Texte intégral
O. Mazerolle - Le Gouvernement va décréter aujourd'hui un moratoire sur l'utilisation des farines animales. Etait-ce nécessaire alors que les scientifiques eux-mêmes demandent plusieurs semaines avant de se prononcer ?
- "Aujourd'hui, tous les scientifiques se posent une question : est-ce que le prion est dans les farines animales ? Ce que nous savons, c'est que c'est un agent transmissible non conventionnel que l'on peut supprimer à plus de 100°C. Mais on sait aussi que, malgré le fait qu'il y ait eu des interdictions de farines animales depuis 90, et de manière encore plus forte sur le plan technique depuis 96, il y a des bovins nés après 90 qui ont développé la maladie. Donc, il y a probablement, parce qu'on permet encore aux ovins, aux poulets, aux volailles en général, d'avoir ces farines animales, des contaminations croisées. On permet des farines animales pour d'autres animaux que les bovins et on se retrouve avec des bovins qui sont élevés avec ces farines animales. Donc, il fallait les arrêter ; c'est que ce nous avons dit depuis très longtemps. Le Premier ministre, et surtout le ministre de l'Agriculture, nous ont expliqué depuis plusieurs mois qu'il fallait attendre les scientifiques mais la réalité, c'est qu'il fallait d'abord arrêter ces farines animales et ensuite, éventuellement, demander aux scientifiques si on avait bien fait ou mal fait. "
Certains disent que c'est très bien mais que pour compenser les farines animales, on est obligé de nourrir les animaux avec du soja génétiquement modifié, les OGM. C'est encore plus dangereux ?
- "Aujourd'hui, on sait ce qu'est la maladie de Creutzfeldt-Jakob mais il faut des études épidémiologiques pour savoir ce que vont faire les OGM ; c'est le vrai problème On ne peut pas comparer aujourd'hui les OGM et le risque des farines animales. La réalité, c'est que quand nous avons dit cela, on a été très étonnés de ne pas être entendus. Il y a eu un retard. Je ne comprends pas très bien à quoi est dû ce retard. Est-ce qu'il est dû au problème des OGM ? Non, je ne crois pas. Est-ce qu'il est dû au problème du prix, 300 milliards de francs ? Je ne le crois pas. Je n'ose pas espérer qu'il est dû au fait que c'est le Président de la République ou nous-mêmes, l'opposition, qui avons demandé ce moratoire, ce serait beaucoup trop grave. Je demande qu'on le fasse le plus vite possible parce qu'à l'heure où nous parlons, tout le monde parle de moratoire mais on donne toujours des farines animales aux ovins, aux porcs et aux volailles. Il existe toujours des contaminations croisées entre les circuits alimentaires de ces animaux et les ruminants. Donc, il faut faire très vite M. Jospin. "
Précisément, on entend beaucoup dire dans l'entourage de L. Jospin que le Gouvernement doit céder à une sorte de pression irrationnelle, de psychose, qui a été créée, entre autres choses par la déclaration du Président de la République ?
- "Le Président de la République a tiré les leçons du passé. On a connu un drame de santé publique dans ce pays. Il y a des publications internationales qui sont parues dans des très grands journaux comme Science et aujourd'hui, nous avons en plus un rapport, le rapport de juillet 2000. C'est pour moi celui qui est le plus important ; c'est le rapport des membres du groupe de travail Alimentation animale et sécurité sanitaire de notre pays. Il dit qu'il existe une mauvaise identification des matières premières, la contamination de ces matières premières et qu'il existe des contaminations croisées entre les circuits alimentaires. Cela n'a pas empêché M. Glavany de ne pas enlever pour autant les farines animales. Je crois que c'est une latence, une attente totalement anormale. "
Vous-même, vous avez été ministre de la Santé pendant cette décennie. Vous avez demandé d'ailleurs une commission d'enquête parlementaire, avec toute l'opposition, allant de 90 à 2 000. Le Président de la République lui-même en 96 mettait les journalistes en garde en disant, " arrêtez de vous comporter comme ça, on pourrait parler de presse folle, plutôt que de vache folle. " Pourquoi dès 96 n'a-t-on pas pris en France les mesures nécessaires pour interdire les farines animales ?
