Texte intégral
Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée d'exprimer devant vous quelques idées sur l'évolution de la mondialisation des échanges après Seattle et sur la coopération entre l'Union européenne et l'Asie. Je suis heureux de pouvoir m'exprimer sur ce thème à la fondation Europe-Asie ASEF dont l'objectif est justement de promouvoir le rapprochement des sociétés civiles européennes et asiatiques.
1. Il n'est pas utile, aujourd'hui de revenir longuement sur les causes de l'échec de Seattle, mais plutôt d'en retenir les leçons pour se projeter vers l'avenir. Au-delà des circonstances, et des péripéties de la rue, nous faisons le constat que les raisons de fond qui plaidaient, avant Seattle, pour une mondialisation maîtrisée continuent d'exister après Seattle. Nous en tirons la conséquence que la régulation internationale demeure au cur des enjeux de l'économie mondiale globalisée. Nous gardons la conviction que le dialogue renforcé, en particulier entre l'Europe et l'Asie, est la clé pour rapprocher les perceptions et dégager les points d'accord.
La France a fait preuve d'une grande permanence dans ses analyses. Elle a, avec constance, plaidé pour que la libéralisation commerciale soit équilibrée par le renforcement des règles du système multilatéral. Elle a considéré, et elle continue de considérer, que l'ouverture économique doit s'accompagner de politiques appropriées, d'un cadre réglementaire stable et transparent, et de règles du jeu multilatéral solides.
2. La crise qui a durement touché certains pays de la région asiatique à partir de juillet-octobre 1997, a mis en évidence ces vérités. En effet, alors qu'elle a débuté comme une crise de change localisée à la Thaïlande, elle s'est propagée aux différents pays de la zone et a révélé les déséquilibres micro-économiques et les insuffisances du système de régulation, que cachait la croissance rapide des économies de la zone : suraccumulation du capital dans certains secteurs, inadéquation des structures bancaires, financières et industrielles et du cadre réglementaire national. Cette crise a bien souligné la vulnérabilité des économies dont les déficits courants sont élevés et couverts par des entrées de capitaux de court terme, lorsque leur politique de change se caractérise par un ancrage à une devise unique. Cette crise, je dois le dire a été une crise de croissance, et les pays européens ont connu à des étapes analogues de leur développement des crises en partie semblables.
L'Union Européenne s'est largement impliquée dans la résolution de cette crise et a manifesté sa solidarité par plusieurs canaux.
Tout d'abord, c'est un point essentiel, face à cette crise, la communauté internationale et notamment l'Union européenne se sont refusées à tout protectionnisme.
Par les liens privilégiés noués entre l'Union européenne et l'Asie, s'est maintenue l'idée d'une coopération renforcée afin de conserver l'ouverture économique. Le forum de l'ASEM, créé en 1996, avait déjà servi de canal privilégié pour assurer les partenaires commerciaux de la volonté commune de ces deux pôles de l'économie mondiale de maintenir les économies ouvertes, et de résister à toute tentation protectionniste. Il convient de noter que l'engagement (" pledge ") multilatéral pris entre l'Europe et l'Asie lors de la réunion des ministres de l'économie de l'ASEM au Japon à l'automne 1997, a favorisé l'émergence d'un consensus lors de la conférence ministérielle de l'OMC de Genève en mai 1998.
La stabilité du cadre multilatéral des échanges a permis le maintien de l'ouverture des frontières. Dans ces conditions, alors que les comptes courants des pays d'Asie sont devenus fortement excédentaires, notamment du fait de la chute de leur demande intérieure, l'Union européenne a partagé, à part égale avec les Etats-Unis, l'absorption de ce déséquilibre. La balance bilatérale de l'Union européenne vis-à-vis des pays asiatiques s'est ainsi dégradée de 0,7 % du PIB en 1998, celle des Etats-Unis de 0,5% du PIB.
