Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à Europe 1 le 19 juin 2005, sur le financement du budget de l'Union élargie pour 2007-2013 et le report du processus de ratification de la Constitution européenne.

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Média : Emission Europe 1 Le Grand Rendez-vous - Europe 1 - Le Grand Rendez-vous

Texte intégral

Q - Bonsoir. Vous revenez tout juste de Bruxelles, pour votre premier sommet européen, en tant que ministre des Affaires étrangères. Vous avez été le témoin de l'une des plus grandes crises qu'ait connu l'Europe. Nous allons bien entendu revenir longuement sur ces deux jours qui laisseront un mauvais souvenir aux Européens. Mais d'abord, Monsieur Douste-Blazy, qui porte la responsabilité de l'échec de ce sommet ?
R - J'ai envie de vous dire, en pesant mes mots, que nous ne vivons pas une crise comme d'habitude. Nous vivons une crise d'identité européenne.
Je voudrais prendre deux exemples qui m'ont profondément marqué.
Le premier, c'est la campagne référendaire pendant laquelle on a vu, pour la première fois, des jeunes de notre pays ne pas suivre le projet européen qu'on leur proposait. Et ce n'est pas parce qu'il y a du chômage, c'est parce que les craintes et les inquiétudes ont pris le pas sur l'idéal européen.
Et puis, le deuxième exemple, c'est celui que l'on vient de vivre il y a quelques heures. J'ai vu les chefs d'Etat et de gouvernement être à un millimètre de l'accord. Et non, il n'y a pas eu d'accord, parce qu'on manque de désir européen. Les égoïsmes nationaux l'emportent sur l'intérêt communautaire européen. Et c'est vrai, un pays en a entraîné deux ou trois autres.
Q - Lequel ?
R - Je parle de la Grande-Bretagne. Un pays a décidé de ne pas payer pour l'élargissement de l'Europe. Vous savez que le sujet aujourd'hui d'actualité en Europe, il n'y en a qu'un, c'est de savoir qui paie l'élargissement. Nous avons une chance extraordinaire : dix pays viennent d'arriver, après avoir connu la dictature, après avoir connu des dizaines d'années horribles. Ils arrivent ; ils sont exsangues ; ils sont pauvres. Mais ils arrivent à la table des négociations, ils arrivent dans l'Union européenne. Combien paie-t-on ? Le président Chirac a dit : "nous, on paie".
Q - Donc, ce sont les seuls Britanniques qui portent la responsabilité de l'échec de ce sommet ?
R - Il suffit de savoir comment cela s'est passé.

Q - Alors, racontez-nous !
R - Ce qui s'est passé est très simple. On a un élargissement. On discute des perspectives financières pour les années 2007 à 2013, ce que l'on appelle le paquet 2007-2013. Qui va payer ?
Regardons ce que, par exemple, la France paie aujourd'hui et ce qu'elle paierait si ce paquet avait été accepté. La France aurait payé exactement 10 milliards d'euros, je pèse mes mots, 10 milliards d'euros de plus, c'est considérable !
Le président de la République a décidé de payer une partie de cet élargissement, comme d'ailleurs les Allemands, comme les autres pays. Un seul n'a pas souhaité payer son écot à l'élargissement. Il y a ici Catherine Colonna, ministre déléguée aux Affaires européennes, nous étions là ensemble. Nous avons vu cela de nos propres yeux ! La vraie question est simple : pourquoi ? Il y avait une affaire de chèque britannique.
Q - Mais ce n'est pas rien ?
R - Oui, mais depuis 1984, les Britanniques ont un chèque qu'on leur fait chaque année. Le président luxembourgeois voulait le geler. Permettez-moi d'ailleurs de saluer la compétence, qui a été reconnue par tous, du président Juncker...
Q - Jean-Claude Juncker qui a dit d'ailleurs : "j'ai eu honte de ce qui s'est passé". Est-ce que vous, vous partagez ce sentiment de honte ?
R - Nous avons tous eu honte autour de la table, parce que nous avons vu, à une heure et demie du matin, après avoir entendu l'accord général, qu'il y avait un désaccord de Tony Blair. Il y a eu là, de la part du président Juncker, une réaction : "bon c'est terminé, on ne peut plus y arriver." Et, alors que c'était terminé, d'une manière que le président a qualifiée de "pathétique", et c'est vrai que cela l'était, le Premier ministre polonais, puis le Tchèque, puis ensuite le Lituanien, sept dirigeants, ont pris la parole en disant : "si c'est un problème d'argent, alors nous pouvons, nous, payer. Donnez-nous moins d'argent". C'était terrible, parce que c'était une leçon d'Europe qui était donnée par les pays qui venaient d'arriver. Et pour nous, c'était uniquement une affaire financière.
Q - Et vous, vous n'avez pas cédé. L'Angleterre n'a pas cédé, mais la France non plus !
R - Le président de la République a tout fait pour qu'il y ait un accord. Puisque, je viens de vous le dire, nous étions d'accord pour contribuer à hauteur de 10 milliards d'euros supplémentaires. Vous savez ce que c'est 10 milliards d'euros, avec l'état actuel de nos finances, avec le pacte de stabilité qui doit être respecté ? C'est accepter 1 milliard et demi d'euros de plus par an, car, lorsque je dis 10 milliards, c'est de 2007 à 2013.
