Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les relations de l'Union européenne et de l'UEO dans la perspective de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam et de l'intégration progressive de l'UEO dans l'Union européenne, Rome le 17 novembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Session ministérielle de l'UEO à Rome (Italie) les 16 et 17 novembre 1998

Texte intégral

I. Les relations UE/UEO dans la perspective de l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam
Le débat sur l'Europe de la sécurité et de la défense est aujourd'hui relancé. Je veux d'abord dire ma conviction d'Européen, en considérant qu'on ne peut évoquer la question de la sécurité et de la défense sans partir des progrès considérables qui ont été accomplis sur la voie d'une Union politique de plus en plus étroite. Avec l'ouverture des négociations d'élargissement, qui offrent une perspective de paix et de stabilité plus grande en Europe, avec, surtout, la mise en place très prochaine de l'euro, l'Union européenne entre dans une phase nouvelle et extrêmement ambitieuse de sa construction.
Je suis également convaincu que l'affirmation de l'Europe passe par sa capacité à assurer sa propre sécurité. A cet égard, les déclarations récentes des autorités françaises - qui tracent la perspective d'une intégration progressive de l'UEO dans l'Union européenne - et celles, aussi, du Premier ministre britannique, posent les nouveaux jalons d'une réflexion fondamentale pour l'avenir de l'Europe dans ce domaine crucial et, partant, pour l'avenir de cette institution qui nous réunit aujourd'hui.
Comment, dans une Union européenne qui aura bientôt une monnaie unique, qui a engagé le processus de son élargissement, qui, enfin, comme la France le souhaite, réformera ses institutions pour devenir un ensemble plus efficace et plus crédible, comment donc doivent s'inscrire la défense et la sécurité ? Voilà le défi auquel nous sommes, dès à présent, confrontés.
Le Conseil européen informel de Pörtschach, la réunion des ministres de la Défense des Quinze, à Vienne, ont évoqué ce sujet. L'année 1999 sera riche en échéances : l'euro, l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, le Sommet de Washington, le Conseil européen de Cologne.
Ces étapes doivent indiscutablement être mises à profit pour dessiner plus clairement l'Europe de la défense que nous voulons, parce qu'elle fait partie du projet européen et parce qu'elle est indispensable à l'affirmation du rôle de l'Europe dans le monde.
II. L'Europe de la Sécurité et de la Défense : en quoi peut-elle consister ? A l'évidence, elle doit d'abord s'appuyer sur des acquis :
. Dès le Traité de Bruxelles de 1948, les membres de l'UEO ont souscrit un engagement de défense collective. Y renoncer aujourd'hui, à l'heure où le Traité d'Amsterdam crée de nouveaux liens de solidarité entre les Quinze, serait, à l'évidence, un retour en arrière. D'une façon ou d'une autre - c'est une première constatation - la nouvelle configuration devra réaffirmer cet engagement central à toute défense européenne future.
. Le développement des capacités opérationnelles de l'UEO, auquel nous avons travaillé ensemble depuis son transfert à Bruxelles, en 1992, est un autre acquis. Ces capacités d'analyse, de planification, de renseignement et de direction d'une opération à travers l'état-major militaire de l'UEO, sont les outils indispensables pour que les Européens puissent décider et conduire une opération militaire par eux-mêmes.
. Le lien avec la PESC a été patiemment construit au fil des ans. Ce n'est que cette année que nous avons donné une signification concrète à l'article J4-2, prévu dans le Traité de Maastricht, par lequel l'Union européenne demande à l'UEO de mettre en oeuvre ses décisions qui ont des implications dans le domaine de la défense.
Ce mécanisme commence à fonctionner, certes pour des opérations de modeste envergure encore : l'Union peut ainsi s'appuyer effectivement sur l'UEO, qui lui prête son concours ; c'est une bonne chose ; la reprise, dans le Traité d'Amsterdam, des missions de Petersberg devra conduire à recourir de plus en plus à ce mécanisme.
Mais le Traité d'Amsterdam va un peu plus loin encore : d'abord, la création d'un Secrétaire général, Haut-Représentant pour la PESC ; ensuite, sous l'égide du Conseil européen qui "définit les principes et orientations générales de la PESC, y compris pour les matières ayant des implications en matière de défense", la "définition progressive d'une politique de défense commune", qui "pourrait conduire à une défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi" ; enfin, si, là encore, le Conseil européen le décide, l'intégration de l'UEO dans l'Union, comme l'ont rappelé le président de la République française et le Premier ministre.
. Enfin, ces dernières années, les relations toujours plus étroites entre l'UEO et l'OTAN ont permis de démontrer aux Européens, comme à nos alliés américains que chacun a sa place. Ce que l'Europe de la Défense gagne, en efficacité et en crédibilité, ne se fait pas au détriment de la cohésion de l'Alliance.
A ce jeu d'une défense européenne renforcée, chacun est gagnant, qu'il s'agisse d'un fardeau mieux partagé ou d'un partenariat plus équilibré.
L'UEO a joué un rôle majeur dans le développement d'une culture de confiance et de non-concurrence.