Deuxièmement, l'Union européenne, en tant que premier actionnaire des institutions multilatérales, FMI, Banque mondiale et Banque Asiatique de Développement, a joué de fait un rôle essentiel dès les premiers jours de la crise. Celles-ci ont en effet très rapidement mis en uvre des moyens financiers considérables : elles ont apporté des flux de capitaux publics pour compenser, au moins partiellement, les forts retraits de capitaux privés notamment bancaires.
Elles ont de plus apporté assistance technique et aide projet pour la mise en uvre des réformes structurelles, par exemple la restructuration du secteur financier et industriel, le durcissement du cadre prudentiel et le renforcement des contrôles, ou encore l'amélioration de la gouvernance tant publique que privée, et la modernisation du cadre juridique et judiciaire. Elles ont aussi apporté leur aide dans l'accompagnement social de la crise, notamment dans la définition des programmes sociaux et la mise en place d'un filet de protection sociale pour soutenir les revenus et l'emploi (" safety net "). Le fonds d'assistance technique (" trust fund ") euro-asiatique créé dans le cadre de l'ASEM, dont la gestion a été confiée à la Banque Mondiale, et auquel la France participe activement, complète utilement le soutien des institutions financières internationales. Il illustre concrètement la coopération euro asiatique pour la réforme des secteurs financiers et bancaires, et surtout dans la prise en compte des aspects humains et sociaux de cette crise.
L'Union européenne et au premier chef la France, ont continué de mettre en uvre leur aide bilatérale au développement, à la fois technique et financière et d'apporter leur soutien au crédit commercial. Notamment, en France, les systèmes d'assurance-crédit publics ont joué un rôle extrêmement utile d'amortisseur dans les échanges et les flux financiers internationaux, et ont évité toute sur-réaction.
Enfin, une réflexion sur la nouvelle architecture du système monétaire international s'est engagée l'an passé dans le cadre du Forum de Stabilité Financière, auquel participe Singapour. Notamment, la question de la transparence des Hedge Funds ou encore celle de la réglementation prudentielle des centres offshore y sont discutées activement.
3. Plus généralement, la résolution de la crise asiatique met bien en évidence la nécessité d'un cadre de développement intégré conciliant approche globale, partenariat, coordination et doit trouver son prolongement dans le cadre des règles multilatérales internationales, à la fois financières et commerciales.
La mondialisation maîtrisée pour laquelle nous plaidons considère en effet que les instabilités et inégalités qu'elle provoque doivent être encadrées selon une démarche progressive, mais claire. Comme vous le savez, les négociations commerciales, en matière de tarifs et de libéralisation vont reprendre dans les secteurs de l'agriculture et des services : il ne s'agit pas là d'un nouveau cycle mais simplement des suites de l'Uruguay Round. La vision européenne du prochain cycle de négociations se caractérise principalement par la volonté d'aborder de nouveaux sujets : l'investissement et la concurrence, l'environnement, et les normes sociales.
Nous avons noté à Seattle, comme dernièrement lors de la récente conférence de la X° CNUCED qui s'est tenue à Bangkok, que les pays en développement marquaient un intérêt croissant sur ces thèmes de la concurrence et de l'investissement, qu'on appelle souvent les sujets de Singapour. Le développement des fusions et acquisitions transfrontalières peut en effet dans certains secteurs, mettre à mal la concurrence, en facilitant les abus de positions dominantes, tant à l'échelle du pays et de la région en développement qu'au plan mondial. Il apparaît maintenant indispensable aux pays en développement de pouvoir compter sur un droit et une politique de la concurrence appropriée, tant au niveau national qu'au niveau multilatéral. Et je crois que les grandes opérations, qui se développent tous les jours dans le domaine des NTIC, montrent que le droit de la concurrence doit être amené à jouer au niveau international un rôle de plus en plus important.