C'est un choix politique que le président de la République a fait. J'entends, que lui n'a pas voulu céder et que Blair n'a pas voulu céder non plus, mais c'est totalement faux !
Q - C'est la faute de Tony Blair, entièrement ?
R - Ce n'est pas moi qui le dit, c'est l'avis général de ceux qui étaient autour. Il n'a pas accepté la proposition luxembourgeoise s'agissant du chèque britannique. Le président Chirac a accepté la proposition luxembourgeoise. Le Premier ministre britannique ne l'a pas acceptée. Voilà la vérité. Voilà les faits.
Q - Alors, dans quelle situation nous trouvons-nous désormais ? Il n'y a donc pas de budget pour les années 2007/2013, mais il y a un budget pour 2006 et il va y avoir quand même des budgets qui vont se succéder. Alors, qu'est-ce qui va se passer du point de vue strictement financier ?
R - D'abord, il y a eu, quand même, un succès : le président luxembourgeois a fait en sorte que les prochaines discussions budgétaires commencent sur la proposition que l'on a faite. Autrement dit, il y a là quelque chose de positif. On n'a pas tout perdu.
Q - Elles commenceront quand ?
R - Elles vont commencer dès le prochain trimestre, et nous avons jusqu'à 2007 pour trouver un accord. Je ne doute pas qu'il y ait un accord. Mais la question n'est pas là. J'ai entendu, pendant deux jours et deux nuits, qu'il y aurait des dirigeants qui seraient des hommes du passé, parce qu'ils soutiennent, par exemple, la politique agricole commune.
Permettez-moi de parler une seconde de la Politique agricole commune. La politique agricole commune, c'était 50 % du budget européen il y a 20 ans. C'est aujourd'hui 40 %. Et cela sera dans 5 ans, en moyenne, 33 %. Donc, on a déjà accepté que cette proportion baisse. Et permettez-moi de vous dire aussi qu'on est quand même les seuls à nous tirer une balle dans le pied. Les Américains estiment que l'un des deux grands piliers du commerce américain, c'est l'agriculture. Ne demandez pas à M. Bush ou aux journalistes américains, d'être contre la politique agricole des Etats-Unis. La politique agricole d'un continent, c'est une fierté. Autrefois, nous étions importateurs. Il fallait qu'on importe des denrées il y a trente ou quarante ans. Aujourd'hui, nous sommes les premiers exportateurs mondiaux de produits agricoles. Et, alors qu'on parle beaucoup de "vaches folles", ou de microbes - je connais cela de mon précédent poste - alors qu'on parle beaucoup de sécurité alimentaire, si vous voulez être sûrs d'avoir une sécurité alimentaire, il vaut mieux, quand même, être indépendants sur le plan alimentaire.
Q - Ce n'est pas une division entre l'Europe qui fait face à son avenir et l'Europe qui reste engluée dans le passé ? C'est Jack Straw, le ministre des Affaires étrangères britannique qui dit cela.
R - Faire croire que la politique agricole commune appartient au passé, quand on sait qu'on est passé de 5 à 6 milliards de personnes sur la planète, alors qu'on sait aujourd'hui que l'indépendance alimentaire est une des choses les plus importantes dans le monde - sur le plan géopolitique, c'est peut-être la chose la plus forte avec évidemment le problème de la paix et des conflits -, faire croire que c'est un problème "ringard" et du passé, ce n'est pas normal, c'est un mensonge !
Je crois que le sujet n'est pas là. Le sujet est de savoir ce qu'a voulu faire le Premier ministre britannique. Je crois que nous sommes à l'heure de vérité. L'heure de vérité, c'est de savoir quelle Europe nous voulons.
Peut-être qu'on n'a pas suffisamment parlé de l'Europe durant les vingt dernières années, comme l'a dit le président de la Fondation Schuman, M. Guliani, c'est vrai qu'on en n'a pas suffisamment parlé.
Q - Quelle Europe voulez-vous ?
R - Nous avons fait une Constitution, nous avons mis en place un texte juridique avant de choisir le cap politique.
Quel cap politique voulons-nous ? Est-ce que nous voulons une zone de libre-échange aux frontières de plus en plus larges, où il y a quelques politiques communes ? Ou est-ce que nous voulons une Europe politique, avec une intégration politique ? C'est un sujet majeur. Tant qu'on ne sera pas allé au bout de cette question, on ne pourra pas faire adhérer les peuples. Les chefs de gouvernement, les chefs d'Etat peuvent accepter, eux, des compromis. Les opinions publiques...
Q - Oui, mais là nous sommes sur une question de fond. Vous avez dit deux choses. La première : "nous avons été à un millimètre de l'accord", la deuxième : "ce sont les Britanniques qui ont pris la responsabilité de l'échec". A partir de là, et parce que les Britanniques, et en particulier Tony Blair, vont prendre la présidence de l'Union européenne le 1er juillet pour 6 mois, pourquoi auraient-il pris la responsabilité de l'échec avant de prendre cette présidence ? Qu'est-ce qui peut se passer durant cette présidence ? Est-ce que la France va rester dans le même état d'esprit d'opposition à la Grande-Bretagne ?
R - Nous ne sommes pas opposés à quelque pays que ce soit. Nous estimons qu'il faut une ambiance d'unité et de rassemblement. C'est ce que le président de la République a dit à plusieurs reprises.
