Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, c'est un grand honneur pour moi de pouvoir parler avec vous, ici à Paris. Il est évident que la France est un grand moteur de l'intégration européenne, grand ami de la Pologne. Les relations actuelles entre la France et la Pologne marquent une dégradation comme jamais depuis 15 ans. Pourquoi ?
R - Cette relation entre la Pologne et la France, c'est une relation qui est forgée par l'histoire, par la culture et par le cur. Et c'est peut-être là que vous avez l'explication que vous cherchez. Nous attendons beaucoup les uns des autres, comme c'est toujours le cas entre les pays qui sont proches par l'histoire et par le cur. Ces dernières années, la Pologne a connu un changement formidable avec l'effondrement de l'Union soviétique, avec son affirmation comme Nation et en raison de son ambition dans l'Europe. Ce que je crois important, aujourd'hui, à partir des épreuves des uns et des autres, à partir de ce formidable bouleversement que connaît la vie internationale depuis quelques années, c'est que nous nous retrouvions et je vais vous dire ma conviction : oui, nous allons nous retrouver d'autant plus facilement que dans cette Europe, nous avons des aspirations et des ambitions communes. Je crois que c'est très important pour les Polonais de comprendre que l'entrée dans l'Europe, ça change tout. Il ne faut pas mettre ça sur le même plan que d'autres relations internationales. Je sais l'attachement que les Polonais ont pour les Etats-Unis, nous sommes nous-mêmes très attachés à la solidarité atlantique mais l'Europe, c'est notre terre. L'Europe, c'est notre destin. Nous formons un peuple commun. Et cette Europe, elle a une responsabilité. Elle a des devoirs dans un monde qui se déchire. Cette Europe, elle a une expérience et elle doit la faire partager. Je crois que nous n'avons peut-être pas pris le temps, suffisamment, de travailler ensemble cette conscience d'Européen, de faire vivre cette Europe et c'est le formidable défi que nous allons devoir relever au cours des prochaines années ; et ce défi, on va le relever : Polonais et Français, main dans la main.
Q - Helmut Kohl disait que la diplomatie européenne avait été fondée sur la conviction qu'un grand pays, un pays puissant devait être sensible et délicat dans ses relations avec ses partenaires de l'Union européenne. On a maintenant l'impression que les Allemands et les Français ne sont plus guère de cet avis ?
R - Au contraire, nous sommes totalement de cet avis et n'oubliez pas qu'il y a une exigence. Cette exigence, elle est forte. Nous devons avancer, nous les Européens, plus vite. Le 1er mai, ce sera la grande fête de l'élargissement de l'Europe. Il faut par conséquent que l'Europe, à ce moment précis, soit capable d'approfondir ses relations, de se doter d'une règle commune. Nous n'avons toujours pas de Constitution alors que nous allons être 25. Comment fait-on, avec 25 pays, pour faire fonctionner une Europe qui ne doit pas être seulement un grand marché intérieur et quelques politiques, mais qui doit porter l'ambition collective de tous les peuples de l'Europe, une solidarité, une conscience commune ? Comment fait-on pour vivre ensemble si nous ne sommes même pas capables de nous doter d'une règle commune ?
Q - Monsieur le Ministre, je vais donner un exemple qui témoigne de ce manque de sensibilité : M. Chirac, à propos du conflit en Irak a dit que les nouveaux pays membres avaient raté l'occasion de se taire. Beaucoup de Polonais ont eu l'impression que la France voulait leur donner une leçon de savoir-vivre en Europe.