Enfin, il me semble que les réflexions sur commerce électronique et concurrence doivent être menées dans des enceintes internationales, OMC ou d'autres. Le commerce électronique devrait en effet théoriquement renforcer l'efficacité de l'économie en donnant la possibilité de rassembler, sans coût et pratiquement instantanément, sur une même place virtuelle un grand nombre d'opérateurs, acheteurs et offreurs potentiels. En revanche, en donnant une dimension plus large à la concurrence, non seulement par les prix, mais prenant en compte notamment les délais de livraison du produit, les périodes de garantie, le commerce électronique peut conduire à l'exclusion de certains fournisseurs du marché. Le commerce électronique peut avoir enfin un impact dommageable sur le respect de la vie privée des consommateurs.
La démarche que nous préconisons est progressive : l'Union européenne a marqué son souhait que ces sujets nouveaux de la régulation internationale débutent par l'adoption de principes de base fondés sur la transparence et la non-discrimination, que les pays en développement qui le demandent bénéficient de périodes de transition appropriées, et de toute l'assistance technique nécessaire. Nous avons signalé également qu'il n'était pas question de soumettre à l'OMC des décisions individuelles en matière de concurrence, ou de brider la capacité du pays hôte à réguler l'accueil de l'investissement direct étranger.
Il ne s'agit pas ici de concessions commerciales réciproques ou à proprement parler d'échanges de gains et de pertes. Il s'agit plutôt d'une sorte de contrat social entre tous les pays du monde où nous négocions et acceptons ensemble des règles communes. Le progrès dans l'établissement de ces règles sert l'ensemble des membres de l'OMC, quel que soit leur niveau de développement. Il est de l'intérêt de tous qu'un cadre clair, stable, transparent de règles s'établisse et se renforce à l'échelle multilatérale, une autre leçon de la crise récente étant que la mondialisation n'épargne aucune partie du monde des perturbations nées d'une défaillance locale.
De la même façon, nous avons saisi comme un signe encourageant le dialogue très libre qui s'est instauré lors de la réunion des Ministres de l'économie de l'ASEM de Berlin en octobre dernier sur les thèmes de l'environnement ou des normes sociales. Dans ce domaine, notre conviction est identique. Elle se nourrit du constat que le développement ne va pas sans une gestion durable des ressources ni sans développement social et humain.
Les négociations des accords multilatéraux d'environnement, tels que le protocole sur la biosécurité signé à Montréal en janvier dernier, témoignent d'une évolution positive des pays en développement à l'égard de l'environnement. Le protocole de Montréal établit ainsi un cadre de règles internationales pour les mouvements transfrontaliers d'OGM, qui jusque là faisait défaut, et donne aux pays qui n'étaient pas dotés d'une législation nationale en la matière, un cadre de référence pour fonder leurs décisions sur les importations d'OGM et protéger ainsi leur biodiversité. Plus largement, les travaux de la conférence de la CNUCED à Bangkok ont montré que les mentalités évoluaient sur ce thème et que des progrès étaient possibles. La CNUCED s'est notamment engagée dans son plan d'action, à examiner, en coopération avec les organisations appropriées, les implications économiques des accords multilatéraux environnementaux et à promouvoir l'introduction de mesures effectives afin de réaliser des objectifs globaux environnementaux.
La question des normes sociales de base reste la plus sensible. Nous ne pensons pas que les sanctions commerciales pourraient aider en quelque manière au développement social, mais sommes par contre sensibles à ce que constate dans le préambule de sa Constitution, l'Organisation Internationale du Travail " la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leur propre pays ". En revanche, nous refusons d'envisager les normes sociales sous l'angle de la concurrence déloyale, c'était là le sens de la déclaration de la Conférence Ministérielle de Singapour, à laquelle nous souscrivons pleinement, qui rejetait l'usage des normes du travail à des fins protectionnistes.
L'approche incitative et coopérative de l'Union européenne sur cette question a été, il faut le concéder, prise à revers par les déclarations américaines à Seattle sur les sanctions commerciales. Il nous faut donc continuer à travailler pour que cette question progresse. Je note qu'elle figure au cur de l'agenda de nombreuses organisations internationales avec le sommet social des Nations Unies en juin prochain, ou dans l'approche préconisée par la Banque mondiale sur le développement. La coopération entre les organisations internationales devra se renforcer. C'est la voie que la France a proposée avec l'Union européenne à Seattle et qui reste valide.
