Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs,
La ville fait parler d'elle et j'en suis heureux. Elle était en débat à l'assemblée, il y a peu, pour le vote de la loi Solidarité et renouvellement urbain, elle est au cur de nos travaux d'aujourd'hui, de ceux du gouvernement, et nous pouvons nous en réjouir ensemble. Notre pays était, jusqu'aux dernières décennies du siècle qui vient de s'achever, un pays à dominante rurale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et nul n'ignore que quatre habitants sur cinq résident en milieu urbain. La France, comme la plupart des autres pays européens, est fortement urbanisée et notre avenir est donc lié irréversiblement à la ville. C'est pourquoi, nous devons, dans un double mouvement, prendre soin de la ville d'aujourd'hui et préparer avec audace la ville de demain.
En préambule, et avant même de vous remercier pour votre initiative, laissez-moi vous dire ma vision de la ville. Ce que j'en pense intimement. Ce que, après deux ans au gouvernement, elle signifie pour moi. Car les occasions sont rares de me trouver immédiatement en connivence avec une assemblée de passionnés de la ville comme vous l'êtes.
C'est vrai j'aime la ville, j'aime les villes, et le ministère que Lionel Jospin m'a confié, m'a conforté dans ce sentiment qui se confond avec celui des gens des villes, pour lesquels et aux côtés desquels, je me bats pour résister à l'exclusion de certains d'entre eux.
La ville se donne à vivre comme une évidence. Et pourtant rien n'est évident, car nous avons basculé dans la civilisation urbaine il y a peu. Il me semble que nous n'avons pas totalement intégré ce mode de vie. Nos racines nous rattachent encore souvent à l'univers rural et la souffrance d'un déracinement sourd quelquefois. Bien que nous l'ayons voulue -car la ville est née de la volonté humaine, du besoin de se regrouper et de puiser des forces nouvelles au cur du groupe- la ville est souvent difficile à vivre. Les années de crise l'ont cruellement marquée et ses habitants les plus pauvres n'ont guère eu le loisir d'en découvrir la beauté, ni d'en savourer les plaisirs.
Frappés par une ambivalence singulière, les habitants désirent la ville mais souvent dans le même temps la fuient, comme s'ils n'avaient pas encore fait leur choix, comme s'ils vivaient dans une civilisation de "l'entre-deux".
Le renouveau des villes que nous préparons ensemble devra d'abord donner confiance aux habitants et leur procurer un ancrage dans la civilisation urbaine en marche, pour qu'ils aient le sentiment de choisir leur ville au lieu de la subir. Car la ville n'est pas un objet de répulsion. Faire changer la représentation que l'on a des villes représente une conversion indispensable pour que les mots, les jugements portés sur la ville, ne soient plus ces clichés péjoratifs qui nient ce qui fait la force irrésistible des villes. La civilisation urbaine n'est en effet nullement une malédiction pour la communauté humaine. Elle est, à l'inverse, synonyme de créativité, d'échanges, de bienfaits et de liberté. Elle est source de progrès culturels, sanitaires ou scientifiques.
Ce qui compte dans les villes ce sont d'abord celles et ceux qui y vivent et aspirent légitimement à y vivre mieux. Et si nous devons du respect aux lieux, si nous devons réparer les villes abîmées, nous devons bien plus encore renforcer les liens entre les habitants, faire en sorte qu'ils tiennent ensemble la ville. C'est le respect des habitants qui prime.
C'est pourquoi l'initiative qui consiste à vous réunir, vous Mesdames et Messieurs les élus des villes de France, pour réfléchir notamment aux modes de gouvernement des villes, marque une étape importante. Elle va sans doute permettre de faire un bond en avant dans la façon dont nous allons penser la ville ensemble dans les années qui viennent.
Pour cette conférence des villes que vous avez impulsée, messieurs les Présidents de l'Association des Maires des Grandes Villes de France, de la Fédération des Maires des Villes Moyennes et de l'association " Villes et Banlieues", Jean AUROUX, Jean-Pierre SUEUR et Pierre BOURGUIGNON, soyez-en chaleureusement remerciés. Que soient également remerciées les associations qui se sont associées à vos travaux et leurs présidents André ROSSINOT, Jean-Marie VANLERENBERGUE et Jean-Jacques FOURNIER.
Vous êtes les élus représentatifs de 80 % de la population française, vous portez ensemble la voix des villes et des intérêts de leurs habitants. Votre mobilisation collective marque symboliquement un changement de cap.
La voix de la cité que vous portez aujourd'hui, c'est la voix des citoyens qui la peuplent et, en cela, vous uvrez pour plus de démocratie. Nos villes sont différentes les unes des autres, très différentes et c'est heureux. Elles se caractérisent actuellement par une grande diversité démographique, d'étendue, d'architecture. Hormis les villes nouvelles, elles sont le fruit d'un processus de construction historique qui a duré des siècles et des siècles. C'est ce qui fait la beauté de nos villes.