- "Je suis désolé, il faut reprendre les dates. 20 mars 1996 : le ministre britannique de la Santé annonce à la Chambre des Lords que dix patients atteints d'une forme atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob présentent un lien éventuel avec l'Encéphalopathie Spongiforme Bovine. C'est la crise de la vache folle qui éclate en Europe. Le lendemain, le 21 mars 96, c'est-à-dire une journée après la révélation en Angleterre du décès de dix patients, A . Juppé, le Gouvernement d'A . Juppé, décrète l'embargo immédiat. Cela montre justement que, devant le risque sanitaire, un gouvernement ne tergiverse pas, n'invoque pas les délais scientifiques et agit tout de suite. C'était d'ailleurs le premier pays de l'Union européenne à réagir. Je crois qu'on peut réagir très vite devant un certain nombre de précautions. Vous me dites " psychose ". La psychose vient de la confusion. C'est parce que justement ce Premier ministre et le Gouvernement n'ont pas tout de suite réagi qu'il y a psychose. Regardez ce qui s'est passé en Angleterre. En Angleterre, en 96 : grande crise. On prend toutes les mesures. Psychose peut-être, mais trois ans après, la consommation de viande rouge augmente parce que les gens ont confiance. Donc, le principe de précaution, ce n'est pas la psychose, c'est au contraire redonner confiance aux personnes."
Vous allez vous présenter à Toulouse pour succéder à D. Baudis qui vient d'interdire la consommation de buf dans les cantines scolaires de sa ville. Vous avez des doutes sur le muscle, sur la viande de buf elle-même ?
- "Mettez-vous à la place d'un maire, qui comme à Toulouse"
Mais vous, en tant que médecin, avez-vous des doutes ? Le Gouvernement demande une enquête aux scientifiques sur une expérience qui vient d'être révélée par Lancet, indiquant qu'un mouton avait été contaminé par le sang d'un autre mouton, lui-même atteint de la maladie ?
- "La question se pose en effet aujourd'hui. Le prion est ingéré par voie alimentaire, va ensuite au tissu digestif et puis ensuite aux autres tissus. C'est la raison pour laquelle le test ne se fait aujourd'hui que dans le cerveau et lorsqu'il est positif, évidemment, c'est en phase terminale. La question est qu'il faut trouver des tests plus sensibles, plus spécifiques. Aujourd'hui, on ne sait pas exactement comment est ce prion, comment il réagit, comment il se transmet. A tous les niveaux."
Par le sang , c'est possible ?
- "La question se pose. Il y a beaucoup de chercheurs qui posent la question du prion dans les leucocides, dans les globules blancs. Donc, toutes ces questions sont là. A mon avis, ce qu'il faut que nous fassions, c'est évidemment faire très attention à toute contamination, dans la mesure où on ne sait pas. Mettez-vous à la place d'un maire qui est responsable des 22 000 repas par jour des enfants de l'école primaire! Il y a un ministère de la Santé - je le sais, je suis bien placé pour le savoir -, il y a aussi des directeurs départementaux de l'action sanitaire et sociale ; à eux de signer un papier disant que l'on peut le faire. Mais il y a une notion de responsabilité dans ce pays. Lorsqu'on fait de la politique, on est responsable. Donc, tant que ce n'est pas permis "mesdames et messieurs les maires, faites manger du buf sans problème", tant que ce n'est pas écrit, je crois qu'il faut faire attention."
L'affaire du sang contaminé est-elle en train de créer un traumatisme tel que le principe de précaution peut nous entraîner très loin, si on ne doit plus manger de viande de buf, si le don du sang est lui-même remis en cause ?