4.Le dialogue doit se poursuivre entre nous pour rapprocher les points de vue. Le forum de l'ASEM est à cet égard le plus approprié. Dans ce cadre, une attention particulière a été portée, dès l'origine, aux aspects réglementaires du commerce et de l'investissement qui faisaient obstacle au développement réciproque des échanges. Sous la forme des plans d'action, les thèmes abordés sur les meilleurs principes en matière d'accueil de l'investissement, les normes en particulier sanitaires et phytosanitaires, ou la propriété intellectuelle, contribuent à identifier les intérêts réciproques et à favoriser la compréhension mutuelle. La Thaïlande du côté asiatique et la France du côté européen se sont ainsi portées volontaires pour jouer le rôle de facilitateur sur ce thème de la propriété intellectuelle ; leur coopération active qui s'est déjà traduite par l'organisation d'un séminaire en juin dernier, se manifestera prochainement lors d'un séminaire en Thaïlande ce mois-ci. Ce sera notamment l'occasion d'y traiter du lien entre commerce et santé publique, par l'intermédiaire des brevets pharmaceutiques. Je me félicite que Singapour coordonne un projet très concret, l'ASEM " connect ", réseau Internet de base de données nationales où sont répertoriées les entreprises recherchant des partenaires dans les pays membres. Enfin, le volet multilatéral du dialogue au niveau des Ministres et des hauts fonctionnaires donne l'occasion de rapprocher les points de vue.
Je note, à cet égard, que sur les thèmes les plus difficiles de la conférence de Seattle, les positions de l'Union européenne avec les partenaires asiatiques n'étaient pas antagonistes, et que certains d'entre eux participaient au même groupe des amis du cycle.
Beaucoup reste à faire pour que cette coopération bilatérale se renforce et débouche sur des actions concrètes de coopération bilatérales et multilatérales. L'objectif fondateur de l'ASEM d'une relation équilatérale entre l'Asie, l'Europe, et l'Amérique demeure. Les actions bilatérales doivent contribuer à renforcer les liens économiques entre l'Europe et l'Asie et à rapprocher les positions multilatérales. Réciproquement, le renforcement du cadre multilatéral doit servir de stimulant à l'accroissement des échanges et des investissements bilatéraux.
Le forum de dialogue non contraignant que constitue l'ASEM représente une opportunité qu'il faut exploiter. Le prochain sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement qui se tiendra à Séoul en octobre prochain sous présidence française de l'Union européenne sera une étape importante. A l'heure actuelle, le programme de notre présidence n'est pas encore complètement arrêté, car nous devons en discuter ensemble. La France envisage de prendre des initiatives dans le domaine commercial, afin d'approfondir les plans d'action pour le commerce et les investissements, en ne les restreignant pas seulement à l'élimination des barrières réglementaires. La France cherchera aussi à favoriser les synergies entre le dialogue des hommes d'affaires et les travaux menés par les fonctionnaires dans le cadre des plans d'action pour le commerce et les investissements. Elle devrait aussi prendre des initiatives dans le domaine de l'éducation.