Faudrait-il désormais "calibrer" les villes à l'identique ? Non, et c'est une tentation à laquelle il convient de résister farouchement. Le même rond point entêtant, les mêmes magasins, les mêmes centre ville aseptisés, ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons au contraire conserver ce patrimoine exceptionnel que sont nos villes et que tout le monde nous envie. Cette mémoire des villes, de notre histoire, fait notre force. L'uniformité n'est pas notre mode de vie et nous en sommes fiers.
La ville moderne aussi a une histoire. Même si elle ne se voit pas d'aussi loin - nous avons peu de recul - elle porte la trace des vies des habitants qui l'ont construite, que nous avons le souci de conserver comme un capital précieux. Avec le ministère de la culture nous travaillons pour transmettre aux futures générations l'histoire des villes du XXème siècle, villes ouvrières industrielles ou banlieues. Car les projets de ville, aussi beaux soient-ils, aussi grands soient-ils, ne peuvent se faire sur les débris de la mémoire des habitants d'avant. Le projet de renouveau porte en lui les ferments du passé : mémoire et projet indissociablement liés. Dans certaines de nos villes, des lieux sont dédiés au double objectif de mémoire, d'archivage et de présentation des programmes urbains nouveaux. Ce sont de belles entreprises qui donnent du sens à la ville et qui permettent aux habitants de s'y sentir chez eux.
Nos villes sont différentes mais elles ne doivent pas être rivales ni concurrentes malgré le poids de l'histoire qui les fit parfois naître ainsi. C'est pourquoi, que vous soyez rassemblés ici pour porter un projet commun, celui de penser la ville ensemble, de penser les villes, me semble une réelle avancée. Aujourd'hui, la modernité et la sagesse appellent à ce qu'un trait soit définitivement tiré sur des débats stériles autant qu'anachroniques. Je pense, en l'occurrence, à l'opposition factice entre mondes urbain et rural dont les intérêts seraient contradictoires, voire opposés. Je considère, à l'inverse de ce postulat erroné, que les deux composantes de notre pays sont totalement complémentaires et qu'il convient, par conséquent, de raisonner en termes de liaisons et de coopération.
Quelles villes pour le XXIème siècle ? En toile de fond des travaux de cette matinée, votre questionnement est des plus pertinents. Cette interrogation, nous devons la partager avec les habitants, dans le cadre de choix réellement collectifs et de démarches véritablement démocratiques. Le premier défi est d'assurer une compétitivité globale au territoire. Les villes ont joué de tout temps un rôle moteur dans le développement économique et, à l'heure des réseaux, cette fonction est devenue déterminante. Le deuxième défi est celui du développement durable pour répondre aux aspirations à la qualité de vie et préserver l'avenir. Reconquérir l'urbanité, maîtriser l'étalement urbain, développer les services publics, produire des formes d'habitat adaptées aux parcours résidentiels, tels en sont quelques enjeux. Mais ces deux défis ne valent qu'au regard d'un troisième, c'est à dire un projet de société. Nous avons fait le choix en Europe, de vivre ensemble -et non côte à côte- dans nos villes. Et c'est le défi le plus difficile, à l'heure du libéralisme qui pousse la ville à se polariser.
Si nous ne voulons pas élargir le fossé entre la ville qui gagne et celle qui ne gagne pas, si nous ne voulons pas de ce que l'on a baptisé "modèle américain", c'est-à-dire la spécialisation à outrance des territoires, réservés à certains, interdits à d'autres, il nous faut mettre l'accent sur trois enjeux que je crois essentiels. Celui de la nouvelle gouvernance, tout d'abord : j'observe, comme vous tous que les façons de vivre des habitants évoluent considérablement, très rapidement et de façon très diversifiée. Je suis persuadé que les aspirations de la population s'exprimeront plus fortement au fur et à mesure que nous progresserons vers le retour à la croissance et à l'emploi, dont les derniers chiffres nous permettent d'être optimistes.