R - Vous savez, nous sommes dans un monde où il faut faire preuve beaucoup d'humilité. Nous avons tous besoin de conseils, tous besoin de leçons parce que le monde est difficile et je regrette pour ma part que dans cette crise irakienne, on n'ait pas davantage entendu certaines voix s'exprimer avec conviction. Je sais quel est le sentiment du peuple polonais et je pense qu'il nous faut prendre en compte aujourd'hui le sentiment des peuples. Ma conviction c'est que, oui, la guerre en Irak était non seulement une erreur mais une faute. Et nous voyons bien aujourd'hui, c'est vrai, qu'il y a plus de terrorisme, plus d'instabilité dans le monde. La France a pris ses responsabilités. Nous l'avons peut-être dit dans certaines circonstances, trop fortement et en l'occurrence ce que vous me dites c'est que certains Polonais ont pu être surpris de la force avec laquelle nous avons exprimé notre conviction. Mais vous savez, nous sommes dans un monde où les peuples et les gouvernements doivent faire preuve de courage et ce courage, cette lucidité, c'est d'être capables aujourd'hui de comprendre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Et puisque nous parlons de l'Irak, puisque nous parlons du terrorisme dans le monde, la conviction de la France, c'est qu'on ne peut pas répondre au terrorisme et à la violence avec une politique de sécurité uniquement. Il faut une ambition, une stratégie politique de paix.
Q -Après la guerre en Irak, je me suis entretenu avec des Irakiens en Irak et tous étaient heureux que Saddam ait disparu de la scène. Le monde sans Saddam est-il meilleur aussi pour la France ?
R - Ne tombons pas dans les pièges. Bien sûr, tous les Etats et tous les peuples sont heureux de voir Saddam Hussein en dehors de la scène irakienne. Mais la question est : qu'est-ce qui légitime l'action de la communauté internationale ? Comment s'y prendre ? Que la communauté internationale toute entière ait décidé d'agir, nous l'avons fait en Afghanistan. Nous avons tous agi en Afghanistan, au lendemain du 11 septembre, sur la base d'un mandat des Nations unies. On ne peut pas agir n'importe comment. On doit agir en étant unis, on doit agir dans un cadre collectif et on doit agir en s'appuyant sur le droit. C'est comme cela qu'on évite que les conséquences ne soient pas pires que les situations auxquelles on s'attaque. C'est le principe de responsabilité collective. Il faut être soucieux de notre unité, soucieux de notre solidarité. Vous savez quand on parle des dictatures, et il y a en beaucoup à travers la planète, il ne faut pas faire quelque part ce que l'on n'est pas capable de faire ailleurs. Il faut essayer partout de faire avancer le droit et la justice, c'est une exigence fondamentale. Bien sûr, cela ne doit pas nous conduire à l'inaction. La France n'est pas pour le statu quo, la France est pour le mouvement. Et ce que nous avons, nous, critiqué, ce à quoi nous nous sommes opposés, c'est la façon dont les choses se sont faites. Nous étions prêts à agir en Irak. Nous étions prêts à participer à une guerre en Irak à condition que l'emploi de la force ne soit qu'un dernier recours, qu'on ait tout essayé. Et nous l'avons vu sur les armes de destruction massive, nous n'avons pas été jusqu'au bout, nous n'avons pas laissé les inspections travailler jusqu'à leur terme et c'est pour cela que la France a estimé que le choix qui était fait n'était pas le bon choix.
Q - Je dois poser cette question pour l'opinion publique en Pologne, ne trouvez-vous pas un peu paradoxal que la France se batte actuellement pour faire changer le système de Nice, système qui était un succès de la présidence française ?
R - Vous savez il y a un paradoxe beaucoup plus important que celui que vous venez d'énoncer. En effet, pourquoi la Pologne, qui rentre dans l'Europe et qui attend de cette Europe un certain nombre de choses qu'elle n'a pas encore obtenues, défend un système qui ne sert pas ses propres intérêts ? C'est un paradoxe que j'ai du mal à comprendre. La Pologne a beaucoup à attendre de l'Europe mais aujourd'hui, je ne vois pas en quoi le système de Nice sert les intérêts de la Pologne. Mais ne rentrons pas dans la politique, regardons l'avenir, essayons de comprendre comment nous pouvons avancer. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation où, en Europe, chacun comprend la nécessité d'avancer. Le prix pour les Européens d'une Constitution européenne est immense pour marquer notre unité, pour marquer notre solidarité, pour marquer notre ambition. Nous devons être capables de comprendre que l'unité c'est important et qu'il faut donc trouver des solutions.