Q - Ce qui n'a pas été le cas ce week-end ?
R - Non, mais nous avons voulu un accord. Nous avons dit : "le président Juncker propose un accord, nous sommes pour."
Q - Et vous n'avez pas réussi à l'imposer à Tony Blair ?
R - Et Tony Blair a dit non.
Q - Cela pose la question du poids de la France aujourd'hui, après le non au référendum du 29 mai. On y est ?
R - Si vous découvrez aujourd'hui qu'il faut l'unanimité pour accepter un budget européen Cela n'est pas d'aujourd'hui.
Q - On parle de poids politique aussi ?
R - Un seul des Vingt-cinq peut bloquer, ce n'est pas la peine d'avoir un poids politique important. Un des Vingt-cinq peut dire : "je ne veux pas ce budget", et le budget ne se fait pas.
La question est posée : est-ce que ce n'est qu'une question financière ? On voit très bien que ce n'est pas une affaire de modernes et d'anciens, cela n'est pas vrai, c'est une supercherie ! Ce n'est pas vrai parce que - je prends un exemple - dans ce paquet 2007/2013, on augmentait de 30 % les dépenses de recherche et d'avenir. Or M. Blair l'a refusé. Alors, qu'on ne me dise pas que c'est une affaire d'avenir et d'innovation.
Q - Mais le budget de la PAC restait quand même 7 fois supérieur à ces dépenses de recherche, d'avenir, d'éducation.
R - Permettez-moi de vous répondre précisément. Voilà ce qu'on entend en effet, très communément : "la politique agricole, c'est sept fois plus que la politique de recherche, est-ce que face à la Chine, face à l'Inde, face aux Etats-Unis, on peut accepter que le montant de la politique agricole soit 7 fois supérieur à celui de la recherche"? Cela est faux !
En réalité, la seule politique intégrée européenne, c'est la politique agricole. Chaque fois que l'on dépense un centime en Europe sur l'agriculture, cela est mis au compte du budget agricole. Mais chaque fois que l'on dépense un euro ou une livre sterling pour la recherche, ce n'est pas mis au budget de la recherche. Le budget de la recherche, ce n'est pas un budget intégré. Le budget de la recherche, c'est tous les pays. Alors si vous mettez tous les budgets de la recherche, de l'innovation et du développement bout à bout, cela fait 20, 30 ou 40 fois plus, je ne sais pas, que la politique agricole commune. Attention ! En effet, en termes de communication, c'était peut-être malin de le dire, mais ce n'est pas la réalité.
Q - Que veut Tony Blair pour sa propre présidence ?
R - C'est cela la question. Je pense que c'est un problème de fond. Veut-il changer l'idée des pères fondateurs ?
Q - Mais en six mois, il ne pourra rien changer du tout ?
R - Bien sûr que non. Mais la question est : doit-on changer cette idée-là, cette idée où la solidarité communautaire dépasse l'égoïsme national ? Je voudrais rendre hommage au Chancelier Schröder qui était à nos côtés et qui, alors qu'il fait face à une opposition électorale qui n'est pas des plus faciles, a accepté de payer pour l'élargissement. L'égoïsme national est passé très loin derrière l'intérêt communautaire.
Permettez-moi de revenir à ce sujet. Voulons-nous une Europe politique ou pas ? Je pense qu'il vaut mieux poser la question maintenant et se demander : voulons-nous être compétitifs ? Et si nous voulons être compétitifs par rapport à la Chine, à l'Inde, quel est notre modèle social ? Jusqu'où pouvons-nous aller sur le modèle social ? Jusqu'où pouvons-nous aller dans l'harmonisation sociale, dans l'harmonisation fiscale ?
Demandons un gouvernement économique, comme le Premier ministre, Dominique de Villepin, l'a dit ! C'est-à-dire, modifions l'eurogroupe progressivement, pour lui donner plus de force vis-à-vis de la banque centrale européenne, par exemple sur la politique de change, sur la parité euro-dollar.
Et puis, posons-nous une question simple : est-ce que nous voulons que l'Europe joue un rôle dans le monde ? Quelle politique de défense, quelle politique étrangère voulons-nous ? Ce sont les questions qu'il faut que nous nous posions.
Q - Quand le président de la République, pendant la campagne du référendum, disait "si le "non" l'emporte, la France sera le mouton noir de l'Union européenne". Est-ce que vous l'avez ressenti à l'égard des 24 autres ?
R - Je reconnais que non. Je dirais au contraire que les pays européens...
Q - Vous avez ressenti de la compassion ?
R - Sans la France, on ne peut pas continuer à avancer. Il y avait cette prise de considération. Et je dirais même que, derrière les propos du président de la République, il y avait à un moment donné, dans la nuit, l'idée de la reconstruction européenne. C'est le président qui, à un moment donné, a pris la parole pour défendre l'idée européenne, cette idée de solidarité, de l'élargissement. Alors, oui, l'Union européenne doit être une zone de paix ! Oui, elle doit être une zone de politique commerciale ! Oui, elle doit être une zone de rayonnement ! Mais surtout, elle doit être une union politique.
Le président de la République a proposé qu'il y ait, au cours du premier semestre 2006, un grand rendez-vous européen, un sommet exceptionnel des chefs d'Etat et de gouvernement. Je crois que c'est là, qu'il faudra décider où nous allons.
