Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à France 2 le 13 février 2004, sur le service minimum dans le secteur public, la réforme de l'assurance maladie et la baisse des charges pour les restaurateurs.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - Vous venez de succéder à M. Blondel à la tête de FO. Avec vous, on va donc aborder les grands dossiers sociaux du moment, à commencer par le service minimum. Hier, le Gouvernement a installé une commission d'experts, il veut, en quelque sorte, garantir la continuité du service public en cas de grève. Cette commission d'experts chargée de réfléchir, c'est une bonne idée ?
J.-C. Mailly - "On va voir ce qui sortira des travaux. Mais on note que dans le même temps, monsieur de Robien une injonction aux syndicats de discuter. D'un côté des experts et des sages, de l'autre, une injonction ; c'est un peu ferme comme début."
R. Sicard - Discuter, ce n'est pas une mauvaise idée...
J.-C. Mailly - "Oui, mais l'injonction, c'est un ordre, donc c'est une autre chose. Ce qui nous apparaît important dans cette affaire, c'est ne pas oublier que la mise en place d'un service minimum, ce peut être une remise en cause du droit de grève et ce n'est pas acceptable."
R. Sicard - Le Gouvernement ne parle pas de service minimum, il parle de "continuité de service public".
J.-C. Mailly - "Oui, mais c'est un peu jouer sur les mots. La continuité de service public, c'est une certaine forme de service minimum. Si cela doit conduire à remettre en cause le droit de grève, là, il y a effectivement un problème. Regardez aujourd'hui, quand il y a une grève à la SNCF : il n'y a pas obligatoirement 100 % de grévistes. Ce n'est pas un hasard, si, par exemple, il y a plus de TGV qui circulent, là où c'est plus rentable, et que sur les lignes de banlieues, par exemple, il y a moins de trains qui circulent. Ce sont ces lignes-là qui transportent les salariés tous les matins."
R. Sicard - C'est justement à tous ces gens-là qu'il faut penser, tous ces gens, qui, en cas de grève, ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu'il n'y a plus de train.
J.-C. Mailly - "Mais pourquoi, à ce moment-là, la direction de la SNCF, quand il y a un appel, préfère faire circuler des TGV et mettre des conducteurs sur les TGV que sur les trains de banlieue ? La notion de service minimum est plus compliquée que cela. Nous, ce qu'on ne souhaite pas et ce que l'on ne veut pas, c'est qu'il ait à la fois une remise en cause du droit de grève dans ces entreprises et on ne veut pas non plus que demain, au nom du service minimum ou de la continuité du service public, on interdise ce que l'on appelle "les grèves de solidarité". Regardez ce qui s'était passé sur les retraites, où en 1995, quand il y a des grands conflits, qu'on ne puise pas interdire à la SNCF ou la RATP ou à d'autres secteurs de faire des grèves de solidarité avec d'autres salariés. Il y a deux aspects dans cette notion de service minimum ou de continuité du service public. Donc, on a la ferme intention de conserver l'existence possible du droit de grève."
R. Sicard - Cela dit, vous savez bien que ce sont les usagers qui trinquent à chaque fois, puisque ce sont eux qui ne peuvent pas rentrer chez eux. Est-ce qu'on ne peut pas penser à quelque chose qui leur simplifierait la vie dans ces cas-là ?
J.-C. Mailly - "Les grévistes sont aussi pénalisés, on ne fait jamais grève par plaisir, ce n'est pas un plaisir de faire grève. Quand les gens font grève, ils ont des prélèvements sur leur salaire. Vous savez qu'il y a encore eu, il y a peu de temps des prélèvements pour les grèves des mois de mai-juin. Donc, il y a des prélèvements."
R. Sicard - Mais vous savez bien que les usagers sont très favorables à cette idée de service minimum.
J.-C. Mailly - "Ils sont favorables quand il ne sont pas directement concernés. Quand ils sont eux-mêmes directement concernés en tant que salarié, c'est tout à fait différent comme notion. Donc, les usagers sont pénalisés quand il y a une grève. Mais quand il y a une grève, c'est que les gens ne sont pas contents, que l'on n'a pas réglé le problème autrement. Je rappelle que dans le service public, d'une manière générale, il y a des délais de préavis ; ces préavis, normalement, devraient être utilisés pour discuter avec les organisations syndicales. Donc, quand il y a une grève, ce la signifie que les salariés ne sont pas contents. Que la grève donne lieu à des perturbations, c'est évident. Si demain les gens faisaient grève, n'étaient pas payés et que cela ne gênait personne, je ne vois pas l'intérêt."
R. Sicard - Cela veut dire que vous vous opposerez à cette idée de continuité de service public, comme dit le Gouvernement ?
J.-C. Mailly - "Nous nous opposerons à la mise en oeuvre d'un service minimum. Et puis, regardez un peu les pays où cela s'est mis en place, notamment en Europe, y compris quand il y a des problèmes de service minimum ou des décisions de mettre en place des services minimums, ce n'est pas pour autant que, quand il y a une grève, les gens ne sont pas en grève."
R. Sicard - Dans la commission d'experts que vient de nommer le Gouvernement, il y a par exemple un ancien ministre communiste de la Fonction publique, A. Le Pors. C'est un bon signe selon vous ?
J.-C. Mailly - "On verra."
R. Sicard - A priori, c'est plutôt un partisan du service public.
J.-C. Mailly - "Je ne veux pas prendre d'engagement sur la composition de la commission d'experts. Je suppose que cette commission va consulter, y compris les organisations syndicales ; c'est à partir des propositions que l'on se prononcera."
