Entretiens de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec "TVN 24" et la presse française le 27 juin 2005 à Varsovie, sur la crise liée au choix du projet politique européen et à l'adoption du budget communautaire pour 2007-2013, l'incidence de l'élection présidentielle iranienne sur les négociations de l'UE portant sur le programme nucléaire iranien, les relations de l'Union européenne avec la Russie et l'Ukraine, en matière de visas notamment.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du Triangle de Weimar à Varsovie le 27 juin 2005

Média : Presse étrangère - Presse française - Télévision - TVN 24

Texte intégral

(Entretien avec TVN 24 à Varsovie le 27 juin 2005) :
Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureux de venir en Pologne. La Pologne a un grand peuple, elle est un grand pays que la France aime. Il se trouve que j'ai été, il y a plusieurs années, maire de Lourdes et que nous avions organisé un jumelage avec Czestochowa et je voulais vous dire ici que je suis très heureux de revenir en Pologne.
Alors, vous me posez une question sur l'actualité, cette actualité européenne est évidemment très grave. C'est une crise. Dans les crises, il faut être offensif et non pas défensif. Il faut dire fortement que l'on est pour une union politique, que l'on veut peser dans le monde, face aux Etats-Unis, face à la Chine, face à l'Inde, face au Brésil. Et, pour peser, il faut être ensemble. La Pologne, évidemment, comme la France, comme l'Allemagne, doit être au cur de ce moteur européen. Et puis, en face, il y a ceux qui ne sont pas d'accord avec nous. Ceux qui veulent uniquement une Europe de commerce, une Europe de libre-échange, une Europe concurrentielle. Ce sont deux projets différents. C'est le premier qui doit l'emporter. Pour la défense, pour la puissance, pour la politique extérieure. C'est vraiment important.
Q - (A propos de l'éventualité d'un second référendum en France)
R - C'est trop tôt pour le dire puisqu'il y a des pays, comme le vôtre, qui n'ont pas encore décidé du mode de ratification. Il va donc falloir ratifier le traité dans les différents pays et, ensuite, on verra pour ceux qui ont dit "non".
La question aujourd'hui est de réfléchir ensemble, c'est ce que le président Chirac a proposé, au début 2006, pour que tous les pays proposent un nouveau projet aux Européens. Parce que les Européens ne voient pas notre projet, ils ne le trouvent pas lisible, ils ne le lisent pas. Il faut que l'Europe soit un projet positif pour les enfants et les petits-enfants des citoyens européens d'aujourd'hui. Ce projet, il faut que nous le construisions rapidement. La meilleure solution, c'est de dire que, face aux grands pôles du monde, l'Europe peut peser, mais avec un modèle social.
Q - (A propos du modèle social européen. Peut-on envisager une nouvelle rencontre européenne pour arriver à un compromis sur le budget ?)
R - J'ai regretté cet échec au dernier Conseil européen, alors que ce budget était fait pour savoir comment on allait financer l'élargissement aux nouveaux pays venus de l'Est, ces pays qui arrivent, votre pays, qui arrivent à la table de l'Union européenne ; c'est d'ailleurs un honneur pour nous et c'est un grand rendez-vous pour vous aussi. A ce moment-là, chacun a voulu payer, et c'est normal, pour que ces pays rentrent. La France a décidé de donner 10 milliards d'euros au total entre 2007 et 2013. Je dis bien 10 milliards d'euros ! Et cela nous fait plaisir de les donner parce que c'est une chance historique de vous avoir avec nous. Je regrette que le Royaume-Uni ait refusé. J'espère que cela va s'arranger et j'espère qu'il y aura un accord budgétaire bientôt.
Je suis venu dire que la France était prête à payer et continue à l'être. Et en plus, je me rends compte que nous avons de telles relations, une telle chance de pouvoir travailler avec vous.