Cette notion de bonne gouvernance est à mon sens inséparable de celle de la démocratie locale participative. Car la renaissance des villes passera par un renouveau de pratiques démocratiques. La politique de la ville est le laboratoire du futur. En informant, en dialoguant, en associant la population à son entreprise, elle devient toujours plus efficace, toujours plus légitime. Nous sommes aujourd'hui tous conscients que, avec l'élévation du niveau culturel et la vitesse de circulation des informations en particulier, la démocratie participative ne peut suffire à la légitimité de l'action des élus locaux. L'onction du suffrage universel doit être complétée par la possibilité offerte aux habitants de s'impliquer dans la vie de leur cité tout au long des six années d'un mandat municipal. Ces problématiques ne concernent pas uniquement notre pays, mais se posent à une échelle mondiale. Je suis, à cet égard, très intéressé par les suites du sommet Habitat II d'Istanbul, de juin 1996. J'attends beaucoup de l'assemblée générale des Nations Unies de juin 2001, qui prolongera ces travaux d'Istanbul. Avec Hubert VEDRINE, Jean Claude GAYSSOT et Dominique VOYNET, nous avons chargé Monsieur Georges CAVALLIER d'assurer l'animation et la coordination de la préparation de cette importante échéance.
Le deuxième enjeu est celui de la modernité partagée. A l'heure du câble, du satellite et de l'Internet, notre réflexion sur les nouveaux modes de gouvernance urbaine doit être à la mesure des formidables mutations actuelles. Les villes de demain seront techniques. L'espace se rétrécit, le monde est à la portée d'une " souris" et des liens inimaginables auparavant se créent entre des hommes très éloignés. C'est vrai. Le désenclavement géographique et culturel est possible, c'est vrai que notre " géographie mentale " se transforme et que les hommes acquièrent une mobilité nouvelle, comparable et aussi radicale à celle que leur a procuré les chemins de fer au XIXème siècle. Attention aux habitants des quartiers populaires, ceux qui n'ont pas chez eux d'ordinateurs, car pour eux l'espace rétréci n'a pas le même sens. C'est celui de leurs quartiers qui les maintient à distance et les tient séparés du dialogue du cyberespace. La " cyberbéatitude ", selon le mot de Jean-Claude Guillebaud dans son ouvrage la Refondation du monde, est dangereuse. Des villes modernes, reliées au monde, mais des villes humaines qui conservent leur capacité à relier les gens, à encourager des dialogues, voilà ce que nous devons préparer. Des villes qui sauront apprivoiser la technique et conserver notre patrimoine culturel humaniste qui veut que ce ne soit pas la machine qui conduise l'homme, mais que ce soit l'homme qui maîtrise son destin.
Le troisième enjeu concerne la nouvelle perception des territoires. Je suis persuadé, Mesdames et Messieurs, que le concept de territoires solidaires a devant lui un véritable avenir. Pouvons-nous, par exemple, nous résoudre à ce que les problématiques relatives à la politique de la ville, au développement du territoire et à la gestion des collectivités locales continuent à correspondre à des attributions et compétences distinctes, notamment au niveau de l'Etat central ? Ne faudrait-il pas, en l'espèce, penser la symbiose pour assurer la cohérence ? Je pense, pour ce qui me concerne, qu'il y a là un véritable champ de réflexion pour l'avenir. D'une façon plus générale, je constate, notamment en comparaison avec les pratiques d'autres pays, que, de même que nous devons tous -Etat et collectivités territoriales- progresser dans l'évaluation de nos actions, nous devons élaborer de meilleures méthodes et bâtir de meilleurs outils en termes de travail prospectif. Nous vivons aujourd'hui dans une économie ouverte et mondialisée. Notre société est extrêmement complexe. Il y a pluralité des futurs possibles pour la ville. C'est pourquoi, aujourd'hui plus que jamais, les enjeux de la renaissance urbaine supposent une vision réellement prospective. Vous et moi, Mesdames et Messieurs les élus avons, en cela, une responsabilité. Bénéficiant moi-même d'une expérience d'élu local, je considère que les maires -de par leur proximité avec les réalités du terrain- sont particulièrement bien placés pour défricher l'avenir de nos villes. Je suis d'autant plus attaché à cette dimension que les actions lancées par mon ministère ont vocation à s'inscrire dans la durée. Le renforcement de la coopération européenne au service des villes est indispensable. Nos partenaires sont souvent confrontés aux mêmes problématiques urbaines qu'en France. L'implication de l'Europe est d'ores et déjà réelle. Mais elle peut et doit être renforcée. Je constate qu'elle n'est pas toujours identifiable pour les populations des territoires qui bénéficient, par exemple, des fonds structurels européens. C'est pourquoi, je plaide afin que soient valorisées les actions qui placent l'Europe sur le champ de l'urbain.
Qu'il s'agisse des crédits européens pour 2000 2006, des nouveaux PIC URBAN, des travaux engagés par la Commission, le Parlement européen, le Comité des régions ou dans un cadre intergouvernemental, j'estime que nous disposons d'une bonne matière première pour faire entrer, mieux encore, la dimension de l'Europe dans nos villes et nos quartiers. Nous ne sommes plus sur des calendriers uniquement de court terme. Nous avons dépassé le cadre désormais trop étroit de la simple réparation : nous devons renouveler la ville. La politique de renouvellement urbain que j'ai engagée -et les moyens financiers particulièrement importants qui permettent sa mise en uvre- ouvrent un très grand chantier pour transformer nos villes de façon profonde, pour dédensifier des quartiers qui ne sont plus en phase avec ce à quoi les habitants sont en droit d'aspirer, c'est à dire vivre dignement dans un environnement et un cadre de vie moderne, décent et beau.
Je pense, Mesdames et Messieurs, que la société française, depuis quelques années, a souffert d'inhibition pour ce qui concerne le bâti physique des immeubles de ses villes. Je me suis efforcé, en plaidant pour un nombre d'opérations de construction et de démolition beaucoup plus conséquent, de lever un certain nombre de tabous qui constituaient autant d'obstacles au progrès dans nos villes. Il en va de même en ce qui concerne l'approfondissement de la loi d'orientation pour la ville : la loi Solidarité et renouvellement urbains lève un autre tabou en termes de recherche d'un meilleur équilibre du nombre de logements sociaux entre les différentes villes. J'évoquais, il y a quelques instants la diversité des villes françaises. Cette diversité est, en soi, une richesse. Mais je comprends bien, en même temps, que certaines villes souhaiteraient être tout autant diverses mais un peu plus riche. Je suis convaincu que les efforts consentis par le gouvernement, particulièrement en ce qui concerne la Dotation de Solidarité Urbaine, vont dans la bonne direction. Pour autant, je suis persuadé que des mécanismes de péréquation plus importante entre les collectivités qui disposent d'un très fort potentiel fiscal et celles dont les marges de manuvre financières demeurent très réduites devront être mis en uvre pour assurer l'égalité devant le service public.
Nous devons, Mesdames et Messieurs, observer attentivement les données produites par le dernier recensement général de la population. Nous pouvons, en effet, en vertu de ces indications, entrevoir les contours de ce que sera l'armature urbaine de notre pays pour les prochaines décennies : villes, agglomération et réseaux de villes. Je m'attendais à ce que les lois de juin et juillet 1999 relatives au développement durable du territoire ainsi qu'au renforcement de la coopération intercommunale soient suivies d'effets positifs, en termes de progrès dans la coopération intercommunale. Mais j'ai été surpris, comme tout un chacun, par ce chiffre de 51 communautés d'agglomération, dès le premier janvier de cette année. L'incitation financière a probablement joué un rôle dans cet essor. Pour autant l'explication du phénomène par la seule DGF des groupements me semble pour le moins sommaire. Je crois qu'il s'agit, en réalité, de la première manifestation institutionnelle d'un " saut qualitatif " vers des pratiques plus innovantes. A travers cette marche vers l'agglomération -une marche voulue par les villes et non pas une " marche forcée "- notre pays est tout simplement en train de se moderniser, de s'adapter aux conditions du monde de demain qui appelle de nouvelles pratiques fondées sur le partenariat, la transversalité, la coopération et l'imagination.
Le ministre qui s'adresse à vous a placé l'agglomération au cur des dispositifs de la politique de la ville ; il est convaincu que l'avenir de nos villes passe par celui de l'agglomération. Cette journée du 4 avril, Mesdames et Messieurs n'est pas terminée, mais elle s'est bien engagée. Nous aurons, dès cette année, d'autres rendez-vous importants. La 2ème édition du Festival International de la Ville, à Créteil fin septembre, sur le thème "Villes en Europe" qui sera notamment consacré à une confrontation d'expériences entre villes européennes. Une conférence "Europe, Villes et Territoires", également, qui se déroulera au début du mois de novembre. La première Conférence des villes appellera d'autres rendez-vous. D'ores et déjà, votre présence, votre détermination et votre parole de ce jour constituent un acte fondateur à partir duquel, j'en suis convaincu, pourra s'engager une dynamique nouvelle en faveur de nos villes.
Je voudrais, pour conclure, insister sur la nécessité d'éduquer les jeunes générations à la ville, de les préparer à accéder à cette civilisation, à y participer, pour qu'ils s'en sentent les acteurs. Nous voulons la ville pour eux, pour qu'ils y soient heureux. Faisons-la avec eux. La démocratie vivante qui associe les plus jeunes aux projets urbains, qui leur fait comprendre le sens de l'espace public, qui leur donne une place dans l'organisation de la cité, qui leur donne l'exemple de la solidarité, cette démocratie gagne toujours. Elle relie le présent au passé et projette une lumière d'avenir garante des valeurs auxquelles nous sommes attachés. Je sais que c'est le sens de votre initiative. Merci, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, pour cette Conférence qui marque l'alliance si symbolique des villes entre elles, merci aussi pour votre attention.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 14 avril 2000).
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs,
La ville fait parler d'elle et j'en suis heureux. Elle était en débat à l'assemblée, il y a peu, pour le vote de la loi Solidarité et renouvellement urbain, elle est au cur de nos travaux d'aujourd'hui, de ceux du gouvernement, et nous pouvons nous en réjouir ensemble. Notre pays était, jusqu'aux dernières décennies du siècle qui vient de s'achever, un pays à dominante rurale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et nul n'ignore que quatre habitants sur cinq résident en milieu urbain. La France, comme la plupart des autres pays européens, est fortement urbanisée et notre avenir est donc lié irréversiblement à la ville. C'est pourquoi, nous devons, dans un double mouvement, prendre soin de la ville d'aujourd'hui et préparer avec audace la ville de demain.
En préambule, et avant même de vous remercier pour votre initiative, laissez-moi vous dire ma vision de la ville. Ce que j'en pense intimement. Ce que, après deux ans au gouvernement, elle signifie pour moi. Car les occasions sont rares de me trouver immédiatement en connivence avec une assemblée de passionnés de la ville comme vous l'êtes.
C'est vrai j'aime la ville, j'aime les villes, et le ministère que Lionel Jospin m'a confié, m'a conforté dans ce sentiment qui se confond avec celui des gens des villes, pour lesquels et aux côtés desquels, je me bats pour résister à l'exclusion de certains d'entre eux.
La ville se donne à vivre comme une évidence. Et pourtant rien n'est évident, car nous avons basculé dans la civilisation urbaine il y a peu. Il me semble que nous n'avons pas totalement intégré ce mode de vie. Nos racines nous rattachent encore souvent à l'univers rural et la souffrance d'un déracinement sourd quelquefois. Bien que nous l'ayons voulue -car la ville est née de la volonté humaine, du besoin de se regrouper et de puiser des forces nouvelles au cur du groupe- la ville est souvent difficile à vivre. Les années de crise l'ont cruellement marquée et ses habitants les plus pauvres n'ont guère eu le loisir d'en découvrir la beauté, ni d'en savourer les plaisirs.
Frappés par une ambivalence singulière, les habitants désirent la ville mais souvent dans le même temps la fuient, comme s'ils n'avaient pas encore fait leur choix, comme s'ils vivaient dans une civilisation de "l'entre-deux".
Le renouveau des villes que nous préparons ensemble devra d'abord donner confiance aux habitants et leur procurer un ancrage dans la civilisation urbaine en marche, pour qu'ils aient le sentiment de choisir leur ville au lieu de la subir. Car la ville n'est pas un objet de répulsion. Faire changer la représentation que l'on a des villes représente une conversion indispensable pour que les mots, les jugements portés sur la ville, ne soient plus ces clichés péjoratifs qui nient ce qui fait la force irrésistible des villes. La civilisation urbaine n'est en effet nullement une malédiction pour la communauté humaine. Elle est, à l'inverse, synonyme de créativité, d'échanges, de bienfaits et de liberté. Elle est source de progrès culturels, sanitaires ou scientifiques.
Ce qui compte dans les villes ce sont d'abord celles et ceux qui y vivent et aspirent légitimement à y vivre mieux. Et si nous devons du respect aux lieux, si nous devons réparer les villes abîmées, nous devons bien plus encore renforcer les liens entre les habitants, faire en sorte qu'ils tiennent ensemble la ville. C'est le respect des habitants qui prime.
C'est pourquoi l'initiative qui consiste à vous réunir, vous Mesdames et Messieurs les élus des villes de France, pour réfléchir notamment aux modes de gouvernement des villes, marque une étape importante. Elle va sans doute permettre de faire un bond en avant dans la façon dont nous allons penser la ville ensemble dans les années qui viennent.
Pour cette conférence des villes que vous avez impulsée, messieurs les Présidents de l'Association des Maires des Grandes Villes de France, de la Fédération des Maires des Villes Moyennes et de l'association " Villes et Banlieues", Jean AUROUX, Jean-Pierre SUEUR et Pierre BOURGUIGNON, soyez-en chaleureusement remerciés. Que soient également remerciées les associations qui se sont associées à vos travaux et leurs présidents André ROSSINOT, Jean-Marie VANLERENBERGUE et Jean-Jacques FOURNIER.
Vous êtes les élus représentatifs de 80 % de la population française, vous portez ensemble la voix des villes et des intérêts de leurs habitants. Votre mobilisation collective marque symboliquement un changement de cap.
La voix de la cité que vous portez aujourd'hui, c'est la voix des citoyens qui la peuplent et, en cela, vous uvrez pour plus de démocratie. Nos villes sont différentes les unes des autres, très différentes et c'est heureux. Elles se caractérisent actuellement par une grande diversité démographique, d'étendue, d'architecture. Hormis les villes nouvelles, elles sont le fruit d'un processus de construction historique qui a duré des siècles et des siècles. C'est ce qui fait la beauté de nos villes.
Faudrait-il désormais "calibrer" les villes à l'identique ? Non, et c'est une tentation à laquelle il convient de résister farouchement. Le même rond point entêtant, les mêmes magasins, les mêmes centre ville aseptisés, ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons au contraire conserver ce patrimoine exceptionnel que sont nos villes et que tout le monde nous envie. Cette mémoire des villes, de notre histoire, fait notre force. L'uniformité n'est pas notre mode de vie et nous en sommes fiers.
La ville moderne aussi a une histoire. Même si elle ne se voit pas d'aussi loin - nous avons peu de recul - elle porte la trace des vies des habitants qui l'ont construite, que nous avons le souci de conserver comme un capital précieux. Avec le ministère de la culture nous travaillons pour transmettre aux futures générations l'histoire des villes du XXème siècle, villes ouvrières industrielles ou banlieues. Car les projets de ville, aussi beaux soient-ils, aussi grands soient-ils, ne peuvent se faire sur les débris de la mémoire des habitants d'avant. Le projet de renouveau porte en lui les ferments du passé : mémoire et projet indissociablement liés. Dans certaines de nos villes, des lieux sont dédiés au double objectif de mémoire, d'archivage et de présentation des programmes urbains nouveaux. Ce sont de belles entreprises qui donnent du sens à la ville et qui permettent aux habitants de s'y sentir chez eux.
Nos villes sont différentes mais elles ne doivent pas être rivales ni concurrentes malgré le poids de l'histoire qui les fit parfois naître ainsi. C'est pourquoi, que vous soyez rassemblés ici pour porter un projet commun, celui de penser la ville ensemble, de penser les villes, me semble une réelle avancée. Aujourd'hui, la modernité et la sagesse appellent à ce qu'un trait soit définitivement tiré sur des débats stériles autant qu'anachroniques. Je pense, en l'occurrence, à l'opposition factice entre mondes urbain et rural dont les intérêts seraient contradictoires, voire opposés. Je considère, à l'inverse de ce postulat erroné, que les deux composantes de notre pays sont totalement complémentaires et qu'il convient, par conséquent, de raisonner en termes de liaisons et de coopération.
Quelles villes pour le XXIème siècle ? En toile de fond des travaux de cette matinée, votre questionnement est des plus pertinents. Cette interrogation, nous devons la partager avec les habitants, dans le cadre de choix réellement collectifs et de démarches véritablement démocratiques. Le premier défi est d'assurer une compétitivité globale au territoire. Les villes ont joué de tout temps un rôle moteur dans le développement économique et, à l'heure des réseaux, cette fonction est devenue déterminante. Le deuxième défi est celui du développement durable pour répondre aux aspirations à la qualité de vie et préserver l'avenir. Reconquérir l'urbanité, maîtriser l'étalement urbain, développer les services publics, produire des formes d'habitat adaptées aux parcours résidentiels, tels en sont quelques enjeux. Mais ces deux défis ne valent qu'au regard d'un troisième, c'est à dire un projet de société. Nous avons fait le choix en Europe, de vivre ensemble -et non côte à côte- dans nos villes. Et c'est le défi le plus difficile, à l'heure du libéralisme qui pousse la ville à se polariser.
Si nous ne voulons pas élargir le fossé entre la ville qui gagne et celle qui ne gagne pas, si nous ne voulons pas de ce que l'on a baptisé "modèle américain", c'est-à-dire la spécialisation à outrance des territoires, réservés à certains, interdits à d'autres, il nous faut mettre l'accent sur trois enjeux que je crois essentiels. Celui de la nouvelle gouvernance, tout d'abord : j'observe, comme vous tous que les façons de vivre des habitants évoluent considérablement, très rapidement et de façon très diversifiée. Je suis persuadé que les aspirations de la population s'exprimeront plus fortement au fur et à mesure que nous progresserons vers le retour à la croissance et à l'emploi, dont les derniers chiffres nous permettent d'être optimistes.
Cette notion de bonne gouvernance est à mon sens inséparable de celle de la démocratie locale participative. Car la renaissance des villes passera par un renouveau de pratiques démocratiques. La politique de la ville est le laboratoire du futur. En informant, en dialoguant, en associant la population à son entreprise, elle devient toujours plus efficace, toujours plus légitime. Nous sommes aujourd'hui tous conscients que, avec l'élévation du niveau culturel et la vitesse de circulation des informations en particulier, la démocratie participative ne peut suffire à la légitimité de l'action des élus locaux. L'onction du suffrage universel doit être complétée par la possibilité offerte aux habitants de s'impliquer dans la vie de leur cité tout au long des six années d'un mandat municipal. Ces problématiques ne concernent pas uniquement notre pays, mais se posent à une échelle mondiale. Je suis, à cet égard, très intéressé par les suites du sommet Habitat II d'Istanbul, de juin 1996. J'attends beaucoup de l'assemblée générale des Nations Unies de juin 2001, qui prolongera ces travaux d'Istanbul. Avec Hubert VEDRINE, Jean Claude GAYSSOT et Dominique VOYNET, nous avons chargé Monsieur Georges CAVALLIER d'assurer l'animation et la coordination de la préparation de cette importante échéance.
Le deuxième enjeu est celui de la modernité partagée. A l'heure du câble, du satellite et de l'Internet, notre réflexion sur les nouveaux modes de gouvernance urbaine doit être à la mesure des formidables mutations actuelles. Les villes de demain seront techniques. L'espace se rétrécit, le monde est à la portée d'une " souris" et des liens inimaginables auparavant se créent entre des hommes très éloignés. C'est vrai. Le désenclavement géographique et culturel est possible, c'est vrai que notre " géographie mentale " se transforme et que les hommes acquièrent une mobilité nouvelle, comparable et aussi radicale à celle que leur a procuré les chemins de fer au XIXème siècle. Attention aux habitants des quartiers populaires, ceux qui n'ont pas chez eux d'ordinateurs, car pour eux l'espace rétréci n'a pas le même sens. C'est celui de leurs quartiers qui les maintient à distance et les tient séparés du dialogue du cyberespace. La " cyberbéatitude ", selon le mot de Jean-Claude Guillebaud dans son ouvrage la Refondation du monde, est dangereuse. Des villes modernes, reliées au monde, mais des villes humaines qui conservent leur capacité à relier les gens, à encourager des dialogues, voilà ce que nous devons préparer. Des villes qui sauront apprivoiser la technique et conserver notre patrimoine culturel humaniste qui veut que ce ne soit pas la machine qui conduise l'homme, mais que ce soit l'homme qui maîtrise son destin.
Le troisième enjeu concerne la nouvelle perception des territoires. Je suis persuadé, Mesdames et Messieurs, que le concept de territoires solidaires a devant lui un véritable avenir. Pouvons-nous, par exemple, nous résoudre à ce que les problématiques relatives à la politique de la ville, au développement du territoire et à la gestion des collectivités locales continuent à correspondre à des attributions et compétences distinctes, notamment au niveau de l'Etat central ? Ne faudrait-il pas, en l'espèce, penser la symbiose pour assurer la cohérence ? Je pense, pour ce qui me concerne, qu'il y a là un véritable champ de réflexion pour l'avenir. D'une façon plus générale, je constate, notamment en comparaison avec les pratiques d'autres pays, que, de même que nous devons tous -Etat et collectivités territoriales- progresser dans l'évaluation de nos actions, nous devons élaborer de meilleures méthodes et bâtir de meilleurs outils en termes de travail prospectif. Nous vivons aujourd'hui dans une économie ouverte et mondialisée. Notre société est extrêmement complexe. Il y a pluralité des futurs possibles pour la ville. C'est pourquoi, aujourd'hui plus que jamais, les enjeux de la renaissance urbaine supposent une vision réellement prospective. Vous et moi, Mesdames et Messieurs les élus avons, en cela, une responsabilité. Bénéficiant moi-même d'une expérience d'élu local, je considère que les maires -de par leur proximité avec les réalités du terrain- sont particulièrement bien placés pour défricher l'avenir de nos villes. Je suis d'autant plus attaché à cette dimension que les actions lancées par mon ministère ont vocation à s'inscrire dans la durée. Le renforcement de la coopération européenne au service des villes est indispensable. Nos partenaires sont souvent confrontés aux mêmes problématiques urbaines qu'en France. L'implication de l'Europe est d'ores et déjà réelle. Mais elle peut et doit être renforcée. Je constate qu'elle n'est pas toujours identifiable pour les populations des territoires qui bénéficient, par exemple, des fonds structurels européens. C'est pourquoi, je plaide afin que soient valorisées les actions qui placent l'Europe sur le champ de l'urbain.
Qu'il s'agisse des crédits européens pour 2000 2006, des nouveaux PIC URBAN, des travaux engagés par la Commission, le Parlement européen, le Comité des régions ou dans un cadre intergouvernemental, j'estime que nous disposons d'une bonne matière première pour faire entrer, mieux encore, la dimension de l'Europe dans nos villes et nos quartiers. Nous ne sommes plus sur des calendriers uniquement de court terme. Nous avons dépassé le cadre désormais trop étroit de la simple réparation : nous devons renouveler la ville. La politique de renouvellement urbain que j'ai engagée -et les moyens financiers particulièrement importants qui permettent sa mise en uvre- ouvrent un très grand chantier pour transformer nos villes de façon profonde, pour dédensifier des quartiers qui ne sont plus en phase avec ce à quoi les habitants sont en droit d'aspirer, c'est à dire vivre dignement dans un environnement et un cadre de vie moderne, décent et beau.
Je pense, Mesdames et Messieurs, que la société française, depuis quelques années, a souffert d'inhibition pour ce qui concerne le bâti physique des immeubles de ses villes. Je me suis efforcé, en plaidant pour un nombre d'opérations de construction et de démolition beaucoup plus conséquent, de lever un certain nombre de tabous qui constituaient autant d'obstacles au progrès dans nos villes. Il en va de même en ce qui concerne l'approfondissement de la loi d'orientation pour la ville : la loi Solidarité et renouvellement urbains lève un autre tabou en termes de recherche d'un meilleur équilibre du nombre de logements sociaux entre les différentes villes. J'évoquais, il y a quelques instants la diversité des villes françaises. Cette diversité est, en soi, une richesse. Mais je comprends bien, en même temps, que certaines villes souhaiteraient être tout autant diverses mais un peu plus riche. Je suis convaincu que les efforts consentis par le gouvernement, particulièrement en ce qui concerne la Dotation de Solidarité Urbaine, vont dans la bonne direction. Pour autant, je suis persuadé que des mécanismes de péréquation plus importante entre les collectivités qui disposent d'un très fort potentiel fiscal et celles dont les marges de manuvre financières demeurent très réduites devront être mis en uvre pour assurer l'égalité devant le service public.
Nous devons, Mesdames et Messieurs, observer attentivement les données produites par le dernier recensement général de la population. Nous pouvons, en effet, en vertu de ces indications, entrevoir les contours de ce que sera l'armature urbaine de notre pays pour les prochaines décennies : villes, agglomération et réseaux de villes. Je m'attendais à ce que les lois de juin et juillet 1999 relatives au développement durable du territoire ainsi qu'au renforcement de la coopération intercommunale soient suivies d'effets positifs, en termes de progrès dans la coopération intercommunale. Mais j'ai été surpris, comme tout un chacun, par ce chiffre de 51 communautés d'agglomération, dès le premier janvier de cette année. L'incitation financière a probablement joué un rôle dans cet essor. Pour autant l'explication du phénomène par la seule DGF des groupements me semble pour le moins sommaire. Je crois qu'il s'agit, en réalité, de la première manifestation institutionnelle d'un " saut qualitatif " vers des pratiques plus innovantes. A travers cette marche vers l'agglomération -une marche voulue par les villes et non pas une " marche forcée "- notre pays est tout simplement en train de se moderniser, de s'adapter aux conditions du monde de demain qui appelle de nouvelles pratiques fondées sur le partenariat, la transversalité, la coopération et l'imagination.
Le ministre qui s'adresse à vous a placé l'agglomération au cur des dispositifs de la politique de la ville ; il est convaincu que l'avenir de nos villes passe par celui de l'agglomération. Cette journée du 4 avril, Mesdames et Messieurs n'est pas terminée, mais elle s'est bien engagée. Nous aurons, dès cette année, d'autres rendez-vous importants. La 2ème édition du Festival International de la Ville, à Créteil fin septembre, sur le thème "Villes en Europe" qui sera notamment consacré à une confrontation d'expériences entre villes européennes. Une conférence "Europe, Villes et Territoires", également, qui se déroulera au début du mois de novembre. La première Conférence des villes appellera d'autres rendez-vous. D'ores et déjà, votre présence, votre détermination et votre parole de ce jour constituent un acte fondateur à partir duquel, j'en suis convaincu, pourra s'engager une dynamique nouvelle en faveur de nos villes.
Je voudrais, pour conclure, insister sur la nécessité d'éduquer les jeunes générations à la ville, de les préparer à accéder à cette civilisation, à y participer, pour qu'ils s'en sentent les acteurs. Nous voulons la ville pour eux, pour qu'ils y soient heureux. Faisons-la avec eux. La démocratie vivante qui associe les plus jeunes aux projets urbains, qui leur fait comprendre le sens de l'espace public, qui leur donne une place dans l'organisation de la cité, qui leur donne l'exemple de la solidarité, cette démocratie gagne toujours. Elle relie le présent au passé et projette une lumière d'avenir garante des valeurs auxquelles nous sommes attachés. Je sais que c'est le sens de votre initiative. Merci, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, pour cette Conférence qui marque l'alliance si symbolique des villes entre elles, merci aussi pour votre attention.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 14 avril 2000).