Le prochain sommet de l'ASEM devrait enfin permettre d'approfondir et d'intensifier notre dialogue multilatéral, à la fois dans le cadre d'une réflexion sur l'architecture financière internationale, et sur la mise en oeuvre des accords existants et la mise en place d'instruments de régulation nouveaux à l'OMC. D'ailleurs, sur ce dernier sujet, certains de nos partenaires de l'ASEM suggèrent l'organisation d'une rencontre des ministres du commerce de l'ASEM en amont du sommet de Séoul
Ce rapprochement entre l'Union européenne et l'Asie, suscité et irrigué par la globalisation, doit être une chance pour que celle-ci soit maîtrisée, qu'elle profite à tous et non pas à quelques-uns, et qu'elle répartisse les richesses plutôt qu'elle n'accroisse les inégalités.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr)
1. Il n'est pas utile, aujourd'hui de revenir longuement sur les causes de l'échec de Seattle, mais plutôt d'en retenir les leçons pour se projeter vers l'avenir. Au-delà des circonstances, et des péripéties de la rue, nous faisons le constat que les raisons de fond qui plaidaient, avant Seattle, pour une mondialisation maîtrisée continuent d'exister après Seattle. Nous en tirons la conséquence que la régulation internationale demeure au cur des enjeux de l'économie mondiale globalisée. Nous gardons la conviction que le dialogue renforcé, en particulier entre l'Europe et l'Asie, est la clé pour rapprocher les perceptions et dégager les points d'accord.
La France a fait preuve d'une grande permanence dans ses analyses. Elle a, avec constance, plaidé pour que la libéralisation commerciale soit équilibrée par le renforcement des règles du système multilatéral. Elle a considéré, et elle continue de considérer, que l'ouverture économique doit s'accompagner de politiques appropriées, d'un cadre réglementaire stable et transparent, et de règles du jeu multilatéral solides.
2. La crise qui a durement touché certains pays de la région asiatique à partir de juillet-octobre 1997, a mis en évidence ces vérités. En effet, alors qu'elle a débuté comme une crise de change localisée à la Thaïlande, elle s'est propagée aux différents pays de la zone et a révélé les déséquilibres micro-économiques et les insuffisances du système de régulation, que cachait la croissance rapide des économies de la zone : suraccumulation du capital dans certains secteurs, inadéquation des structures bancaires, financières et industrielles et du cadre réglementaire national. Cette crise a bien souligné la vulnérabilité des économies dont les déficits courants sont élevés et couverts par des entrées de capitaux de court terme, lorsque leur politique de change se caractérise par un ancrage à une devise unique. Cette crise, je dois le dire a été une crise de croissance, et les pays européens ont connu à des étapes analogues de leur développement des crises en partie semblables.
L'Union Européenne s'est largement impliquée dans la résolution de cette crise et a manifesté sa solidarité par plusieurs canaux.
Tout d'abord, c'est un point essentiel, face à cette crise, la communauté internationale et notamment l'Union européenne se sont refusées à tout protectionnisme.
Par les liens privilégiés noués entre l'Union européenne et l'Asie, s'est maintenue l'idée d'une coopération renforcée afin de conserver l'ouverture économique. Le forum de l'ASEM, créé en 1996, avait déjà servi de canal privilégié pour assurer les partenaires commerciaux de la volonté commune de ces deux pôles de l'économie mondiale de maintenir les économies ouvertes, et de résister à toute tentation protectionniste. Il convient de noter que l'engagement (" pledge ") multilatéral pris entre l'Europe et l'Asie lors de la réunion des ministres de l'économie de l'ASEM au Japon à l'automne 1997, a favorisé l'émergence d'un consensus lors de la conférence ministérielle de l'OMC de Genève en mai 1998.
La stabilité du cadre multilatéral des échanges a permis le maintien de l'ouverture des frontières. Dans ces conditions, alors que les comptes courants des pays d'Asie sont devenus fortement excédentaires, notamment du fait de la chute de leur demande intérieure, l'Union européenne a partagé, à part égale avec les Etats-Unis, l'absorption de ce déséquilibre. La balance bilatérale de l'Union européenne vis-à-vis des pays asiatiques s'est ainsi dégradée de 0,7 % du PIB en 1998, celle des Etats-Unis de 0,5% du PIB.
Deuxièmement, l'Union européenne, en tant que premier actionnaire des institutions multilatérales, FMI, Banque mondiale et Banque Asiatique de Développement, a joué de fait un rôle essentiel dès les premiers jours de la crise. Celles-ci ont en effet très rapidement mis en uvre des moyens financiers considérables : elles ont apporté des flux de capitaux publics pour compenser, au moins partiellement, les forts retraits de capitaux privés notamment bancaires.