Q - (A propos de la Politique agricole commune)
R - La Politique agricole commune est une chance extraordinaire pour l'Europe. Regardez M. Bush, le président américain. Il dit : "moi, aux Etats-Unis, j'ai deux armes : l'industrie et l'agriculture." Il est tout heureux de dire ça. Tous les Américains sont heureux de la politique agricole américaine. Tous les éditorialistes, tous les journalistes sont contents. Mais nous aussi, nous avons une grande Politique agricole commune grâce à nos agriculteurs polonais, français, et les autres. Nous sommes indépendants. Nous n'avons besoin de personne, nous n'avons pas besoin d'importer. Au contraire, nous sommes les premiers exportateurs de produits agricoles transformés au monde. Et malgré cela on critique, alors que c'est une chance !
Les agriculteurs sont une chance pour le continent. On l'oublie souvent mais on mange matin, midi et soir ! Et c'est mieux de pouvoir avoir des agriculteurs qui vous font manger plutôt que d'acheter à l'extérieur. Surtout s'il y a une crise. Donc, souvenons-nous en plus que de nombreux emplois sont créés grâce à cela. Donc que l'on discute de cela après 2013 peut-être, mais pas maintenant.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2005)
(Entretien avec la presse française à Varsovie le 27 juin 2005) :
Q - Quel type de travaux envisagez-vous de faire ensemble dans le cadre du Triangle de Weimar ?
R - Il m'a paru important d'exprimer aux Polonais notre bonheur de les avoir dans l'Union européenne, de leur dire que je considérais cela comme un honneur et qu'il était important, aujourd'hui, de nous battre au sein de l'Union européenne sur le seul débat de fond qui compte, le débat suivant : voulons-nous une union politique capable de se comparer aux grandes puissances mondiales que sont les Etats-Unis, la Chine, demain l'Inde, le Brésil ? Ou est-ce que nous voulons tout simplement que l'Europe soit une zone purement concurrentielle, une zone de libre-échange ? Ce n'est pas le même projet.
Le premier projet, le nôtre, celui de la Pologne, de l'Allemagne, est un projet politique, de politique étrangère, de défense, de politique industrielle, de recherche, d'innovations communes. C'est une Europe qui ressemble à l'Europe des pères fondateurs. Et peut-être l'avons-nous oublié, dans la mesure où l'on a présenté un projet constitutionnel, un texte juridique, avant même de s'être mis d'accord sur le projet politique. Alors, oui, nous avons dit ici, lors de ce Sommet de Weimar, avec les Polonais, avec les Allemands : "travaillons sur un projet politique ! Prenons le temps d'approfondir le projet politique et ensuite, nous verrons la meilleure manière de le porter !"
Il y a une crise, une crise financière qui a été due au refus des Britanniques de prendre leur quote-part dans le coût financier de l'élargissement. La France, et je l'ai redit ce matin à la fois au ministre des Affaires étrangères et cet après-midi au Premier ministre et au président de la République polonais, je leur ai dit que la France était prête à payer 10 milliards d'euros entre 2007 et 2013, 1,5 milliard par an, pour l'élargissement. Regrettons que cela n'ait pas été partagé par les Britanniques. J'espère, et la France fera tout pour cela, que sous présidence britannique il puisse y avoir un accord et un compromis sur le budget, que le budget présenté par la présidence luxembourgeoise, qui était d'ailleurs favorable au Royaume-Uni, soit le budget qui finira par être accepté par la présidence britannique.
Q - Le compromis luxembourgeois est-il complètement abandonné ou non ?
R - Sur le plan budgétaire, il me paraît important d'aller vite. Car vous savez qu'il faut trouver un accord de toute façon avant le 1er janvier 2007. Vous savez par ailleurs que ces budgets font l'objet de très nombreuses études avant qu'on les présente. Et donc cela ne se fait pas au dernier moment. Si vous prenez, par exemple, la réforme de la Politique agricole commune, eh bien c'est quelque chose qui a duré un an, voire deux ans, qui s'est terminé en octobre 2003 avec un accord à l'unanimité, y compris des Britanniques, disant qu'entre 2007 et 2013, la Politique agricole commune n'augmenterait pas de plus de 1 % par an. C'était, je dirais, un choix que les Français ont fait, un compromis qu'ils ont accepté. La Politique agricole commune passant de 40 % du budget européen à 33 % du budget européen si l'on prend la moyenne 2007-2013. Donc c'est déjà... Mais en Europe on n'a pas l'habitude de revenir sur les engagements pris à l'unanimité.