Monsieur le Ministre, merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 2004)
R - Cette relation entre la Pologne et la France, c'est une relation qui est forgée par l'histoire, par la culture et par le cur. Et c'est peut-être là que vous avez l'explication que vous cherchez. Nous attendons beaucoup les uns des autres, comme c'est toujours le cas entre les pays qui sont proches par l'histoire et par le cur. Ces dernières années, la Pologne a connu un changement formidable avec l'effondrement de l'Union soviétique, avec son affirmation comme Nation et en raison de son ambition dans l'Europe. Ce que je crois important, aujourd'hui, à partir des épreuves des uns et des autres, à partir de ce formidable bouleversement que connaît la vie internationale depuis quelques années, c'est que nous nous retrouvions et je vais vous dire ma conviction : oui, nous allons nous retrouver d'autant plus facilement que dans cette Europe, nous avons des aspirations et des ambitions communes. Je crois que c'est très important pour les Polonais de comprendre que l'entrée dans l'Europe, ça change tout. Il ne faut pas mettre ça sur le même plan que d'autres relations internationales. Je sais l'attachement que les Polonais ont pour les Etats-Unis, nous sommes nous-mêmes très attachés à la solidarité atlantique mais l'Europe, c'est notre terre. L'Europe, c'est notre destin. Nous formons un peuple commun. Et cette Europe, elle a une responsabilité. Elle a des devoirs dans un monde qui se déchire. Cette Europe, elle a une expérience et elle doit la faire partager. Je crois que nous n'avons peut-être pas pris le temps, suffisamment, de travailler ensemble cette conscience d'Européen, de faire vivre cette Europe et c'est le formidable défi que nous allons devoir relever au cours des prochaines années ; et ce défi, on va le relever : Polonais et Français, main dans la main.
Q - Helmut Kohl disait que la diplomatie européenne avait été fondée sur la conviction qu'un grand pays, un pays puissant devait être sensible et délicat dans ses relations avec ses partenaires de l'Union européenne. On a maintenant l'impression que les Allemands et les Français ne sont plus guère de cet avis ?
R - Au contraire, nous sommes totalement de cet avis et n'oubliez pas qu'il y a une exigence. Cette exigence, elle est forte. Nous devons avancer, nous les Européens, plus vite. Le 1er mai, ce sera la grande fête de l'élargissement de l'Europe. Il faut par conséquent que l'Europe, à ce moment précis, soit capable d'approfondir ses relations, de se doter d'une règle commune. Nous n'avons toujours pas de Constitution alors que nous allons être 25. Comment fait-on, avec 25 pays, pour faire fonctionner une Europe qui ne doit pas être seulement un grand marché intérieur et quelques politiques, mais qui doit porter l'ambition collective de tous les peuples de l'Europe, une solidarité, une conscience commune ? Comment fait-on pour vivre ensemble si nous ne sommes même pas capables de nous doter d'une règle commune ?
Q - Monsieur le Ministre, je vais donner un exemple qui témoigne de ce manque de sensibilité : M. Chirac, à propos du conflit en Irak a dit que les nouveaux pays membres avaient raté l'occasion de se taire. Beaucoup de Polonais ont eu l'impression que la France voulait leur donner une leçon de savoir-vivre en Europe.