- "Non, mais le principe de précaution doit prendre en considération les publications scientifiques. Aujourd'hui, nous savons qu'il existe un prion, cet agent non conventionnel transmissible ; on sait qu'il y a une relation entre la vache qui a l'Encéphalopathie Spongiforme Bovine et la PPR - la Protéine Prion Résistante - chez l'homme. Attention! Dans la mesure où on le sait, ne recommençons pas les erreurs du passé. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a eu raison - il était vraiment dans son rôle - de dire "attention, à partir de maintenant on arrête les farines animales." Ce n'est pas un problème d'OGM, ce n'est pas un problème de démagogie, ce n'est pas un problème de politique politicienne ; il faut tout simplement écouter ce qui s'est passé il y a plusieurs années. Un pays qui n'écoute pas ou qui n'est pas capable de revenir sur son passé est condamné à le revivre. C'est la raison pour laquelle il a eu raison, et nous avec lui, de tirer la sonnette d'alarme. Le Premier ministre n'a pas écouté. Aujourd'hui, il change d'avis, tant mieux pour la santé publique. Que des choses comme celles-là ne reviennent pas. Il n'y a pas de droite ou de gauche, il n'y a pas de clivage politicien sur la santé publique. Il y a uniquement des vies et des morts. "
(source http://sig,premier-ministre,gouv,fr, le 14 novembre 2000)
- "Aujourd'hui, tous les scientifiques se posent une question : est-ce que le prion est dans les farines animales ? Ce que nous savons, c'est que c'est un agent transmissible non conventionnel que l'on peut supprimer à plus de 100°C. Mais on sait aussi que, malgré le fait qu'il y ait eu des interdictions de farines animales depuis 90, et de manière encore plus forte sur le plan technique depuis 96, il y a des bovins nés après 90 qui ont développé la maladie. Donc, il y a probablement, parce qu'on permet encore aux ovins, aux poulets, aux volailles en général, d'avoir ces farines animales, des contaminations croisées. On permet des farines animales pour d'autres animaux que les bovins et on se retrouve avec des bovins qui sont élevés avec ces farines animales. Donc, il fallait les arrêter ; c'est que ce nous avons dit depuis très longtemps. Le Premier ministre, et surtout le ministre de l'Agriculture, nous ont expliqué depuis plusieurs mois qu'il fallait attendre les scientifiques mais la réalité, c'est qu'il fallait d'abord arrêter ces farines animales et ensuite, éventuellement, demander aux scientifiques si on avait bien fait ou mal fait. "
Certains disent que c'est très bien mais que pour compenser les farines animales, on est obligé de nourrir les animaux avec du soja génétiquement modifié, les OGM. C'est encore plus dangereux ?
- "Aujourd'hui, on sait ce qu'est la maladie de Creutzfeldt-Jakob mais il faut des études épidémiologiques pour savoir ce que vont faire les OGM ; c'est le vrai problème On ne peut pas comparer aujourd'hui les OGM et le risque des farines animales. La réalité, c'est que quand nous avons dit cela, on a été très étonnés de ne pas être entendus. Il y a eu un retard. Je ne comprends pas très bien à quoi est dû ce retard. Est-ce qu'il est dû au problème des OGM ? Non, je ne crois pas. Est-ce qu'il est dû au problème du prix, 300 milliards de francs ? Je ne le crois pas. Je n'ose pas espérer qu'il est dû au fait que c'est le Président de la République ou nous-mêmes, l'opposition, qui avons demandé ce moratoire, ce serait beaucoup trop grave. Je demande qu'on le fasse le plus vite possible parce qu'à l'heure où nous parlons, tout le monde parle de moratoire mais on donne toujours des farines animales aux ovins, aux porcs et aux volailles. Il existe toujours des contaminations croisées entre les circuits alimentaires de ces animaux et les ruminants. Donc, il faut faire très vite M. Jospin. "
Précisément, on entend beaucoup dire dans l'entourage de L. Jospin que le Gouvernement doit céder à une sorte de pression irrationnelle, de psychose, qui a été créée, entre autres choses par la déclaration du Président de la République ?
- "Le Président de la République a tiré les leçons du passé. On a connu un drame de santé publique dans ce pays. Il y a des publications internationales qui sont parues dans des très grands journaux comme Science et aujourd'hui, nous avons en plus un rapport, le rapport de juillet 2000. C'est pour moi celui qui est le plus important ; c'est le rapport des membres du groupe de travail Alimentation animale et sécurité sanitaire de notre pays. Il dit qu'il existe une mauvaise identification des matières premières, la contamination de ces matières premières et qu'il existe des contaminations croisées entre les circuits alimentaires. Cela n'a pas empêché M. Glavany de ne pas enlever pour autant les farines animales. Je crois que c'est une latence, une attente totalement anormale. "
Vous-même, vous avez été ministre de la Santé pendant cette décennie. Vous avez demandé d'ailleurs une commission d'enquête parlementaire, avec toute l'opposition, allant de 90 à 2 000. Le Président de la République lui-même en 96 mettait les journalistes en garde en disant, " arrêtez de vous comporter comme ça, on pourrait parler de presse folle, plutôt que de vache folle. " Pourquoi dès 96 n'a-t-on pas pris en France les mesures nécessaires pour interdire les farines animales ?
- "Je suis désolé, il faut reprendre les dates. 20 mars 1996 : le ministre britannique de la Santé annonce à la Chambre des Lords que dix patients atteints d'une forme atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob présentent un lien éventuel avec l'Encéphalopathie Spongiforme Bovine. C'est la crise de la vache folle qui éclate en Europe. Le lendemain, le 21 mars 96, c'est-à-dire une journée après la révélation en Angleterre du décès de dix patients, A . Juppé, le Gouvernement d'A . Juppé, décrète l'embargo immédiat. Cela montre justement que, devant le risque sanitaire, un gouvernement ne tergiverse pas, n'invoque pas les délais scientifiques et agit tout de suite. C'était d'ailleurs le premier pays de l'Union européenne à réagir. Je crois qu'on peut réagir très vite devant un certain nombre de précautions. Vous me dites " psychose ". La psychose vient de la confusion. C'est parce que justement ce Premier ministre et le Gouvernement n'ont pas tout de suite réagi qu'il y a psychose. Regardez ce qui s'est passé en Angleterre. En Angleterre, en 96 : grande crise. On prend toutes les mesures. Psychose peut-être, mais trois ans après, la consommation de viande rouge augmente parce que les gens ont confiance. Donc, le principe de précaution, ce n'est pas la psychose, c'est au contraire redonner confiance aux personnes."
Vous allez vous présenter à Toulouse pour succéder à D. Baudis qui vient d'interdire la consommation de buf dans les cantines scolaires de sa ville. Vous avez des doutes sur le muscle, sur la viande de buf elle-même ?
- "Mettez-vous à la place d'un maire, qui comme à Toulouse"
Mais vous, en tant que médecin, avez-vous des doutes ? Le Gouvernement demande une enquête aux scientifiques sur une expérience qui vient d'être révélée par Lancet, indiquant qu'un mouton avait été contaminé par le sang d'un autre mouton, lui-même atteint de la maladie ?
- "La question se pose en effet aujourd'hui. Le prion est ingéré par voie alimentaire, va ensuite au tissu digestif et puis ensuite aux autres tissus. C'est la raison pour laquelle le test ne se fait aujourd'hui que dans le cerveau et lorsqu'il est positif, évidemment, c'est en phase terminale. La question est qu'il faut trouver des tests plus sensibles, plus spécifiques. Aujourd'hui, on ne sait pas exactement comment est ce prion, comment il réagit, comment il se transmet. A tous les niveaux."
Par le sang , c'est possible ?
- "La question se pose. Il y a beaucoup de chercheurs qui posent la question du prion dans les leucocides, dans les globules blancs. Donc, toutes ces questions sont là. A mon avis, ce qu'il faut que nous fassions, c'est évidemment faire très attention à toute contamination, dans la mesure où on ne sait pas. Mettez-vous à la place d'un maire qui est responsable des 22 000 repas par jour des enfants de l'école primaire! Il y a un ministère de la Santé - je le sais, je suis bien placé pour le savoir -, il y a aussi des directeurs départementaux de l'action sanitaire et sociale ; à eux de signer un papier disant que l'on peut le faire. Mais il y a une notion de responsabilité dans ce pays. Lorsqu'on fait de la politique, on est responsable. Donc, tant que ce n'est pas permis "mesdames et messieurs les maires, faites manger du buf sans problème", tant que ce n'est pas écrit, je crois qu'il faut faire attention."
L'affaire du sang contaminé est-elle en train de créer un traumatisme tel que le principe de précaution peut nous entraîner très loin, si on ne doit plus manger de viande de buf, si le don du sang est lui-même remis en cause ?
- "Non, mais le principe de précaution doit prendre en considération les publications scientifiques. Aujourd'hui, nous savons qu'il existe un prion, cet agent non conventionnel transmissible ; on sait qu'il y a une relation entre la vache qui a l'Encéphalopathie Spongiforme Bovine et la PPR - la Protéine Prion Résistante - chez l'homme. Attention! Dans la mesure où on le sait, ne recommençons pas les erreurs du passé. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a eu raison - il était vraiment dans son rôle - de dire "attention, à partir de maintenant on arrête les farines animales." Ce n'est pas un problème d'OGM, ce n'est pas un problème de démagogie, ce n'est pas un problème de politique politicienne ; il faut tout simplement écouter ce qui s'est passé il y a plusieurs années. Un pays qui n'écoute pas ou qui n'est pas capable de revenir sur son passé est condamné à le revivre. C'est la raison pour laquelle il a eu raison, et nous avec lui, de tirer la sonnette d'alarme. Le Premier ministre n'a pas écouté. Aujourd'hui, il change d'avis, tant mieux pour la santé publique. Que des choses comme celles-là ne reviennent pas. Il n'y a pas de droite ou de gauche, il n'y a pas de clivage politicien sur la santé publique. Il y a uniquement des vies et des morts. "
(source http://sig,premier-ministre,gouv,fr, le 14 novembre 2000)