Q - Six pays ont annoncé le report de leur procédure de ratification. Est-ce que la Constitution est morte, aujourd'hui, Philippe Douste-Blazy, on peut peut-être le dire comme cela, maintenant ?
R - Non, puisque nous avons décidé, au contraire, que chaque Etat membre sera libre, ou pas, de ratifier ou non. L'exemple en est le Luxembourg, qui demande à son Parlement, dans les heures qui viennent, s'il va ratifier ou non le traité.
Q - Le chemin est nettement moins balisé ?
R - C'est évident. Il est évident que l'Europe est en crise, je l'ai dit tout à l'heure. La crise est institutionnelle. Après le traité de Nice, qu'ont dit les Chefs d'Etat et de gouvernement ? Ils ont dit tout de suite, on ne pourra pas, avec ce traité, vivre à vingt-cinq et, à fortiori, à vingt-sept, donc il est nécessaire de retrouver des règles de vie commune.
Avant de retrouver des règles de vie commune, fixons le cap politique ! Je pense que, plus que jamais, l'Europe a besoin de politique, de femmes et d'hommes politiques, de visions politiques.
Q - Donc, il ne fallait pas poser la question de cette Constitution. Il fallait d'abord fixer un cap politique ?
R - C'est ce que je vous dis, mais avec du recul. Avec du recul, on peut se le dire.
Q - Finalement, ce référendum, il aurait été peut-être mieux de le faire après ?
R - Référendum ou pas, je crois que nous sommes dans une crise politique identique à celle de 1954.
Q - 1954, c'est-à-dire la CED.
R - Oui, c'est le refus de la Communauté européenne de défense. C'est-à-dire pratiquement la dernière fois où on a dit "non" à l'Europe politique. On en est là ! Je crois qu'il nous faudra l'humilité et la détermination qu'avaient, à l'époque, les pères fondateurs, pour repartir sur une vraie vision politique de l'Europe. Sinon, il restera un texte juridique... Regardez ce qui s'est passé pendant le référendum. J'entendais, le matin, certains partisans du "oui" dire : "je vote oui, parce que c'est plus libéral". Et le soir, j'entendais des gens qui votaient "oui", comme moi, dire : "je vote oui parce qu'avec la Constitution, on respecte le modèle social européen"...
Q - C'est votre débat avec Tony Blair ? Tony Blair est libéral et vous êtes sur un autre modèle ?
R - Exactement. Et puis, j'entendais des partisans du "non" dire : "ils sont contre les services publics". Et le soir j'entendais quelqu'un du "oui" dire : "justement on est pour le service public". Pourquoi, d'après vous, y a-t-il eu ce cafouillage ? Pourquoi cette discussion allait-elle dans tous les sens ? Pourquoi les Européens, les Français, n'ont pas suivi ? Pourquoi n'ont-ils pas compris ? Parce qu'il n'y avait pas de cap politique. Je crois qu'en effet, le temps est venu d'en parler...
Q - Qui doit définir ce cap politique ?
R - Ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement. Ce sommet est très important. Le président de la République a eu raison de le proposer. Il faudra s'expliquer pour savoir quelle Europe nous voulons. Est-ce que nous voulons une Europe plus intégrée ? Est-ce que nous voulons une Europe de la défense ? Est-ce que nous voulons une Europe de la vie concrète, des citoyens ? Est-ce que l'on veut une Europe plus forte sur l'immigration ?
Nicolas Sarkozy recevra à Evian très bientôt le G5 des ministres de l'Intérieur. C'est très important qu'on explique aux Européens quels moyens nous allons donner pour éviter l'immigration clandestine. Cela, ce sont des choses concrètes. Nous sommes déjà cinq. Si un sixième veut entrer, qu'il entre. Cela s'appelle les coopérations renforcées. Sur la recherche, - je m'occupe actuellement du projet Galiléo - cela m'intéresse beaucoup, comme président de la communauté du Grand Toulouse et comme ministre des Affaires étrangères, c'est très complémentaire- je vois aujourd'hui, à travers Galiléo, quels sont les pays qui veulent donner plus d'argent à l'espace européen. Ceux qui veulent en donner, seront à la table des négociations, ceux qui ne veulent pas en donner n'y seront pas. C'est normal !
Q - Permettez-moi de revenir sur le texte, parce que les Français se sont beaucoup intéressés à la Constitution pendant la campagne pour le référendum. Est-ce que l'on peut imaginer conserver les parties les plus consensuelles du texte ?
R - Je crois qu'il est difficile de faire un bricolage juridique. Le président du Parlement européen, M. Borell, qui a, d'ailleurs, prononcé un très grand discours récemment avant le Conseil, a pris un exemple : il y avait trois parties. La troisième partie n'est que la superposition des traités précédents, pourquoi l'avoir mise d'ailleurs ? C'est pour cela que cette fameuse histoire sur le social et sur le libéral est arrivée ! Après tout gardons le I et le II. C'est à dire la Charte des droits.