R - Vous savez, nous sommes dans un monde où il faut faire preuve beaucoup d'humilité. Nous avons tous besoin de conseils, tous besoin de leçons parce que le monde est difficile et je regrette pour ma part que dans cette crise irakienne, on n'ait pas davantage entendu certaines voix s'exprimer avec conviction. Je sais quel est le sentiment du peuple polonais et je pense qu'il nous faut prendre en compte aujourd'hui le sentiment des peuples. Ma conviction c'est que, oui, la guerre en Irak était non seulement une erreur mais une faute. Et nous voyons bien aujourd'hui, c'est vrai, qu'il y a plus de terrorisme, plus d'instabilité dans le monde. La France a pris ses responsabilités. Nous l'avons peut-être dit dans certaines circonstances, trop fortement et en l'occurrence ce que vous me dites c'est que certains Polonais ont pu être surpris de la force avec laquelle nous avons exprimé notre conviction. Mais vous savez, nous sommes dans un monde où les peuples et les gouvernements doivent faire preuve de courage et ce courage, cette lucidité, c'est d'être capables aujourd'hui de comprendre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Et puisque nous parlons de l'Irak, puisque nous parlons du terrorisme dans le monde, la conviction de la France, c'est qu'on ne peut pas répondre au terrorisme et à la violence avec une politique de sécurité uniquement. Il faut une ambition, une stratégie politique de paix.
Q -Après la guerre en Irak, je me suis entretenu avec des Irakiens en Irak et tous étaient heureux que Saddam ait disparu de la scène. Le monde sans Saddam est-il meilleur aussi pour la France ?
R - Ne tombons pas dans les pièges. Bien sûr, tous les Etats et tous les peuples sont heureux de voir Saddam Hussein en dehors de la scène irakienne. Mais la question est : qu'est-ce qui légitime l'action de la communauté internationale ? Comment s'y prendre ? Que la communauté internationale toute entière ait décidé d'agir, nous l'avons fait en Afghanistan. Nous avons tous agi en Afghanistan, au lendemain du 11 septembre, sur la base d'un mandat des Nations unies. On ne peut pas agir n'importe comment. On doit agir en étant unis, on doit agir dans un cadre collectif et on doit agir en s'appuyant sur le droit. C'est comme cela qu'on évite que les conséquences ne soient pas pires que les situations auxquelles on s'attaque. C'est le principe de responsabilité collective. Il faut être soucieux de notre unité, soucieux de notre solidarité. Vous savez quand on parle des dictatures, et il y a en beaucoup à travers la planète, il ne faut pas faire quelque part ce que l'on n'est pas capable de faire ailleurs. Il faut essayer partout de faire avancer le droit et la justice, c'est une exigence fondamentale. Bien sûr, cela ne doit pas nous conduire à l'inaction. La France n'est pas pour le statu quo, la France est pour le mouvement. Et ce que nous avons, nous, critiqué, ce à quoi nous nous sommes opposés, c'est la façon dont les choses se sont faites. Nous étions prêts à agir en Irak. Nous étions prêts à participer à une guerre en Irak à condition que l'emploi de la force ne soit qu'un dernier recours, qu'on ait tout essayé. Et nous l'avons vu sur les armes de destruction massive, nous n'avons pas été jusqu'au bout, nous n'avons pas laissé les inspections travailler jusqu'à leur terme et c'est pour cela que la France a estimé que le choix qui était fait n'était pas le bon choix.
Q - Je dois poser cette question pour l'opinion publique en Pologne, ne trouvez-vous pas un peu paradoxal que la France se batte actuellement pour faire changer le système de Nice, système qui était un succès de la présidence française ?
R - Vous savez il y a un paradoxe beaucoup plus important que celui que vous venez d'énoncer. En effet, pourquoi la Pologne, qui rentre dans l'Europe et qui attend de cette Europe un certain nombre de choses qu'elle n'a pas encore obtenues, défend un système qui ne sert pas ses propres intérêts ? C'est un paradoxe que j'ai du mal à comprendre. La Pologne a beaucoup à attendre de l'Europe mais aujourd'hui, je ne vois pas en quoi le système de Nice sert les intérêts de la Pologne. Mais ne rentrons pas dans la politique, regardons l'avenir, essayons de comprendre comment nous pouvons avancer. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation où, en Europe, chacun comprend la nécessité d'avancer. Le prix pour les Européens d'une Constitution européenne est immense pour marquer notre unité, pour marquer notre solidarité, pour marquer notre ambition. Nous devons être capables de comprendre que l'unité c'est important et qu'il faut donc trouver des solutions.
Monsieur le Ministre, merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 2004)