Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse conjoint avec Mme Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat américaine, sur le rapprochement franco-américain et la convergence de vues sur les questions liées au dossier nucléaire iranien, au Liban, à la Syrie et à l'Irak, ainsi qu'au risque de grippe aviaire, Paris le 14 octobre 2005.

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Circonstance : Visite en France de Condoleezza Rice le 14 octobre 2005 à Paris

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, Chère Condoleezza, d'abord, je voulais vous dire que je suis très heureux d'accueillir mon amie Condoleezza Rice ici, au Quai d'Orsay.
Depuis que je suis arrivé au Quai d'Orsay, il y a quelques mois, nous avons beaucoup travaillé, à Washington d'abord, au mois de juillet, lorsque je suis venu la rencontrer pour une réunion de travail longue et fructueuse, puis à Bruxelles et à Londres.
Permettez-moi de vous dire que je me réjouis de ce dialogue régulier que nous entretenons ; un échange que je qualifierai de riche et fructueux, comme peuvent et doivent en avoir deux pays amis et alliés comme le sont, depuis toujours, les Etats-Unis et la France. Et c'est précisément parce que les Etats-Unis et la France partagent des valeurs fondamentales que nous ne devons pas avoir peur de nos différences, bien au contraire. Pour la France, les Etats-Unis sont un ami, un allié, un partenaire. Parce que nous sommes des amis, nous pouvons nous parler en toute franchise, de sujets importants, ce qui montre que les Américains et les Français savent travailler ensemble, sur des sujets très concrets.
C'est donc dans cet esprit de collaboration étroite que je compte continuer de me rendre régulièrement aux Etats-Unis. Je souhaite que chacune de mes visites soit l'occasion d'entretenir, de resserrer encore davantage des liens entre Paris et Washington, de rapprocher les Français et les Américains. Parce que l'amitié franco-américaine est avant tout l'aspiration profonde de deux peuples, permettez-moi de redire à Condoleezza Rice combien le peuple français a été sensible à l'épreuve subie récemment par les Etats-Unis, lors des ouragans Katrina et Rita. Le peuple français a tenu à exprimer sa sympathie, sa solidarité au peuple américain.
Concernant notre entretien, nous avons beaucoup parlé, en particulier de l'Iran, mais aussi du Liban, de la Syrie, de l'Irak et d'autres sujets. Je peux vous assurer qu'il y a une continuité dans notre coopération et une parfaite entente qui est de plus en plus évidente d'ailleurs, en particulier sur ces sujets.
Je laisse maintenant la parole à Condie pour un mot de présentation, nous nous sommes mis d'accord pour que chacun de nous prenne deux questions que vous voudrez nous poser.
Juste un mot concernant l'Iran, puisque Mme Rice vient d'en parler.
Je crois que nous avons une communauté de vues concernant l'Iran ; il faut rendre, ensemble, l'option du Conseil de sécurité tout à fait crédible. C'est d'ailleurs le travail que nous avons fait au Conseil des gouverneurs récemment. Nous devons croire encore aux négociations ; s'il est possible de négocier, alors nous devons le faire.
Nous pensons qu'il faut suspendre les activités nucléaires sensibles. C'est un message de fermeté qu'il faut donner. Mais il faut éviter les déclarations évoquant la possibilité d'actions hors du cadre multilatéral.
Il est donc important de croire en l'Agence internationale de l'Energie atomique, de la crédibiliser, de ne pas craindre de dire que, s'il le faut, la perspective du Conseil de sécurité existe. L'Iran, qui est un grand pays, est attentif à ce que nous lui demandons.
Q - Je poserai deux questions : l'une pour Mme Rice et l'autre pour M. Douste-Blazy.
D'abord, concernant l'Iran, Mme Rice, vous partez dans quelques instants à Moscou et le problème essentiel qui bloque actuellement les négociations, c'est justement l'attitude des Russes. Ils ne considèrent pas que les activités de conversion soient un danger imminent, ils préfèrent préserver toutes les chances de négociation en disant que c'est l'enrichissement qui pose un problème. Pensez-vous qu'il faut se décider à transférer le dossier au Conseil de sécurité, sans attendre l'unanimité ?
Pour M. Douste-Blazy, une question qui inquiète beaucoup les Européens en ce moment, c'est la grippe aviaire. Vous devez rencontrer bientôt vos homologues au Luxembourg. Quelles sont les mesures urgentes que vous vous apprêtez à prendre dans ce domaine, puisque les Etats-Unis appellent à la transparence dans ce domaine ?
