Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Quotidien du médecin" du 4 novembre 2005, sur les raisons de la décision de l'UDF de ne pas voter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

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LE QUOTIDIEN - L'Udf a décidé de ne pas voter le budget de la Sécurité sociale. Pourquoi ?
FRANÇOIS BAYROU - Parce qu'une fois de plus, ce budget n'est pas crédible. Fait sans précédent : il a reçu un avis négatif des conseils d'administration des quatre caisses ! Un seul exemple : on nous annonce pour 2006 un déficit de l'assurance maladie en dessous des sept milliards d'euros mais cette hypothèse repose sur le pari qu'il y aura l'an prochain 3,3 % de prescriptions en moins. Quelle crédibilité accorder à une telle prévision? L'autre raison de notre décision est l'aggravation de la crise dans tout le secteur de la santé : à l'hôpital où trois quarts des établissements sont dans le rouge mais aussi chez les médecins.
Nous sommes devant l'application d'une politique dont nous avions prévenu en 2004, notamment par Jean-Luc Préel, qu'elle créerait, au bout du compte, une immense déception. On nous annonçait, en présentant la réforme " historique ", que le budget devait revenir à l'équilibre en 2007 : en fait le déficit sera le plus lourd de la période. Tous les chiffres montrent que, comme le dit la Cour des Comptes, " en fait, la protection sociale n'est plus financée ".
LE QUOTIDIEN - Une mesure est particulièrement controversée : le forfait de 18 euros sur les actes lourds. Quelle est votre analyse ?
FRANÇOIS BAYROU - Je m'exprime avec prudence parce que tout le monde sait qu'on ne retrouvera pas une situation financière saine sans efforts accrus. Encore faut-il qu'ils soient justement répartis. Or les Français les moins favorisés (sans mutuelles mais juste au-dessus du seuil de la CMU) vont la ressentir très lourdement. Dans un contexte de graves difficultés financières pour la Sécu, la question de l'équité dans les efforts doit être première, sinon on obtient une médecine à plusieurs vitesses.
LE QUOTIDIEN - Que répondez-vous à ceux qui estiment que l'UDF se situe clairement dans l'opposition ?
FRANÇOIS BAYROU - Qu'on nous présente de bons textes, nous serons ravis de les voter! Ce n'est pas le cas avec ce Projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Xavier Bertrand a fait des efforts d'écoute et de compréhension. Mais force est de constater que les annonces ne sont pas suivies d'effet et que le processus de décision demeure le même : technocratique.

LE QUOTIDIEN - Quels enseignements retenez-vous de votre enquête auprès des médecins français ?
FRANÇOIS BAYROU - Nous avons organisé cette enquête auprès des médecins sans savoir si elle les intéresserait. Nous avons eu 14 000 réponses !, accompagnées de pages et de pages de contributions et de commentaires ! Très souvent, les réponses commençaient ainsi : "c'est la première fois qu'on nous demande notre avis". Ce qui frappe d'abord, c'est l'énorme sentiment de frustration d'un milieu professionnel de haut niveau mais laissé complètement à côté des décisions sur son propre avenir et qui se ressent comme instrumentalisé. 14 % des médecins seulement croient que la réforme est une bonne réforme. Les doutes, considérables, concernent bien sûr le fond mais d'abord la méthode. L'exaspération porte en particulier sur l'absence de continuité de la politique conduite. J'ai été par exemple frappé par l'amertume des médecins référents. Ces médecins ont eu le sentiment qu'ils pouvaient s'investir sur une parole crédible de l'État, ils se sont engagés pendant des années et soudain on renverse la table. Le choc est considérable et pas seulement chez les référents ! De nombreux praticiens qui pourtant n'avaient pas choisi cette option y ont vu une preuve du manque de parole des décideurs. À ces doutes, il faut ajouter l'envahissement de la pratique professionnelle par des tâches administratives, informatiques, juridiques, comptables, dont ceux qui les supportent estiment qu'elles ne relèvent pas de la médecine. Cet alourdissement de l'exercice de la médecine crée une grande lassitude, une exaspération. Enfin, il y a le choc entre la vocation médicale et la société contemporaine. L'atteinte permanente à l'image du médecin est extrêmement mal vécue.
LE QUOTIDIEN - Votre diagnostic de la crise médicale n'est-il pas exagéré ?