Au-delà de cela, il me paraît important de dessiner un projet européen. Certains, en Europe, disent que, entre la nation et la mondialisation, on n'a pas besoin de projet européen. Nous, nous disons exactement le contraire. Entre la nation et la mondialisation, pour faire face à la mondialisation, il faut le modèle européen. Ce modèle européen est le fruit d'une organisation politique de l'Europe. C'est donc excessivement important pour nous de réaffirmer cette volonté.
A partir de là, le Premier ministre Dominique de Villepin et moi-même proposons une Europe des projets concrets. Cette Europe des projets concrets c'est, évidemment, la seule manière aujourd'hui de faire une Europe qui montrera aux citoyens que le projet européen fait partie de leur quotidien, qu'il n'est pas loin, qu'il est dans leur vie.
Je pense à la recherche, par exemple, à l'innovation, à la politique industrielle publique. Comment faire en sorte que, dans le domaine des bio-technologies, des nano-technologies, nous puissions faire face, pour préparer l'Union européenne aux défis du XXIe siècle ? On sait tous que le XXIe siècle est le siècle des nano et des bio-technologies, que les médicaments de demain, que les vaccins de demain, seront faits à partir des bio-technologies.
Les Américains dépensent des milliards dans la recherche publique, je dis bien publique, et qui devient évidemment très vite appliquée par les laboratoires pharmaceutiques. Ils se préparent à cela. Au-delà des intérêts commerciaux et des intérêts industriels, il y a bien évidemment des intérêts politiques, géostratégiques, quand on parle des médicaments et des vaccins. Et lorsque l'on parle aussi de transferts, lorsque l'on parle d'infrastructures transfrontalières, il est nécessaire aussi de faire repartir l'Europe sur des grands projets comme cela. On pourrait faire la même chose sur la politique de défense et sur d'autres sujets.
Q - (A propos des élections présidentielles en Iran et des relations diplomatiques avec ce pays)
R - Nous avons pris tous acte de l'élection iranienne qui a amené au pouvoir M. Ahmadinejad, le maire de Téhéran, à la présidence de la République ; avec une forte participation.
L'Union européenne travaille au quotidien avec la diplomatie iranienne dans un but clair : respecter l'Accord de Paris du 15 novembre 2004 concernant la suspension de l'enrichissement et du retraitement de matières nucléaires sensibles. Il est très important que nous puissions très vite reprendre avec la diplomatie iranienne ces négociations, de façon à être sûrs du respect de la suspension de ce type de matières nucléaires sensibles qui sont, évidemment, capitales pour les négociations en général puisque, comme vous le savez, il y a eu récemment avec l'Iran plusieurs discussions. Des discussions sur l'Accord de Paris concernant le nucléaire mais aussi des négociations commerciales. Certains pensent qu'il faut lancer, ouvrir l'OMC à l'Iran, qu'il vaut mieux que ce pays entre et s'intègre dans les actions commerciales internationales. Ceci ne peut se faire que s'il y a, évidemment, un respect de la suspension des activités nucléaires dangereuses.
Q - Pensez-vous que, dans la situation actuelle, on puisse lancer les négociations avec la Turquie en octobre ?
R - Comme vous le savez, ce n'était pas du tout à l'ordre du jour du Conseil européen. La Commission devra, dès le mois d'août ou septembre, évaluer si les critères qui sont demandés pour l'ouverture des négociations sont remplis. Un rapport écrit viendra ensuite avant la fin d'année mais après le 3 octobre. Mais, avant le 3 octobre, la Commission doit déjà s'exprimer. Elle doit s'exprimer sur ce que j'appelle les critères d'exigence : Droits de l'Homme, place de la femme dans la société, égalité hommes-femmes, vous connaissez tout ça.
Q - (A propos des relations UE/Ukraine et des relations avec la Russie)
R - Le président de la République a reçu récemment le président Iouchtchenko et la Première ministre ukrainienne est également venue en France. Quant à moi, j'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères. Je retire de ces entretiens deux choses :
un, la volonté, en effet, d'intégration européenne de la part de l'Ukraine et, d'un autre côté, que ce qui importe, ce sont les réformes internes à l'Ukraine et non pas le caractère purement formel des relations de l'Union européenne avec l'Ukraine. Ce qui est important aujourd'hui, c'est que l'Union européenne aide l'Ukraine à se réformer. Je vais y revenir.
Le deuxième élément qui me paraît très important, c'est que le président ukrainien a dit qu'il n'était pas possible de faire autrement que d'avoir une main tendue vers la Russie. Il m'a paru important de le dire aux Polonais.
Concernant, maintenant, l'essentiel, les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine, je me suis permis de dire que le succès de la transition ukrainienne est dans notre intérêt. Que nous devons aider l'Ukraine à conduire ses réformes en apportant une assistance technique appropriée dans le cadre du plan d'action Union européenne - Ukraine. Et comme cela avait été évoqué lors de la préparation du Sommet de Weimar à l'initiative, d'ailleurs, de la Pologne, la France est extrêmement favorable à une coopération trilatérale à cette fin. La France propose la mise en place d'une "task force" constituée de points de contact dans chacune de nos capitales qui serait chargé, en liaison avec nos ambassades à Kiev, d'identifier les projets prioritaires dans le cadre du plan d'action, d'aider l'Ukraine à définir ses besoins, de coordonner, le cas échéant, les candidatures de nos trois pays aux futurs appels d'offres de la Commission. Certaines candidatures pourraient être d'ailleurs bi ou trilatérales. Et si ce schéma, que je me suis proposé de présenter à la fois au Premier ministre polonais et également à mon collègue Joschka Fischer, est, à partir de là, accepté, on devrait instruire à présent nos administrations respectives pour créer cette "task force". Je dirais également que l'on souhaite progresser rapidement vers la conclusion d'un accord de facilitation des visas entre l'Union européenne et l'Ukraine.
Q - A quel type d'activité pensez-vous pour cette "task force" ?
R - Il faut maintenant mettre en place un groupe de travail qui nous permettra, avec l'Ukraine, d'avancer plus. Est-ce que c'est dans le domaine de l'énergie ? Est-ce que c'est dans le domaine de la recherche ? Est-ce que c'est dans le domaine de la sous-traitance ? Je ne sais pas. On n'en est pas là. Mais il me semble que le Sommet de Weimar se prête à ce type d'action. D'abord pour des raisons géographiques et ensuite pour des raisons politiques. Ce qui s'est passé en Ukraine, la révolution, cette quête de démocratie, est pour nous fondamental. Alors, bien évidemment, concernant l'ensemble des sujets qui ont été abordés, nous souhaitons ouvrir toutes nos relations commerciales, nous souhaitons aider à ces réformes internes, parce qu'il s'agit de l'avenir de l'Ukraine mais aussi de nos bonnes relations, y compris pour les visas, évidemment dans le respect des impératifs de sécurité, mais cela va sans dire.
Q - Pour les visas, vous pensez abandonner les visas ? Quelle est la discussion ?
R - La discussion, c'est que nous souhaitons au contraire qu'il y ait des étudiants français qui puissent aller là-bas, des étudiants ukrainiens qui puissent venir dans nos universités, que Vous savez quand on voit ce que font les Américains, ce que font les Etats-Unis, ce que font les Chinois aujourd'hui, vis-à-vis d'autres universités, on comprend que, lorsqu'un jeune fait ses études en France, lorsqu'il revient dans son pays, lorsqu'il crée une grande entreprise, lorsqu'il devient lui-même ministre, je ne sais pas... Les relations se font comme ça... Les relations humaines
Q - Le gouvernement français ne semble pas parler d'une voix, d'une même voix, sur l'élargissement.
R - Il n'y a qu'une seule voix : celle du président de la République. Ça c'est sûr. Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juillet 2005)