R - Je le redis ici, nous avons une communauté d'objectifs avec les Américains, éviter la maîtrise du cycle de combustible pour l'Iran. Et pour cela, je viens de le dire, c'est le cadre multilatéral qui s'impose. L'option du Conseil de sécurité doit demeurer, pour l'Iran, suffisamment dissuasive pour le persuader de renoncer à ces activités sensibles. Il faut expliquer cela et le faire avec les Russes et les Chinois.
Sur la grippe aviaire, c'est un sujet qui intéresse le monde entier, les Américains aussi. Vous savez, le problème de la grippe aviaire aujourd'hui, c'est l'éventuelle mutation du virus. Aujourd'hui, ce virus n'a pas muté, ce virus ne passe pas de l'homme à l'homme. Il faut donc rassurer en expliquant qu'il ne s'agit pas d'un virus qui aurait muté. Il n'a pas muté.
Permettez-moi de dire, en tant que ministre des Affaires étrangères et au côté de Condoleezza Rice que, si nous ne voulons pas que le virus mute, il faut aussi tout faire pour cela. Il y aura sûrement des endroits dans le monde, probablement les plus pauvres, les pays du Sud, en Asie ou en Afrique, dans lesquels, tôt ou tard, des volailles seront touchées par le virus H5N1. C'est à ce moment-là qu'il faut que nous soyons au rendez-vous de la solidarité internationale pour que, dans ces endroits-là aussi, les systèmes de santé publique, les systèmes de prévention, de diffusion des antiviraux soient efficaces afin que le virus ne mute pas. Car, s'il mute, il mutera évidemment dans ces régions, dans ces continents mais aussi chez nous. Non seulement, c'est évidemment moralement et éthiquement scandaleux, mais surtout, très bête sur le plan planétaire, pour la santé de tous les citoyens de la planète.
A cet effet, il va y avoir une réunion très importante à Genève. Cette réunion aura lieu les 7 et 8 novembre, à l'invitation des trois organismes multilatéraux que sont l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), l'Organisation internationale des épizooties (OIE) et l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (OAA/FAO) pour que nous puissions, nous les principaux bailleurs de fonds, organiser notre lutte pour aider les pays les plus pauvres.
Je me permets de le dire parce que je ne l'entends jamais.
Deuxièmement, j'ai demandé à la Présidence britannique, à Jack Straw, de réunir un Conseil Affaires générales spécial, à la fois sur l'OMC mais aussi sur la grippe aviaire.
Mardi, nous aurons une discussion sur ce sujet pour savoir ce que l'Union européenne va décider de faire, comme bailleurs de fonds vis-à-vis des pays du Sud. On parle de 150 millions d'euros qu'il faudrait donner au niveau planétaire. C'est peut-être beaucoup plus, nous verrons, en même temps, comment nous pouvons nous organiser, réguler, harmoniser notre action dans la lutte contre la grippe aviaire.
Q - (Concernant l'Irak)
R - Sur ce thème, je voudrais juste dire que, à côté un processus constitutionnel qui se met en place, il faut un processus politique.
La situation sécuritaire, sociale et politique de l'Irak nous préoccupe. Il nous paraît important d'envisager une sortie de crise qui permette un processus inclusif. Celui-ci doit faire entrer toutes les composantes de la société irakienne, surtout, pour sauver l'unité irakienne.
Q - (Au sujet de l'Iran)
R - Pour répondre à votre question, en un mot et en complément de ce que vient de dire Mme Rice, je pense qu'un programme nucléaire civil ne nécessite pas la maîtrise du cycle du combustible. C'est bien le sujet.
Aujourd'hui, si nous restons sur le nucléaire civil, si on reste sur l'utilisation du nucléaire pacifique, connaissant le partenariat entre les Russes et les Iraniens, il n'est pas nécessaire de maîtriser le cycle du combustible. En tout cas, c'est ce que nous pensons et c'est ce que nous avons dit à l'Iran.
Q - (Au sujet de la Syrie et du Liban)
R - Notre objectif est très clair sur ce sujet, c'est la souveraineté du Liban. Nous sommes plus que jamais décidés à faire respecter les résolutions 1559 et 1595. La priorité des priorités est de permettre au juge Melhis de faire son travail, tout son travail. Nous lui faisons totalement confiance pour que ce rapport, qui est commandé par les Nations unies, puisse être remis au Conseil de sécurité et que nous en tirions les conséquences. La pire des choses serait de politiser ce rapport. Ce n'est pas une affaire politique, c'est une affaire de justice, une enquête criminelle qui doit être menée jusqu'au bout, en donnant ensuite tous les moyens à la justice pour que nous puissions tirer les conséquences de ce que le juge Melhis dira.
Nous vous remercions.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2005