de la France en faveur des Droits de l'Homme ne doit pas être perçue comme une source potentielle de normes contraignantes supplémentaires pour vos entreprises, susceptibles d'affecter leur compétitivité. Bien au contraire, par la recherche de standards internationaux appliqués par tous, il s'agit de rétablir les conditions d'une concurrence trop souvent faussée à votre détriment par des atteintes inadmissibles aux droits des personnes, ou à l'environnement.
Ce mouvement activement soutenu par notre diplomatie, il vous est possible de l'accompagner, et mieux encore de l'anticiper.
Anticiper sur l'évolution prévisible de la réglementation internationale, n'est-ce pas en effet se placer dans de bonnes conditions sur le marché international ?
Bien entendu, la réponse à cette question est positive.
D'abord parce que l'entreprise n'aura plus, le moment venu, à faire face aux surcoûts induits par l'adaptation aux nouvelles normes. Ainsi, les entreprises qui ont déjà anticipé les nouvelles réglementations environnementales en mesurent tout l'intérêt aujourd'hui, alors que les normes sont devenues très contraignantes dans le cadre des appels d'offre sur financements internationaux.
Mais surtout, anticiper et mettre en uvre les normes relatives aux Droits de l'Homme, c'est se mettre à l'abri de critiques dont les effets peuvent être très nuisibles. Les mésaventures récentes de certains grands groupes français sont là pour nous le rappeler. La multiplication de procès collectifs ou de campagnes publiques de boycott n'est pas seulement coûteuse en termes économiques, elle est ruineuse en termes d'image de marque. Là encore, des règles du jeu claires, des obligations et des garanties précises sont les meilleurs garants de la sécurité juridique, dans l'intérêt bien compris des entreprises.
Sous cet angle également, les Droits de l'Homme peuvent donc bien être un facteur de performance pour l'entreprise à l'international. Les entreprises qui ont engagé des partenariats avec des ONG sur ce sujet l'ont d'ailleurs bien compris. Tout comme celles qui ont répondu à l'appel lancé en 1998 par le Secrétaire général des Nations unies pour un "pacte mondial" : ce sont en effet plus de 400 entreprises françaises qui y ont répondu, en s'engageant à respecter dix principes, inspirés notamment de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. En s'engageant ainsi, sur une base volontaire, à respecter les principes fondamentaux de la responsabilité sociale et environnementale, les entreprises adhérentes du Pacte mondial ont fait un acte pionnier. Et je souhaite qu'un nombre toujours plus important d'entreprises, notamment françaises, aillent dans cette voie.
Quand elles s'implantent dans un pays en développement, quand elles font appel à un sous-traitant local, les entreprises devraient se fixer des normes exigeantes, et en assurer le respect : qu'il s'agisse de droit du travail, de protection de l'environnement ou tout simplement de la dignité humaine, les entreprises occidentales devraient être exemplaires. De notre côté, c'est un objectif clairement affiché de notre coopération sur le terrain que de permettre aux Etats partenaires de construire un cadre juridique adapté et sécurisé.
A l'instar du Pacte mondial, les mécanismes d'engagements volontaires se sont multipliés. Mais la question se pose du respect et de la crédibilité de ces engagements. La certification des entreprises socialement et écologiquement responsables constitue l'une des pistes pour répondre à cette interrogation légitime. Des travaux ont été engagés en France, par l'AFNOR, et au niveau international, par l'ISO. Je souhaite qu'ils se poursuivent en liaison avec les partenaires sociaux et l'Organisation internationale du travail.
Pour conclure, je souhaite donc que nos discussions de ce jour puissent initier une meilleure concertation entre nous sur les actions à mener conjointement, au cours des prochaines années, en faveur des Droits de l'Homme. Soyez assurés que mon ministère est prêt à poursuivre avec vous la réflexion en ce sens, au-delà de cette journée de séminaire.
La France est profondément attachée au principe de la liberté économique et de la liberté des échanges. Mais la liberté sans règle, la liberté sans solidarité, la liberté sans justice, risque à tout moment de se retourner contre le progrès, de se retourner contre le développement.
En faisant le choix du respect de l'environnement et de la dignité humaine, vous faites donc preuve de générosité, mais aussi d'intelligence et de vision. Car le chemin que vous choisissez alors, le chemin de la responsabilité, est en définitive le seul chemin vers un avenir de paix et de prospérité, de justice aussi. Un avenir conforme aux principes de morale et d'éthique qui sont les nôtres.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2005)
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Au terme de votre séminaire, il me revient de conclure cette après-midi de réflexion et d'échanges sur "les Droits de l'Homme, facteur de performance pour l'entreprise à l'international ?". J'y vois là une occasion privilégiée de vous dire l'importance que j'attache au rôle que vos entreprises peuvent avoir dans la promotion des Droits de l'Homme, qui sont au coeur de l'action diplomatique de notre pays. Je tiens donc à remercier le MEDEF et sa présidente, Laurence Parisot, pour l'organisation de cette rencontre, et pour cette invitation à m'exprimer aujourd'hui devant vous.
Permettez-moi d'abord de vous dire combien votre concours m'est précieux dans le combat que je mène à la tête du ministère en charge de la Coopération, du Développement et de la Francophonie : notre politique de coopération vise en effet à organiser les conditions du développement des pays les plus pauvres, et ce développement passe aussi - et peut-être même surtout - par les investissements directs étrangers qui y sont réalisés par vos entreprises. Chefs d'entreprises, vous êtes des acteurs essentiels de la mondialisation et les premiers contributeurs au développement économique. Cela vous confère aussi une responsabilité particulière.
Comme le rappelle le président de la République, la course au moins-disant social, au moins-disant environnemental, même si elle peut apporter un profit illusoire à court terme, est une course à l'abîme. Une course qui compromet l'avenir même de l'humanité par le gaspillage des biens publics mondiaux, la destruction de la biodiversité ou le réchauffement du climat. Une course qui rejette dans l'exclusion des centaines de millions de femmes et d'hommes.
Il est une alternative à cette course folle : compléter la mondialisation de l'économie par une mondialisation de la solidarité et de la responsabilité. C'est ainsi en effet que nous établirons les fondations d'un véritable développement durable. Et je veux vous dire à cet égard ma conviction que nos efforts convergents en matière de développement peuvent aussi concerner la promotion des Droits de l'Homme : l'Etat, c'est sa responsabilité première, y veille dans l'octroi de ses aides, clairement conditionnées au respect des règles de bonne gouvernance et de garantie des Droits de l'Homme par les pays bénéficiaires ; mais le secteur privé y a aussi son rôle à jouer, d'abord et avant tout parce que c'est son intérêt bien compris. C'est ce point de vue que je souhaite vous exprimer ce soir, en vous montrant qu'il ne nous faut pas seulement accompagner le mouvement en faveur des Droits de l'Homme, mais plutôt le stimuler et l'anticiper.
D'abord, il faut bien se convaincre qu'il existe depuis la seconde moitié du XXème siècle un mouvement international qui pousse les entreprises à assumer des responsabilités croissantes en matière environnementale et sociale ainsi qu'en matière de Droits de l'Homme. Ce n'est pas un souhait que j'exprime-là mais bien un constat, et je pense que rien n'arrêtera ce mouvement de fond parce qu'il est la conséquence logique de l'évolution qui, depuis les années 1970, a vu se réduire le rôle des Etats dans les économies et plus généralement dans les sociétés. Il ne s'agit pas pour moi de chercher ici à minimiser le rôle des Etats, qui conservent au contraire à mon sens la responsabilité première de protéger et faire respecter les Droits de l'Homme. C'est également à l'Etat qu'il revient d'assurer la sécurité juridique propice à la garantie des investissements et au développement des échanges commerciaux.
Mais le monde de l'entreprise est désormais de plus en plus impliqué dans toutes ces questions de gouvernance mondiale. Ces mêmes années ont en effet vu croître le pouvoir des grandes entreprises multinationales, dont les flux internes représentent aujourd'hui un tiers du commerce mondial.
Ressenti et exprimé tout d'abord par les organisations de la société civile, les syndicats de travailleurs, les ONG, mais aussi par certaines branches du patronat, un besoin de régulation est progressivement apparu. Ce besoin nouveau s'est d'abord traduit par une série d'initiatives volontaires et privées - codes de conduite et conventions-cadres dans certains secteurs économiques -, puis par l'élaboration de normes volontaires issues des concertations entre Etats, dans le cadre de l'OCDE et du G8 en particulier ; l'étape la plus récente est l'apparition de normes internationales et nationales obligatoires : la convention de Mérida pour la lutte contre la corruption et notre loi dite NRE sur les nouvelles régulations économiques en sont deux exemples particulièrement édifiants.
Cette évolution est, je le crois, inéluctable, même si elle n'est pas sans poser quelques questions. Certains pays créateurs de normes sectorielles peuvent ainsi avoir des intentions inavouées, comme par exemple de fausser à leur avantage les règles de la concurrence internationale. Le fait est que ce mouvement d'édiction de normes reste inégalement réparti, car il privilégie certains secteurs et continents et demeure très timide par rapport à d'autres. C'est donc loin d'être satisfaisant.
C'est bien pourquoi la France agit aujourd'hui avec détermination sur le thème des Droits de l'Homme. Ainsi notre pays milite sur la scène internationale pour la mise en place de normes universelles contraignantes mais réalistes qui permettront d'homogénéiser des exigences actuellement trop disparates pour être justes. C'est, comme vous le savez, une conviction forte du président de la République qui a engagé la France dans une attitude beaucoup plus active sur ce sujet que par le passé.
Une enquête menée par notre Centre d'analyse et de prévision (CAP), montre que notre pays, dont l'image est très forte quand il s'agit de défense des Droits de l'Homme, est l'objet d'une attente véritable de la part d'un grand nombre d'Etats, et plus largement des opinions publiques, dans le domaine des régulations internationales. Nous entendons donc répondre à cette demande.
L'ambition française est que ces normes concourent à la promotion de l'ensemble des Droits de l'Homme, c'est-à-dire aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels. Dans cette seconde catégorie se trouvent les droits qui résultent du développement économique et social, je pense notamment au droit à l'alimentation, au droit à l'éducation, au droit à la santé, ou encore au droit à une juste rétribution du travail.
Le moment est donc venu d'approfondir le dialogue avec les pays émergents sur le respect effectif des normes fondamentales du travail, reconnues dans les conventions de l'OIT. Le moment est venu de relancer les propositions sur une convention internationale relative à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Le moment est venu également d'avancer dans les grandes enceintes internationales, et notamment au G8, au FMI et à la Banque mondiale, dans la recherche des moyens d'aider les pays du Sud à instaurer des filets de protection sociale minimum.
Mais il faut aussi pouvoir se doter d'enceintes appropriées pour traiter de ces questions. Au sein de l'ONU, j'ai donc plaidé début septembre à New York en faveur des propositions de réforme qui visent à placer institutionnellement les Droits de l'Homme au centre du système des Nations unies, aux côtés du développement et de la sécurité. La déclaration adoptée à cette occasion par les chefs d'Etat valide le principe de création d'un nouvel organe qui remplacera l'actuelle Commission des Droits de l'Homme. Les paramètres de ce nouvel organe restent néanmoins à définir, et j'ai fait valoir que celui-ci ne marquera un réel progrès que sous certaines conditions :
- d'abord, il devra pouvoir se réunir tout au long de l'année pour pouvoir mener un travail de fond, mais aussi réagir sans délai en cas d'urgence ;
- il devra être relié à l'Assemblée générale, gage d'universalité et d'autorité de ses décisions ;
- il devra aussi disposer d'un mandat robuste lui permettant de traiter efficacement de toutes les situations graves de violation des Droits de l'Homme ;
- il devra enfin concilier une exigence de représentativité, qui suppose une composition suffisamment large, avec une exigence de crédibilité, qui passerait par exemple par une soumission des nouveaux membres à la procédure de revue par les pairs.
Mais la France entend aussi agir au niveau de l'Union européenne. Nous sommes ainsi favorables à l'idée d'une charte de bonne conduite pour les entreprises répondant à des appels d'offre sur l'aide européenne, afin de veiller au respect des normes sociales et environnementales. Il s'agit concrètement d'éviter que des groupes, souvent venus d'autres continents, ne raflent des contrats en faisant fi des normes les plus élémentaires, notamment en matière de Droits de l'Homme.
Au total, cette action diplomatique de la France en faveur des Droits de l'Homme ne doit pas être perçue comme une source potentielle de normes contraignantes supplémentaires pour vos entreprises, susceptibles d'affecter leur compétitivité. Bien au contraire, par la recherche de standards internationaux appliqués par tous, il s'agit de rétablir les conditions d'une concurrence trop souvent faussée à votre détriment par des atteintes inadmissibles aux droits des personnes, ou à l'environnement.
Ce mouvement activement soutenu par notre diplomatie, il vous est possible de l'accompagner, et mieux encore de l'anticiper.
Anticiper sur l'évolution prévisible de la réglementation internationale, n'est-ce pas en effet se placer dans de bonnes conditions sur le marché international ?
Bien entendu, la réponse à cette question est positive.
D'abord parce que l'entreprise n'aura plus, le moment venu, à faire face aux surcoûts induits par l'adaptation aux nouvelles normes. Ainsi, les entreprises qui ont déjà anticipé les nouvelles réglementations environnementales en mesurent tout l'intérêt aujourd'hui, alors que les normes sont devenues très contraignantes dans le cadre des appels d'offre sur financements internationaux.
Mais surtout, anticiper et mettre en uvre les normes relatives aux Droits de l'Homme, c'est se mettre à l'abri de critiques dont les effets peuvent être très nuisibles. Les mésaventures récentes de certains grands groupes français sont là pour nous le rappeler. La multiplication de procès collectifs ou de campagnes publiques de boycott n'est pas seulement coûteuse en termes économiques, elle est ruineuse en termes d'image de marque. Là encore, des règles du jeu claires, des obligations et des garanties précises sont les meilleurs garants de la sécurité juridique, dans l'intérêt bien compris des entreprises.
Sous cet angle également, les Droits de l'Homme peuvent donc bien être un facteur de performance pour l'entreprise à l'international. Les entreprises qui ont engagé des partenariats avec des ONG sur ce sujet l'ont d'ailleurs bien compris. Tout comme celles qui ont répondu à l'appel lancé en 1998 par le Secrétaire général des Nations unies pour un "pacte mondial" : ce sont en effet plus de 400 entreprises françaises qui y ont répondu, en s'engageant à respecter dix principes, inspirés notamment de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. En s'engageant ainsi, sur une base volontaire, à respecter les principes fondamentaux de la responsabilité sociale et environnementale, les entreprises adhérentes du Pacte mondial ont fait un acte pionnier. Et je souhaite qu'un nombre toujours plus important d'entreprises, notamment françaises, aillent dans cette voie.
Quand elles s'implantent dans un pays en développement, quand elles font appel à un sous-traitant local, les entreprises devraient se fixer des normes exigeantes, et en assurer le respect : qu'il s'agisse de droit du travail, de protection de l'environnement ou tout simplement de la dignité humaine, les entreprises occidentales devraient être exemplaires. De notre côté, c'est un objectif clairement affiché de notre coopération sur le terrain que de permettre aux Etats partenaires de construire un cadre juridique adapté et sécurisé.
A l'instar du Pacte mondial, les mécanismes d'engagements volontaires se sont multipliés. Mais la question se pose du respect et de la crédibilité de ces engagements. La certification des entreprises socialement et écologiquement responsables constitue l'une des pistes pour répondre à cette interrogation légitime. Des travaux ont été engagés en France, par l'AFNOR, et au niveau international, par l'ISO. Je souhaite qu'ils se poursuivent en liaison avec les partenaires sociaux et l'Organisation internationale du travail.
Pour conclure, je souhaite donc que nos discussions de ce jour puissent initier une meilleure concertation entre nous sur les actions à mener conjointement, au cours des prochaines années, en faveur des Droits de l'Homme. Soyez assurés que mon ministère est prêt à poursuivre avec vous la réflexion en ce sens, au-delà de cette journée de séminaire.
La France est profondément attachée au principe de la liberté économique et de la liberté des échanges. Mais la liberté sans règle, la liberté sans solidarité, la liberté sans justice, risque à tout moment de se retourner contre le progrès, de se retourner contre le développement.
En faisant le choix du respect de l'environnement et de la dignité humaine, vous faites donc preuve de générosité, mais aussi d'intelligence et de vision. Car le chemin que vous choisissez alors, le chemin de la responsabilité, est en définitive le seul chemin vers un avenir de paix et de prospérité, de justice aussi. Un avenir conforme aux principes de morale et d'éthique qui sont les nôtres.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2005)