R. Sicard - Le deuxième gros dossier, c'est celui de l'assurance maladie dont le déficit est énorme : 11 milliards d'euros pour 2004. Il va falloir une réforme.
J.-C. Mailly - "Qu'il faille une réforme, cela fait assez longtemps qu'on le dit. Il y a effectivement nécessité de revoir les choses. Je rappelle qu'en 1995, au moment de ce que l'on a appelé "le plan Juppé", dans l'année qui a suivi, nous avions contesté cette réforme à l'époque en disant que cela allait générer moult problèmes. Je constate aujourd'hui qu'on avait raison sur l'analyse. Il faut donc une réforme."
R. Sicard - Une réforme, cela veut dire des sacrifices, non ?
J.-C. Mailly - "Cela s'appelle une contre-réforme, dans ce cas. Si c'est une réforme qui amène des sacrifices... Dans réforme, il y a quelque chose de positif, même si ces dernières années, on a eu le sentiment qu'on nous parlait de réforme et qu'en fait, comme le dit un cinéaste connu, monsieur Chabrol - j'ai entendu cela il n'y pas longtemps à la télévision - qui expliquait que maintenant, quand on parlait de réforme, cela avait tendance à être des révisions déchirantes."
R. Sicard - Quand il y a un déficit, si on veut faire une réforme, il faut bien trouver de l'argent quelque part.
J.-C. Mailly - "Quelles sont les raisons de ce déficit ? C'est d'abord la première question u'il faut se poser. On ne peut pas déconnecter la situation de la Sécurité sociale et de l'assurance maladie de la situation économique. Deux exemples : 3 milliards d'euros pas an - ce n'est pas rien ! - de cotisations patronales qui sont exonérées et qui ne sont pas remboursés à la Sécurité sociale. Il faut savoir qu'un point de masse salariale en moins, c'est 1,5 milliard d'euros, que 100 000 chômeurs de moins, c'est 1 milliard d'euros de recettes supplémentaires. Ce sont des éléments qui pèsent sur la situation financière de la Sécurité sociale, y compris quand on est dans une période où la croissance est faible. Donc, ce que l'on demande, par exemple, c'est que l'on sache exactement qui fait quoi dans le domaine de la Sécurité sociale, une clarification nette des responsabilités entre ce qui relève de l'Etat, donc de la solidarité nationale, financé par l'impôt. Et là, on peut avoir des demandes : pourquoi, par exemple, ne pas taxer plus fortement certains bénéfices distribués aux actionnaires, et ce qui doit relever de la Sécurité sociale."
R. Sicard - Et sur les médicaments qui sont jugés pas très efficaces et que l'on pourrait dérembourser, vous êtes d'accord que l'on réexamine la situation ?
J.-C. Mailly - "Si ce sont des experts au sens médical du terme, si ce sont des scientifiques qui disent à un moment donné : "tel médicament a des effets secondaires dangereux" ou qu'ils considèrent qu'il n'est plus efficace ; si c'est sur des critères uniquement scientifiques, cela se discute, bien entendu. Mais si c'est sur des critères comptables, en disant qu'il faut supprimer ou dérembourser, comme cela a été fait ces dernières, années, tel nombre de médicaments , parce que cela va nous amener X millions d'économies, c'est une logique comptable qui ne rentre pas le sens de l'histoire. Si c'est sur des critères médicaux, cela se discute ; si c'est sur des critères comptables, non."
R. Sicard - Troisième dossier : la baisse des charges que le Gouvernement vient d'annoncer pour les restaurateurs, parce qu'il n'a pas pu obtenir la baisse de la TVA à Bruxelles. On parle de 40 000 emplois à la clef ; c'est une bonne chose ?
J.-C. Mailly - "Nous sommes très sceptiques là-dessus. D'abord, je dirais "encore une baisse de charges !" Cela fait beaucoup. Pourquoi sommes-nous sceptiques ? Il faut savoir que, dans cette profession, où il y a à peu près 800 000 salariés, il y a en a 40 %, plus de 300 000, qui sont aujourd'hui payés au Smic. On nous dit régulièrement qu'il y a des emplois disponibles dans cette profession. Mais si les gens ne veulent pas y travailler, c'est pourquoi ? C'est parce que les conditions de travail n'y sont pas bonnes, parce que les salaires ne sont pas assez élevés."
R. Sicard - Justement, les patrons disent qu'ils vont pouvoir augmenter les salaires si on leur baisse les charges.
J.-C. Mailly - "Les charges vont être baissées, on est sceptiques sur la notion d'emplois qui pourraient être créés. Par contre, ce que l'on demande, c'est qu'effectivement, il y ait des engagements précis dans le domaine de l'augmentation des salaires, aussi dans le domaine de la durée du travail et puis tous les systèmes de prévoyance et de protection sociale dont devraient bénéficier les salariés des hôtels-cafés-restaurants et dont ils ne bénéficient pas aujourd'hui."
R. Sicard - Si ces conditions sont remplies, vous êtes d'accord ?
J.-C. Mailly - "Ce n'est pas nous qui décidons la baisse des charges. En tous les cas, si elle est décidée, nous avons des exigences si on veut effectivement que ces professions puissent attirer des salariés. Le problème de fond, le problème-clé, c'est que les salaires ne sont pas assez élevés dans cette profession."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 février 2004)