Elles ont de plus apporté assistance technique et aide projet pour la mise en uvre des réformes structurelles, par exemple la restructuration du secteur financier et industriel, le durcissement du cadre prudentiel et le renforcement des contrôles, ou encore l'amélioration de la gouvernance tant publique que privée, et la modernisation du cadre juridique et judiciaire. Elles ont aussi apporté leur aide dans l'accompagnement social de la crise, notamment dans la définition des programmes sociaux et la mise en place d'un filet de protection sociale pour soutenir les revenus et l'emploi (" safety net "). Le fonds d'assistance technique (" trust fund ") euro-asiatique créé dans le cadre de l'ASEM, dont la gestion a été confiée à la Banque Mondiale, et auquel la France participe activement, complète utilement le soutien des institutions financières internationales. Il illustre concrètement la coopération euro asiatique pour la réforme des secteurs financiers et bancaires, et surtout dans la prise en compte des aspects humains et sociaux de cette crise.
L'Union européenne et au premier chef la France, ont continué de mettre en uvre leur aide bilatérale au développement, à la fois technique et financière et d'apporter leur soutien au crédit commercial. Notamment, en France, les systèmes d'assurance-crédit publics ont joué un rôle extrêmement utile d'amortisseur dans les échanges et les flux financiers internationaux, et ont évité toute sur-réaction.
Enfin, une réflexion sur la nouvelle architecture du système monétaire international s'est engagée l'an passé dans le cadre du Forum de Stabilité Financière, auquel participe Singapour. Notamment, la question de la transparence des Hedge Funds ou encore celle de la réglementation prudentielle des centres offshore y sont discutées activement.
3. Plus généralement, la résolution de la crise asiatique met bien en évidence la nécessité d'un cadre de développement intégré conciliant approche globale, partenariat, coordination et doit trouver son prolongement dans le cadre des règles multilatérales internationales, à la fois financières et commerciales.
La mondialisation maîtrisée pour laquelle nous plaidons considère en effet que les instabilités et inégalités qu'elle provoque doivent être encadrées selon une démarche progressive, mais claire. Comme vous le savez, les négociations commerciales, en matière de tarifs et de libéralisation vont reprendre dans les secteurs de l'agriculture et des services : il ne s'agit pas là d'un nouveau cycle mais simplement des suites de l'Uruguay Round. La vision européenne du prochain cycle de négociations se caractérise principalement par la volonté d'aborder de nouveaux sujets : l'investissement et la concurrence, l'environnement, et les normes sociales.
Nous avons noté à Seattle, comme dernièrement lors de la récente conférence de la X° CNUCED qui s'est tenue à Bangkok, que les pays en développement marquaient un intérêt croissant sur ces thèmes de la concurrence et de l'investissement, qu'on appelle souvent les sujets de Singapour. Le développement des fusions et acquisitions transfrontalières peut en effet dans certains secteurs, mettre à mal la concurrence, en facilitant les abus de positions dominantes, tant à l'échelle du pays et de la région en développement qu'au plan mondial. Il apparaît maintenant indispensable aux pays en développement de pouvoir compter sur un droit et une politique de la concurrence appropriée, tant au niveau national qu'au niveau multilatéral. Et je crois que les grandes opérations, qui se développent tous les jours dans le domaine des NTIC, montrent que le droit de la concurrence doit être amené à jouer au niveau international un rôle de plus en plus important.
Enfin, il me semble que les réflexions sur commerce électronique et concurrence doivent être menées dans des enceintes internationales, OMC ou d'autres. Le commerce électronique devrait en effet théoriquement renforcer l'efficacité de l'économie en donnant la possibilité de rassembler, sans coût et pratiquement instantanément, sur une même place virtuelle un grand nombre d'opérateurs, acheteurs et offreurs potentiels. En revanche, en donnant une dimension plus large à la concurrence, non seulement par les prix, mais prenant en compte notamment les délais de livraison du produit, les périodes de garantie, le commerce électronique peut conduire à l'exclusion de certains fournisseurs du marché. Le commerce électronique peut avoir enfin un impact dommageable sur le respect de la vie privée des consommateurs.