En réalité, il a fait remarquer - et il a raison - qu'un tiers des articles du titre I se réfère au titre III, donc c'est quand même très compliqué de faire du bricolage juridique. Je crois que non, arrêtons de biaiser. Nous avons décidé de faire la construction européenne il y a cinquante ans. Aujourd'hui nous sommes vingt-cinq, voire vingt-sept autour de la table. Quelle Europe voulons-nous ? Pour quel projet politique ? Souhaitons-nous avoir une défense à côté et avec l'OTAN ? Regardez ce qui s'est passé en Irak il y a deux ans et demi. Le discours de l'ONU de M. Dominique de Villepin : "M. Colin Powell vous dites ceci et moi je dis cela". C'est quand même une vision du monde différente. Les Américains sont nos amis - la question n'est pas là - mais nous avons le droit de temps en temps d'avoir une vision. C'est parce qu'il y a une Europe politique qu'on peut avoir une vision. Ce n'est pas nous, Français, seuls, qui pouvons être suffisamment forts par rapport aux Etats-Unis, même par rapport à la Chine.
Q - C'est quand même ce qui s'est passé...
R - C'est ce qui s'est passé. Mais on voit bien le début de quelque chose. On voit bien que demain, la France seule aura beaucoup plus de difficultés au fur et à mesure des réformes, on le voit bien, on le sait.
C'est bien de cela dont il s'agit, on est dans la suite de ce qui s'est passé il y a deux ans et demi. Quelle Europe voulons-nous ? Une Europe politique, autonome sur le plan alimentaire, sur le plan de la défense, sur le plan de la politique étrangère ? Ou est-ce que nous voulons, au contraire, une Europe atlantiste, une Europe vassale ? Voilà, ce sont des sujets importants que nous voulons mettre en place.
Q - Oui mais, si cette Europe là s'est construite comme vous l'avez dit, elle s'est construite notamment sur ce qu'on appelle le couple franco-allemand. Or, ce couple franco-allemand, on a eu l'impression à Bruxelles que Gerhard Schröder et Jacques Chirac se sont d'une certaine façon dit au revoir. Je veux dire par là qu'il y en a un, notre président de la République, qui est affaibli par le "non" au référendum et il y a l'autre, le chancelier fédéral d'Allemagne, qui va aller à des élections où l'on dit que c'est son adversaire Angela Merkel qui a beaucoup de chance d'être réélue. Cela a créé une situation politique nouvelle.
R - A votre place, comme à la mienne, nous sommes responsables des mots que l'on pourrait employer sur l'avenir du processus électoral allemand. C'est vrai que les Verts semblent avoir perdu quelques points dans les sondages, mais enfin ce sont des sondages... Et attention, parce que le chancelier allemand avait déjà été en danger la dernière fois et il a gagné. Donc attention. C'est vrai que l'Allemagne et la France, comme tous les pays fondateurs, sortent affaiblis de la crise européenne. Ce n'est pas la peine de dire le contraire. Mais, dans les moments de crise, il faut se serrer les coudes. Et je pense que la France ne parle que d'une voix. Et ceux qui voudraient affaiblir Jacques Chirac affaibliraient la France. Je le dis à titre interne. Maintenant, en ce qui concerne le pilier franco-allemand, je crois, qu'à un moment donné, comme l'a rappelé Catherine Colonna ce matin, au-delà des gouvernements, au-delà des partis politiques, au-delà des clivages partisans, l'histoire fait son chemin. Et il y a eu Valéry Giscard-d'Estaing, Helmut Schmidt, il y a eu François Mitterrand, Helmut Kohl, il y a Jacques Chirac et M. Schroëder. Il y aura, demain, un couple franco-allemand. Je préfère le mot "pilier - moteur" que le mot "axe", parce que le mot "axe" est un mot qui est un peu exhaustif, un peu exclusif par rapport aux autres. Et c'est vrai que demain la Pologne jouera un rôle très important. Et c'est vrai que demain l'Angleterre, je l'espère, jouera un rôle important. L'Espagne en tout cas.
Q - Il y a une phrase qui a été beaucoup commentée, c'est celle de Jacques Chirac, qui dit "l'union peut-elle continuer à s'étendre sans que nous ayons les institutions capables de faire fonctionner efficacement cette union élargie ?" La question mérite d'être posée. La France veut freiner le processus d'élargissement, c'est ce que cela veut dire ?
R - Non. Et si vous continuez la phrase "virgule, dans le respect des engagements de la France et de l'Union européenne".
Q - Tout le monde a pensé à la Turquie ?
R - Même certains y ont beaucoup pensé. J'ai vu cela dans la presse.
Q - Les négociations de l'adhésion de la Turquie qui doivent débuter le 3 octobre.
R - Oui. Personne autour de la table, en tout cas, ne remet en cause cela. La question qui est posée est la suivante : prenons la Turquie, puisque vous me posez la question ; d'abord il y aura un référendum en France pour savoir si elle entre ou pas. Le peuple français aura son mot à dire.
Q - Quand ?
R - Vous savez, quand les négociations seront terminées. Est-ce que c'est dans 15 ans ? Dans 20 ans ? Je ne sais pas. Mais la Constitution française est là, intangible. Il y aura un référendum du peuple français. Déjà, cela atténue les polémiques, par rapport à ce que voulait dire le président de la République. Je ne me permettrais pas de dire ce qu'il voulait dire, mais le sens, c'est qu'aujourd'hui, nous avons quand même une difficulté pour trouver le mode de vie à vingt-cinq. Et il est évident que nous devons être de plus en plus durs sur les critères qui font que tel pays ou tel autre entre dans l'Union européenne. Aujourd'hui, je vois la Turquie. Je vois les critères qui sont demandés. Mais je n'en sais pas plus. C'est la Commission qui nous dira cela. Mais la Commission doit nous dire, dès le mois de septembre, dans un premier rapport, si les critères d'ouverture des négociations sont déjà réunis.