FRANÇOIS BAYROU - La crise du secteur médical est d'autant plus frappante que, pour l'essentiel, ce n'est pas une crise matérielle, c'est une crise morale. J'entends les médecins qui sont proches de moi (ma fille, mon gendre, ma sur et son mari, mes neveux et nièces, mon suppléant) parler de leur métier ! Je sens bien les interrogations, qui perturbent aujourd'hui le grand amour qu'ils ont de leur métier. Mais les réponses au questionnaire sont impressionnantes : l'expression des médecins traduit une profonde rancoeur. Il est vrai qu'il y a aussi un aspect sociétal : il arrive aux médecins ce que connaissent aussi d'autres professions qui étaient hier des piliers respectés de la société française : les professeurs, les juges, les élus. Tous ressentent un sentiment de dévaluation. Et les attaques contre eux les touchent d'autant plus : récemment encore, on a dit que les médecins ne tenaient pas leurs engagements, qu'ils n'assumaient pas leurs responsabilités. Pour ma part, je ne partage pas l'idée selon laquelle les médecins sont responsables des maux de la Sécu. Par exemple : la rémunération des médecins Français est moins importante que celle des médecins de la plupart des pays de l'Union. Regardez l'émotion que suscite chez les chirurgiens un amendement récent : ils se sentent désignés comme boucs émissaires alors que les tarifs chirurgicaux en France sont pour l'essentiel plus bas qu'ailleurs. Qu'on leur demande des efforts, les médecins le comprennent, qu'on les mette en accusation, ils ne le supportent plus.
LE QUOTIDIEN - Dans le cadre des états généraux de la reconstruction, l'UDF organise demain au Sénat un colloque "santé" avec environ 400 médecins ayant répondu au questionnaire. Pourquoi cette initiative ?
FRANÇOIS BAYROU - Pour prendre au sérieux le travail en commun que nous sommes décidés à conduire, dans la durée, avec toute une profession. L'enquête auprès des médecins a été cette première étape, permettant de connaître leur ressenti, leur vécu. Et nous allons faire le même travail avec les autres professions de santé, infirmiers, pharmaciens, dentistes, kiné, para-médicaux.
Le colloque de demain, avec plusieurs centaines de médecins, doit permettre de tracer des lignes, même si le moment n'est pas venu de faire des grandes propositions d'organisation. Les médecins et les professions médicales représentent une telle somme de compétences, d'expérience, de science et de conscience, que nous ne pouvons pas laisser une telle mine de savoir et de réflexion en jachère.
LE QUOTIDIEN - Quelles seraient les lignes directrices d'un projet UDF ?
FRANÇOIS BAYROU - L'urgence est de mettre un terme aux mesures de court terme pour privilégier le long terme, en cessant de considérer que chaque alternance impose de tout reprendre à zéro. Le médecin traitant par exemple n'est pas une idée vaine, si l'on se place non pas dans le cadre d'une politique de guichet, de ticket d'entrée chez le spécialiste, mais dans la perspective d'une grande politique de prévention. Sur la politique du médicament, les résultats atteints ne sont pas négligeables, même s'ils demandent à être confirmés (car il pourrait se faire que des médicaments peu chers soient remplacés par des médicaments plus chers). Mais quand un problème surgit, les acteurs doivent être acteurs de la décision en amont et responsabilisés. Cette méthode entraînera une réflexion sur l'organisation du système lui-même. Si l'UDF plaide pour la régionalisation de la politique de santé, c'est parce que certaines démarches et projets peuvent être très différents selon les secteurs géographiques. Sur la démographie par exemple, nous allons devoir faire face à un énorme problème de répartition des médecins sur le territoire. Il faut inventer des stratégies qui collent au terrain (monde rural, banlieues, centres-villes). Mais la voie cruciale à prendre est celle de la prise en charge globale du patient et de la prévention. C'est la stratégie la plus déterminante pour améliorer le niveau de santé de la nation et obtenir en même temps des économies.
LE QUOTIDIEN - Une enquête "médecins", un colloque santé"... : que répondez-vous à ceux qui vous accusent d'électoralisme à 18 mois de la présidentielle ?
FRANÇOIS BAYROU - Laissez les dire ! Les gens qui croient qu'il suffit de déclarations pour conquérir des voix ne comprennent rien aux professions de santé. Il n'y a pas de milieu plus méfiant désormais à l'égard des démarches politiques. Mais ils attendent une autre approche : une vraie attention et une vraie prise en compte de leurs expériences, de leur réflexion. Qu'on ne leur raconte plus d'histoires et qu'on les respecte comme partenaires. Ce sera déjà un nouveau départ.
(Source http://www.udf.org, le 7 novembre 2005)