La démarche que nous préconisons est progressive : l'Union européenne a marqué son souhait que ces sujets nouveaux de la régulation internationale débutent par l'adoption de principes de base fondés sur la transparence et la non-discrimination, que les pays en développement qui le demandent bénéficient de périodes de transition appropriées, et de toute l'assistance technique nécessaire. Nous avons signalé également qu'il n'était pas question de soumettre à l'OMC des décisions individuelles en matière de concurrence, ou de brider la capacité du pays hôte à réguler l'accueil de l'investissement direct étranger.
Il ne s'agit pas ici de concessions commerciales réciproques ou à proprement parler d'échanges de gains et de pertes. Il s'agit plutôt d'une sorte de contrat social entre tous les pays du monde où nous négocions et acceptons ensemble des règles communes. Le progrès dans l'établissement de ces règles sert l'ensemble des membres de l'OMC, quel que soit leur niveau de développement. Il est de l'intérêt de tous qu'un cadre clair, stable, transparent de règles s'établisse et se renforce à l'échelle multilatérale, une autre leçon de la crise récente étant que la mondialisation n'épargne aucune partie du monde des perturbations nées d'une défaillance locale.
De la même façon, nous avons saisi comme un signe encourageant le dialogue très libre qui s'est instauré lors de la réunion des Ministres de l'économie de l'ASEM de Berlin en octobre dernier sur les thèmes de l'environnement ou des normes sociales. Dans ce domaine, notre conviction est identique. Elle se nourrit du constat que le développement ne va pas sans une gestion durable des ressources ni sans développement social et humain.
Les négociations des accords multilatéraux d'environnement, tels que le protocole sur la biosécurité signé à Montréal en janvier dernier, témoignent d'une évolution positive des pays en développement à l'égard de l'environnement. Le protocole de Montréal établit ainsi un cadre de règles internationales pour les mouvements transfrontaliers d'OGM, qui jusque là faisait défaut, et donne aux pays qui n'étaient pas dotés d'une législation nationale en la matière, un cadre de référence pour fonder leurs décisions sur les importations d'OGM et protéger ainsi leur biodiversité. Plus largement, les travaux de la conférence de la CNUCED à Bangkok ont montré que les mentalités évoluaient sur ce thème et que des progrès étaient possibles. La CNUCED s'est notamment engagée dans son plan d'action, à examiner, en coopération avec les organisations appropriées, les implications économiques des accords multilatéraux environnementaux et à promouvoir l'introduction de mesures effectives afin de réaliser des objectifs globaux environnementaux.
La question des normes sociales de base reste la plus sensible. Nous ne pensons pas que les sanctions commerciales pourraient aider en quelque manière au développement social, mais sommes par contre sensibles à ce que constate dans le préambule de sa Constitution, l'Organisation Internationale du Travail " la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leur propre pays ". En revanche, nous refusons d'envisager les normes sociales sous l'angle de la concurrence déloyale, c'était là le sens de la déclaration de la Conférence Ministérielle de Singapour, à laquelle nous souscrivons pleinement, qui rejetait l'usage des normes du travail à des fins protectionnistes.
L'approche incitative et coopérative de l'Union européenne sur cette question a été, il faut le concéder, prise à revers par les déclarations américaines à Seattle sur les sanctions commerciales. Il nous faut donc continuer à travailler pour que cette question progresse. Je note qu'elle figure au cur de l'agenda de nombreuses organisations internationales avec le sommet social des Nations Unies en juin prochain, ou dans l'approche préconisée par la Banque mondiale sur le développement. La coopération entre les organisations internationales devra se renforcer. C'est la voie que la France a proposée avec l'Union européenne à Seattle et qui reste valide.