Q - On a l'impression qu'il y a davantage de prudence dans la position française vis-à-vis de la Turquie ?
R - Oui. L'opinion publique a été très claire. L'opinion publique est globalement contre l'élargissement. C'est vrai, on a pas suffisamment d'ailleurs, nous-mêmes, pu expliquer l'élargissement des dix pays. C'est une chance extraordinaire pour l'emploi français. Est-ce qu'on l'a dit ? Est-ce qu'on a dit que nous étions les premiers exportateurs vers la Pologne ? Est-ce qu'on l'a dit ? On ne l'a pas dit. Est-ce qu'on a dit que, chaque fois qu'on ouvre une usine en Pologne, on crée des emplois en France. On a été pris par la petite phrase du fameux "plombier polonais", cela on l'a entendu. On n'a pas dit les autres choses.
Q - La petite phrase, ce n'était pas une petite phrase. C'était la directive Fritz Bolkestein sur la libéralisation des services. Elle est "out".
Q - Qui est "out", vous le savez. Le Parlement européen va nous dire maintenant ce qu'il en pense. Mais la directive Bolkestein a été totalement revue. Mais ce que l'on a entendu dans la campagne référendaire, ce n'est pas que la Pologne entrant, cela crée des emplois en France, c'est que le plombier polonais va prendre le travail d'un plombier français. Voilà ce qui a été entendu. C'est à nous de faire le travail de pédagogie qu'il faut. Alors, vous voyez les dégâts du manque de pédagogie sur l'élargissement à dix pays qui étaient en dictature il y a encore dix ans, et qui viennent aujourd'hui de nous retrouver, ce qui est historique et fantastique, formidable, une chance pour la paix.
Vous vous rendez compte qu'il faut quand même maintenant faire très attention sur les critères. Il faut être exigeant sur les critères.
Q - Il y a eu une inflexion de la position française sur l'élargissement ?
R - Il ne peut pas y avoir de différence, puisque l'Union européenne, M. Blair l'a d'ailleurs dit lui-même, l'Union européenne a décidé à la fin de l'année dernière déjà, qu'on ouvrirait une négociation avec la Turquie. Mais cela n'est pas un plus. D'ailleurs personne n'en a parlé autour de la table. Le mot "Turquie" n'a pas été employé pendant deux jours et deux nuits au Conseil européen.
Q - On va maintenant sortir des frontières de l'Europe et s'intéresser à ce qui se passe en ce moment. En Iran, l'élection présidentielle. Les Iraniens ont été nombreux à voter. 62 % de participation et cette phrase de Mme Rice, "je ne vois pas les élections iraniennes comme un essai sérieux pour approcher l'Iran d'un avenir démocratique". Vous défendez la même ligne que les Etats-Unis ?
R - Non, je ne ferai pas de commentaire sur cela. Je dirais que c'est la première fois dans l'histoire de l'Iran où il y a un deuxième tour entre deux personnes, l'un y était attendu, l'autre n'y était pas. Celui qui était attendu c'est M. Rafsandjani, qui a déjà été président du Parlement, président de la République. Celui qui ne l'était pas, c'est le maire de Téhéran. Et le fait...
Q - Position ultra conservatrice
R - Et le fait que Mahmoud Ahmadinejad soit présent au deuxième tour de l'élection présidentielle est un signe important, d'autant plus que vous savez que les Européens ont entamé, par l'Accord de Paris du 15 novembre 2004, un processus politique qui vise à parler avec les Iraniens à la fois d'affaires politiques, économiques mais surtout nucléaires. Et je me permets de dire qu'il est excessivement important de regarder les résultats de l'élection présidentielle iranienne dans le cadre de cet Accord de Paris, dans le cadre de ce processus politique, sachant que la communauté internationale aide les Européens, je parle de la Chine, je parle des Etats-Unis, je parle du Japon, et il est excessivement important de bien comprendre que se joue une grande partie aussi de notre processus sur les matières nucléaires dangereuses.
Q - Une grande partie se joue parce que l'on a constaté, dans la campagne électorale iranienne, que la totalité des candidats, et notamment ceux qui arrivent au second tour, défendent, l'un et l'autre, le fait que l'Iran soit une puissance nucléaire. Alors comment l'Europe peut-elle agir sous les yeux des Etats-Unis ?
R - Il faut quand même savoir que M. Rafsandjani a eu une attitude un peu plus libérale et on sent, depuis maintenant quelques semaines, une diminution de la tension entre Téhéran et l'Union européenne et la communauté internationale sur ces sujets.
Q - Vous nous dîtes diplomatiquement que ce sera plus simple avec M. Rafsandjani qu'avec...
R - Vous comprenez bien, quand même, que je n'ai pas à interférer dans le processus électoral iranien.
Q - Nous interprétons...
R - Mais ce qui est sûr c'est que l'Iran, c'est un très grand peuple, c'est une très grande nation, c'est un très grand pays. C'est un pouvoir religieux comme vous le savez, chiite qui joue un rôle excessivement important aussi dans la région. Je pense à l'Irak, je pense au Liban, et tout cela est d'une importance capitale. J'ajoute que les Etats-Unis, récemment, ont proposé à l'OMC d'ouvrir les négociations avec l'Iran, ce qui est majeur parce que l'idée derrière c'est d'intégrer ce pays au commerce international. Il faut évidemment respecter des choses fondamentales, comme la non prolifération nucléaire.
Q - Vous avez cité, tout à l'heure, Condoleezza Rice. Quand la rencontrez-vous ?
R - Le lendemain de l'Independance Day, le 5 juillet, j'irai à Washington. J'irai d'abord dire que les Américains sont des amis et que nous n'oublierons jamais ce qu'ils ont fait. On sait ce qu'on leur doit. Je leur dirai tout aussi clairement que nous pouvons avoir des désaccords, je pense au processus de Kyoto et, il y a deux ans et demi surtout, à notre position s'agissant de l'Irak...
Q - Ce n'est pas un peu difficile, pour vous, d'être le ministre des Affaires étrangères, d'un Premier ministre qui a été si dur avec les Etats-Unis ?
R - Ce n'est pas parce que le Premier ministre a dit ce qu'il pensait de l'unilatéralisme, en défendant, lui, le multilatéralisme à l'ONU, dans un discours fameux, qu'il faut tout de suite le caricaturer comme un anti-américain. Ce n'est pas vrai ! Ce serait mal le connaître ! Mais simplement, quand on a un ami et qu'on n'est pas d'accord avec lui, il faut le lui dire. Et d'ailleurs, dans ma vie personnelle, je me suis aperçu que c'est majeur de le faire. Il est important aussi de dire qu'on a confiance en eux sur les valeurs communes que nous défendons : la liberté, le droit d'initiative, le droit des peuples à se gérer eux-mêmes. Ce sont des choses fondamentales, mais autant le dire : nous avons confiance en eux, et j'irai le leur dire, le 5 juillet. Cela me fait très plaisir de rencontrer Condoleezza Rice. Je lui ai parlé au téléphone plusieurs fois déjà. Et nous travaillons ensemble. Nous nous rencontrons très prochainement sur l'Irak, nous travaillons régulièrement ensemble sur le Liban, sur Haïti...
Q - Et sur le Proche-Orient, qui est aussi la crise la plus virulente dans la région, et qui s'est beaucoup stabilisée depuis l'élection de M. Abbas ? Avez-vous invité Ariel Sharon à venir à Paris ? Viendra-t-il à Paris ? Irez-vous vous-même dans la région ? Et quand ?
R - Je crois qu'il y a un projet de voyage officiel, en effet, d'Ariel Sharon en France. Et je crois qu'il est important, plus que jamais, que la communauté internationale en général, et l'Union européenne en particulier, puissent aider au Processus de paix. Il y a quand même quelque chose d'historique qui est le désengagement de la bande de Gaza. Cent jours - on recule, c'est vrai, régulièrement - mais il y a cent jours pour ce désengagement. Cela est l'élément positif. Il y a des éléments plus négatifs. C'est la re-colonisation de la Cisjordanie, c'est cette fameuse bande de sécurité. Cela sont des points qui ne sont pas positifs.
Q - Et l'absence de Feuille de route claire, après le retrait de la bande de Gaza également ?
R - Ariel Sharon, et il faut le saluer, souhaite faire des concessions, en tout cas, il le montre. Il est nécessaire aussi d'obtenir qu'il n'y ait pas d'actes terroristes de l'autre côté. Et il est important aussi d'aider les Palestiniens et cela, je crois que la communauté internationale, l'Union européenne en particulier, doit se battre pour aider le début de l'administration du côté palestinien, pour qu'il y ait des réformes, pour qu'il y ait des constructions d'écoles, pour que la jeunesse puisse être éduquée. Lorsqu'on "joue" l'éducation, on "joue" évidemment l'avenir d'un pays. Je crois que nous avons plus que jamais un rôle à jouer dans cet endroit du monde et, comme vous le savez, le président de la République est un de ceux qui le connaît le mieux.
Q - Il y a une semaine, Florence Aubenas et Hussein Hanoun ont été libérés. Est-ce qu'aujourd'hui, vous pouvez nous dire un peu plus sur qui sont les ravisseurs ?
R - D'abord, vous avez du le voir. C'est avec beaucoup d'humilité que j'ai pris...
Q - On vous a trouvé très en retrait ?
R - Oui, parce que je crois qu'il y a une très grande continuité de l'Etat dans cette affaire avec quatre ou cinq personnes qui, dans le plus grand secret, ont travaillé, à la fois du côté du ministère de la Défense, et de l'autre côté évidemment du ministère des Affaires étrangères, supervisées personnellement par le chef de l'Etat et vous comprenez bien que ce n'est pas à l'occasion d'un simple remaniement ministériel, ma petite personne qui arrive et qui règle le problème. Par contre, ce que je sais, c'est qu'il y a aujourd'hui encore des otages, qu'il faut être excessivement rigoureux, que dans ce type d'affaires, avant, pendant et après la libération d'otages, il faut faire part de modération, il faut faire part de patience et aussi de détermination. Donc, personnellement, je serai excessivement modéré dans mes propos.
Q - Tout en restant modéré, mais peut-être il y a quand même une polémique sur la rançon, une polémique qui est relancée aujourd'hui par "Le Journal du Dimanche", qui parle d'un marchandage qui aurait d'ailleurs retardé la libération des otages. Sans révéler de secret d'Etat, mais qu'est-ce que vous pouvez nous dire là-dessus, sur ce fameux marchandage ?
R - Je peux vous dire qu'il n'y a pas eu de rançon.
Q - Rien ?
R - Pas de rançon.

Q - Mohamed Al Joundi, le guide qui avait été pris en otage avec Christian Chesnot et Georges Malbrunot lors de la précédente prise d'otages, vit depuis sept mois en France avec sa femme et ses trois enfants, grâce à l'aide financière de quelques amis. Aujourd'hui, il appelle les autorités françaises à l'aide. Comment est-ce que la France, concrètement, peut l'aider ?
R - Ce sont des dossiers qu'il faut regarder au cas par cas. Ce que je sais, c'est qu'il y a un sujet de fond, qui n'est pas un sujet particulier, qui est le problème de la presse dans cet endroit du monde.
Le chef du gouvernement a invité, je crois, la plupart des responsables de presse récemment à Matignon. Est-ce qu'il faut une liberté de la presse ? Oui. Est-ce que la presse est une condition sine qua non de la démocratie ? Oui. Est-ce que l'on peut continuer à voir des journalistes seuls dans les rues de Bagdad se promener comme cela ? Je pense que non. Je pense qu'il faut, en effet, trouver une idée sur la mutualisation des moyens, des organes de presse eux-mêmes, parce que, sinon, il peut y avoir un vrai marché d'otages qui se développe et qui peut être excessivement grave pour la vie, pour les personnes, mais aussi pour les règles internationales.
Q - Et vous pensez que les journalistes français sont particulièrement visés ?
R - Je pense que tous les journalistes sont visés. Vous regardez ce qui s'est passé pour les Italiens ou les Italiennes, les Américains. Non, je ne pense pas que les Français soient particulièrement visés, je pense que nous avons, par contre, nous, en effet, l'habitude - c'est une des grandes fiertés de la presse française -, de nous retrouver dans le monde entier, à aller quelque part, sans être accompagné de garde, sans être dans des voitures blindées, à aller partout, sonner aux portes. Mais attention. Je dis qu'il y a un moment où ces femmes, où ces hommes peuvent prendre des risques considérables et faire prendre des risques considérables aux autres.
Q - On vous voit aujourd'hui, tout à fait dans votre fonction, de ministre des Affaires étrangères. Comment est-ce que vous avez pris les commentaires assez rudes à votre arrivée au Quai d'Orsay ?
R - Cela m'a fait sourire, quant à ma personne, parce que faire de la politique, être engagé, c'est parfois prendre des coups. Donc, au bout d'un moment, ce n'est pas ma personne qui compte. Par contre, là où je ne souris plus, c'est sur ma fonction. Parce que je pense qu'il est excessivement rare de pouvoir avoir l'honneur de servir son pays, dans le gouvernement de son pays. Et c'est une très grande fierté que de pouvoir y porter la voix de son pays, derrière celle du président de la République et du chef du gouvernement. Par contre là, je pense, j'espère que je serai à la hauteur et qu'il faut me juger sur les faits.
Q - "Le Point" de cette semaine raconte que vous êtes arrivé au ministère en "liberté surveillée", épaulé notamment par Catherine Colonna qui se trouve dans ce studio aujourd'hui et qui est avec nous. Vous avez besoin qu'on vous prenne la main ?
R - Prendre la main de Catherine Colonna me fait plaisir, mais c'est à elle à le dire. Je suis très heureux de travailler avec deux femmes qui connaissent parfaitement bien le Quai d'Orsay. Je salue ici Brigitte Girardin qui connaît très bien, en effet, cette maison et avec laquelle nous avons des projets en Afrique, qui sont importants ; ce continent qui représentait 10 % du commerce international, il y a vingt ans, qui ne représente plus que 2 % aujourd'hui ; un continent riche avec des personnes de plus en plus pauvres. Je pense qu'on va beaucoup travailler ensemble avec Brigitte Girardin et aussi sur le plan sanitaire, sur le plan médical. Mais pour revenir à cela, je reste persuadé que les fonctions ministérielles sont des fonctions où il faut beaucoup travailler.
Ce qui m'intéresse, ce sont les dossiers. Toute ma vie, cela a été cela. Il se trouve que des dossiers, Dieu sait si j'en ai devant moi ! Il y a le dossier européen, il y a celui de la crise Israël-Palestine, il y a les relations transatlantiques, il y a le dossier africain, plus tous les autres, le dossier iranien dont vous avez parlé, libanais. Pour moi, c'est une chance absolue de pouvoir travailler aux côtés de femmes et d'hommes que je respecte. Parce que le Quai d'Orsay, est fait d'une très grande administration. Et je tiens à le dire ici, je le savais parce que j'ai beaucoup travaillé dans ce domaine, même si on ne le sait pas, il m'est arrivé d'aller sur beaucoup de théâtres internationaux, lorsque je ne faisais pas de la politique mais que j'étais engagé dans différentes associations. J'ai rencontré souvent ce monde là et j'ai beaucoup de respect pour les diplomates.
(...).
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 2005)