Pour nous, c'est sur ces acquis que doit se développer la politique européenne de sécurité et de défense. L'insertion de l'UEO dans l'Union européenne, selon les orientations ouvertes par les Traités de Maastricht et d'Amsterdam, pourrait se traduire, à notre sens, d'une part par la mise en place, au sein de l'Union, d'une Agence de défense et, d'autre part, par le développement, dans ce domaine, de coopérations renforcées. Dans cette perspective, la question des relations entre le Haut-Représentant pour la PESC et le Secrétaire général de l'UEO devra être posée.
. La politique européenne de défense fait, en effet, partie de la politique étrangère et de sécurité commune. C'est dans ce cadre qu'elle doit donc se situer. C'est donc dans ce cadre qu'il nous faut réfléchir à la façon adéquate de prendre en compte l'engagement de défense collective du Traité de Bruxelles modifié. Le dispositif des coopérations renforcées, d'ores et déjà prévues dans le premier et le troisième piliers, devrait pouvoir être appliqué aux domaines de la défense et de la sécurité.
. Il faut, ensuite, que les Européens aient la capacité d'agir ; et donc qu'ils disposent, à cet effet, d'un certain nombre d'instruments. L'Agence serait le lieu de regroupement de ces instruments.
- L'Union européenne doit pouvoir notamment compter sur des instruments d'aide à la décision, et ceci vaut dans le domaine du renseignement, de la planification et de la gestion des crises.
- Elle doit aussi pouvoir assurer la direction politique et stratégique d'opérations, y compris d'opérations conduites avec des moyens collectifs de l'OTAN, conformément à l'esprit des décisions de Berlin. Il importe, à cet égard, que l'accord cadre OTAN-UEO soit finalisé rapidement, et en tout cas, avant le Sommet de Washington.
- Elle doit pouvoir enfin disposer de capacités d'action, notamment par la mise en cohérence des forces multinationales européennes qui doivent coopérer plus étroitement afin de pouvoir, si nécessaire, être engagées conjointement.
- Cela signifie enfin que les Européens - comme ils ont entrepris de le faire, notamment dans le cadre de l'OCCAR - doivent développer la base industrielle et technologique de défense et la coopération en matière d'armements.
C'est de tout cela dont l'Agence devra s'occuper, sous l'autorité des ministres des Affaires étrangères et de la Défense. Les contours et le contenu de cette Agence devront, à l'évidence, être débattus entre nous, dans le cadre de l'Union qui l'accueillera comme dans celui de l'UEO, et, de façon concertée, entre les deux organisations. La France n'a pas, à ce stade, de projet tout fait à présenter.
Alors le moment sera également venu d'établir les relations souhaitables entre cette Union européenne, dotée de compétences en matière de défense et jouant effectivement un rôle dans ce domaine, et l'OTAN.
En traçant ces perspectives, je ne méconnais pas les questions qu'elles soulèvent, notamment pour les Etats qui, sans être membres pleins de l'UEO, font partie de la famille et apportent leur contribution à l'identité européenne de sécurité et de défense. Nous entendons donc préserver les solidarités existantes.
Il nous faudra y réfléchir avec eux, comme aussi il nous faudra réfléchir à la façon de faire prendre en compte, au sein de l'Alliance atlantique, les évolutions de l'Europe de la Sécurité et de la Défense.
III. Il ne nous appartient pas, dès aujourd'hui, de dessiner la carte de l'architecture qui est en train d'émerger, mais nous devons préparer les échéances à venir. Dans ce travail de réflexion préparatoire, l'Union de l'Europe Occidentale a un rôle à jouer. Il nous appartient de lancer cette réflexion, qui devrait, à notre sens, s'articuler en trois volets :
. Il serait d'abord nécessaire de dresser un inventaire de ce qu'a accompli l'UEO, ce qui suppose un bilan des moyens et des potentialités de ses structures actuelles, qu'il s'agisse du Secrétariat général, de l'Etat-major militaire, du Centre satellitaire, de l'Institut d'études de sécurité.
. Il serait ensuite indispensable - et la perspective du Sommet de Washington nous offre l'occasion d'engager cette réflexion entre Européens, dans un format 18+3, mais de façon informelle - sur ce que nous souhaitons voir figurer, dans le concept stratégique révisé, sous le terme d'Identité européenne de Sécurité et de Défense. C'est le sens de la proposition dont nous avons demandé l'insertion dans la Déclaration de Rome.
. Nous devons enfin, engager un travail de réflexion sur l'évolution des forces multinationales européennes, sous l'angle de leur mise en cohérence et des concepts d'emploi, qu'il s'agisse de leur emploi au titre du pilier européen de l'Alliance ou en tant que réservoir de forces à la disposition des instances européennes.
Ces différents travaux revêtent un caractère d'urgence en raison des échéances du printemps. Leurs conclusions contribueront pour beaucoup aux décisions qui, à notre sens, devraient être prises, en relation avec l'UEO, lors de ces échéances, au Sommet de Washington et au Conseil européen de Cologne notamment.
En octobre 1987, la plateforme de La Haye reconnaissait que "la construction d'une Europe intégrée restera incomplète tant que cette construction ne s'étendra pas à la sécurité et à la défense". La nouvelle Europe qui sortira d'Amsterdam au printemps prochain se doit de reprendre à son compte sous forme positive cette affirmation.
Elle a pour responsabilité de lui donner une traduction dans ses structures institutionnelles, comme sur le terrain.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)