4.Le dialogue doit se poursuivre entre nous pour rapprocher les points de vue. Le forum de l'ASEM est à cet égard le plus approprié. Dans ce cadre, une attention particulière a été portée, dès l'origine, aux aspects réglementaires du commerce et de l'investissement qui faisaient obstacle au développement réciproque des échanges. Sous la forme des plans d'action, les thèmes abordés sur les meilleurs principes en matière d'accueil de l'investissement, les normes en particulier sanitaires et phytosanitaires, ou la propriété intellectuelle, contribuent à identifier les intérêts réciproques et à favoriser la compréhension mutuelle. La Thaïlande du côté asiatique et la France du côté européen se sont ainsi portées volontaires pour jouer le rôle de facilitateur sur ce thème de la propriété intellectuelle ; leur coopération active qui s'est déjà traduite par l'organisation d'un séminaire en juin dernier, se manifestera prochainement lors d'un séminaire en Thaïlande ce mois-ci. Ce sera notamment l'occasion d'y traiter du lien entre commerce et santé publique, par l'intermédiaire des brevets pharmaceutiques. Je me félicite que Singapour coordonne un projet très concret, l'ASEM " connect ", réseau Internet de base de données nationales où sont répertoriées les entreprises recherchant des partenaires dans les pays membres. Enfin, le volet multilatéral du dialogue au niveau des Ministres et des hauts fonctionnaires donne l'occasion de rapprocher les points de vue.
Je note, à cet égard, que sur les thèmes les plus difficiles de la conférence de Seattle, les positions de l'Union européenne avec les partenaires asiatiques n'étaient pas antagonistes, et que certains d'entre eux participaient au même groupe des amis du cycle.
Beaucoup reste à faire pour que cette coopération bilatérale se renforce et débouche sur des actions concrètes de coopération bilatérales et multilatérales. L'objectif fondateur de l'ASEM d'une relation équilatérale entre l'Asie, l'Europe, et l'Amérique demeure. Les actions bilatérales doivent contribuer à renforcer les liens économiques entre l'Europe et l'Asie et à rapprocher les positions multilatérales. Réciproquement, le renforcement du cadre multilatéral doit servir de stimulant à l'accroissement des échanges et des investissements bilatéraux.
Le forum de dialogue non contraignant que constitue l'ASEM représente une opportunité qu'il faut exploiter. Le prochain sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement qui se tiendra à Séoul en octobre prochain sous présidence française de l'Union européenne sera une étape importante. A l'heure actuelle, le programme de notre présidence n'est pas encore complètement arrêté, car nous devons en discuter ensemble. La France envisage de prendre des initiatives dans le domaine commercial, afin d'approfondir les plans d'action pour le commerce et les investissements, en ne les restreignant pas seulement à l'élimination des barrières réglementaires. La France cherchera aussi à favoriser les synergies entre le dialogue des hommes d'affaires et les travaux menés par les fonctionnaires dans le cadre des plans d'action pour le commerce et les investissements. Elle devrait aussi prendre des initiatives dans le domaine de l'éducation.
Le prochain sommet de l'ASEM devrait enfin permettre d'approfondir et d'intensifier notre dialogue multilatéral, à la fois dans le cadre d'une réflexion sur l'architecture financière internationale, et sur la mise en oeuvre des accords existants et la mise en place d'instruments de régulation nouveaux à l'OMC. D'ailleurs, sur ce dernier sujet, certains de nos partenaires de l'ASEM suggèrent l'organisation d'une rencontre des ministres du commerce de l'ASEM en amont du sommet de Séoul
Ce rapprochement entre l'Union européenne et l'Asie, suscité et irrigué par la globalisation, doit être une chance pour que celle-ci soit maîtrisée, qu'elle profite à tous et non pas à quelques-uns, et qu'elle répartisse les richesses plutôt qu'elle n'accroisse les inégalités.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr)